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LE
CORRESPONDANT
PARIss —T IMP. SON RACOS EG COMP. BUR D'EAPERTH, L,
er
LE
CORRESPONDANT
RECUEIL PERIODIQUE
Ca ee eee Ty
RELIGION — PHILOSOPHIE — POLITIQUE
— SCIENCES —
LITTERATURE — BEAUX-ARTS
TOME QUATRE-VINGT-ONZIEME
DE LA COLLECTION
BOUVELLE SERIE — TOME CINQUANTE-OINQUIEME
PARIS
CHARLES DOUNIOL ET G*, LIBRAIRES-EDITEURS
29, RCE BE TOURNON, 29
1873
LE
CORRESPONDANT
LETTRE A M. LAURENTIE
Monsieur,
J’ai recueilli avec le soin le plus consciencieux mes souvenirs et
ceux d’autrui, pour reconstituer ce qu’on a trop pompeusement ap-
pelé mon discours. En le relisant, j’y ai trouvé la réponse la plus:
netle et la plus péremptoire 4 vos questions. Il m’est impossible de
voir ce que je pourrais y ajouter tant que vous n‘aurez pas changé le
terrain de la discussion.
Je me flatte que vous en jugerez ainsi.
Je vais d’abord remettre sous vos yeux et sous les yeux de vos
lecteurs l’analyse du marquis de Franclieu, postérieurement modi-
fiée par lui, mais non retirée.
Dans un discours ou, blamant M. le comte de Chambord d’avoir affirmé
la nécessité du vote universel, il (M. de Falloux) avait ajouté que ces
mots : pratique honnétement, étaient un moyen de relirer plus tard ce
qu'on semblait promettre. — La thése de M. de Falloux, soutenue avec
toutes les précautions oratoires possibles et cette habileté de langage qui
se Joue de toutes les difficultés, a été celle-ci : |
m. s€n. T. Liv (xci* DE La cottect.). 14" riv. 10 Avan 1875. 1
6 LETTRE A M. LAURENTIE.
a M. le comte de Chambord n’est pas de son temps‘... is
« Il ne comprend aucune des nécessités de notre époque... ae
« Nous avons besoin de son principe... | ghee aa OM es
« Il faut hous‘ réuntir pour Tul ichposet le drapedutficolbre, Iw presideaee
« préalable de M. le duc d’Aumale etune constitufidn’.. ’ eae
« Ou bien... > aes.
« L’héritier a droit ‘sux I'liéritage, il lui appettient avoir ‘don avis é
«-dexercer tovte infaence sul‘ }x maniarede ledeipe villainy 6 123. |
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Le yoila dong cong, ce'segret glen dHerrent! is ;
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a Messieurs;: oe ae ee ee Pyne Pet payin
a Je n'ai rien’ yous opperter, sinon lég imprésalot's Gu'detidps: fs
impressions dun rural, d'un spectaYeur atten ‘a oique fointain,
que la défaillance'de ‘ses forcés réifent loin dp vous, mais qui Sit
sionnément intéressé ' tout ¢é' qui ‘vols ‘apite’ vous-hiémés, Stach
constamment ses regards sur cette Assemblée, et patticuli¢rement
sur la droite, parce qu'il voit en-efle le ‘stlut‘de ta France. Les in:
pressions du dehdrs, attestéés pdr un témbih siege Reiveti uel:
quefois n’étre pas inuliles. Un proverbe atléitiaid ft it Les abbrds
empéchent de voir la forét; »:il én edt -q eluate de méhié én =
litiqul ! queljweloid oémt gual Sont brigsegs dibs’ Peetioh-bit peihe
se rendre compte de J'effet que leurs.actes peuvent preduird bree :
tance. C’est whiqnement a ce titre que je puis répdadrd 8'l’dppel qui
m'a-été adrésst, appeal que je ne'me sérnis pes permis dé | rovoquer,
mais que je ne saurais refuser, daps 1&8" Condiian’s attitdbes ih TL
m’est fait. ee eee
« L’Assembléc-est ld ressource supréme du pays, quite pelt pas
et ne veut passe fixer dans la népublique, parce qu'il ne Id’ ient ‘pes.
pour une solution hormale et durable. Pour lui, 1a républiqie’ d¢f
le synonyme de l’anarchie. Les républicains modérés né' sont point
un parti, ils ne sont qu'une éeele; ils né dominent jamais til Jés fait
ni les idées qu’fls prétendent représenter ; ils sont émportés par lit
violenee, chaque fois que la violence est déchainée. Je le bhnstate
comme un fait irrécusable; ear, pour mon compte personwel, je wai
: cite
1 Les guillemets sont de M. de Franctieu. var
LESTRE A M. LAURERTIE. 7
peint de grief contra Ja république : cest le seal régime qui m'ait
permis de rendre 4 mon pays le peu de services que je lui ai jemats
rendus. Mais ¢’est Ja sentiment public que nous devons chercher i ici,
sans, écouter telje pu,telle de nos préférences, et le sentiment pu-
blic n’est pas dontenx. II discerne, aveo un instinct profondément
juste, que la république nous livre infaulsblement, soit 4 la démea-
Gogie, seit au césaziame, et, selon toule apparence, 4 lalliance de
lune et de Lantne, En 4952, neous, avons eu le césarisme né d'un
mouvement qui voulait étre. copsarvatenr, et vous voyer od il nous a
conduits! Jugez ce que serait, wa edsarisme né dans la rue et mmposé
per l’émeute : ca serait le socialisme 4 ja fois le plus radical et le
plus dangereux, parce qu'il aurait towtes les comvoitises de la déma-
gogie et toutes les ressourees du-pouveir. Ne vous faites done pas la
moindre illusion 4 ce sujet : la durée de la république aetuelle n'est
que la veillée des armea pour la guerre civile la plus effrénée; et
J'ai. tort-d’eppeler cela una-geerre civile, ear ce sera une jacquerie
sauvage, une lutte sans loi, sana frein, sans merci, contre la civiti-
mage tout entire. Yous ne pouvez donc demeurer longtemps dans
ion aussi oa apo i a sd
BX pas ( ys devez précipiter les solutions,
it daly mh pe aclaepe a sera Jaissé pour les attendre ou
lee, on ; J'affirme seulement que, dans tons les cas,
TORS exes preparer le meiljenre ou plutdt la seule bonne, et y pré-
paver: le pays; gcoutes la parobede Bossuet, enlevez 4 ta fortune tout
peut lui emlever par prévoyanee et par conseil. Des gens
es et forts d’un mandat tel que le votre ne doivent rien confier
i: la hasard peut. ¢tre un sot ou un scélérat, et c’est une
anetee, dovhlée dune ferme volonté, que ja France attend
que je pays eroira que cette Assemblée peut lui apporter
tion, et que, si ellela différe, ce n’est pas par irapuissance, it
fu il se résigne encore et ne perde pas courage; mais le jeur
oui en arriverait 4 eonclure de yos votes et de la division de la
que Yous n’avez aneune solution en réserve, ce jour-la, ce
find entre vous et lui, il vous délaisseratt pour se hivrer &
rie qui, lui promettent, méme dans bes conditions les plus
ment trompeuses, repos et stabilité'.
\;@ Ainsi, qu’avant-tout la majorité ne se divise pas, qu’aucen ma-
Ly, aucun mouvement d’humeur ne vous éloigne les uns des
et ne fractionne le grand parti de l’ordre.
Nie réunion avait lieu le 5 janvier, pew aprés le vote sur la proposition Desjar—
ea propos de l’entrée des princes & PAssemblée, vote dans lequet Ia droite ac
tait divisée.
8 LETTRE A M. LAURENTIE. '
- @« Quant a Ja solution, quelle doit-elle étre? Elle ne peut étre, selon
moi, elle ne peut étre, selon tous ceax qui sont réunis ici, que la
Monarchie, avec la maison de Bourbon tout entiére, réconciliée et
réunie,
« Cette solution ne rencontre-t-elle d’obstacle qu’en dehors d’elle-
méme? Nous ne parlerions pas sérieusement, nous ne parlerions
pas utilement, si nous ne commencions par nous avouer & nous-
mémes qu ‘elle porte dans son sein un obstacle, insurmountable j jas-
qu’ici : c'est la malheureuse question du drapeau.
« Ah! je comprends tous les sentiments qui bouillonnent parmi
nous Ace seul mot, car ces sentiments sont les miens. Je suis wm
fils de l'Ouest ; la supréme ambition de ma jeunesse a été de mourir
obscurément pour le drapeau blanc, au pied de quelque buisson
vendéen. Rien dans mon passé ne peut m’incliner vers les prm-
ces de la maison d’Orléans; je n’en connais aucun, la révulution de
Juillet m’a fermé toute carriére, comme a bien d'autres. J’avais,
comme un autre, le gout légitime de servir mon pays; la révolution
de Juillet a refoulé ce désir et m’a jeté & Pécart durant toutes les
années de l’activité. Il n’y a pas la de quoi m’inspirer de |’empresse-
ment, et si nous étions ici pour obéir 4 nos griefs intimes, je parle-
rais plutot en adversaire qu’en ami. Mais je ne veux écouter aucune
de ces voix secrétes, et je ne veux penser, je ne veux parler qu’en
ami vrai et désintéressé de notre malheureux pays aux abois.
« Ne voyant de salut que dans la Monarchie, el ne voyant la Mo-
narchie que dans la-maison de Bourbon, je cherche uniquement a
quelles conditions son retour est possible.
« ll n'y a pas, 4 mes yeux, d’autre maison de France que M. le
comte de Chambord et ses héritiers légitimes, les princes d’Orléans.
Si quelqu’un songe & y substituter les Bourbons d’Espagne ou les
Bourbons de Parme, je renonce & m’entendre avec celui-la; mais je
ne crois pas que personne ici se place a ce point de yue. (Plusteurs
voiz : Non, non, personne n’y songe.)
« Nous sommes donc bien aacbari sur le point de départ; les
princes d'Orléans sont les héritiers incontestables et légitimes de
M. le comte de Chambord. On ne saurait donc leur refuser le droit
de prendre souci de l’héritage, et de délibérer, avec le chef de leur
maison, sur toute question qui l’intéresse. M. le comte de Chambord
nest que le dépositaire et l'usufruitier de son principe : il l’a regu
de ses ancétres, il le doit 4 ses héritiers ; il ne pourrait pas plus le
frapper gratuitement de stérilité qu’on ne peut, dans le droit privé,
compromettre le domaine qui n‘appartient pas & soi seul. Nous VOICI
maintenant en présence de la difficullé.
a M. le comte de Chambord s’est prononcé récemment pour le dra-
LETTRE A M. LAURBNTIE, 9
peau blanc; les priaces d’Orléans, si je suis bien informé, persistent
4 croire que la France ne peut étre amenée 4 la répudiation du dra-
peau tricolore, et que satisfaction serait donnée a tous !es souvenirs
et 4 toutes les gloires, si nos antiques fleurs de lys venaient se poser
sor le drapeau actuel.
« M.le comte de Chambord peut-il se déjuger lui-méme sur une
telle question ?
« Personne, je crois, n’oserait nine voudrait le lui conseiller; pour
mon compte, si j’avais 'honneur d'étre consulté 4 cet égard, je lui
demanderais opinidtrément de n’en rien faire. Les princes d'Orléans
regoivent de leur célé le méme conseil de leurs amis, et le représen-
tant du principe de l’hérédité demeure séparé des héritiers.
.« Nous serions donc enfermés dans une impasse inextricable, et
le pays y serait enfermé avec nous, si tout procés en ce monde n’ad-
mettait un tribunal, tout différend un arbitre.
- « Ya-til un tribunal, y a-t-il un arbilre digne d’une si grande
cause? Oui, c’est la nation elle-méme, non pas la nation confuse, in-
saisissable, ignorante de l'histoire, accessible aux préjugés, quel-
quefois méme égarée et passionnée par le plus vulgaire charlata-
nisme, mais la nation éclairée, réfléchie , vraiment compétente,
cest-a-dire l’'Assemblée Nationale, Assemblée la plus loyale, la plus
sincéremént patriotique, la plus capable, en un mot, de donner une
garantie égale au peuple el au roi. La, il ne peut y avoir amoindris-
sement pour personne a se rendre aux veeux de la nation ainsi expri-
més, & lui sacrifier, non pas un principe d’autorilé, mais un senti-
‘ment intime et personnel. Quand les princes sacrifent quelque
chose de leurs prérogatives nécessaires, ils portent préjudice au.
peuple autant qu’a la royauté; nous le voyons, hélas!-dans l’histoire
de }'infortuné Louis XVI, et ce n’est pas a Versailles qu'on peut l'ou-
blier ; mais quand un roi ne sacrifie a la réconcilialion et 4 la pacifi-
cation du pays tout entier qu'une consolation ou une satisfaction qui
lui est propre, il ne se diminue pas, il ne s’affaiblit pas ; il se grandit,
au contraire, il se fortifie, et il conquiert dans la reconnaissance
publique le vrai prix, la vraie récompense de son abnégation géné-
reuse.
« Si, pour obtenir ce sacrifice, il faut résister 4 quelques entrai-
nements, 4 des entrainements contre lesquels, croyez-le bien, j'ai
peine 4 me défendre moi-méme, ayons le courage de résister. La
vraie popularité, dans l’histoire, la vraie renommée appartient 2
ceux qui ont su résister, 4 ceux surtout qui ont. su résister tour a.
tour au peuple et au roi, parce que ce sont ceux-la qui savent rendre
les grands services. Les parlements se sont honorés en remplissant
ce double devoir, tantét en tenant téte & la sédition, fantét en
40 LETIAR + M. LAURENTES,
faisant retirer, sar leurs renjontnances, qu .saéme sur. leur) inyings-
ble, relus Wentegistser,;mo,édit reyel, Methiqn.Molé nijtait.. pas ain
grand orateur; ce n’était pas, comme le.ghanegligr.de |’ Hipital, yp
grand hégiskntewn ; mais c/était, wm geapd. maractére, Un jour.i 3 dit
Pagani i/o; Vous n’iveg pas-plus lawn, mun aalee JOUR tty
Je vais. 4 la- Coury, jai difay da rene 35+, et, cake a api. gngs dui
marquer.et lyj, ganden.aRe, idaus. tihistoize me, France. bt Me
leshexhes ? Son, gouyenix, caviant bien paturellament.’ ta mAmeing,
av. moment oa, Aarts seni) da Palais de dustiqny on. yall sail ‘mn
face de.son. monument la stave de Renryer. On pent caer lamserip-
tion. du' monument de. Malusharbes, parea (gay elle; a, ne |AMpoRAMte
aviovilt, perce. quielle est éenite, dada main, d 80s rel- i phe ae
della dignits reyale, ide, la: "main de Louis AYU; et quella "idole
louange! Hécemés, pan; Ja pranae 20, SerNMeny ip: Aa, pearance
jusquid aomast?.- Casein apparté dusem Rot -nurde tadne, tages
dans ta prison, lascaepuney erin BL. de-wigomaleid Onthery qua pan
auvaid jandais.ooenu.qon nest, $i, mtaxatt dorit,,ib iy agate
lois, lignes, qui Gaient, pout. ainsi. ine qa. dayise de.,arisipgAie
frangaispt: vr) Ma: vis.ivat aniReby mos, true ent.A; Dien, .mon.honuawr
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pochen, dian: dortis. Ce:qina nbtis| devens fyk ently pt nati
toutea, nod sugcoptiailitds, d'amanmpnopsns qeekid silences sire
fond da :nos.cceurs, sun itomle blessures pernpnndile, ef.ja9e tis AUP
cela. ndug savons: le faire ;qplarid, am apis da: juillet, a, prApOs POFRP
dé. la ddulonrante question: gigas OGINRe 288, 20: MONO Ms LHD
journal, i Union ,s'¢stieomplind-entrageries pluseulorisés pl
considénés diesitza wots, none-avpas tered, COMTI Ley cone agAN Afr
Vohement qui jour interdisnit demtyandresebnavs y. ATABS aPAAPALE
mais iquand!.il s‘agit.de portend rapt da Soa DONE tip
les ypréjages ‘shéme qui foreagoit Mi crepe nome HUA —
bésation pblitique,!elet.qinuis sasqulte sboyt dn mands wenlstce
écho deda voix dele :Vrdnos, et sapplier.& dew Zenons qiAmdiet
LETTRE A WM. LADRENTIB. 44
ehute. La' vérité, ‘fa -verité, clest a le premier tribut qu’on doit a
Texil conithé aw'trote;! Ja véritd, ‘la vasitd; 'e'est la secours pour
Poxib saninie’ wel te (réne:! Ta PEM a A
ib ¢ Rewetibits) done! bdettdyadstion dit Urapdaes elle dst bien vieille,
ile a deaudip UecupéM.! Berttyer) ty! 4 plus’ de-vingt ans, evil a
huiss8'des' nutes cdnsidérables a'ce sujet: Ildisait-alots, et nous di-
tba! id tons aude Tai As leonishlert ipaw-odite question eomme
ANG Goes bn Tey eeat ane Yudstiod politique l'La-gloire du
@rapéal bane? gith'la ‘dottlesie? Mais; iver’ ube insurmbntuble' opi-
HIRCPELS, ‘tivde Lie hYddgle -diyporlomient; ne! netale portion: de la
PPiheS' Void Werridhe laldrepedu Hate) Varcieh ¥egime ot ]'elfatou-
Sear obritve dant F imapitiatien popubsire? eetompogne ridn n'est
Le te me nea Hen 'sudeih’ ast'plud cebtain. /A ‘coup sir; M, le
Hite Ge Chath bord n vet pat em ea prnid'ancion tégime; il le-prouve
‘bidth pt 4a Veh Alalive dens 46’euHvayo witiversdl con fended ui ‘sevnit
Spe -dtréexeaasie; vicle-eaffréke Universe) devait demiewrer orga-
Ae}! ove iplltst Adsoryuriobs tebigh' dl Dest aujourd*hutl: Le -saffvage
Selina Leb! quer Jet hpratiquet ‘csttethetitevcl; ettme ‘oxelusive-
Wet $eS ftadeld! dydint Welds) avelelinattaiteyy ibllivre, dict & bref
délai, la société publique & la merci des sociétés secrétess i'donne
edaragics- mat sur- an prepriss A cous gH.ne possAdent rien. Vous
seriex JaN5s,ROR PAS IR Bus BORER ee plys impradents des
Kgislateurs, si, tout en respectant loyalement le suffrage universel,
hau dy ajolties pes ¥ organisation iidtpuntabje d va dignilé:comme
Abb Seediite Pibliqts! Ne: wal lkeses pas! dire que'le ‘coup: diktat
GP Teese n'a vedas! hae. pared qailevale até provolué pur: la
fol Ath FA ifité 554 yok pase ule Vette 201, qui n’dtalt| aw: rosie, que
WipéPlictddls} ohig'}%e1 std) chieme plusicurs U’ entre vows, timein
Hey Bvbremienta Ab be tev pelt; et nduevoug attesterong tous que ta
MEA SPdab efit quliv-prevextep qhesecubaide ede midagud(ad
Presid fit] 4) én Gav neledneat Gouveia datia‘el quelidcoupaliitat
Wrevisel parte que FA scoltbide ddd StAndtsipavouldd vlasiluation ot
Por Val seeder PAdgem bleed pagmuvd hui,iipaebeo que best princes
TUM Bivisés,. pipes ene fies perlib vesthient divisés- oomindites
princes, partes qins! lai majeries 60 shindait: ati desbrattnnpuissaite,
CHaqué TiS quill Sagimniedes grands intédete et wes gretides ‘solu-
Hots Bel T arene: Veilh pdrcets tassemblén dé-485-2 -pbri,' et non
Bobi ttie siiple rofufewd dang be question de domicile dlectoval,:car
eb th bades-ETes ‘tems! sent ant itonPdul elites Nérsont: pag encore dla
hited duepdle“qu?én‘leult aasigne hour Jes cipleiter. Elles ont bien
461s 'de's'epercdvbiv qu Lelulyel led fapte est le pus sonvent
a pieliiee 4 ‘les thihir, dt -otleg-ne repoyssént point Ja main -de
Minéiceletrs,quand cette ‘main se.tend:vérs.elles en amie, non
13 LETTRE A NM. LAURENTIE.
pour les opprimer, mais pour les élever graduellement, en propor-
tion de leurs lumiéres et de leur honnéteté. |
« Je vous demande pardon de celte digression; nous courons tant
de périls 4 la fois que le champ 4 parcourir serait trop vaste, et je
veux me borner au point capital. dont nous avons commencé 4 nous
entretenir. |
« La France s’effraye de l’ancien régime jusqu’a la monomanie, et
c'est la ce qu’elle personnifie dans le drapeau blanc. N'irritez pas cette
monomanie. bs
« M. Berryer disait, il y a vingt ans, et j’avais ’honneur de dire 3
cOté de lui : Il est possible que, au lendemain d’épouvantables catay
strophes, le pays accepte et redemande le drapeau blanc; serait-ce
une force pour la royaulé? Ayons Je courage de le dire : non! 4
peine revenue au calme, la France ferait payer bien cher ce passager
oubli de ses préventions invélérées. Au moindre mouvement d’hn-
meur, elle ressaisirait le drapeau de ses préjugés, et en un clin d’eeil,
une révolution serait accomplie. Si au contraire, par l’alliance deg
fleurs de lys et du drapeau tricolore, vous avez définitivement récon-
cilié la tradition et la société moderne, si yous avez symbolisé, d'un
commun et irrévocable accord, cetle réconciliation populaire, la
royaulé n’a plus contre elle que le drapeau rouge, cest-a-dire le dray
peau du pillage, de l'incendie et du meurtre; alors, elle est invincible,
« Nous disions cela il y a vingt ans. Hélas! les catastrophes sont
venues ; ont-elles manqué d’épouvante, ont-elles manqué de clarté?
Et pourlant le pays s’est-il rapproché du drapeau blanc? _
« J’entends dire : c'est la condition indispensable de cette autorité
ferme et forte dont le pays a tant besoin [
« Je crois que c’est le contraire qui est vrai; je crois que ceux qui
parlent ainsi marchent directement contre leur but. Rassurez la
France sur les points ot elle a tant d’ombrayes, elle cessera de se
montrer passionément inquiéte et passionément julouse du cdlé des
institutions ; troublez son imagination, par un symbole qui n’a d’au-
tre porlée que la valeur méme que lui préte l’imagination, vous la-
chez la proie pour l’ombre, et vous conduisez le pays 4 exiger les
garanties, les concessions Jes plus incompatibles avec le tutélaire
exercice de l’aulorité. Un homme d’Etat a qui, certainement, la sa-
gacité ne manque pas, me disait un jour : En France, plus on mettra
le pouvoir a droite, plus il faudra mettre les institulions & gauche.
Le mot était profond ; j’ai eu l’honneur de le répéter et de le com-
menter 4 M. le comte de Chambord. Je vous demande en grace de
bien y réfléchir vous-mémes, car le secret et la solution de bien des
problémes sont la.
« Les hommes que je combats avec tant de respect, et, qu’ils le
LETTRE A NM. LAURENTIE. 13
-croient bien, avec fant de regret, aiment 4 citer Henry IV. Assuré-
ment, Henry IV a dit bien souvent: — Je ne céderai point & la
Ligue ; — il lui avait porlé et ilen avail regu de rudes coups, et
cependant, il a fini par compter avec elle, car il avait dit aussi :
— La grande amour que j'ai pour mon peuple me rend tout aisé et
glorieuxr. — Ce beau régne, le plus beau peut-dtre de notre his-
toire, est, du premier jour au dernier, le chef-d’ceuvre d’une trans-
action, d'une transaction donnant satisfaction aux catholiques, sé-
curité aux protestants. Prenez l'histoire, dans tel siécle ou dans tel
pays qu’il vous plaira, et vous ne trouverez pas une grande lutte
sociale, une grande guerre civile, qui ne finisse par une transac-
lion, et bien heureux les temps, bien heureux les peuples ou la
transaction ne demande plus qu’a se résumer dans un simple signe
éxtérieur. Plagons-nous, pour en juger, sur un terrain of nous
goyons pleinement désintéressés de nous-mémes, prenons |’Autri-
ché. Croyez-vous que si on allait dire & son empereur, qui se débat
si laborieusement entre trois ou quatre nalionalités rivales ; — Les
divisions, les hostilités vout cesser, si vous donnez 4 chaque natio-
nalité, non une large part du pouvoir impérial, non telle ou telle
de vos prérogatives essentielles, mais le droit de représentation
sur le drapeau; — croyez-vous que l'empereur Frangvis-Joseph ne
s’estimerait pas heureux d'un tel trailé de paix, croyez-vous que,
eti le signant, il humilierait son sceptre? Croyez-vous qu’en France
les partis, dans leur état actuel, ne soient pas presque aussi divisés,
presque aussi ombrageux les uns vis-a-vis des autres que les peuples
divers du vieux empire autrichien, et qu’un traité de paix définitif
ne soit pas urgent? :
« Maintenant, la consultation du pays parle souverain est-elle une
Tonovalion ou une prétention révolutionnaire? Non.
’ « De tout temps, dans toute la durée de l’ancien régime, la
Royauté a toujours, sous une forme ou sous une autre, consullé
le pays, compté avec le pays. Sans cela, elle eut été l’absolutisme
pur, et elle n’a pas voulu l’étre, clle ne l’a jamais é1é. Aux
Champs-de-Mai ont succédé les Etats-Généraux, aux Elats-Généraux
les Parlements, et quand ces voix indépendantes ont élé, non pas
‘étouffées, elles ne l’ont jamais été, mais moins attentivement écou-
tées, on marchait vers 89.
a Il n’y a donc pas plus de milieu aujourd’hui qu’autrefois entre
Pabsolatisme pur, c’est-d-dire la volonté sans réplique du souverain,
et fa consultation du pays.
« Si quelqu’un connait yne troisiéme solution, j'en serai fort heu-
reux; quant 4 moi, dans mon dévouement et dans mon patriolisme,
j’en ai vainement cherché une autre.
« Celte solution méme, quelque modérée, quelque raisonnable
44 LETTRE AM. LAVRENTIB.
qu'elle soit, arous ne-pounona y arsiver q’yn seul bond,et-sans tran
sition:'One homme-ne passe pas imméediateamont de. la maladie .* da
sarité, il traverse: nécessairemednt la canvalesdence; un. peunie.na
passe pas non:plus sans transition .dq-lanarchie & Ja monarobie. ba
cbnvalescdnee pst -una.loi on politique comme en- médecine ;..dntva
Chanlos I‘f:et Charles H,iAngletenre.a,ou Olivier Cromwell, Bicherd
Cromwell et Moncky en Finsee, apna te Terrenr et: le: 9, thengsidar,
nous avonseu. le: Direotoize, t¢ Con: wlatiet,. Eanpirg..Je suis depotrier
loin de reprocher 4. Assembite, de n’anoir pas,iaw pramien joun da
son inauguratron ai Bordpars, proclamé. ta. moparthies i} .a (614: a8
de sprendre compte, méme de loin, des immenses difaculas qui
ont pesé sur vous et dicté ié¢ pacte ide, Bostemux, -paele quiine spies
ontertda it: dsswrément pac la rapublique daguishe,etisubseptice, mais
qui refusait: dlimpoddr sa lai menanchie ja hiqvidatinn ‘cl. par nonséh
quent,:.l¢ ‘nesponsahilité d’ene: ei qn elle, a anait pes fate, Col
Weta point. ele:d sigger te enuel/ivatté qui inutileit, agtra: tenri+
teire et ilifalldit - mu: moins seodastituer, les premiers éléments ad)
ordre matériel, avant denfamer les plus haules queaticgs daVer,
dre moral. OS sfonp eb th ob oq onputre fb ah ob
. Aapourdhui ménte, ness, he sormmen ‘pas encora cartis ‘de la
centalescence, et notisine devons ‘hrukques ancund srqnsitian. sit {i
: to Cetté convalescenbe, cette tnansitaon, theaan Kem mes :samn blebs
paride cours des Svénemdnts;: appebéd: dda ‘feprfsenter, My! lendno;
d'Aumatd et Mo Thiers; athis tows deux: he end -pas aans excitas, de
divers titres,‘ une cbrtaine ingtistudet::« ;;;-: 1D 4? Mpuilod zenrergaal
“a M. Bhiérs! Yous sqvel tops, messieuns, qae.je kon: ai, janais-
parké depuis: vingt agsisasila: plus:cordiale racbnnassance,: 4 ja dac
lui dois: bién} car'c’estiac Ini; peuri la dhs ereide part, meenic dois
les deux actes de pra qourie casridrd| ‘la netourdu, JouyensintPeatifel
4 Komeret le retour: do: ta; tibertin denseiguemest, on Brange. Ouils
quand fai-ve M. Thiers tila 1616 de afon -prye, Pai sand de mesog:'
pérdnces cet Svénement; et Yainiévé pens hulle rdte. pe glue .grand,!;
le plus originalided Histoine moderne, At.powvsit:,¢tne le. soul: Rom ms. !
qui ett sauvé un. pays seas-étrg pninoce ef sans.avoin |épée/ayhcets.:!
Washington était général,'Monck littait qussin Banepaste:] Maal bins)
unvpea; M. ‘Thiers seul,’ per lunique force de lintelligence,! en;i
Punique.prandemndds -sérvices‘rendus, : était. artavp. a-digpopes dew,
destinées. ;de:.s0a : pays,!. ét' hoitequill revensit.de ca, gsand. voyage!
patrictiqae ot. H ayant. ¢té & led send toute notro, diplomatie pats:
des grandes -cqurs del’Runepes ldraquitl rapportedt a laF range ceite c
paix doulpureuse mais nécessaire, j’ayais esphnd qu ih ad: dovemerait;-
a la pacification intdérieute commode peelfcation oxifriepps dine.
l’a pas assez Youlu,-ousdu nioins ik ne Va;:pas asses fermemong tent: |
el je né puis mé consofer, mor l’ami ancien et’ fidéle da. sa vane. .
EETTRE A M. LABRENTIS. 45
giire; qu’il-ait pré{éréile preailer-rang.aw: premier ride, et que
fodvatit Mire ld sanveur desbn' pays, tl pareigse: se contehter anjour-
Ghar #eMrele président d'une répubteque.équiveque: Est-ce attire
pour ela’ >i faille dre snjusté on ingrat envers: tent: @immenses
setvices 7 Dieu nous en garde} undis#] no adus.est--pasidéfendude
toni ed dide & Mi Thiots lulsmame: ‘cuptre!les - pkégés qui’ Fehtod-
rant, ot! daniétorer ow do toetifier|sa politique: Vous tiven, és omtre,
toulla prévolr : utd attngad dela -démagogie, unc suiprisaida:cisa.
Hines vowe'aves onfia'ef mous:atons tous: -prévoir obte, mtdrven:
fiots Foltdroyante ‘deta Providence quiow appelle la itt)> ORT Rm a Ee
1Un Bakbi toutes:ces hypotheses, que fbrez-vous3 Glest ici! qu’appa:-
rat: be v6le possible do M:. lheuduc:d’ Aumate. Pty PO eigee tate Oe, Y fis
-.ai Sab ibesety de vows ye péten que je ne conndis aucwn-des pri
delainsigon d'Oeldaiy, qhe jow'si jormais'on t'hopautir d'imterrogur
la perisée-d'aucun M ou, 8 que, pai consdquent, jong me porte gu,
rantd'acidun d!/euk M. leat edst peitdish Jo phie¢leignée
de nbs: cependant, s’id. prendit: des engagements id-‘Hobhetr; jly
coattsib. tin menbrede td réukiow! News: proposes-vows la présisionce'
de la République pour le duc d’Aumale? ) HOU OL
cl obiesiveirnent en; view ne serait plascontesine i) dik pegsée, et
il me sembleque psviens de pr oxplipeer bssez-cloirement sur da Reé-
pebdigae;-poun qa'ducen: dowd ne poise e yintes echt Sgard, Ce que
jetious! demande; c'est 2’ abord: de; craiien les: princes. d’Oniéens Don
eh cntionns, wiais: pw sombres le dachmilis reyale | clést-.diagin en
hommes politiques, en essa faméljprertoubie monde saas brir
semperponie; d’apiéieres Mi? Pinters par ja perspective diult pas em
aehat tens 1a monarelie! pabimtemention-diun prince, damélioter
Midd ducid'A uttate,'s't en est hesbiw, pgc ial pérspective deMUThiér&
Jeldate) bite qaut éxista du nliliew de: nets (quekqubs théoriciéns
abietus qtd idrdientadresseran daorntal re mioche w an thoinme:poli- .
tignep quand) lb:dui. disent): «Youd dtes sin polstique/ » ef quinine,
djbent) janis ‘quidvec:|Iisdcent ge plus: Mipirican:s:0 Vous dtesibe-,
bala. aust dvone qui sch: veprodhas adresse -ii ales: homints changés (de.
faitoode' lapolitiqueiettixatenment priés: per 4e.pays ddyiter ces.
faartish lopinidtves qui: bnt-aéfaJperdh tant-de-pouvoits eb provequé
taut de-oatattiephes; } avout que ce depseqché ne m'eflta ya‘ pas pour
vend, 80 Je wols:supplie do:lé mésher.iSeper'des-hommes politiques,
dans }@ noble et juste acheptiondd ce mes ! Notro pays 7 est pas-asser
che On: wrees “pour queéey‘sanslrien préjager d'avanog, vous
apditedenit Helle paver dtaubune 1 ne pavddinérait pas alu con
sdessteers, it nd pardomucret. pag aax:-hommes monarchiques, en
Partidalive) silk sa'boomiiem &lamoncetersdes obstecies ow d:com-
templed desruines, s'jls croqaidnt:aecemiplir leur mardat ew prolon-
genes tadéfbinient lhngetsse ‘actuelle; en faisant échec & la Répu-
/
16 LETTRE A M. LAURENTIE.
blique parce qu’elle n'est pas la Monarchie, échec @ la Monarchie
parce qu’elle n’est pas encore préte, en deca ou au dela de la fron-
tiére. Je ne sais plus quel journal a publié l'apologue des deux vais-
seaux, disant que si l'un portant M. le comte de Chambord venait a
sombrer, Ja Monarchie survivrait tout entiére, mais que si le vais-
seau portant la maison d’Orléans venait & périr, ce serait la Monar-
chie qui périrait avec lui. J’écarte de toutes mes forces de telles
hypothéses, mais je prends de cette cemparaison le seul point appli-
cable 4 votre situation d’aujourd’hui : tout vaisseau porte un canot
de sauvetage ; quel équipage, au milieu de la tempéte, s'est jamais
avisé de briser le canot sur lequel i] pouvait se réfugier un instant
pour gagner la plage en vue? Ce qui enivre un homme, ce qui ’en-
traine aux excés de la personnalité, c’est de se senlir unique et de se
croire indispensable ; n’exposez personne & cette tentalion, pas méme
un président de république.
a Je sais bien que les mémes hommes qui font, en politique, fi de
Ja politique, ne reculent ni devant lidée des tempétes, ni devant
l’imminence des catastrophes ; c’est au contraire dans la théorie du
pessimisme qu’ils puisent leur espérance et qu ils cherchent leur
point d'appui. Jose leur répondre que cette théorie serait coupable,
Si elle n’était pas aveugle ; j’ose affirmer qu'elle est aveugle, car iln’y
a pas un événement qui ne la démente. Non, ce n'est pas par un
surcroit de démoralisation, ce n’est pas par un surcroit de calami-
tés qu’un pays se reléve, surtout si une portion quelconque de ces
calamités pouvait étre imputée au défaut de conduite ou aux arrié-
re-pensées d'une des fractions du parti conservateur. C’est en mon-
tant qu’on trouve M. le comte de Chambord, ce n'est pas en descen-
dant ; le roi est au sommet des intéréts sociaux, c’est vers ce point
culminant qu’il faut graviter sans cesse et fuire graviter le pays. Si,
au contraire, nous laissons glisser le pays sur la pente qui descend
vers l'abime, nous ne faisons que |’éloigner du but, nous ne faisons
-qu ouvrir la carriére 4 de nouvelles aventures et a de nouveauxaven-
turiers. L’histoire est 14, notre propre histoire, celle de tous les
peuples en révolution est la pour le démontrer, et je défie tous les
théoriciens du pessimisme de la démentir.
« Enfin, ilest une derniére objection que je ne dois pas oublier,
car elle a pris créance dans un trop grand nombre d’esprits. On ne
veut pas suivre les voies de la politique humaine parce qu’on a foi
dans les voies uniquement providentielles. Ces espérances, j’uime 4
les nourrir au fond de mon cceur; quand le découragement me
saisit, j'aime & me dire que le ciel n’abandonnera pas dans sa dé-
tresse le pays des croisadus el la race de saint Louis, que le duc de
Bordeaux a été salué, dés sa naissance, comme I’enfant du miracle,
et que ce ne sera pas en vain. Mais comment se font les miracles ?
LEITRE A M. LAURENTIE. 17
L‘hisfoire de France en compte plus d’un ; plus d’une fois Dieu nous
a conduits 4 une fin prédestinée par des voies extraordinaires, mais
sans sortir cependant des moyens naturels. Quelle mission fut plus
évidemment miraculeuse que celle de Jeanne d’Arc? et pourtant,
a-t-elle fait la guerre en méprisant les lois de la guerre? Non: elle
ne négligea jamais ni la prudence ni la clairvoyance naturelles ; elle
tenait une épée 4 la main, elle se munissait d'une cuirasse ; elle ne
se croyait pas invalnérable, elle a été blessée ; elle s'entourait des
méilleurs capitaines de son temps, elle ne décidait rien sans les
ednsulter, et elle ne dédaignait jamais de grossir ou de fortifier ses
batailions. C'est ainsi qu'elle a délivré Orléans et fait sacrer Char-
1&'VIl & Reims. Si, au lieu d’avoir une mission militaire, elle avait
rece une mission politique, soyez surs qu'elle n’eit pas dédaigné
divantage les conseils de la sagesse ‘et de la prudence humaines,
qu’elle se fat entourée des hommes d’Etat aussi bien que des capi-
tdines, et qu'elle n’edt pas méme négligé de grouper et de consoli-
@r la majorité de son parlement.
a Tout vous donne le méme conseil 4 vous-mémes, le naturel aussi
Bitn que le surnaturel ; tout vous dit : Ne vous divisez pas, ne divi-
sez ‘pas la majorité ; tout ce qui vous divise nous perd, car tout ce
qu? Yous divise réduit 4 l’impuissance une Assemblée qui est unique
ét supréme ressource du pays. C’est ce supréme intérét qui vous
parle et qui vous presse ; ce n’est pas mon iniliative, ou ma préfé-
retice, ou une vue personnelle, quelle qu’elle soit, c'est le péril, et
—< titre, quelque téméraire que j’aie élé, pardonnez-moi. »
Ya soirée se termina par un dialogue entre quelques-uns de mes
atiditeurs et moi; les questions ne furent que trés-rapidement effleu-
rées. Néanmoins, si mes interlocuteurs tenaient a la publicité de
léurs paroles, je les prie de les rédiger eux-mémes et j’y joindrais
mes réponses.
Je n'ai pas besoin d’ajouter, monsieur, que je ne désavoue ni ne
regrette une seule des paroles que vous venez de lire; tout ce qui
s est passé depuis un an n’a fait que me confirmer dans ma profonde
conviction.
Maintenant, monsieur, j'attends de vous, 4 votre choix, ou un
peu de justice, ou une nouvelle accusation de trahison, de convor-
tise et de duplicilé. Dans une ou lautre hypothése, je vous prie
d’agréer d’avance l’expression de mes sentiments trés-distingués.
A. pE FanLoox.
Angers, 2 avril 1873.
40 Avnu. 1875, 3
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La Révolution parcourait de’ plus en’ plus vie 8 Son cercle five Les
hommes de 89, les grands réformiteurs'qui avaient introduit Peg
lité dans la société et la fiberté dans I'Etat, jeoonstlanis’ ba les
passé et n’étaient ‘plus que des fistodrated! La Fayette avait di fuir
il expiait dans les prisons de’ T'Autriche ‘sUti ‘dévouement' a Ja cause
de la liberté. Bailly était libre ettcore, mafs il'allait trouver bi Lob.
dans cette ville qui'l’avait mis 4 sa téte, aprés ‘la prise de la hast
tille, une prison dont il ne devait sortir que pour monter sur l’écha-
faud. La république avait renversé, balayé tous les soiltiens de la
monarchie constitutionnelle. Lés Feuillants n’éthient plus. Le’ pou-.
voir appartenait’4 ceux qui, aprés avoir détruit Ja royauté, ‘avaient
voté par faiblesse ou par calcul, par aveuglement oif par fureur, Ia.
mort du roi. Mais le faisceau allait se rompre et les hostilités ‘éclA-"
_ ter parmi les alliés de la veille. Si les plus modérés avaient la ma-
jorité dans la Convention et dans la France entiére, ‘les plus» vio-,
lents avaient leur appui dans la Commune et ‘dans la partie clive’
des sections de Paris. Dans la Convention meme, les modérés, les,
Girondins avaient donné les mains & la crédtion ‘des = choses ¢ pi,
furent l’4me et ]’instrument de la Terreur aa profit violets : Te
Comité de salut public et le tribunal vévoluilfonnaire et. uand ils.
s’alarmérent, quand ils voulurent éproaver leur forced an sein de la
Convention en faisant décréter d’accusation Marat, te tribunal’ réyo=
lutionnaire leur renvoya Marat aequitté, tiiomaphadt. Cietait le signe
que leur ascendant avait pris fin.”’ " a ar 2 ae ae
Dés ce moment, les Montagnards gagtieht de plus én plus dans la’
Convention, soutenus par les tribunes, qui y apportent ta Voix ‘du
Piha? voyget a es a ae ec Tey tha,
PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI. 49
dehors en attendant l’émeute victorieuse. M. Mortimer-Ternaux a
décrit ce progrés dans le VII° volume de son Histoire de la Terreur,
ouvrage que sa mort a si malheureusement interrompu, au mo-
ment ou il abordait son sujet principal. Les développements donnés
4 Yexamen des volumes antérieurs Wie avaient réduits a n’en dire
qu'un mot dans I’article q oF rey a bey consacré ici méme en
4870. Nous aurions pu y A la méMe fermeté dans ses juge-
ments, les mémes scrupules a ne les asseoir que sur les faits les
mieux vérifjés ; ci pourtaet ily auneisqerge dfniprinatfons que au-
teur parait ol négligde : ce sont les rapports de police adressés,
jour par jour, au ministre de .Pintéfteur Garat. Ils ont été publiés
par extraits dans un ouvrage quia paru l’année méme de la publi-
cation du dernier volume de notre regretté confrére : Tableausx de la
Révolution francaise - publiés sur-les papiers inédits du département et
de la police seoréte de Paris, par Ad. Schmidt, professeur d'histoire
a Yuniversité d’léena'. Ils ne ntent bene rien aux conclusions du pre-
a A : mais 3 is aip DeatOn® Ada cognaizsenna des 616-
mit a Mer oflumer-| fern nous.moantce jes choses comme ables,
ft Aah vé : es, I Les rapport; de police, pgus, fonticonnattre.le milieu ow
$.se.sont passées ;, ils nows.font.yoir ¢omme,le périd était conn,
le) iin e mies iqné,. et comment le ministre de lintérieun qui, pré
a tout, ne Git, rien, est plus,responsabla. encone, du résaltat qua,
rér9
mer- LN AUT | ne, Jen. accuse. Comme tputes.. ngs journdes
9 sepa se ressemblent,, quielles se, préparent.de la. mare
ai aed éyssissent. par les mémes raisons, il. na. ae pas senst
ese aig auelanes emprenis.a coy capponts. Noug.y. verona des:
a eae id ue, No ONS avons YUES ane a habit 4, des, époques plus. -nécens
tes, ef quo, Si 'nqys ne changeons d:habjtudes, nous sommes destinds
Voir. a , e ciene
ald rival iv : ai ‘des den, partia de la-Gironde. at de la Montogee s‘en.
Yenmai Sitritalt par Je fait espe, de. la, ai}nation formidable: ‘ofa
il vaeah ac la Franee., ab ee Tn ee a
ayec person tf famyention de énergie, qn’ elle a.déployéa.
i = ger: On da pourrait, blamer aussi, justemend. des. pévils
iene elle avait jeté le pays, Ge niétait pas.assez.de a lutte
ae ne wey Lena fonire VAntniche, la Prusseet la Sandaigne:'
at
“On lo
a guerne hb |’ Angleterre, (4."' féveiar, 4 703);-ont Yavait.
laree, at Fapapne (7ymarsys, et en ,méme.tenaps -que-l'on.se-trou-:
vail avo}n, a) ayant d'ennemis qua de ;voising, .quantlla. guerre
miefiacait c cea dee points de nos frontigrgs, elle, dclatait a Vint
belek ara AT SARE. le sypplice de Lonis XVI...
vatican ke fexte priate bet-dutreye aint Atiftived pone f
wh, se zine? ch 1, C., Seine), et jen ai corvigé les fautes sur plusieurs points,
20 PARIS ET LA RRVOLUTION DU 31 MAI.
Au milieu de fant de dangers, avec des moyens si bornés et une
organisation si imparfaite encore, les revers étaient possibles ; mais
dans celle fi¢vre ardente des partis, le moindre échec était rapporté
4 la trahison, et le mal que l’on soupconnait 4 tort pouvait naitre de
ces soupcons mémes. Nul doute que le nom de traitre, jeté& Du-
mouriez par tous les clubs, ne Pait entrainé a trahir.
La trahison de Dumouriez eut pour l’armée cette conséquence
désastreuse, que les soupcons qu'on en avait eus par avance furent
justifiés et que désormais tout général malheureux fut tenu pour
traitre ;-elle eut pour la Convention ce résultat, que les deux. pastas
avec lesquels Dumouriez avait également des relations s’accusévent
d’en étre les complices; et I’heure de la crise en fut d’autant ia
rapprochée. m
C’est sur l’atlitude de Paris a la veille de cette crise et sur celie
du gouvernement, que les rapports de la police nous donnent des.
renseignements curieux et nouveaux. , a
. Et d’abord disons ce qu’était cette police. ;
Garat, successeur de Danton au ministére de la justice (10 octo-
pre 1792), puis par intérim de Roland au ministére de l’intériewr.
(23 janvier 1793), puis définitivement ct uniquement ministre de l’in-
térieur (14 et 20 mars)‘, l’avait instituée pour s’éclairer sur les dis»
positions des esprits dans cette situation singuli¢rement difficile::.
Garat ne manquait pas de lumiéres par lui-méme, et il connaissait
les partis. Il voyail, dit M.. Schmidt, dans le colé droit, « le génie de
la république, seul capable de la sauver, de la créer, de l’organiser
avec sagesse et avec grandeur ; » tandis qu’il voyait dans le cété
gauche ou dans la Montagne « les passions de la république qui, si
elles étaient ou seules ou dominantes, seraient capables de la per-
dre (Mémoires de Garat, p. 71). Il reconnaissait que le cété droit,
sur lequel la république « fondait ses plus belles espérances (p. 73) »
faisait appel 4 « tous les honnétes gens de Ja France (p. 46), » tan-
dis gue le cété gauche penchait « & appeler 4 sa défense les excés.
du peuple (p. 49).... Il n’y a nul doute qu’il ne partageat absolu-
mens les opinions politiques de ia Gironde, comme. il en partageait
l'horreur pour les forfaits déja commis ou imminents de I’anarchie.
On aurait donc pu croire qu’il serait son champion, son défenseur
le plus acharné; et, en effet, tous ceux qui ne le connaissaient point
profondément s’altendaient qu’il ne serait que le commis des Gi-
rondins et le gardien de leurs intéréts. »
‘ Gohier lui succéda, le 20 mars, au ministére de la justice. Les autres mem-
bres du conseil exécutif étaient : Claviére, aux contributions publiques ; Lebrun,
aux affaires étrangéres; een a la guerre, ou il fut, en avril, remplacé
pdr Bouchotte. ss . .
PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 WAI. 2¢
Mais Garat manquait de résolution pour combaltre le mal ot il le
yoyait, et, ce qu'il y ade pis, il se faisait de sa maniére d’agir un
systéme politique. « Il se croyait grand philosophe et il appelait sa
faiblesse tantét circonspection et ménagement, tantot modération et
neutralité (p. 45, 442) '.
« Comme ministre de la justice, dit encore M. Schmidt, et mal-
gré son horreur pour les massacres de Septembre, il n’avait pu élre
poussé & donner lieu 4 des poursuites contre leurs provocateurs ; il
sétait prononcé, a ce sujet, de maniére 4 ne pas rompre avec les
Montagnards ; il avait représenté ce grand crime commeune suite
nécessaire et fatale de l'insurrection du 10 aout, et prétendu que Ja
revolution setile en était responsable. Lors du procés du rot, ils'était
prononcé, d’un cété, contre le jugement et l'exéculion, mais del’au-
tre aussi, contre l'appel au peuple. Le 16 janvier 1793, dans le
compte qu'il rendit au nom du Conseil exécutif, de la situation de
Paris, il avait ajouté de son propre mouvement: « Tout me parut
« parfaitement tranquille. » (Moniteur, n° 20.) Dire, deputs ce temps:
« Paris'est calme, » ou: «Paris est parfaitement tranquille, » c’était
pour lui plutét un principe qu’une opinion. Il répétait cette asser-
tion, méme au milieu des plus vives agilations et, comme ]’on verra
per ia suite, malgré sa connaissance parfaile de tous les préparatifs
de,désordres qui se faisaient 4 Paris *. »
‘« Garat, continue le méme auteur, se mettait par principe, c’est-
a-dire par faiblesse, entre les deux partis; il ne cherchait qu’a les
rapprocher par des raisonnements tirés de la philosophie et de
l'histoire. Si les Girondins sentaient la nécessité d’agir, de « met-
tre promptement les fers au feu » pour prévenir les crimes et les
malheurs dont la patrie paraissait menacée (p. 64), il les dissuadait
de‘prendre des mesures fortes. Et s’ils lui reprochaient sa faiblesse,
sa tenue douteuse, il insistait sur sa théorie que la « neutralité »
était une « force, » et méme !a force « la plus rare de toutes » (p. 45);
ou il se mettait 4 vanter son courage, en ce qu’il prétendait prévoir
que des deux célés on tirerait sur lui; ou enfin il se retranchait der-
riére.la fiction de son indépendance, en disant rudement : « Je pren-
« drai pour guides ma conscience el ma raison, et non celles d’au-
« cus homme sur la terre; je n’aurais pas travaillé trente ans de ma
« vie @ me faire une lanterne, pour laisser éclairer ensuite mon
« chemin par la lanterne des autres » (p. 63) *.
Il avait pourtant autour de lui des ‘hommes qui ’aidaient 4 voir
clair ; et cela nous raméne du ministre 4 ses agents.
‘ Schmidt, Tableaux de la Révolution francaise, t.1, p. 118, 119.
$ Ibid., t. I, p. 419, 120.
5 Ibid., t. J, p- 422.
92 + PARIS BTA AAYORUTION DU $4 Wal.
Ce fat-dansila:soirée du. 40;moens, dans cette soirée. ou las Conder.
ers et les Jacobins tentérent déja de réaliser le-complot qui Gud! aide
pris avec: plus ‘de saceés le'54 meis'co fut alore que Garat! isdléeaud:
milieu dé ces préparatifs de Pémeate; 'sentit le be8oin 'd’aveit! Sire
les principaux points de Paris, des observateurs’ pout lhi‘rentite
cémpte de ce qui se ‘passait '. Le mois suivant, il en fit une institu-
{fon régulidre. Le bureau « @esprit public, » établi par Roland pout
répandre par des écrits les principes de la Révolution, se transforma,
sous la direction de. Champagnenx, lami et-le coopérateur de .Re-
Jand, en hureau d’observation.* ; et Garat.choisit Jui-méme plysieura
abservaieurs. Les agents.dent i &t choix, disons-le..4 sani douangey
nétaient pas de ces hommes qui s’sppliquent.4 ne-voir.que- es que
Jebr chef-souhaite qu'on Jui ‘dise. Its Yoyaient ce qui'se passaitsotes
leurs yéeur, ‘et ils disaient'tout bonnement ce'qu’ils ‘vovaient.' Parmi
éux; fi en est un quise'distingue surtout par son courage ét’'sa sit-
cérits. Cest un dneien' avocat, ‘nommé Dutard, investi de ‘cettd
charge le 30 avril *. Dutard n'est pas seulement pour son, ministreun
agent, il est un conseil, et on peut dire le meilleur des amjs, puis:
gu/il lui fait connaitre: la vérilé, méme quand elle , est désagréable.
Il ne se borne pas 4.lui dire co.qui est, il-lui dit ae qual dudram
faire ; et em-lui- oifrant. les. moyens' d-agirien connaissance de cause;
il le pousse 4 l'action. Dans ia. lettre par laquelle-i} accepte'sa. migp
sion, il expr¥me comment il'- la congort, et. montre'déya par un
éxemple' Ue quelte thamiéte il. fe veut pratiquer’: se . b ye
65 ae eo ies Pope pet Cheled athe, ety ys i ry Pr A ee te Bb ares
“Je vais‘ donc'me livrer tout entier.el sans réserve 4 rétude dd la Hévolu-
tion ; jene me bornerai pas 4 vous rapporter ce que jaurai vu ef erttendu *
c'est la mécanique du métier qu’un simple valet remplirait aussi bien que
be pretiier philosaphe.: Si j¥tate irestrdint a! cette opératibn,|jd vous wtoue
gue Vidéd\senle:m'enterat peut, oo a ec eebont of oll
9. H faut.sanscontredit que: j’énorce des faita': mihime differestia. faok
inducer, ad mariman, differentiam, juris:;.... majs; il faut dugai.que.'jp xtic
Sonne daprés les faits, que je: typagmette ce que j'ai senti plusot que oe
que } ai entendu; il faut ay mojns gue je hire Jes conse: ores.
Par exemple, hier, sp Prine det Beakis Pane Recah. oe acini.
qui, par son moral, m’a paru étre un Brissotin ou un aristocrate, avait
“quibre le atvet UA Jadot. Litiy avait thane’ but ld ‘ydede? dunt de
Haatre, ét'pour'cel#’ il’ a' fat ‘s’Blever uid 'affarre ChUweYHente Mitre eal.
Quand je vous wurais {hit un’ artféte ‘qu'un homutid ‘avait miarehe sur! ta
on ’ Ba? ae Bina ae J ee me ee ee aetee tN ae anys
‘ 1 Garat, Mémoires, P- : ef Schmidf, t: I"; p. 135001! on ae fy
£5 lig! Schrbidt, abH"p: ee ed TUS, Tie AL u
3 Avec Dutard, M. Schmidt nortime ‘parriti'ces'observaféurs :'Terrasson| Histallé
He & mai} Pebridve; le 185 butian (U6: my, e322) Beaudsmner ‘dl Blanigs' (id! 23 ;
atone-Lamontagneyies24.) oto thos UP obtal eo top collitend ob chig Bus:
PARIS ET -LA‘REVOLUTION DU 34 MAT. 3
qabue d'an chien, et: qae.le mattre s’en étuif fidhé : 4 la lecture d'un sem-
bisble:artiele, vons aiauries puveks dispenser suns ‘doule de sourire ou
de sajtir un mouvement, d indignation contre le rédacteur. Mais si, au
eqntraire, je vous dis': Je sujs arrivé ea. Palais de:l’Egalitg 4 3 heures de
Vaprés-midi, dans quatre minufes j'y ai tout vu,: Deus cents aristocrates a
pres garnissaient les allées dy jardia ou Jes cafés; il y avait peu de
Jacobins, les aristocrates étaient silencieux, réveur's, paydissaient se con-
cérter. Quelqués-ins un pey lettres ‘y raisonnaient sur fa politique, éle-
tuient le peuple ad degré de contiance qu'il faut pour engager te peuple a
vilér ‘aa sévours dé nos’ freres dé ka Vendée ‘d‘autres invitaienit les pro-
pritaives a se-jeter en foale et: et masse dunis'lés sectidns, pour y régler
Vexprit public et faive dds lois .d'administration:' H y avait bdaacoup de
gens des départements, tanben:tmjfcnns :qu'en habil bourgeois, tant Bris-
seins que. Jacobins. Ghaquy. apbservait.1A Vinstant, uoiprimeneut mala-
dxojt foule la queug Ayn..ehian, de chien erie, Je meitre prend fait, et
pour lui, tous le, mqnde accqyrt.. Le Jecabin, ayait ya grand sabre et
Varistocrate ren avait point. Chagum rit, de la queye, hors eux, les querel-
leurs, L’aristocrate’ fait dabord ‘bonne contenance, puis palit et puis
# txelise: Celté scene est la centitme que j'ai vue dans le méme’ genre, elle
_ tableau: Du vivatit dé'Capet, te Jatobix; en pareltle occurrence, aurait
‘moult, ou du nidiits chase. 'Potttqudi, mné'direz-vous,’ uhe dduzaine
Ge Tncobins/ont-ils falt peur! h deat ou:trois'cemts dtistdcrates? C’est que les
premiers ont:an point de ralliement et queles autres tren ont point. C’est
qie les arsstporates, soft enedre:divisis. entire euk. ‘ous: crient- contre les
treore.,(de-.septembra) ; | quelques-yne' dps plus, neisonnables, veulent se
reunir 4 la partie saine, de ta, Ganvention, | mais la majepre partie résiste.
On la voit repasser dans sa téte toutes les anciennes querelles, les anxiétés
de toute espéce; gn_la voit encore bavarder contre les Guadet, les Ver-
i Fee PTL pe Caled sty 2 | Vs ee Oe ne pe es
guiand, ete. (30 abril 98, Setihidt, ¢.1 p. 163. ty ft terete egy
Coen ¢ mre Soe | sates rere | fb J | hetnatie tps Sarl tt ts Ute AD : :
udigus voici, dis le-premier jews, en face des deux partis.qui sont en
lutte : les modérés de toute nuance, devanus, madme-les -Brissotins,
les \avistocrales, et les ennayds: ou: Jucoly its) el! Mow peutivoir par ce
tiatgle exemple! of dst-le-nombre'ep ea est la foree: Deatard ne mé-
rape pas! Tes -prenticrs ee GAcb¥e teins les 4utres!' il tte se fuit nubtitte
: sof “4 i PaaS ‘ 2 i te taigsh Ty phobetdeaditee de po vie
ae ee ee al why ie
“HEE “I Pepe 2. US By Wisere cel Os tty Chai y as ge’ th Brfyd adece Tere ote
i, Hexista, dif-il, dans la, clagse enragée une espéce d’hagymes qui sortent
de. da Fike, of qui apres axojr.parconru uae carriére désardonnée finissent
pay retomber, A.Bigdtre, Ces} yp adage.recu par, la mevle 4. 4.14.40
Pitié & Bicétre. » Cette espéce d hommes n’a aucune sorte de conduite,
elle mange 50 liv. quand elle a.50 Jiv., ne, mange que 5,liv., quand elle
n'a que 5 liv.; de maniére que mangeant & peu pnds, tqujaqurs tout, ellen’a
4 pew prés jamais rign, elle ng.ramasse Kiem Ye te
-Depuis la Révolution, cetteiclaase ahpapcanpaoufiert ; cest cette classe
quia pris la Bastille, qui a fait le 10 aout, etc. C’est aussi elle qui a garni
a4 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI.
les tribunes des assemblées de toute espéce, qui a fait des motions, qui
arempli les groupes, qui a.... qui n’a rien fait‘. »
Mais qui fait les révolutions? Tous les conscils de Dutard 4 Garat
tendent 4 les enrayer, en leur opposant l’union de ceux qui ont in-
térét au maintien de l’ordre public.
Jai signalé le double péril qui menagait la république 4 Yinté-
rieur et au dehors; et il semble que le second aurait dd diminuer le
premier, en tournant contre l’ennemi les soldats de l’émeute. Mais it
nen est pas toujours ainsi, et les démagogues en font plus volon-
tiers une occasion d’émeute :
0
Chaumet (Chaumette) a porté la parole, il a parlé en enragé. Les mots
de sang, de carnage tapissaient 4 peu prés toutes ses phrases : « ll faut
« que les prétres fanatiques nous servent d'holocaustes. » Il parle de tra-
hisons : « Quelles sont les nouvelles qu'on nous a données des troubles
« de la Vendée, de nos armées?... il faut que nous soyons ce que nous
a étions au 10 aodt... Du sang! citoyens ; du sang!.,. Périssent quelques
« hommes! il faut couper les bras pour sauver le corps, etc. » Ila proposé
une proclamation 4 faire le matin dans tous les carrefours de Paris, com-
mencant par ces mots : « Ciloyens, levez-vous, le tocsin sonne dans la
« Vendée’, »
Dutard constatait que ce discours, trés-applaudi, avail produit peu
d'effet au point de vue des enrélements, et il en donnait les raisons -
14° Il est rare que l'on soit effrayé du danger dont on n'est pas soi-
méme menacé ; je veux dire, lorsque le danger est encore loin de nous.
« Quel pays est-ce, se demande-t-on, que le département de la Vendée,
« combien de lieues compte-t-on? — Soixante! — Ah! ils ne sont pas
« encore 4 Paris. »
2° Le peuple est las, et il sent bien qu'il n’est ici que le jouet des partis,
et c'est malgré lui qu’il se livre 4 celui qui le flatte le plus.
«5° Lepeuple tire les conséquences ultérieures qui peuvent en résulter...
a Mais si, aprés que nous serons partis, me disait un garde national assis 4
mon cété, si les départements voisins s’assemblent a Paris... 6,000 par-ci,
6,000 par-1a, nous serions de belles gens*! »
Le lendemain, il décrivait le mode et les effets de Ia proclama-
tion :
Hier, A deux heures, deux officiers municipaux, suivis d'un haro, vien-
nent aux halles pour y faire la grande proclamation : « Parisiens, levez-
vous! Parisiens , levez-vous! » Tous les trois avaient une physionomie
‘ Dutard 4 Garat, probablement du 6 mai; Schmidt, ibid., p. 189.
* [bid., 50 avril; Schmidt,.ibid., p. 164.
3 Ibid., p. 165.
PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 95
proscrite. Le haro avait la yoix bélante, je m’approche avec quinze ou vingt
personnes pour entendre les braves messieurs. Quelques-uns se détournent
et ne veulent pas savoir la fin ni connaitre le résultat de cette procla-
mation..
_ Une femme, l'une de ces marchandes de poisson qui bordent le chemin,
s'écrie : « Oh! le diable les étrangle, sile mien y va! (elle parlait de son
mari) ; ce qui fit rire beaucoup les autres. »
Quelques autres personnes délibérent et disent : « Dans ce moment,
on nous demande vingt mille hommes, dans peu on nous en demandera
encore dix mille autres et plus, et puis cing mille, de maniére qu’on par-
‘viendra a tout enlever, il ne restera plus personne. Il y a ici au moins
deux mille gendarmes, qu’est-ce qu’ils font ici? Que ne les envoie-t-on,
au lieu de faire partir les péres de famille? » Un autre disait : « [1 y‘a beau-
coup de volontaires revenus des frontiéres, il en arrive tous les jours ;
encore hier, 4 Ja barriére de Bondy, on en (a) arrété plus de 60; ils sor-
tent par une barriére et rentrent par l'autre; ils volent largent des sec-
tions et celui de la nation; que ne fait-on partir tous ces gens-la? r D’au-
tres enfin : «A quoi nous conduit tout cela? nous avons toujours été trahis
et nous le serons toujours‘. »
Celte crainte de trahison et ce motif de garder Paris étaient un ex-
cellent prélexte pour ceux qui ne se souciaient pas d‘aller 4 la guerre.
Un autre observateur, Terrasson, disait de méme quelques jours
. plus tard :
Les faubourgs sont debout, mais pour écraser les personnes suspectes,
si elles remuent, et non contre la Convention ! Néanmoins des précautions
douces et adroites, pas autre chose.
Et en post-scriptum :
Les faubourgs-ne se recrutent pas, parce qu’ils savent qu’ils sont plus
nécessaires ici qu’é l’Avandée (qu'en Vendée). Ils laissent Jes autres plus
riches aller Ala guerre. Fux veillent ici et ils ne comptent sur personne
comme sur eux pour garder Paris*.
Un autre fait qui eut été plus de nature 4 émouvoir les Parisiens,
c’est la motion que fit Guadet, au milieu des violences dont la Con-
vention était menacée dans Paris, d’aller tenir séance 4 Versailles.
Chaumette voulait y voir la perte de Paris; et, cherchant a échauffer
les esprits, il s’écriait :
« La Convention menace de quitter Paris! Autrefois nous avions la
cour, les grands ; 4 préseut nous n’avons plus personte::: Sila Convention
4 34 avril (lire 1° mai); Schmidt, tbid., P. 466, 467.
* Terrasson 4 Garat, 12 mai; Schmidt, t. Ir", p. 241 (le texte de M. Schmidt
est ici peu exact).
PARIS EY LA REVOLUTION BU 31 MAI.
quitte Paris, nous: sammies tows perdus; tuony-rons' tous, ‘it'ne vous'reste
plus qu’a égorger vos-enfonts:,. Kh} qué déviendra: Paris? Je propose dbné
que le Conseil général déclare que, si la Convention quitte Paris, Paris la
suivra partout oti elle ira; que si ld Conventidn''s'en va & Versdifles; tout
Paris ira aussi & Versaitles; qu’enfin Parise sé séparera’ jamais de la Con
vention *.» © Ps eo
vara seegany
. Mais la Convention: était restée & a Paris. Elte o*était bonnde by faire
évacuer les tribunes; et ce: prétexte: thanquait encore aut igita~ “
teurs. — a
‘Une bonne occasion s ‘atatt offerte 4 eux naguére : c’est uand Du-
miduricz avait’ fait défection. Les esprils alors élaient échauffés, , préis,
4 tout croire, 4 tout faire; mais les Jacobins n’en avaient pas profité.,
C’ était le egs de rallier les.autres,. de faire entendre aux, pr priétaings,
aux modérés de toute nuance, ge que, leur commandait lewr interdt
hien..entendu.. Dulard presseat.Garat cegine: Se eR Rar Ag
- eb yeagl
Yous ne.risquez, plus rien, . lui disait-il, le parti jacobin, ast désarconaé,
il est démembré,, il. est. déconcerté; , vous. ayez tout |e temps de preparer,
les matériaux nécessaires et de remonter la machine au degré qe. vous,
vaulez qu'elle soit... sn he pee
Que, dés, aujapra’ hui, que. ds, cet, instant, la trampetie ie Ja reunion
sonne chez fous les, propriétairgs, en, plus-graad, pambre passibles .aauR
consolent le peuple; qu’ils. beléyent ax nourage; que les plys grands.6aca},
fies .soient daitsi; que l’or,.l argent, tes Lams traitemenis, de houte. RapACED
que nien, pM WO Mol, ne sOMb GRANENG ici de oe Wphie snpells
Que l’on fasse bien entendre 4 l'aristocratie combien ‘elle 3 intérét dase,
réynir, & la, saine partie du,.peuple .qu.op. lui, explique a clajrement
que, s'il arrive la Hill IMSUF TEC, . alle sera, moulue,.etiqu ine sem
Sauvera pas un, seul? - 4, Ae ame ae Pettit cbs cere eustti: Go) etes sttod, snod
‘Mais on ne fi rien; et dans’ celle i inaction, Ain po uvair Je jes hommes,
de désordre gardaient tout leur ascendant sur la fdule. Qu’on en juge
par cette scéne décrile par Jerrasson i.) toy sib cias'l :
‘Mart edt Passb vers cinq’ hetres! dele’ MifeHds! ola W'ebt! Banik eh HA
pour le faire passer. Qnelques voix ont eHil!¢ Vive Marat?! 4 bt UF tte
pagné, le sabre nu a la main, sie a ‘4Vescalier d¢ ha terrasse , Nis--vis I’
trée de la Cohvehtion, Lail a dlit de reigalner le sabre. et on ta réligalngs.
Le 10 mai, on proposait'aux Jacobints Wallet détriiré le presses) ae
Brissdt. Oh ‘se préparait aux violéinces ; 'eE Yes hommés de Ipisir; Ye
population. paisible allaient * jouir des t pegimices du ‘prinfomps' aut
syd flue
{ Dutard a Garat, 4 mai, ‘sid’ . ¥é68.- i eens OTe Ce Pry Be 1 ‘falls alot
2 Ibid., p. 169, 170. . a
s Terrasso a 'Garat, Wid., # inai, p: ggg Gh ab Jaoqyut soe dushb Jd
PARIS ET:LA ABWOINTION DD 84 MAL. 91
Champe-blyaéys at aun. Tuilenies. Cotte sécurilé dpouventait. Dutard,
ehul ne s’effrayait. pasi moins de. la quiétude de son ministre :
Bb eid Spiga ye OR ee a SE I Se car ait ' ; '
; Croyer-moi,. Ini, disgit-il, Jaissez 14 la wadtaphysique;.abandonnez V'hia-
taire et las belles-Letines jusqu’'ace que je danger soit passé. Occupez-vous
le moins possible des détails d’administration ; soyez tout entier a la tac-
tique révolutionnaire. Il y a du travail pour quatre. Formez des comités de
epnlérences dans ‘les divers points de.la- vile de Paris, et surtout conférez
souvent avec vpn ohsernateure.. Rropeses:leur vgs doutas, .et ils les risen-
dront. Ce que }’un vous aura dit, vous le proposerez 4 l'autre; vous verrep
s'ls;sont d’accord, et s'ils ne Je sqnt, pas, vous ingerez quel, est celui d’en-
utes qui se rapproche le plus de la vérjtq. Il n'est peut-étre que l’obser-
ion qui puisse vous tirer d’affaire, et, par les moyens que Je propose,
vous deviendrez observateur'vous-méme, |
‘Hlér svit;'l'an de nds'enragés' (David; marchand de vin) a dit 4 la tri
Vane! de ma séction : 4 On sait comment s'ést'comportée la Commune du
10 aout. Cette fameuse journée, a ‘lacidtle nous devond rapporter notre
liberté, se renouvellera, j’espére, avant peu. »
‘Des'subtes, mordien, dés' sabres! Préparés tout pour'la dbfensive... Vdus.
Gey dien pres de la victiire ; thais je vois & regret ‘qu'elle peat encore vous’
éehapper.: regs ee of ii os ee . 7 |
S'il existe quelque organisation, des relations entre les' propriétaires des
diwises sdctions, invitéz-les 4 ‘fa sur'veiltarice, @ la fermieté,au courage.
Muutér pout méurit; ib Yat encete infeux midurir en‘défendant $a vie. In-
Vitez-led ‘pareitlenient &' We pas ubsenter de chez eux le soir, ¥ sé priver
dé promeriades, parce que je suis plus qu'assuré que ‘s'il se fait quelque
pega si la faction se met en mouyenerts de sera, a coup Sar, a ces heus
ns
igiiae-complétement! tout! voted monde’; ‘qué chacuni ait-uin ‘sabre, ‘tin’
fUSiF, ded piktotets!! qu" au ihvindre Motvenient! au nibindrd ebiip dé tani?
bour, tous vos commis, vos domestiques, vos parents éf‘atni§;' sans ‘en ‘ke
cepter un, seyl, vieux et jeunes, soient sous les armes et dans leurs gec-
edd Ube, ep BOHN CEE ET or
San tts 0 gh iid fia od
Si Paris était pour la Comniuté, tes dbpartemdiits’ étiieitt poirr Ti
“4 reption,.et Garat y trouvait une raison de se rassurer en. ¢as
Wenemen} utap Je détrompe :
‘Vous me dites que les’ départements se porteraient sur Paris. Mais ob-
servez donc que les départements ne sont pas A Paris; qu’on aurait le
temps de tur, de massacran,.de -depauiler, ayant.que les départements
sent fait. wn seul mopvem nt. }) ailleurs ce n’est.pas une chase démon-
qu ils se porteraient sur Paris ;,car moi, je croirais au contraire pou-
voir demoritrer qu'une grande paftie se réunirait aux Parisiens, par mille
relations, par mille raisons d’intérét. (40 mai, qdid., p. 206.) . . ,
ry | iadu il. sep ha : 1; 1.)°. bts i . ‘yo ue 1 afi Eber? 0h, .
t¢ alg athe | i]
Et, dans son rapport du 13 maj aprés.dui aveir conte Lasgusante
28 PARIS ET LA REVOLUTION DU 51 Mal.
histoire de M. Saule, ancien « colporleur charlatan aux boites de
quatre sous garnies de graisse de pendu pour guérir le mal aux
reins, » depuis, directeur de esprit public et chef de claque dans
‘les tribunes :
Le peuple veut généralement la paix; un parti nombreux de propriétai-
res est résigné, est disposé a faire tout ce qu'on voudra, et vous le Jaissez
dans l'inaction, isolé, sans appui, sans soutien...
Vous avez au moins dix mille commis dans l’administration, plus de
quinze mille, 4 coup sar, chez les marchands, vingt mille propriétaires.
Ghacun de ces propriétaires, s'il le voulait, pourrait dans trois jours dou-
bler le nombre, en appelant un frére, un neveu, qui sont dans les campa-
gnes ou les villes voisines... Les gendarmes qui sont ici parlent ouverte-
ment contre la révolution jusqu’a la porte dutribunal révolutionuaire, dont
ils improuvent hautement les jugements. Tous les vieux soldats détestent:
-le régime actuel; vous avez les invalides. Que n’avez-vous, hélas ! La Fayette
dans un coin de votre antichambre! Je mets en fait que dans deux jours il:
mettrait la faction au point de ne savoir plus of donner de la téte. Allez,
croyez-moi, choisissez quelque bonne téte pour exécuter; prenez pour vos
comités des gens qui ont servi sous La Fayette. S'il n'avait pas eu le mal-
heur d'étre marquis, Dumouriez, malgré son grand génie, n était pas pre-
pre, dans la tactique révolutionnaire, 4 lui soigner‘ses souliers. Si les phi-
losophes n’en sont pas d'accord, c'est du moins ce que vous diront tous
des observateurs...
Vous faites deux pas en avant, et bientét vous reculez de quatre. Ren-
voyez vos avocats Vergniaud, Guadet, a leurs sacs et 4 leurs piéces ; ils n'y
entendent rien, absolument rien. (13 mai, ibid., p. 216-217.)
Cependant tout se préparait pour la révolution projetée. Le 12 mai
au soir, Dutard avait dit 4 Garat :
Ce moment est terrible et ressemble beaucoup a ceux qui ont précéde -
le 2 septembre’, et il n’avait pas tort; car ce jour méme, les adminis-
trateurs de police préparaient, comme le conjecture M. Schmidt, les
arrétés qui furent ‘pris le lendemain par le conseil général de la
commune : )
4° Organisation d’une armée révolutionnaire soldée, qui fera le service
de Paris et sera toujours en réquisition.
2° Désarmement et arrestation des gens suspects, selon un mode qui sera
fixé secrétement. (Ibid., p. 220.)
On armait Ja faction, on désarmait et on arrétait les autres :
n étaient-ce pas les préliminaires d’un nouveau 2 septembre? Bien
¢ Il avait écrit délier, et I'a effacé pour mettre soigner.
* Rapport du 13 mai. Ibid., p. 212.
PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAT. 29
plus, quelque confiance que put donner at parli une commune ot
l'on prenait ces arrétés, on préparait, pour diriger le mouvement, un
autre conseil tout révolutionnaire (un comité central des 48 sections
de Paris). (Schmidt, t. I, p. 225.) Dutard l’'annongait a Garat dans
une letire énergique (44 mai), ot il lui tragait ce qu'il y avail & faire,
et criliquait sa maniére toute platonique de faire:
Trois écueils 4 éviter (et que vous devez, vous, mettre Al’ordre de tous
les jours) : 4° prévenir l'insurrection instantanée ; 2° donner assistance et
protection aux propriétaires, et les corroborer le mieux que vous pourrez;
3° couper tous les fils de la coalition dans la ville de Paris...
Vous voulez gouverner le peuple par l’opinion, par la confiance, ajou-
tait-il, « Il faut leur faire aimer, » me dit-on quelyuefois... Quoi? Ce qu’ils
n’aiment pas du tout. Et, en effet, quoique j’adopte entiérement le prin-
cipe qu'il faut, autant qu’il est possible, inspirer de la confiance au peu-
ple, de l'amour pour les lois, les lui faire aimer, dois-je également con-
venir que ce principe est applicable au cas présent, 4 I'hypothése actuelle
d’an parti qui détruit, qui dévaste tout ce que l'autre peut faire? Je crois
que je ne dois pas en convenir.
Hl faut nécessairement que ‘la force et l’opinion aillent de pair et s'ai-
dent mutuellement ; sans cela, point d’institutions politiques.
Or, voulez-vous connaitre les moyens pour éviter l'insurrection?
Je vais vous les apprendre par ce que fait la faction elle-méme.
Et il montre dans toutes les sections les sans-culottes occupant les
comités de surveillance, siégeant au fauteuil ; ordonnant }'intérieur
de la salle, disposant les sentinelles ; ayant cing ou six espions soldés
& 40 sous, hommes 4 tout entreprendre, et dont le moindre office
était d’établir des communications entre les sections :
De maniére que si les sans-culottes d'une section ne sont pas assez forts,
ils appellent ceux de [a section voisine. C'est ce qu’a fait ma section avant-
hier soir, ajoute Dutard, et ce qu'elle a arrété solennellement hier soir,
comme mesure de sdreté générale.
Et il recommande & Garat d’avoir aussi, pour tenir les autres en
&chec, des hommes 4 moustache. — C’étaient eux qui faisaient la loi
au palais de I’Egalité.
Deuxiéme question. — Moyen de révivifier les propriétaires. Je n’en
connais que deux : le premier, c’est l’observation de la loi, que vous ne
devez pas souffrir que l'on enfreigne aussi grossiérement sous vos yeux; le |
second, c’est de rajuster les propriétaires, de telle maniére qu'ils ne se sé-
parent pas.
Pourquoi tous les. hommes de hon aloi ne se concertent-ils pas les uus
ayec les autres, ne se forment-ils pas un rempart réciproquement ?
Tout ce qu’ils feraient deviendrait encore inutile, si la Convention ne.
30 PARIS ET PACREVOLUTION BU Sac MAL:
fait ‘pay sor devoih, ‘st- elle ‘rle réphime: pas’ Pabue que’ les’ tribes ae sti
veillance font de dutorité qui lear estconléd. | vo dud
. Mais disong le mot, atdisohsyhebiean ta faction stentend bbaucoup il
en révolution et se concerte beaucoup mieux quela Convention... .11..
La Convention fait de grandes phrases, se refére tout eunere aux dépar-
teens, &..jome sais qui.: et on a a ie RR Oe
Et voulez-vous savoir ce que;'sous anatre jours, il va Thi arrived? ld
voici : ts EL)
' La faction vient ‘ former um comité ccairal des commissaires des hr
rante-huit settions qui doivent se. réanir 4 l'Evéché peur correspondre!
avec toutes les seetions et la Commune de Paris.
Les comités de surveillance vont désarmer iun aun toutes les persomes
qui leur paraitront suspectes, c’est-d-dire la moitié de lacy
_ La, yous'pertles. Fequilibres +; + ts 2 an
.,,Jls-emprisommeront, je. premier individu: rei. sneat de prin, aciGinn
pas.:, we, Marat! | in et oe Sastre:
A mesure qu ‘if arrivera des Hommes dans Paris, ‘ils seront bien visitég,j
bien examings, et S ‘ils ont sie ie faudra, i ils Linaiianin la fc
tlon. (Yoia., p.2 fi 25.)
pa eae Vee Gel ye Moatet ate -anen bag
‘continue : 7 | ao ag
ol tf aie Me ty a ee | al opr restge oer I’ iy yf?
smotaténe bene Ia Conlon one lind: Se ke, INES
“Elle s'étabHt'dd deux mantiérds’! par'‘les tonit8s révoluttiotinaites: ét par!
la force armée.
“i Von vient 4 former Varmée révolitiorinaire proposée par Nobéspierye,
c’est certainement bien établir uné coalition. Or, Ia voir commencer ou da
voir comiplétée, c’ést pour ta faction a’ peu pres la méme chose (et je suis.
parfaitentent dé son avis).
Je présume que la Convention ‘toit se Yeperitir de'‘n‘avoit pas ‘adopté 1és"
eet ridicules de Ja Commune ef. dy faubourg Sajnt-Antojne, qui con
ht, Pun, a faire partir principalement les commis des marchands, leg
clercs; et l dntre, lés: prétres, ‘les célibuthtres’ des Bureauy et les’ aétittote!
naires ‘des huit et vingt mille*. Ab! si elle avait adopté cefte mesure, elle
tombait debout v une ‘bonne fois. Lorsqu’ ung armée de ces. braves gens ett,
été forme exercé 4 pendant deux, jours, seulement, j je. ne Sals pas gui,
se eu | ‘au dace ‘leur dire’: « Ou partez, ou posez les armes, tia ae
p. 226.)
Quélques ‘manifestations’ ainsi pu rendre force, au parti mo-
déré dans la Convention, si elles. avaient été sontenus. Telle ayaity.
eer) a
‘La pétition. des huit. mille est la. natitian dirigée pontre le camp sous Parts avant:
le 20 juin 1792; celle des vingt. mille Ja pétition comtsn.lus ewcés de cette journée. *
Le 20 octobre 1783, l¢.Consed général. de la Commune ordonna de publier les noms
des signataires comme liste de suspects. Voy. et Bon Diurnal & cette date (ou
Dauban, ‘la: Démagégie'en-1196 & Paris, 'p. 4H) -et Mortimer-Termans,! la “Terréur,
tell, p. 8. ae
PARIS; BE; LA, REVOLOTIQN , BU; $1 MAL, be |
été, dans. leg premiers jours de. mal. (le.5) l'adresse dela section Bon-
Conseil’. Telle fut, le 14, -adzesse pnésentée pan.les dépulés extra-
dé Bordedux, en réponse ‘aux: demandes: de proseriptibns
dirigées contre: Peeeninee | ae
Th ab Fist cee gt ed mo
islateurs, quel horrible cri vient de retentir. -Jusqa'aax : extuémainés de
lairépehliques (Trois cents. nepaéseptants-du peuple voués &la-proseriptidn,
vingt-deux 4 la hache liberticide des centumvirs!... Convention nationale,
Papisiaon jadia.si flere etsi grands, sauver-mous-de ia’ guerve civile!... Oui,
naus Argaviaang sug-le-chanip la mowié de notre garde nationale; nous nous:
élancons sur Paris, si un déeret vengeur neaous arréte, et nous jurons =
a cai a ou.de péris-sar leur: tombeau!
i! t
L’adresse regut les félicitations ¢ du président BoyorsFontréde et,
malgré les niurmeres de le Montagne, tx Gonvention décréta qu’elle
serait imprimée, envoyée , dans les départements et affithée dans:
7 1" oP page tea 2 Ce beh wag apart +
“1g Ebddieate'tes ‘Bovdulaig Va‘abhéver ‘de’ terrasser la faction, dit.
Dutard dans son rapport du 15; » et dans son rapport du 416 :
Le peuple, dans ce moment, est si bien disposé, la faction est tellement
abattue, que si j’avais six mille hommes, avec un valet d’écurie de La Fayette
Pan 3 S HPS SOIAARHE, Jp Xoudrais me, rendre maitre de Paris avant hyit
jou ef sans coup férir.
ot fide wn net d‘écurie de LaRareties. car jl est certain que l'aristocratie
pines é sds -privi eges, de ses sottises, qu'un aristocrate
he anes ne, expédition pareille réyoltergit toutes les Ames; on le,
séntiratt c comme Me bouc dans le bercail, comme les bétes a cornes sentent .
le gite. qa loup dans, les bois. (Schmidt, Ibid. De 292-)) pow on
suites ill iar babies at Datard: se’ ‘doulait bien que Garat ne liendrait ;
atin CON compl led if $08 avis; il lui, dit dans ce miéme rapport; |
We ‘avdua, ianctiémtent qu ‘en combipant et vos moyens, et Jes me- ,
sites font vous faites usage, ae ne sais plus oti vous voulez aboutir. II me ,
fi oa ten dire aid Meétfon :' « Tenéz, voild tout; nous avons des’
nats! Hous ne vowlohs pus odlithire usagé contre vous; il n’ y aurait |
; je, dq nous,r r
acifea feel” nas mer Me taal ted ee here me la puntiiee, ns
ethitnd et dene! jarndty soulthid Gu’ ékiste th tyraf'’ sti (melque dénomina-
tion que ce puisse étre, et de ne plus souffrir qu’une poignée d’intrigants, sous le
masque tu ‘patriotsme, écrase davantuge! les bons’ diteyens ot le pues ‘au des-
potieme gqoptiiaire. » (On be: cael a Hasso reprises.) -
CSihte az} ue PPG 9 "| Lt Brecon 5, Monit. ‘da 8)
toh
Sante da, emai Moniteu du, 46, Voy. Martimer-Ternaux, t. Vil,. P. 994,
39 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI.
pas de courage de notre part de vous attaquer, lorsque vous n’étes pas en
force. La force publique émane de deux principes, de la force légale et de
la force armée. Eh bien, nous allons d’abord créer 48 comités de surveil-
lance dont nous vous établirons les chefs, parce que, avec cette verge, vous
donnerez Je fouet 4 toutes les personnes honnétes de Paris, vous réglerez
‘esprit public, vous chagrinerez, vous vexerez tout ce qu’il y ade bons
citoyens; nous voulons faire plus (car le sacrifice ne serait pas complet),
nous voulons vous faire présent de notre force armée, en yous permettant,
en vous autorisant & désarmer les gens qui vous sont suspects; quant &
nous, nous sommes préts & vous rendre jusqu’a nos couteaux de poche....
Mais prenez-y bien garde, nous restons, nous, isolés avec nos vertus, nos
talents, et si, manquant 4 la reconnaissance, vous osiez attenter a nos per-
sonnes sacrées, nous trouverions des vengeurs dans tous les départements
qui se réuniraient; et si les départements manquaient 4 ce qu'ils nous ont
promis, ils verraient beau eux-mémes... »
Et pendant qu’on tient ce langage 4 Paris, on crie sur tous les points de
la France : « Tue! tue! assassine! guillotine! etc., » de maniére que, si la
main de |'Eternel ne vient mettre le hola, je ne doute nullement que, par
toutes ces manigances, l’on ne parvienne a faire égorger tous les Francais.
Et je prouverai quand on voudra, que la probabilité sur ce fait a beaucoup
d’analogie avec la certitude. (1bid., p. 252, 233.)
Les manifestations dont j’ai parlé pouvaient avoir sur ceux qu’elles
menacaient, l'un ou l'autre de ces deux effets; les abatlre ou les
presser d’agir. Elles les avaient abaltus d’abord, au rapport de
Dutard; mais il y en avait parmi eux qui se trouvaient, de leur
nature, plus disposés 4 précipiter Pattaque; et on le put voir déja au
club des Jacobins le 17 mai. Il y avait en effet, comme le remarque
Dutard, deux partis aux Jacobins :
Les gens instruits, propriétaires, qui pensent un peu 4 eux, comme mal-
gré eux : — de ce nombre sont Santerre, Robespierre, et une grande partie
des membres de la Montagne, — et les anarchistes, qui reposent en partie
aux Jacobins, et principalement aux Cordeliers, dont Marat est le chef.
(18 mai, ibid., p. 246.)
Quand Thuriot, montant 4 la tribune, dit que le peuple avait, pour
se faire justice, des moyens « grands, puissants, mais qu’on ne sau-
rait avoir assez de circonspection, » les tribunes se récriérent d’indi-
gnation : «Et Robespierre commence aussi 4 nous parler de pru-
dence! Voila encore un Robespierre. »
Et quelques voix criaient : « Le canon d’alarme! » .
Lorsque Legendre lui succéda 4 la tribune: « Oh! pour celui-la,
il ne nous donnera pas du Robespierre! » s’écria-t-on de toutes
parts; et tous les applaudissements furent pour lui, quand se déme-
nant a l'ordinaire, avec force coups de bras, il dit :
PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 33
Sila chose dure plus longtemps, sila Montagne est plus longtemps im-
puissante, j'appelle le peuple, et je dis aux tribunes : « Descendez ici dé-
libérer avec nous... » Ou m’a provoqué en duel. Ceux qui me connaissent
savent que, par caractére, je ne suis pas homme a refuser une partie de
ce genre; mais je me propose de déclarer a l'Assemblée qu’au premier qui
osera me provoquer en duel, je lui bridle la cervelle au milieu de l’Assem-
blée. (48 mai, ibid., p. 244.)
C’était plus court, et c’était plus sur.
Mais ce n’était pas dans la salle des Jacobins que les questions
devaient étre sérieusement posées et résolues.
La Commune avait arrété le désarmement et l’arrestation des
suspects. Les administrateurs de police convoquérent a cet effet les
comités révolutionnaires des sectionsa la mairie. C’était un centre,
c’étaient des instruments d'action; et ]’on se sentaitde plus en plus
pressé d’agir.
Trois sections de Paris, celles de la Fraternité, de 1792, et de la
Butte-des-Moulins étaient venues prier la Convention de réprimer
énergiquement les complots anarchiques (18 mai). Barére, lui-méme
avait, 4 cette occasion, dénoncé les projets formés contre la Conven-
tion ; et sur sa proposition on cré.it une commission de 42 mem-
bres pour entendre les ministres uu i tuiciicur et des affaires étran-
géres et le comité de sureté générale, rechercher les complots, exa-
miner les derniers arrétés de !a Commune et prendre les mesures
commandeées par la stireté publique.
La Commune et la Convention, ou plus particuli¢rement le comité
central révolutionnaire et la commission des Douze, se trouvaient, dés
ce moment, en présence. Dans le comité central, on proposait d'en-
lever vingt-huit membres de la Convention et « de les faire dispa-
raftre du globe, » ou autrement de les « septembriser.» Mais le maire
Pache craignit de compromettre la mairie dans ces mesures violen-
tes; et lecomité de conspiration se transporta a l’Evéché. Marino, un
des administrateurs les plus violents de la police municipale, se
plaignait qu’on n’edt plus l’énergie des 10 aodt et 2 septembre;
Varlet, que «l’excés de son civisme » avait fait expulser des Jacobins,
et qui, souffleté, comme un garde national lui demandait pourquoi,
ayant un sabre 4 son cété, il ne s était pas, sur |’ eure, vengé de cet
affront, répondait : « Un bon patriote doit savoir supporter une
injure; » Varlet ne parlait plus que d’exterminer en masse les dé-
pulés, les nobles, les prétres, les robins.
Lv peuple ne paraissait en aucune sorte disposé 4 suivre ces éner-
guménes. Dutard le constatait, et dans les loisirs que lui donnait ce
calme de la rue, il se plaisait 4 retracer quelques tableaux de moeurs
révolutionnaires ; c’étaient d’ailleurs des faits qui aidaient 4 con-
10 Avan. 1873. °
-
34 PARIS ET LA REVOLUTION DU 54 MAI,
naitre l’état des esprits. Gomme il était au Palais de justice avec un
Jacobin maratiste, attendant le jugement de Miranda, il y avait un
vieux bonhomme pérorant au milieu de la foule. Ll disait :
» ‘ .
J’ai vu bien des fripons en ma vie, mais je n’en ai jamais autant vu que
pendant la révolution. Allez, mes chers enfants, les poules qui crient le
plus fort ne sont pas celles qui font les plus gros @ufs. Dés que vous ver-
rez un homme qui s’élance dans les tribunes pour y haranguer le peuple,
méfiez-vous de lui; pensez qu’il veut s’avancer et qu’il cherche a vous trom-
per... Si j’avais été le maitre au 10 aout, j’aurais voulu fa're l’apurement
de tous ces patriotes quine se sont dits tels que pour s‘emparer des places,
et qui tous, autant qu’ils sont, nous ont perdus. Je leur aurais dit : « Vous
étes patriotes, dites-vous ? Eh bien, je veux vous en croire; mais avant de
vous donner aucune place, je veux que vous fassiez un noviciat de dix
ans. Je vais prendre vos noms, comme vous étant signalés le 10 aout, et si,
dans dix ans, vous justifiez par de bonnes preuves que vous étes restés sta-
bles dans les mémes sentiments, vous aurez des places, et des meilleu-
res. »
Ce discours a été trés-bien godté par la majeure parlie des gens du
peuple. Mon sacobin seul ne disait mot, parce qu'il n’y trouvait pas son
compte. (17 mai, ibid., p. 236.)
Pour multiplier les enrélements volontaires, on y avait joint des
primes. Voici ce que produisaient les primes :
Deux petits vieux hommes de Saint-Marceau (4gés d'environ quarante
ans, et paraissant trés-désceuvrés, trés-pauvres) se concertaient ensemble
4 cété de moi, L’un, enrdélé 4 une section, disait 4 l'autre : « Tiens, je viens
de m’enrdéler ; on me donne 200 livres, et on m’en donnera 400 quand je
reviendrai. Ma foi, je te conseille de faire de méme; c’est d’abord gagné,
bien payé; avec cela on peut faire ses affaires. »
L’autre ne se sentait guére de courage, et néanmoins les 200 livres pa-
rajssaient lui faire grand plaisir. L’enrélé, voyant que son camarade faisait
quelque résistance, lui dit 4 plusieurs fois avec réticence et un clin d’ceil
affecté : « Vas-y toujours... nous partirons ensemble. » I! semblait vouloir
lui dire: « Nous irons; mais on m’a assuré que nous en serions quiltes
pour baiser le crucifix; 200 livres, bon Dieu, pour baiser un crucifix!... »
Je crois beaucoup que mes deux baiseurs de crucifix partiront ensemble. »
(Ibid., p. 258.)
Ce n’était pas la, grace & Dieu, tous les volontaires, et Dutard
pense tout autrement de ceux qui s’enrélaient pour autre chose que
la prime. Témoin ses réflexions sur un fait qui Pavait frappé au mi-
lieu d’un autre groupe of on déblatérait contre Miranda. Un petit
courtier ayant pris la défense du général : « Qui étes-vous? » lui dit
un enragé. Il lui répondit :
PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAL. 35
Je suis un canonnier qypi étais au siége de Mastreix (Maestricht}, qui ai
servi sous Miranda, qui lai vu instrumenter, et ceux qui parlent contre lui
sont des j... f..., ete.
Je fais, ajoute Datard, sur cela deux remarques :
ie Gest que ceux qui ont été aux frontiéres ont un ascendant particulier
sur le peuple, ef qu'un cent de ce’ hommes, un peu bavards, mais bien
intentionnés, suffiraient pour régler I’esprit public a Paris.
2° C’est que ces volontaires sont tous les ennemis des anarchistes et des
aboyeurs des sections, et leur font trembler |’Ame dans le corps quand ils
leur partent. Ils paraissent aussi fachés de ce qu’on a fait mourir le roi, et
a cause de cela seul ils écorcheraient tous les Jacobins. (Ibid., p. 240.)
La tranquillité des rues n’inspirait pas confiance 4 notre observa-
teur, et 1] communiquait ses appréhensions 4 Garat. Il écrivait
le 19:
Le jour, Pheure, le moment of l'insurrection aura lieu sera sans doute
celui ot la faction croit pouvoir utilement et sans risque mettre en jeu tous
les brigands de Paris.
Surveillez, et surveillez sans relache; que les réserves soient fournies,
les patrouilles fréquentes et nombreuses. Que les propriétaires aient avis.
de ne pas sortir de chez eux; qu'ils aillent 4 leurs sections, qu’ils y portent
lesprit de modération, et qu’ils y soient stables comme des bornes jusqu’a
la fin des séances. (Ibid., p. 254.)
Mais il connaissait Garat, et il lui disait dans son rapport du len-
demain :
Yous m’avez accusé quelquefois, m’a-t-on dit, d’avoir des principes con-
tre-révolutionnaires, et moi, plus impartial, je vous ai accusé de ne vouloir
faire ni la révolution, ni la contre-revolution. Du quietisme tout pur, voila
ce qu'il me semblait remarquer en vous il y a deux mois. (Ibid., p. 256.)
Ii lui montrait que c’était le moment d’agir, et il lurdonnait pour
modéle.celui que lui-méme prenait pour régulateur, La Fayette :
Que ferait La Fayette, s'il était 4 Paris?
Il appellerait, d’abord, des troupes de lignes ou des gardes nationales
des départements, 6, 10 ou 12,000 hommes tout au plus. Il les caserne-
rait, leur donnerait des canons et autres armes; il leur donnerait le titre
de troupes de réserve, toujours prétes 4 marcher; elles seraient exercées
du matin au soir, et des émissaires seraient répandus sur les places pour
y prouver que tel jour est fixé pour leur départ. Elles seraient destinées,
comme l'on m’entend, pour aller combattre les rebelles de la Vendée.
La Convention décréterait un camp, sous les murs de Paris, de 20,000
hommes. Tous les citoyens, depuis l’dge de 12 ans jusqu’a 70, seraient
tenus, par moitié, d’y aller faire un service de huit jours...
36 PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAT.
Une fois au camp et bien casernée, cette troupe, gouvernée par de bons
chefs, ferait le service’ exactement; les évolutions militatres serafent son
occupation unique du matin au soir. Vous prendriez chaque jour ‘dans ce
camp 4 ou 5 mille hommes pour la garde de Paris.
Qu'arriverait-il? Cest qu’d ta troisigme semaine, vous dé-lareriez que
les 6 premiers mille hommes, formant l’armée de réserve, feraient la mere
de la représentation nationale.
C'est que, des cet ‘instant, la faction serait ee ieeeaea tout son
crédit. Lo
C'est que, pour détruire la faction, vous n auries pas besoin, comme les
Geadet, les Vergniaud, de lancer des décrets d’accusation contre les fac-
tieux (ne seraitrce pas tout a fait immoral et impolitiqua. de placer dans la
tombe.de Louis XVI ces mémes hommes qui l’ont creusée? Marat dans la
tombe de Louis XVI...!). Preneq-y bien garde, cet article, cette transition
est importante. Que Marat vive, que Robespierre vive, que Chaumet vive..
Vous affligeriez trop le peuple, et il croirait facilement & la contre-révolu-
tion, lors méme que vous protégeriez la liberté. (20 mai, tbid,, p. 257.)
Et, dans son Bulletin de Paris du méme jour, if lui cite le procédé
de La Fayette envers Santerre, qu'il avertit poor n’avoir pas 4 le
pene _— . i
Ehbien, djtes aussi 4 chacun des factieux : ‘ Cache-toi, coquin! » mais
ne les tuez pas. | |
Crest du reste Ja seule chose qu’il leur accorde, et il n'entend pas
gu’on les laisse subsister a l'état de tactieux :
Comment feriez-vous, item, me direz-vous, pour détruire la faction?
Le voici! Le lundi de la troisiéme semaine, je mettrais 10,000 hommes
sur pied. Dés les six heures du matin, 1a Convention’ serait "entourée par
une troupe a toute épreuve. Ye ferais renforcer tous les postes de Paris ;
600 hommes au moins s ‘empareraient de la salle des Jacobins et en
défendraient approche 4 quiconque. Toute la rue Saint-Honoré serait
bordée, depuis la place Vendéme jusqu'au Palais, d'une force a¢mée ; on
laisserait un passage de Pautre cété dé ta tue. Des milliers' de pitrouilles
seraient répandues dans es les reer sar fes phaces et les carréfours de
Paris.
Une preclamation, tirde a. 20,000 cxemphaires, serait distribuée gratui-
tement dans les.rues. Klle serait courte, Anergique, Elle rassurerait
i’hypothéque des assignats, la propriété de ceux qui ont acquis les biens
da clergé. Elle aveurerat la nnerntts l'égatité, - nam des lois. (Ibid,
p. 261.) :
Le plan de Dutard supposait un ensemble de mesures que Garat
n’aurait pas prises fort aisément. Mais le parti mouere 4 lui seul,
bien conduit, aurait pu suffire : "
PARIS BT LA REVOLUTION DU 34 MAI. eT
Une question de fait que je voudrais traiter, si vous ne me V’aviez dé-
f endu, ce serait celle si le parti modéré, pris partiellement et collective-
ment, n’est pas plus fort, plus vigoureux, plus nerveux, et peut-éire en
plus grand nombre que Je parti des anarchistes. (25 mai, tbid, p. 278.)
Et, dans ce rapport méme, Dutard avait montré que les modérés
étaient préts ; que, lain dese laisser désarmer, ils tenaient.4 monter
leur garde, a faire les patrouilles, et que, réunis, ils ne craignaient
‘ personne, qu ils étaient craimts. C’est celte force composée de pres-
que toule la bourgeoisie de Paris (car, & Paris, disait-il, « pregque
tous ceux qui ont quelque chose sont modérés, »)—c’est cette force
qu’ilaurait voulu voir constituer avant tout. Jusque-la toute lutte lui
paraissait prématuréc et dangereuse. Bien plus, c’était le vrai moyen
de prévenir toute lutte ; et il yavait4 cela justice, prudence ct huma-
nité :
Que Ia Convention réfléchisse que la municipalité s’est mise presque en
opposition 4 elle, Ia heurtée presque de front; que par les empiétemenfs
sur l'antorité qu'elle a laissé faire 4 la municipalité, elle a semblé presque
reconnaitre la légitimité de sa conduite ; qu’elle a elle-méme placé le peu-
ple de Paris dans cette alternative si dangereuse, et qu'il est temps de faire
cesser, qui était de savoir si c’était 4 la Convention ou 4 la municipalité
que le peuple devait obéir.
Vouloir donc frapper un grand coup, faire rétrograder l’opinion d’une
pareille force, ce serait risquer le certain pour l'incertain; ce serait imiter
l'ancienne cour, qui faisait un premier pas dans l’opinion publique la veille
du jour qu'elle se proposait de faire quatre pas rétrogrades...
Je ne consentiraj jamais 4 aucun essal, 4 aucune tentative de ce genre,
que lorsque je saurai qu'une force départementale est dans vos murs, .
et qu'elle aura demandé elle-méme ce que vous désirez. (23 mai, ibid.,
p. 279.)
Le ministre ne fit rien, et la Convention ne marcha en, avant que
pour reculer aussitdt et se perdre. Le 22 mai, la section des Tuile-
ries avait député 4 la Convention, se déclarant préle 4 la défendre ;
le 23, celle de la Fraternité la pressait de réprimer les conspirateurs;
le 24, celle de la Butte-des-Moulins tenait un langage encore plus
énergique contre la domination tyrannique de quelques scélérats :
Faites un appel, disait-elle aux bons citoyens de Paris, et d’avance nous
pouvons vous assurer que notre section ne contribuera pas peu a faire ren-
trer dans Ja poussiére les insectes venimeux qui vous entourent et vous
menacent.
Et Vigée, au nom de la commission des Douze, venait dénoncer le
complot dont on avait saisi la trame, proposant, comme mesure pré-
38 e PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI.
himinaire, un décret qui avait surtout pour objet la force armée de
Paris ; décret qui, malgré la Montagne, fut adopté. La commission
ne (devait point s’en tenir la. Ge méme jour, Hébert, pour donner le
change sur la véritable conspiration, avait publié dans lenuméro 239
de son Pere Duchesne : !
La grande dénonciation du pére Duchéne; A tous les sans-culottes des
départements, au sujet des: complots formés par les brissotins, les giron-
dins, les rolandins, les buzotins, Jes pétionistes et toute la f.:. séquelle
des complices de Capet et de Dumouriez, pour faire massacrer les braves
montagnards, les jacobins, ln commune de Paris, afia de donner le eoup de
grace .a la Jiberta, et de rétablir la royauté. Ses bons avis eux braves béros
des faubourzs, pour désarmer tous les viédases qui pissent le verglas dans
la canicule, et qui, au lieu de défendre la république, cherchent a allumer
la guerre civile entre Paris et les départements.
La commission lanca des mandats,d'arréts contre Hébert et aussi
contre Varlet, Marino el autres principaux meneurs. du comilé cer-
tral. Frapper Hébert ,-o’dtail s’attaquer a la Commune, dont il était
membre comme substitut du procureur. Cette déclaration de guerre
allait-elle étre soutenue, et quel en devuit étre le résultat?
Dutard nous dit l'impression que cet'acte dé vigueur avait faite sur
le peuple:
On vient de m canprenie: dit-il, que lui et six autres sik en tat d’ar-
restation. Or, voulez-vous savoir ce que le peuple dit 4 l’égard de ces
aboyeurs subalternes ? « Eh ‘bien, tant mieux, ils ‘nous embétent; on fait
fort bie de kes f... dedans; si on les y meltail tous, peut-étre qu'ils nous
laisseraient tranquilles et que les affaires en iraient mieux. » J’en excepte
pourtant la gent soldée ou philosophe.
L’esprit du peuple est des meilleurs, frappez vas coups avec mesure,
évitez le sang. Le parti d’ Hébert pourrait soulever le peuple. Je crois ce-
pendant qu'i] ne s’y déciderait qu’ aux extrémes. De lindulgence! Mais si
on pouvait le retenir quelques jours, e¢ela opércrait un grand bien.
It est bon que vous sachiez ce que, dans uhe circonstance telle qae crthe
ol nous sommes, il se passera lorsque Hébert sortira de prison.ou des are
réts : c'est qwil sera tout honteux; il-voudnait inutitement. sitnuler |’en-
ragé, le peuple ne I’en oroirait plug. Jest une espéae de maarque d'infamie
gravée sur le front de quicenque est frappé par la loi, et qui, aprés avoir
déployé une jactance ontrée, finit par ¢chouer ef se montrer le plus fai-
ble... Le pauple hait la faiblesse autant que la poltronnerie. Lorsqu’ un _ar-
bre est abattu, tout le monde court aux branches. , Je ne sais si je me fais
entendre. (Ibid, p. 300.)
Ce n’est pas qu'il soit pour une guerre d’extermination, tant s’en
faut :
PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI. 39
@
Laissez subsister encore la Commune, le Département et les Jacobins. Le
sysléme que shed selina adopter vous en fait une loi. Un chasseur prend
un oiseau de prote:: il lé resarde, il Texamine; voila un animal qui est
rare et curieux, se dit-il 4 lui-méme. Mais il est dangereux, lui dit-on. Eh
bien, dimiauons la force da ses ailes, coupons lui Jes serres, et raccourcis-
sons-lui le bec. Ainsi dit, ainsi fait. L’oiseau conserve encore de la force et .
veut prendre mal ; il déchire tout ce qui l’approche. Mais 4 nouveau cas,
nouveau reméde. Le chasseur fait alors usage de ja lime et des ciseaux.
Que fait Yoisau? Il finit par s’apprivoiser et reste tranquille. C’est ainsi
que }'ea ai élevé quelques-uns. (Ibid, p. 301.) ,
Hl approuvait le décret de la veille. 11 ne demandait plus qu'une
chose pour rendre coeur aux bons citoyens intimidés par les factieux
de la Commaone :
ll ne manque plus 4 la Convention que Wétablir une commission (ce
qwelle devrait faire dés aujourd'hui) pour surveiller les opérations des 48
comités révolutionnaires et de la Commune. Yous produiriez unt si grand
bien que, dans'nds séttions, les meilleurs citoyens ont encére peur d’étre
emprisonnés et désarmés, on n'y parle qu’é contre-ceur. (25 mai, ibid,
pb) | aaa
On. veit parces. citations de quelle maniére cet, homme, qui vivait
par étal au milieu du peuple de Paris pour l‘observer, envisageait la
situation et Ja conduite 4 tenir. Ii n’aurait pas conseillé l'arrestation
d'Hébertyil ne‘creyait:pas.qu’on.Je pit retenir longteraps en prison
sans risquer une lulte oaverte, et il. n’était pas pour la lutte : il vou.
hit que l'on: fit non pas violent, mais fort. Il. croyait qu’on pouvait
éire fort par la réunion des modérés, et que celte union soffirait 4
prévenir tout conflit, & triompher sans effusion de sang. La question
dlant engazée, il était d’avis qu'on trouvdt'un moyen honorable pour
renvoyer Hébert, avant qu’on pardt céder aux réclamations de la’
foule ‘. Renvoyé sans coutrainfe, jl sortait humilié; délivré sur les
instances du peuple, il sortait triomphant. she |
Cette maniére d’agir.était-ulle possible? Si Hébert était, accusé de
complot, pouvait-onle relacher avant que l'alfaire edt été éclaircie.?
Et sé on le'retensit, pouvait-on ajourner ces réclamations populaires
dirigées par la Commune? Il était, on le voit, bien: difficile que la
Corrreftion trodvat fe moyen de telacher Hébert « sans se déshono-
rer, » comme le voulait Dutard; et, en effet, elle ne le trouva point.
Le 25 mai, elle avait recu l'adresse des 32 sectionsde la Commune
de Marseille contre «les fureurs des Catilina modernes et I'hypocrisie -
des Jacobins. » Le méme jour, elle recevait la députation de la Com-
§ Voyez son rapport du 27, p. B45.
0 , - PARIS ET LA REVOLUTION DU 81 MAI.
mune de Paris, veriant dénoncer « ]'attentat commis par la commis-
sion des Douze sur la personne d’Hébert, substitut du procureur de
la Commune. »'Le langage insolent de celte dépulation provoqua de la
part du président Isnard la réponse ‘oti se: trouvait cette phrase. fa-
meuse : - es i
Sé jamais la Convention était avilie; si jamais pay une de ces insurrec-
tions qui, depuis Je 10 aout, se renouvellent sans cesse, et dont les magis-
trats n’ant jamais averti la Convention; si par ces insurrections toujours
renaissantes il arrivait qu'on porlat atteinte 4 la représentation nationale,
je vous le déclare, au nom de Ia France entiére, Paris serait anéanti. Bien-
tét on chercherait sur les rives de la Seine si Parts a existé. (Ibid, p. 308.)
' De ftelles parolés n’étaient pas faites pour désarmer la Commune
de Paris. Trois sections .s’élatent prononcées contre les factioux :
seize vinrent avec impudence réclamer Je. « magistrat de la Com-
mune. » Lacommission des Douze avait mts Hébert en prison : dans
les sections on demandait le renvoi des Douze devant le. tribunal ré-
volutionnaire. i ca so
C’est le moment ot: ta Convention devait déployer sa résolution et
sa vigueur, car elle ne pouvait abandonner sa‘.commission sans se
livrer elle-méme; et pour se déferdre, it faHart quelle pat. compter
sur leconcours énergiqueda pouvdir exécotif. Bile comptartsurGarat.
Garat était averti du‘ périt de PAssemblée. Il en. était: avertipar un de
ses observateurs (Dutard, sans doute}. It-en- convient hui-méme dans
‘ses Mémoires. Dans une conversation avee' RabautSaint-Klieane, un
des membres de Ia commission des Dowzb, -il n’avait. pas dissimulé
ce qu'il pensait de‘la conduite de la commission, Il y avait -impru-
dence'tt danger, selon tui, «'d Iaisser' 4 1a Commune la disposition de
toutes les forces deParis et a fatre arréter !’un-des:officiers munici-
paux' presque dans son ‘sein: » —' «-Owm'amontré d.la commission,
_ ajoutait-t-il, un passage affrewx d'une feuille'd’ Hébert... mais ae pas-
sage, qui est affreux, nel’est pas: piws que. cént- passages de.ce Marat
qu'un tribunal vient-de renveyer la téte couronnée dedauriers. Sans
Goute, si nous éfions sous le‘régne des lois, Marat devrait-dtre au
‘ moins ot'vous aver mis fébert; mais creyez qu’il est trop dangereux
de mettre Hébert ‘4: ’Abbaye, quand Marat est dla: Conventian. Hl y
a quelques jours; les geris raisonnables, '‘les-sages.ct bons amis de la
liberté prenaient le dessus dans les. sections:; depuis ces arrestations,
les hommes violénts, les furteny ont repris leurs emportementsel leur
ascendant. {ft faut que ta loi commence par avoir la force. Vous l’avez
donnée 4 laCommune, retirez-la-lui dowc, si veus ne voulez pas que
la force, au lieu de rester 4 la loi, reste a ja Commune. Avant de
faire de grands actes de gouvernement, il faut‘avoirun gouvernement;
PARIS ‘ET LA RHYOLUTION DU 34 MAI. 41
etce moment ot: vous dtes'en majorilé serait mieux employé 4 orga-
niser en silence, et-sans jeter l'alarme dans le camp ennemi, la puis-
sance‘exéoutrice avec laquelle vous mettrez anx pieds de la loi ou
sous: ses prods tous les brovillons et tous les scélérats. » Et Garat
dit que, le lendemain, il tint le méme langage a Fonfréde, autre
membre de la commission des Douze.
M. Schmidt, en citant les déclarations de Garat dans ses Mémoires,
¥ joint cette réflexion :
«Rabaut et Fonfréde auraient bien pas tlendne Jomaque Garat prit
la parole dansla Convention, Je 27 au soir, qu ‘il tiendrait encore une
fois ke méme langage; qu ‘il conseillerait l’Assemblée, sinon de
casser la Commune et les comités révolutionnaires des sections, au
moms de « retiver la force & la Commune » ef d’organiser une « puis-
sance exécutrice assez forte pour dompter tous les brouillons et tous
les. ectlérats’; » qu il prétendrait que.« Marat devait, élre, au moins,
oii l'on ayait mis Hébert ; », et, enfin, qu’il désignerait. aussi claire-
ment, dun edté, lea a. gens. raisoanables, les sages et bons amis de
laliberté, » et de ‘l'autre, les « hommes violents, » et les « fu-
rieux, » les # brouillong ». ef les.«.acélérats. » Sans donte, il au-
rait eneouragé par la, lecdté droit.’ prendre des mesures de vigueur,
il-aurait pitovog nd ses applandissements les. plus, vifs et les murmu-
res ies plus violants de la partie gauche..
«Mais il n'aimait pas les murmures; i) craignait les furieux; il
ne brilait pas de. s’exposer légérement aux dangers que pourrait lui
perter leur fuveur; Il fit don¢ aulrement;.il tint, comme |’on sait,
un langage préaque diamétralement opposé a celui qu’i] avoue avoir
tent le-matin et la veille ; ef, quoigu’il effleurat doucement quelques
-q&ilés qui ne.pouyaient ni satisfaire, ni blesser personne, i] parvint
auiant 2 provoquer |l’étonnement et la consternation parfaite de la
partie drdite, quiilréussit 4 faire retentir la salle des applaudisse-
ments envagés de.la parlie.ganche et.des tribunes. Garat, dats son
disceurs, dissintule et. necéle mizaculeusement les dangers « réels, »
dont il était, Ja vetlle enoore; « trop.sir... ».Le danger n'est absolu-
ment rién'; ous s'il ¥ a du danger a craindre, ce n’est nullement de
la part -de'la « multitude, » mais, seulement de la part des « aristo-
crates. » Tout ce qu'il y a, selon lui, de danger réel, c'est l’existence,
te'sont les-qualités et les procédés de la. commission des Douze. Il
Vaecuse (vis a.wis dea passages « affreux » d'Hébert) d’avoir « tant de
délicatesse;;:m il .lud reproche d’avoir. « limagination frappée ; » il lui
impute des d erreurs ancomprébensibles et grandes.; » il condamne
ses inembses:de ce quils. croient.devoir montrer « un grand cou-
rage» et devoit « -monrir. Peer sauver la république. » (Schmidt,
ibid., p.-54 9-520.)
42 PARIS ET LA REYOLUTION DU 31 MAE.
Ce discours inaitendu jeta le trouble dans Assemblée. La Monta-
gne triomphait sans avoir méme eu 4 combattre. Eu ce moment
méme une députation de vingt-huil sections de Paris étant venue
demander la mise en liberté d'Hébert et la suppression de la com-
mission des Douze, Lacroix convertit ces demandes en motions, et Ja
Convention les adopta. of
Un pareil vole était une abdication et ne pouvait étre leffet que
d’une surprise : le lendemain, 28, sur la proposition de Lanjuinais,
le déeret supprimant la commission des: Douze fut rapporté par
279 voix contre 238. La commission élait donc rétabhe; mais il edt
fallu lui rendre son prestige; et toute son autorité était détruite par
la libération d’Hébert qui, 4 son tour, rentrait triomphalement dans
laCommune. s
Cefle concession arrachée aux, Girondins ne prévenait pas la lutte,
Danton, dans cette séance méme, en avait donné le:signal. Engagée
sous de parcils.auspices, elle ne pouvait que,tayrner ay détriment de.
la Convention. ie
Nous sommes 8 la veille @’une révolution qui va faire passer la
Convention nationale de sa période d’agitation et de combat, 4 sa pé-
riode d’asservissement muet. Les rapports de Dutard sur l'état de
Paris sont d’un vif intérét. Il signale déja dans le rassemblement
du 27 Ja personnel ordinaire des rassemblements : "
Je dois, dit-il, vous faire ici une observation, c’est que, sans les modérés
et les aristocrates, le rassemblement edt été absolument nul. Je vous lai
dit, le peuple, les sans-culottes sont mille fois plus raisonnables et plus fa-
ciles 4 conduire que les gens comme il faut. Si vous n’employez 4 l"égard
de ces derniers le fouet et les verges, vous ne parviendrcz jamais a les ré-
gler. Il faut les traiter & coups de fourches; vous n’en viendrez jamais &
bout; il faut absolument les traiter comme des anes. Car, je vous le de-
mande, n’est-il pas scandaleux que, dans des moments orageux, on apef-
coive vingt modérés qui entoureut un-enragé, l'écoutent aitentivement, et _
paraissent, par signes et par gestes, approuver tout ce qu'il dit, sans qu’au-
cun ose le contredire? Une fois qu’ils y sont, il n'est plus possible de les
en arracher... r
Otez les vingt modérés : un ou deux aboyeurs, mettez-en quatre si vous
voulez, restent tout seuls; ils sont sans force et se décidcraient a s‘en aller,
crainte d’étre arrétés. - .
Si, au contraire, tous ces gens-la restent, il n’en faut pas davantage pour
fixer, pour arréter tous les passants; chacun croit apprendre’ quelque’
chose de nouveau. Les modérés viennent observer les enragés, et [es en-
ragés observent les modérés. La nouvelle court par tout Paris ; chacun ‘est
curicux, tous les désceuvrés d’abord accourent, puis les motionneurs d’ha-
bitude, puis les ouvriers quittent leur ouvraye. Le rassernblement est fait
en un clin d’ceil. (Bulletin du 28 mai, ibid, p. 323.)
PARIS BT LA REVOLUTION DU 34 MAL. 43
i montre & quoi, en'ce jour méme, ces rassémblements auraient
pu aboutir: © | 1
; He 4 ‘ { i ae ee :
La Convention, dit-il, a couru hier de plus grands risques qu’on ne pense;
car si une ou deux sections s‘étaient portées en force A la Convention, il
n’en fallait pas davantage pour l'anéantir, parce qu’elles auraient attiré toute
la populace ; et la faction au moins subalterne n’aurait pas manqué de se
montrer (Idid, p. 324). |
Ea: présence. des périls imminents de l’émeute, Dutard recem-
manie.a Gagat une anme forl aimée dela police dans tous les pays :
le baton (le.casseéte n’est qu'un naccourci du batow) (ibid., p.325):
Lorsque je vous ai parlé des bdtonniers, vous avez vraisemblablement
trouvé mon idée creuse et dépourvue de sens. Quoi! cet homme, qui se
ditle grand partisan des sans-culottes, ose proposer de les conduire par
le baton! Et mais oui,'le baton ; ce n'est pas seulement aux sans-cuiottes,
je veux auvsi qu’on en donne auk médérés, et aux aristocrates surtout, au
lieu de les guillotiner. tol
Il faut que j’explique mon invention. |
If est de fait que la force armée, A Paris, est nulle...
If est de fait que si 50 femmes se jetaient sir une patrouille, elles sau-
raient toutes d’avance qu’aucun n'oserait les frapper avec le sabre, avec’
la pique, ni avec ‘aucune arme offensante. : :
Il est de fait que vingt modérés entourent quelquefois-deux ou trois
aboyeurs, et que les premiers sont comme forcés d’applaudir aux motions
les plus incendiaires... ' |
li est de fait que l’on peut donner de bons coups de baton sans exciter
la guerre civile, et qu'un coup de lance Ja déterininerait infailliblement...
Il est’ de fait enfin qu’un aboyeur sera trés-eirconspect 4 cété d’un ou
de deux hommes en veste et'en pantalon, munis d'un bon baton, et
qu'une patrouiile armée de piques et de ‘fusils ne fait que Yaigrir, et lui
sert de prétexte pour senhardir dayantage. (29 mai, ibid., p. 533.)
La crise finale était prochaine. Un mot recuéilli, non pas direc-
tement,, il.est vrai, par Perriére, cotlégue de Dutard, pouvait faire
craindre qu’elle ne fut atroce. Le comman:aut de la section des Sans-
Culot{es {ci-devan! des Plantes), s’adressant 4 un homme assis dans
sontombereau: _
As-tu de l’ouvrage, mon ami? — Mais pas mal ! — Oh! je t’en donnerais
de meilleur dans quelques jours; ce n’est.pas du bois, mais des cadavres,
que tu transporteras dans ta voiture. — Eh bien, eh bien, c'est bon
(répond le manceuvre d’un ton demi-ivre), nous ferons comme nous avons —
déja fait le 2 septembre ; cela nous fera gagner des sous.
Le nom de ce commandant est Hanriot '.
! perriére & Garat, 29 mai, n° 6, ibid., p. 335.
‘
44 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI.
Deux jours aprés il était nommé commandant général de la force
armée de Paris!
La conspiralion siégeait en permanence a l'Evéché, et la commis-
sion des Douze n’en fut instrutte que le 29; mais les hommes de
rEvéché n’étaient, pour ainsi dire, que le personnel de la conspira-
tion. La pensée qui l’avait concue, qui l'organisait, qui Vallait faire
mouvoir, s’¢lait recueillie plus en secret, et la commission n’en sut
rien.
Dés le 27, on avait pris la résolution d’agir. On créa un pouvoir
exécutif, un comité secret. Pour donner 4 leur institution plus de
force, on voulut les nommer en assembiée générale, et pour cette fin
on adressa des convocations aux sociétés populaires. Le 26 au soir,
l’assemblée se réunit, mais elle ne se reconnut pas suffisamment
compétente el nomma une commission des Six, chargée de convo--
quer une assembiée qui aurait pouvoir de prendre les mesures
d’exécution. Le 29, nouvelle réunion de commissaires 4 l’Evéché,
représentant 53 sections de Paris; ils nomment un comité de neuf
membres, a 1a téte desquels fut Dobsent. C’est ce comité qui prépara
tout pour la révolution'.
Garat le sut le méme soir, entre onze heures et demie et minuit ;
il en avertit le Comité de salut public; il courut chez le maire. Mais
Pache crut ou feignit de croire qu’il ne s’agissait que de la pre-
mitre assemblée, de celle qui s’était déclarée incompétente. Garat
se rendit aussi, nous dit-il, 4 Ja commission des Douze; mais elle
avait changé de local, et le ministre ne s'inquiéta pas davantage de
la chercher ailleurs.
La journée du 30 sembla donner un démenti aux appréhensions
que l’on avait concues : elle se passa dans le plus grand calme.
« Gest, dit M. Schmidt, que l’on se recueillait pour agir le lende-
main; » mais c’est aussi la preuve que la révolution méditée était
bien peu populaire. Si la multitude eut été animée de l'esprit qui
conduisait les conspirateurs, rien ne l’aurait pu contenir ainsi 4 la
veille de l’exécution du projet, et surtout un jour de fate; car le
jeudi 30 était un jour de fete, la Féte-Dieu; et les rapports de Dutard
nous montrent combien cette féte était encore dans les habitudes du
peuple de Paris, méme des Jacobins, des sans-culottes.
Dutard west pas un dévol; c'est un politique, et c’est a ce titre
que, dés le 25, il disait 4 Garat :
La Féte-Dieu approche : rappelez-vous que c’est & cette époque que
Péthion, le dieu du peuple, fut accueillid coups de pierre par les sans-
culotles des Arcis, pour avoir déclaré dans une ordonnance qu'on serait
‘ Schmidt, t. I*', p. 537 et suiv.
PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 45
libre ce jour-1a de travailler ou de ne pastravailler; qu’ala méme époque,
lossans-culottes de Paris délibénéront. pendant qaelques jours, s'ils devaient
ou non lapider Manuel, pour avoir osé imprimer qu’on serait libre de
tapinser Ou: non; que ¢¢ jour-l4: des hommes qui, par .opinidtreté ou :par
irréligion, pW ayajent pas tapissé, regureat de bons eoups.de baton... .
Jene sais si c'est fanatisme de la part d'un peuple, qui.veut unanime-
ment une chose qui lui fait plaisir, qu'il désire, et & laquelle il est attaché;
ou si ce n'est pas une infamie, qui tient de la stupidité ou de |'aveugle-
ment, de la part du représentant de ce méme peuple, qui contrarie abso-
lument tous ses gotts, ses penchants, dont cent années de révolution ne
sauraient te delivret. ([did., p. 302.) -
La Féte-Diew se célébra en‘effet, mon pas’ avec la pompe d’aulre-
fois;:mais fa‘ procession sortlit dans quelques paroisses. Il est cu-
rieax de voit la description qu’en fait Dutard et les impressions qu’il
en transmet-d son ministre: (© = ' ¢ .
‘Jai pris, un. qengé drenviren das. heures; mes ‘premiers regards se
sont poriés, vers les processions et les. cénémonies.du jowr. Dans: plusieurs
églises, j’al Yu beaucoup de pelit peuple et. surtout les épouses dys saps-
culottes. On avait fait la procession intra-muros, etc. ee oy
Jarrive dans Ja rue Saint-Martin, prés de Saint-Méri; j'‘entends un tambour
et j'apercois ne banniére. Déja, dans toute cette rue, on savait que Saint-
Leu allait sortir en procession. 'Yaccours au-devant, tout y était modeste.
Une ‘douzaind de’ prétres; a'la téte’ desquels était un‘ vieillard respectable,
le doyeii, qui porlait te rayon sous le dais. Un suisse de borine mine précé-
dait de eortége; une: force: armée-de douze volontaires 4 peu prés, sur deux
rangs,: devant :ef ee une popwane atsés nambreuse suivait dévete-
ment. Tout le long de la rue, tout le monde s'est prosterne ;: je-n'al pas vu
up sepl bonne qui ait.dt¢ son chapeau. Ky. passant. devant le carps de
garde de la section Bon-Conseil, toute la force armée s’est mise sous, les -
armes. - hee hy dae, SE tn OE a a oe sos
Téatais ‘chez un imarchand, au milieu des Halles, quelques moments
aprés. Le iambotir qui précédait et ceux qui suivaient ont annoncé Ja pro-
eessibiy. ‘Ah Y quel a été l’embarrds de toutes nos citoyennes'de 1a halle !
Eilés' sé stint cbncertées a instant pour examiner's fl h’y aurdit pas moyen
detapisse# avant que la procession ‘ne passe: « Quand on ne meitrait qu'un
drap, ¥ etiacone.aurait volontiers' mis son-tablier ; une partie se sont pro-
sternées.id’avauce.& fenaux,-et- enfin; lorsque le Dieu.a passé; toutes 4 peu
prés se sont -prosternées 4 ganoux;. des. hommes,en ont fait deinéme. Des
Jparghands se sant mis 4 rdder devant chez.eux; d'autres ont,tird das coups
de fusil : plus de cent coups ont élé tires. Tout le monde approuvait la
cérémonie, et aucun, que J aie entendu, ne l’a désapprouvée.
Gest un,,tableau bien frappant que. celui-la. La présence d’ua Dieu de
paix, de ngtre ancien maitre, qui n'a pas cessé.de l'étre, a porlé la conster-
ration dans tous,les esprits. Gest 14 que l'observateur a pu dessmer les
physionomies, images parlantes des impressions qui se sont faites si vive-
46 PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI,
ment sentir au fond de l’4me des assistants. J'y ai vu le repentir; j’y ai vu
le paratléle que chacun a fait forcément de l'état actuel des choses avee
celui d'autrefois ; )’y ai vu la privation qu’éprouvait le peuple par I aboli-
tion d'une cérémonie qui fut jadis la plus belle de I'Eglise. J’'y ai va les
regrets sur la perte des profits que cette féte, et autres, valait 4 des mil-
liers d’ouvriers. Le peuple de tous les rangs, de tous les Ages est resté
honteux, silencieux, abattu... Quelques personnes ayaient les larmes aux
yeux ; les prétres et le cortége m’ont paru fort contents de l’accueil qu'on
leur a fait partout.
J’espére que vous ne laisserez pas cet article sur votre chemindée. (Bul-
letin de Paris, 30 mai, ibid., p. 330).
. Le soir dece méme jour, tout se.prépare pour la journée du lende-
main. A la Convention, Lanjuinais dénonce la conspiration de l’E-
véché et le silence du ministére; 4 l’'Evéché, les commissaires des
33 sections prennent tout a leur aise leurs mesures, et le direcloire
du département convoque, pour le lendemain matin, les autorités
constituées dans la salle des Jacobins, pour étre prét & seconder le
mouvement. Quant 4 la Commune, elle semble ne s’étre réunie que
pour déposer, 4 la premiére réquisition, ses pouvoirs entre Jes mains
du comité révolutionnaire qui va entrer en scéne. Lorsque le maire
Pache, envoyé avec six commissaires a l'Evéché, en revient, ‘disant
que les ciloyens réunis en ce lieu se sont déclarés en insurrection, le
conseil de la Commune passe 4 Pordre du jour, « en attendant le
voeu des seclions. »
Et il attend jusqu’a six heures et demie du matin que les commis-
saires de la majorité des sections viennent lui signifier que toutes
les autorités constituées sont suspendues, qu’ils ont recu des pou-
voirs illimités pour siuver la chose publique. Sur cette déclaration,
Chaumette requiert le conseil de remettre ses pouvoirs au peuple
souverain; et les commissaires se forment en nouveau conseil gé-
néral provisoire, sous la présidence de leur orateur Dobsent. En
méme temps, Henriot est proclamé commandant général provisoire
de la force armée de Paris.
La Commune légale a cédé la place ; le directoire du Département,
réuni dans la salle des Jacobins, fait acte d'adhésion. Mais que
fait-on du cété du gouvernement et de la Convention? Garat (qui a
recu un billet de Dutard, sans doute) est venu avertir le Comité de
salut public, et se propose de se rendre de méme 4 !a Convention,
qui est alors en séance. Lacroix (de l'Eure) l’en détourne : il ne faut
pas aller jeter Palarme dans |’Assemblée avant de s’étre bien assuré
des faits ; et Garat se rend & son avis. Il va donc non a Ja Convention,
mais 4 l’Hotel de Ville, ok Pache, qu’il rencontre suivi de dix a_
douze hommes ayant dans leurs gilets autant de pistolets que de
PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAT. 47
poches, lui dit a voix basse : « J’ai eu beau faire, la Commune et le
Département sont-en insurrection. » (Schmidt, t. I, p. 561-365.)
C’est quand le toesin sonnait depuis trois heures, que la générale
était battue dans les rues et que déja tonnait le canon d‘alarme, que
le ministre de l’intérieur, se présentant 4 la Convention, lui dit :
Je ne puis dissimuler a la Convention qu’il existe une grande agitation
dans Paris... Une assembiée composée de commissaires des sections, d’élec-
teurs du 10 aout, etc., s'est tenue cette nuit a I'Evéché et paratt avoir
donné l’impulsion 4 ce mouvement. La cause de ces troubles est la réinté-
gration de votre commission des Douze; on l'accuse d’avoir calomnié Paris,
d’avoir fait incarcérer arbitrairement des magistrats, d’avoir formé le pro-
jet d’opprimer les patriotes... Tous les citoyens sont en ce moment sous
les armes dans leurs sections ‘respectives.,. Les patrouilles sont trés-nom-
breuses et se fant.en bon ordre. (Ibid., p. 567).
On peut voir dans le livre de M. Mortimer-Ternaux et dans l’His-
toire parlementaire le tableau de cetie séance de la Convention'. Valazé
demande l’arrestation d’Hanriot, qui a fait tirer le canon d’alarme;
Thuriot et Danton, la suppresion de la commission des Douze que le
ministre lui-méme a parurendre responsable des troubles ; Vergniaud.
propose qu'on déclare que les sections de Paris ont bien mérité de
la patrie : humiliation gratuite ; ce n’est point en s’inclinant devant
une insurrection qu’on Ja désarme. Barére proposait 4 son tour de
supprimer la commission des Douze et de mettre la force armée aux
ordres de la Convention, quand Lhuillier, procureur syndic du Dé-
partement, entrant dans l’Assembleée a la téte des autorités constituées
et des commissaires des sections soulevées, vient lui signifier les
volontés de l’insurrection. Le mouvement qui venait d’éclater était,
disait-il, une insurrection morale :
Nl est temps enfin, ajoutait-il, de terminer cette lutte des patriotes contre
les forcenés; la raison du peuple s’irrite de tant de résistance; que ses
ennemis tremblent, sa colére majestueuse est prés d’éclater! qu’ils trem-
blent! l’univers frémira de sa vengeance ! (Ibid., p. 368.)
Et il demandait un décret d’aceusation, non-seulement contre les
membres de la commission des Douze, mais contre Isnard, le président
aux paroles malheureuses, contre Brissot, Vergniaud, etc., ce qu'il
appelait les royalistes (la plupart avaient voté la mort du roi).
En présence de ces demandes soutenues par !a force armée d’Han-
riot, la Convention cruts’en tirer 4 bon marché en votant la suppres-
sion de la commission des Douze et en assurant 40 sous par Jour, tant
‘ La Convention, depuis le 10 mai, siégeatt aux Tuileries.
48 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI.
qu’ils seraient de service, aux ouvriers qui avaient pris les armes
pour lui imposer, la plupart sans la connaitre, la volonté de leurs
meneurs. Et ces hommes armés n’avaient pas concouru seuls au suc-
cés de la journée. Dutard nous a dit de quoi se composaient les ‘'ras-
semblements. Le tocsin, le canon d’alarme n’avaient pas peu contri-
bué & recruter les curieux dans {tout Paris, et le plus grand nombre
étaient les modérés! Les modérés pouvaient donc revendiquer la part
principale dans le résultat de cette insurrection morale qui fut le
commencement de la Terreur’*.
La Convention élait moralement frappée; mais la révolution n’était
pas consommée, et Dutard ne désespérait pas encore : mais il avait
dit au ministre son sentiment sur la maniére dont il avait usé de ses
avis; et dans son rapport du 4* juin, il le fortifiait d'un mot quil
avait recueilli dans la rue, non sans y joindre un dernier avertisse-
ment :
Ce n’est pas les connaissances ‘qui vous manquent, mais c'est la fer-
meté et le courage; il n'y a pas une heure qu’en passant au café du Caveau,
j'ai entendu un jeune homme de beaucoup d’esprit qui vous accusait aussi
di méme deéfaut. 11 lisait le journal, et quand il en a été a la suppression
de la Commission des Douze : « ‘est du Pache,... du Garat tout pur,...
des terreurs paniques!... »
Je conviens qu iil n’est pas de plus embarrassé que celui qui Went la
queue de la poéle, et qu'il est trés-difficile de déterminer juste la ligne
jusqu’od il faut aller et celle ou il faut s’arréter; mais enfin il faut une
bonne fois prendre une détermination : tant va la cruche & l'eau qu’a la fin
elle y reste. (Samedi 4° juin, ibid., p. 373.)
Il voyait juste; ce en quoi il se trompait, c'est quand, se faisant
illusion sur l’attitude relativement calme de Paris le 4% ‘juin, 11
croyait qu'il était temps encore d’avoir dans Paris une force armée
qui protégeat la Convention nationale, ou de relever l’ascendant des
modérés dans les sections. Les modérés étaient irremédiablement
battus ; il ne restait aux autres qu’a recueillir les fruits de celte dé-
faite. « Vous n’avez qu'une demi-victoire, disait le Pére Duchesne,
tous ces b...... d'intrigants vivent encore. »
Le 2 juin compléta la journée du 51. mai. :
Quelle fut la part des meneurs et celle du peuple dans cette jour-
née, comment la garde nationale vint seconder par sa présence une
révolution qu'elle eit désavouée si elle ‘er: edt pu connaitre le but,
4 Il n’y en avait pas moins parmi ceux qui prirent les armes. « Pendant tout le
jour, dit Beaulieu, la Convention fut entourée de 20,000 4 30,000 hommes, igno-
rant, Ja plupart, pourquoi on les avait rassemblés. (Les Souvenirs de l'histoire ou
le Diurnal de la révolution frangaise, a la date du 34 mai. Ed. Dauban, p. 209 )
PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI.
c'est ce quon peut voir dans les récits les plus autorisés du temps. Le
conventionne! Meillan atteste comme: Beaulieu que ta plus grande
partie des citoyens armés pour: cemer la Convention ne savaient de
quoi il était question, et étaient placés de maniére a n’en pouvoir
rien savoir :
« La Convention, dit-il, était bloquée ; quatre-vingt mille hommes |
armés entouraient les Tuileries. Cent soixante-trois bouches a feu,
des grils et du charbon pour faire rougir les boulets, tel était l’appa-
reil avec lequel on. venait dicter des lois & la représentation natio-
nale. On croirait & ce récit. que tout Paris était armé contre nous.
I n’en était rien. De ces quatre-vingt mille hommes, soixante-quinze
mille ignoraient pourquoi on leur avait fait prendre les armes. Loin
de nous attaquer, ils nous auraient défendus ; mais Hanriot les avait
placés dans l'éloignement, hors de la portée de nous secourir. Ill
nous avait cernés immeédiatement avec sa troupe d’élite, la seule qu’il
edt introduite dans les dépendances du chateau. fl l’avait séparée
de la masse des Parisiens, d'un cété par l’enlévement du Pont-tour-
nant, de l'autre par une cléture en bois qui séparait le Carrousel de
la cour du chAteau. Il résultait de cetle disposition deux effets im-
manquables : un, de donner & lentreprise de quatre 4 cing mille
bandits l’apparence d’un mouyement général’du peuple; lautre,
de neutraliser ce méme peuple pour l’empécher de croiser 1l’entre-
prise’ D
On sait comment la Convention, ainsi cernée, essaya cette sortie
solennelle, conscillée par Garat le 27 mai, et qui n’aboulit qu’a lui
faire voir & quel degré elle ’étail désormais captive : triste revers de
la journée ot Louis XVI, voulant éprouver s'il était libre, avait tenté
la promenade de Saint-Cloud ! Garat ne fut pas plus heureux quand,
poor ramener |l’Assemblée a |’union, il proposa que les principaux
membres des deux partis se sacrifiassent par une retraite volontaire :
proposition digne de sa politique de bascule, qui le livra aux risées
de la Montagne. Barére aussi proposa Vostracisme, 1 mais seulement
pour les modérés?.
Ce ne fut pas un ostracisme, ce ful la proscription du parti modéré
‘ Cité par M. Dauban, la Démagogie en 1793 & Paris, p. 218. — C'est le méme
jagement que porte Sébastien Mercier, dans son Nouveau Paris: « Pendant tout le
joor, la Convention fut entourée de 80,000 hommes, ignorant, la plupart, pourquoi
on tes avait rassemblés. La Convention, cette puissance formidable, qui avait fait
ja faute inconcevable de donner la force armée 4 son ennemie, n’était plus qu’un
corps atlénué, a qui il ne restait aucun moyen de résistance. ll n’y a pas de doute
que si les véritables citoyens de Paris, qui étaient alors sous les armes, eussent
été instruits de toutes les ruses machiavéliques, cette journée ne se fit terminée
d’une maniére différente » (ch. ccv1, t. Il, p. 255, édit. 1862).
* Voyez Schmidt, t. I", p. 378.
10 Ava: 1873. 4
50 PARIS ET LA REVOLUTION: DU 31 MAI.
qui l’emporta par les décrets rendus dans. cette journée contre les
Douze et les Vingt-Deux, c’est-a-dire contre les membres de la com-
mission attaquée et les principaux Girondins.
Aprés le 2 juin, Garat ne pouvait plus se faire illusion sur les ré-
sultats de sa politique. « Il écrivit ce soir méme sa démission, » dit
M. Schmidt; mais on le retint. Son chatiment n’aurait pas été com-
plet, si on ne l’cdt retenu au pouvoir pour sanctionner, en quelque
sorte, par sa présence la persécution de ses amis. Il reste donc et il
garde sa police, et Dutard continue de lui faire ses rapports sur
Paris, sur les périls de la situation et Jes moyens de salut: il y voit
plus de périls que de moyens de salut. Si des diversités dans les aper-
cus, des fluctuations dans les espérances, des contradictions méme
dans les conseils sont pardonnables, c’est surtout 4 une époque aussi
troublée, quand les choses se présentent sous des aspects si divers,
quand les esprits dans le peuple lui-méme subissent le contre-coup des
événements, et que les faits sont recueillis, commentés jour par jour,
sans qu’on puisse corriger l’impression de la veille autrement
qu’en paraissant y contredire. C’est principalement aprés le 31 mai
que l'on peut signaler ces inconvénients dans les rapports de Dutard.
Il n’a plus, il n’a jamais eu grande foi en la puissance de la philo-
sophie (Garat étaif un philosophe). Il ne croit plus qu’au sabre :
Les philosophes, dit-il ironiquement, veulent tout gagner par la persua-
sion... Bientét, suivant eux, il faudra et il suffira de porter au combat, au
lieu de canons, une édition complete des ceuvres de Machiavel, de Montes-
quieu, de Rousseau, etc., et ils ne font pas attention que ces hommes,
comme leurs ouvrages, n’eussent é!é et ne sont encore que des sots a cété
d’un coupe-téte muni d’un bon sabre.
Il est clair qu'il faut éclairer le peuple; mais au moins faut-il n’em-
ployer pour la défense d'une constitution et des lois que les hommes qui y
ont intérét, n’employer pour la défense des propriétés que ceux qui en ont;
ou si vous admettez des gens qui n’en ont pas, il est encore évident qu’ils
ne voudront pas et qu’ils ne devront pas les défendre...
J’ai vu hier matin quatre hommes comme il faut, qui ont disserté long-
temps, sans oser s’expliquer trop sur la derniére affaire. L’un d’eux a sorti
de sa poche une feuille pour prouver, le livre d la main, que c ‘était illéga-
lement qu’on avait mis en état d’arrestation les trente-deux.
Les observateurs, les philosophes, les grands raisonneurs, ont la gueule
béante; ils bdillent comme des poissons...
Je les démonte, quand ils veulent me parler, ces grands raisonneurs.
« Ouest votre sabre? leur dis-je. Vous n’en avez pas, eh bien, taisez-vous
donc. » (Jeudi 6 juin, idid., t. Il, p. 4.)
La question tranchée 4 Paris par la mutilation de la Convention
pouvait bien ne pas |’étre sans appel. Les départements n’étaient
PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 54
pas encore, habitués 4 recevoir de la capitale les révolutions toutes
faites. On avait protesté en Normandie, en Bretagne, a Bordeaux, a
Marseille, contre la violence que, dés l’ouverture de la Convention,
les factieux de Paris semblaient vouloir faire aux représentants de
la France. Quand ces menaces venaient de s’accomplir, courberait-
on la tate en silence? Rien ne le faisait croire. Tout annoncait le
contraire. La résistance se préparait dans tous les principaux cen-
tres des départements; et il faut le dire, le peuple de Paris, étran-
ger en masse au coup de main du 31 mai, qui l’avait moins fait
que vu faire et laissé faire, n'était pas disposé a soulenir une guerre
civile dans intérét d’Hébert, de Chaumette et d'Hanriot.
On m’a assuré hier, écrit Perriére, un autre observateur dans son rap-
port du 17 juin 4 Garat, que la section de Bondy a pris un arrété par le-
quel, si des départements se portaient sur Paris, tous les habitants de
cetie ville, excepté ceux nécessaires pour garder les postes sans arnies,
tous les corps constitués 4 leur téte et les Juges de paix avec des rameaux
dolivier 4 la main, iraient 4 dix lieues les recevoir et les embrasser, bien
résolus de ne donner ni aux ennemis du dehors, ni a ceux de I'intéricur,
Ja douce satisfaction de voir couler le sang francais et de laisser plutét les
chefs de parti se dévorer entre eux que de se batfre pour un seul. Cct
arrété porté 4 toutes les sections de Paris a été recu de toutes avec trans-
port; on serrait les commissaires en pleurant, et, contre l’ordinaire, on
voulut qu’ils assistassent a la délibération qui avait pour objet leur propre
arrété ‘.
Les vainqueurs avaient maintenant & faire face aux dangers de la
situation : dangers accrus; car avec la guerre étrangére dont les:
suites n’étaient pas moins 4 redouter depuis qu’on suspectait tous
les généraux, il y avait 4 songer aux éventualités menacantes dune
guerre civile bien plus étendue que la guerre de Vendée. Pour la
guerre étrangere, il rfe fallait pas compter beaucoup sur un redou-
blement de zéle 4 s’enrdler dans la ville de Paris :
J'observe qu'une leyée, quelque peu considérable qu'elle dit étre, se-
rait bien difficile dans ce moment. Tous disent : « Levons-nous! » et c'est
pour cela qu’aucun ne se léve... Les Jacobins disent : « Nous sommes les
lumiéres et les apétres de la république; si nous partons contre les enne-
mis, nous ne pourrons plus instruire, détromper, surveiller ni ranimer :
donc nous devons rester 4 Paris. » Les Cordeliers tiennent aussi le méme
langage; les nomophiles, etc., etc.... Le tocsin, la générale n‘effrayent
plus : le canon d’alarme ne peut plus faire son effet, le Parisien est
assourdi ?.
1 Perriére a Garat, n° 19. 17 juin, tbid., p. 65.
* Julian (de Carentan) a Garat (probablement du.43 juin 1793), ibid., p. 32.
59 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI.
Quant ala guerre civile, c’est tout au plus sion se croyait sir
d’empécher qu’elle n’éclatat. La Commune victorieuse croyait avoir
hesoin de se garantir sa victoire en désarmant tous ceux sur lesquels
elle ne comptait pas. Il y eut bien quelques nobles velléités de ré-
sistance :
On m’‘a raconté aux Halles, ce matin, qu'un capitaine chez qui on était
allé pour lui demander son fusil avait admis chez lui la force armée. On
entre dans sa chambre; son fusil était 4 cété de la porte. Lui s’est tenu au
milieu, au travers d’une table sur laquelle reposaient une paire de pisto-
lets et un sabre. — « Votre fusil.— Mon fusil!... Le voila, vous pouvez :
prendre ; mais je previens que le premier qui porte la main dessus...
Ces messieurs se sont retirés paisiblement, et on assure que cet hone
courageux est gardé a vue!.
Malheureusement parmi les chefs, les meilleurs donnaient leur
démission. Témoin ce commandant du Contrat-Social, bataillon dont
Dutard faisait partie :
J’avais invité le capitaine de la compagnie a l'Assemblée, tous mes cama-
rades, pour aller en députation chez lui; mais je crains tout comme eux
d’étre mis en état d'arrestation.
Voila, messieurs les constitutionnels, Jes beaux fruits de vos grandes me-
sures révolutionnaires. Si vous n’en étiez vous-mémes les dupes, je serais
tenté de croire que vous vous entendiez avec les factieux pour opprimer
les honnétes gens, lorsque vous avez établi, ou du moins maintenu si long-
temps les comités révolutionnaires. Il est plus clair que le jour que ce
sont eux qui ont abattu le courage des gens les plus honnétes. (Ibid.,
p. 6.)
Chose curieuse, aprés la révolution qui venait de marquer le com-
mencement de la Terreur, 4 l’octave de la Féte-Dieu, la procession
sortit encore dans quelques quartiers de Paris. A Saint-Eustache,
comme plusieurs personnes avaient déja tapissé, le curé alla pren-
dre l’avis du Comité révolutionnaire qui refusa; mais :
Vers cing ou six heures, les dames de la halle s’y sont portées en foule.
Elles ont demandé au curé des explications. Le curé les a renvoyées 4 se
pourvoir vers le comité révolutionnaire ; et, aprés avoir été traité comme il
le méritait bien, il (le comité) a délivré une permission, et la procession
s'est faite sans tambour ni musique
Dans le faubourg Saint-Marceau tout était tapissé, et les Gobelins ont
étalé comme a l’ordinaire les chefs-d’ceuvre de Vart. On en a excepté ce-
pendant les attributs de la royauté; mais ona pu prévoir que les traits de
4 Dutard a Garat, 6 juin tbid., p. 6.
PARIS ET LA REVOLUTION DU 54 MAI. 53
I'Histoire sainte ne pourraient que plaire au plus grand nombre, et ils ont
été mis en évidence. (bid., p. 91.)
Dutard ne renongait pas 4 l’espoir d’une réaction, réaction qu'il
eit souhaitée pacifique : il eit voulu modérantiser les enragés par
les honnétes gens, et, chose plus singuliére, il semble qu’il ne déses-
pérait pas encore de Garat:
Je vous le répéte, monsieur, les choses sont pleines et entiéres; vous —
avez en main des moyens plus qu'il ne faut, mais il faut s’en servir vigou-
reusement.
Ici sont des députés de Marseille ; eh bien, retenez les commissaires de
Marseille, ceux d’Angers, etc. Le Havre en a envoyé un qui est plein d’es-
prit, et qui connait M. Lanjuinais; eh bien, invitez M. Lanjuiuais a le re-
tenir; c'est un homme qui est bouillant, qui parle avec force, qui a des
movens.
Ici sont des officiers ou volontaires des départements; eh bien, n’en
laissez échapper aucun de ceux qui aiment l’ordre et la paix, quand vous
devriez les solder 4 12 liv. par jour. Appelez-en le plus que vous pourrez,
et ne craignez rien de la part du peuple. (7 juin, ibid., p. 12.)
Il ne se dissimulait pas le péril si la lutte s’engageait entre Paris
et les départements; la Commune pouvait faire appel a tous ceux
qui ont intérét aux troubles :
Toute la canaille qui est dans les environs de Paris accourt au moindre
coup de tambour, parce qu'elle espére de faire un coup lucratif. J'ai vu,
ces jours passés, des gens de Versailles, de Neuilly, de Saint-Germain-en-
Laye, etc., qui étaient ici 4 demeure, par Podeur alléchés (ibid.).
Mais il croyait encore pouvoir compter sur le vrai peuple de
Paris :
Un homme instruit, un philosophe, voulait me soutenir derniérement
qu’a Paris il n'y avait pas le sixiéme de la population qui edt quelque
chose. Je crois, au contraire, qu'il y a ampleiment les deux tiers qui ont
quelque chose vaillant. Je comprends dans cette classe ceux qui lui sont
tellement liés que, quoiqu’ils n’aient rien, ils ne peuvent ni ne veulent rien
piller, rien voler. (Ibid., p. 13.)
‘ Le manuscrit porte a tort vendredi 7 mai, au lieu de vendredi 7 jun. — A la
date du 17 juin, Dutard écrit encore 4 Garat : « Hier, en passant aux Halles, j'ai
vu, dans l’une des petites rues transversales, un préitre qui portait le viatique 4
un pauvre homme. Six hommes armés, bons sans-culottes, et tout a fait de la
derniére classe, lui ont fait les honneurs. Ils l’ont accompagné jusqu’a la porte, et
ont fait sentinelle devant la porte, pour l'accompagner encore quand il sortirait.
Tout le monde, de trés-loin, s'est prosterné 4 genoux. Je me suis agenouillé
comme les autres. Ces pauvres gens, malgré la philosophie et l'intrigue, main-
Gendrpnt leur bon Dieu et leur liberté. » (Ibid., p. 63.)
54 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI.
Et il reprenait confiance en voyant quelques sections résister au
désarmement qui allait tout livrer 4 la Commune :
Le désarmement continue a se faire dans plusieurs sections. II fait de la
peine & presque toutes les classes des ciloyens, pauvres et riches. La section
des Halles est une de celles qui a le plus désarmé. Je crois cependant qu'elle
a arrété que le désarmement de chaque citoyen suspect serait discuté en
assemblée générale. — L’un de ses membres les plus estimés de la faction
était d’avis, et a proposé d’arréter, que l'on ferait revenir des frontiéres
tous les volontaires qui y sont pour composer la force armée de Paris.
La section de la Trinité, rue Grenéta, a arrété qu’elle reconnaissait qu’il
n'y avait point de gens suspects dans son arrondissement.
Plusieurs autres sections, m’a-t-on dit, ont pris des arrétés 4 peu prés
semblables pour empécher le désarmement.
Celle de la Butte-des-Moulins a pris des arrétés pour faire mettre en li-
berté plusieurs de ses capitaines mis en état d’arrestatiou.
J'ai rencontré, en venant ici, Dayroland, du CGontrat-Social, avec le com-
missaire de police Montvoisin. Dayroland tient bon et a du courage comme
quatre, mais il n’est pas secondé, il est presque seul. Il m’a dit: « Si dans
chaque section il y en avait seulement quatre comme moi, nous les méne-
rions tous. » Il m’a fait de grands reproches de ce que je ne m’étais pas
joint a lui. (Ibid., p. 13.)
Il y a des moments ou ses illusions se dissipent. Il écrit le 11 :
Donnez-leur un bat, seigneur, et vous aurez des Anes.
Les bourgeois de Paris, les marchands, les propriétaires, en un mot,
persévérent dans leur avarice, dans leur insouciance, dans leur égoisme.
On les voit généralement toujours également occupés de leurs affaires par-
ticuliéres et rarement des affaires publiques. I] est une remarque 4 faire,
c'est que les marchands de vin, yui sont presque tous aristocrates dans le
sens qu'on l’entend dans ce moment, ne sont jamais plus occupés et ne
vendent jamais tant que les jours de révolution ou d’insurrection du peu-
ple. Aussi les voit-on chez eux avec deux, trois, quatre garcons : « Com-
ment quitter, lorsqu’on a tant de pratique? il faut bien servir le monde;
qui les servira, si moi et mes garcons nous nous en allons? » Ce qui se
passe dans une rue se passe en méme temps dans toutes celles de Paris.
Quand parviendra-t-on a tirer parti de ces braves gens-l4? C'est lorsqu’il
n'y aura 4 peu prés plus de ressources, et qu’alors, forcés de fermer bou-
tique, vous verrez toute la classe occupée, réunie en masse, faire complé-
tement la loi 4 celle qui ne lest pas. (Ibid., p. 19.)
Ii ne se méprend pas davantage sur les dispositions du peuple a
Végard des vaincus. A propos de la translation du duc d'Orléans au
fort Saint-Jean & Marseille, et des applaudissements du peuple a
Parrivée de cette nouvelle 4 Paris, 11 dit :
Péthion subirait le méme sort, que toutes les classes du peuple y ap-
plaudiraient encore... De maniére que le vertueuz Péthion, quia voulu ou
PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 55
n'a pas voulu servir le peuple, mais qui du moins a été l’idole du peuple,
se trouve regardé par lui comme l'un de ses oppresseurs... C’est une bien
vilaine espéce que l’espéce humaine. L’aristocratie méme subalterne (la
bourgeoisie) ne s’intéresse pas plus au sort des 32! que s'ils étaient des
bétes fauves qu'on edt réencagées aprés qu’elles se seraient échappées. On
répéte, par exemple, le discours de Desprémesnil 4 Péthion, lorsque le |
peuple l'assommait de coups sur la terrasse des Feuillants : « C'est ce
méme peuple qui me portait en triomphe, il y a deux ans, qui :n’assomme
aujourd'hui! »
Joignez-y cette observation qu’il fait un peu plus bas :
Une remarque ‘importante que je ne dois pas omettre ici, et qui peut
vous faire éviler l’écueil o& vous pourriez tomber! Le peuple en masse a
un certain respect pour la représentation nationale comme seul point de
ralliement; mais il a peu d‘égards et de déférence pour les membres qui
la composent, de maniére qu'il lui serait indifférent de voir tomber le
glaive judiciaire sur la téte du plus honnéte homme ou du plus coquin de
la Convention. Guadet, Péthion, Brissot et autres ne trouveraient pas trente
personnes a Paris qui prissent leur parti, qui voulussent méme faire la
moindre démarche pour les empécher de perir. (lbid., p. 57.)
Et cependant il ne croit pas au triomphe définitif des gens de la
Commune :
Depuis deux jours les groupes ont repris; soit les enragés, soit les mo-
dérés, ils ne peuvent se contenir dans leur peau.
Les enragés voudraient encore faire les méchants, mais ils ne sont pas
secondés; ils paraissent vouloir qu'on fasse le proces aux trente-deux,
mais 4 condition qu'on les guillotinera, car sils pouvaient soupconner
qu’on les remit en place, la petite faction hasarderait d’en faire justice
elle-méme. Je crois que ce sera leur rendre beaucoup de services que de
les laisser ot: ils sont, en attendant des forces ou de nouveaux événements.
(Ibid., p. 36%.)
Et il croit toujours que la force serait aux modérés s’ils voulaient
agir de concert :
Une observation générale que je crois devoir placer ici, et qui est pro-
pre 4 vous rassurer, c'est qu’é regarder en somme la ville de Paris, Je
trouve que le parti modéré, avec ce qui lui est attaché, est beaucoup plus
nombreux et plus fort que le parti enragé. Du gros banquier au boutiquier
détaifliste, du boutiquier a l'artisan et au rentier, il s'est fait une gradua-
tion qui forme une barriére insurmontable pour la faction.
‘ Les Douze et les Vingt-Deux, dont deux faisaient partie des Douze.
* Jeudi 45 juin, onze heures du matin. Dutard a écrit ; jeudi 11 juin; erreur de
plume, causée par le chiffre qui suit.
56 PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI.
Il est d’observation certaine que, dans les sections les plus enragées de
Paris, le modérantisme y domine si fortement que les modérés l’emportent
4 chaque fois qu'ils veulent s‘en donner la peine. Si tous les marchands de
vin et les rétisseurs de Paris fermaient boutique 4 la fois, les garcons qu’ils
ont chez eux étrangleraient tous les factieux. Rappelez-vous que, lors du
dernicr enrédlement, dans la section des Halles et celle de Bon-Conseil, les
enragés ont été forcés de demander grace. (Ibid., p. 37.)
Mais qui pourrait encore rallier les modérés? Un seul homme,
celui qui par un bizarre contraste reste encore au pouvoir quand
ses amis sont tombés (il est vrai qu’il n’a pas peu contribue a leur
chute) : c’est Garat. Dutard cherche 4 éveiller l’émulation de Garat
en lui donnant l’exemple de ( haumette. Chaumette a grandi dans
son esprit par le succés. Ce n’est plus ]’énerguméne que |’on a vu,
c’est un politique, presque un philosophe :
Voici mes réflexions sur le réquisitoire de Chaumet, que je n‘ai pas
trouvé aussi enroué qu’d l’ordinaire, je dis plus en qui j'ai cru remarquer
de la dignité et de la philosophie.
M. Chaumet porte son ambition 4 devenir chef de la faction. Il n’a pas
encore tous les talents requis, mais il a du caractére.
Chaumet confraternise avec les deux factions, haute et basse, jacok ite
et cordeliére, et il s’occupe sérieusement 4 réunir toutes les deux 4 une
seule pour se faire un grand parti.
Il les a tenues divisées jusqu’d ce jour, parce que pour le coup de main
if avait plus 4 espérer des Cordeliers que des Jacobins ; i] vaut mieux étre
maitre qu’étre valet : « Les Cordeliers, dit en lui-méme Chaumet, sont
moins lents, moins réfléchis sur l'emploi des moyens dont ils font usage;
quand il en sera besoin, et lorsque je le jugerai nécessaire, je n'ai qu’a
donner un coup de sifflet, et j’aurai 4 l'instant une armée de Cordeliers
aux bras bien potlus; ils ne font pas de métaphysique, eux, mais ils frap-
pent fort, ils sont préts 4 tout hasard:r. »
C’est ce que nous avons vu dans la derniére insurrection ; il était tacite-
ment défendu a aucun Jacobin de proposer aucune mesure de modération,
a peine d’étre regardé comme suspect et d’étre 4 l’instant destitué.
L’insurrection une fois passée, et lorsque M. Chaumet a eu fait ce qu'il
voulait faire, ila cherché a rallier les Jacobins un peu divisés d'opinion
entre eux. [I a, dans les sections, cherché 4 intimider les uns et 4 rassurer
les autres; il voudrait actuellement, par la crainte ou par l’intérét, réunir
tous les partis pour prouver aux départements que la derniére insurrection
a été le fruit de indignation de tous les citoyens de Paris.
Ce petit bonhomme-la ne manque pas de talent; du moins, il s’entend
fort bien en révolution, (42 juin, ibid., p. 25.)
Mais Dutard suppose-t-il que Garat puisse avoir la pensée de lutter
contre Chaumette? et sérieusement croit-il que les modérés soient
encore une force? Il y a bien des patriotes qui, par déception ou par
PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI. 57
dépit, se tournent vers les modérés. Mais combien y a-t-il de modé-
rés qui relévent la téte et osent parler encore?
Si vous parvenez 4 réunir sur cinquante mille modérantisés seulement
trois mille, je serail bien étonné; et si sur ces trois mille, il s’en trouve
seulement cing cents qui soient d’accord et assez courageux pour énoncer
leur opinion, je serai plus étonné encore. Ceux-]4 par exemple peuvent s'at-
tendre d’étre septembrisés. (48 juin, ibid., p. 70.)
Dés ce moment, Dutard n’essaye plus de pousser Garat 4 l’action.
Il observe toujours, il raisonne encore; et ses observations ne sont
pas plus favorables aux Jacobins; temoin ce qu’il dit d'un des mem-
bres du Comité révolutionnaire de sa section, expulsé par des gens
qui ne valaient pas mieux que lui:
J'ai été scandalisé de voir ainsi expulsé, vilipendé par ses dignes collé-
gues le citoyen David. ll a inille titres qui lui donnent droit a la gestion de
la chose publique : 1° il est marchand de vin et il est presque toujours
soul; 2° etc. (16 juin, ibid, p. 55.)
fl n’a donc pas grande estime pour les soutiens du régime nouveau;
il n'est guére plus grand admirateur de ses fétes, témoin ce qu'il
rapporte de la féte civique des Champs-Elysées :
Je n’ai vu de la vie rien de si triste... tout le monde, pauvres et riches,
hommes et femmes, étaient calmes et paraissaient dégottés. Je n'ai pas en-
tendu un seul cri de : « Vive la nation, vive larépublique! » Le peuple a vu
passer le cortége a pen prés comme il regardait passer jadis un convoi fu-
nébre. ,
Dés le commencement, une femme toute déguenillée, grosse Margot du
nombre de celles qui portent la hotte 4 la halle, s’est mise a la téte du cor-
tége, derriére la cavalerie; les gendarmes ont beaucoup ri, mais ils n'ont
eu garde de la déplacer, parce qu’elle avait une cocarde et un gros bou-
quet. Elle servait beaucoup 4 embellir la feéte...
Quant au général qui présidait 4 cetle féte, voici le portrait qu'il
en fait :
M. Hanriot est une espéce d’artisan de bas rang, qui m’a paru avoir été
soldat. Sa taille est de 5 pieds 3 pouces tout au plus.
lla & peu prés 40 (ans). ‘
Il a une figure trés-dure et grimaciére; il fail. de ce genre de grimaces
qui désignent un vilain homme : coléreux par caractére, un peu réfléchi
et trés-grossier. |
Quand il parle, on entend des vociférations semblables a celles des hom-
38 PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI.
mes qui ont eu le scorbut ; une voix sépulcrale sort de sa bouche, et quand
il a parlé, sa figure ne reprend son assiette ordinaire qu'aprés des vibra-
tions dans les traits de sa figure; 11 donne de I’ceil par trois fois et sa figure
se met en équilibre.
Il m’a paru n’avoir fréquenté que des hommes désordonnés; je suis sir
qu’on trouverait en lui l'amour du jeu, du vin, des femmes, et tout ce qui
peut constituer un mauvais sujet.
Il ajoute quelques trails qui montrent en quelle estime était le
personnage et achévent de le peindre:
Le cortége a donc défilé devant le général Hanriot...
Un jeune homme, 4gé 4 peu prés de 24 a 9% ans, mais quia servi, a re-
fusé de saluer son général, il a défilé en reculant, et lorsqu’on lui a observé
qu'il allait passer devant le général, il a répondu a sa troupe : « Allez tou-
jours. »
M. Hanriot a rassemblé son élat-major. I! a demandé, avant de partir, un
cavalier pour lui donner des ordres; et, aprés les lui avoir donnés : « Don-
nez-moi la main, » lui a-t-il dit. Le gendarme a voulu tirer son gant.
« Donnez-moi la main, la main tout simplement; » et d'un air de confra-
ternité et en méme temps de protection: « Va, mon ami, va. » (24 juin,
ibid, p. 85.)
{i montre le progrés de la désaffection dans le peuple :
Les femmes de la halle, sauf quelques-unes qui sont soldées, ou celles
dont les maris sont jacobins, jurent, pestent, sacrent, maugréent, mais
elles n'osent pas parler trop haut parce qu "elles craignent toutes le Comité
révolutionnaire et la guillotine. Ce matin, in’a ajouté le marchand, j'en avais
4 ou 5 ici. Elles ne veulent plus qi’on les apyelle du nom de ciloyennes.
Elles disent qu’elles.... sur la république. (Méme jour, ibid., p. 87.)
Il montre méme l'isolement ov sont retombés les enragés. Si les
modérés ne sont plus en état d’agir, il aime 4 croire qu’ils pour-
raient résister 4 de nouvelles entreprises :
Les aboyeurs de la faction paraissent désirer J’abolition de la perma-
nence des sections ; ils s’en expliquent méme et disent que l'aristocratie y
remplit partout les assemblées ; qu'il nest plus possible d'y rien faire.
Il est certain que, pour peu que les modérés tiennent bon, il sera bien
difficile qu’aucun événement frappe Paris. (Ibid, p. 87.)
Il fait voir aussi d’ot peut naitre la réaction et jusqu’o elle
pourra aller sous le régime qui s’intronise :
Une idée essentielle, dpnt on ne vous a peut-ttre pas fait part et que vous
PARIS ET LA REVOLUTION DU 31 MAI. 50
n’avez peut-étre pas eue vous-mémie, c’est que le premier des citoyens qui
ne fait pas bien ses affaires est d’ abord mécontent, bientét il est modéré,
et linstant d’aprés aristocrate, et puis, et puis presque en méme temps
contre-révolutionnaire ; de maniére que ce n’est plus Il’intégrité de la Con-
vention que cette partie du peuple demande, mais bien un roi, et l’ancien
régime si vous voulez. (24 juin, tbid., p. 80.)
. Et ce qu‘il a observé chez les autres, il le prouve en quelque
sorte par Jui-méme. Ce défenseur de la république, ce Girondin, et
plus que Girondin, parlera presque comme un royaliste :
Le malheur des Francais a daté du jour, non pas que Louis Oapet a été
guillotiné, mais bien du ] jour qu ‘ila été décrété qu'il serait jugé. Mais que
pouvait-on en faire? quoi en faire? l’avoir laissé au Temple. I avait lui
seul plus d’influence sur |’esprit du peuple que n’en a jamais eu toute Ia
représentation nationale. (Ibid., p. 54.)
Au dela du 25 juin, il n’ya plus de rapport de Dutard 4 Garal.
Garat l’avait-il remercié? commengait-il 4 trouver ses rapports com-
promettants?
Mais Garat lui-méme, malgré tout ce que lui devait la révolution
du 31 mai, se trouvait mal 4 l’aise entre Danton et Robespierre. Il y
a des services indirects dont les factions ne gardent pas de recon-
haissance ; des auxiliaires dont elles ont hate de se débarrasser. Ga-
rat suspecté, harcelé, un peu poussé dehors, donna enfin sa démis-
sion le 15 aovl; et personne ne le pressa de la retirer.
Quant 4 la ville de Paris, ot la mollesse et la désorganisation des
modérés, trahis d’ailleurs par la faiblesse et les hésitations du gou-
vernement, avaient laissé quelques audacieux accomplir une révolu-
tion nouvelle, elle est jugée comme siége d’assembliées souveraines
par un homme qui n‘attendit point pour cela iia sacs de beau-
coup d’autres révolutions :
« La France entiére, dil le conventionnel Mercier dans son Nou-
veau Paris, aura constamment 4 reprocher a Paris, la victoire de
Paris seul sur la France, lorsque 30,000 hommes armés enveloppe-
rent la Convention, déclarérent traftres & la patrit les défenseurs de
l'ordre et des propriélés, et demandérent leurs tétes. Le rapporteur
de la commission des Douze allait nommer les véritables complices
de Dumouriez; les assassins, les brigands, les fauteurs de l’anarchie
allaient éire connus; Je triumvirat de Danton, de Marat et de Robes-
pierre n’aurait pas cu lieu; les décemvirs nés 4 la suite du trium-
virat n’auraient pas épouvanté la nation et histoire de leurs auda-
60 PARIS ET LA REVOLUTION DU 34 MAI.
cieux forfaits. Dangereux exemple’ d’une minorité qui a sous sa
main, dans un petit espace, ses protecteurs et ses appuis, toujours
plus forte qu’une majorité dont les soutiens sont dispersés et comme
perdus sur un vaste territoire tel que la France...
« La grande louve, la jacobiniére, eut donc son infernal repaire
4 Paris; on la mettait en mouvement 4 l'aide des sociétés popu-
laires, et aprés que ses aboiements avaient jeté au loin la terreur,
on faisait adopter les projets les plus monstrueux dans le sein et
dans le choc des émeutes. Partout ailleurs la Convention nationale,
forte par elle-méme, n’edt pas succombé, et avec elle la nation
entiére. Dés qu’on eut trouvé l'art de commander 4la minute uné
insurrection parisienne, il n’y eut plus de liberté pour nous, et la
tyrannie décemvirale fit assassiner en grande pompe et décima &
volonté les législateurs et les particuliers'. »
H. Watton.
‘ Mercier, Nouveau Paris, ch. ccxuiv, t. II, p. 380-382.
LE THEATRE DE QUINAULT
ll y a de ces esprits d’ élite, de ces génies privilégiés qui s’im-
posent, pour ainsi dire, et qui, entrant de plain pied et sans dis-
cussion dans la postérité, gardent éternellement la place qu’ils ont
prise dés le premier jour, et paraissent méme, contrairement &
loptique des objets matériels, grandir de plus en plus 4 mesure
qu’ils s'éloignent. Les exemples en sont fréquents dans notre littéra-
ture. Tous nos grands écrivains, ou presque tous, ont été proclamés
grands de leur vivant, ont emporté le témoignage des meilleurs
juges; et notre gout toujours si sir, malgré sa promptitude, s est
piqué 4 juste titre de ne point attendre l’avis des siécles. Mais ce
gout s’est trompé ou s’est laissé surprendre dans des sujets moin-
dres ; il a eu le respect des grands critiques, comme il avait l'amour
des grands écrivains. Certains jugements ont été pour lui paroles
d’Evangile, et il n’a pas toujours su réagir & propos et faire casser
un arrét injuste, méme quand il avait sous les yeux et dans les
mains les preuves vivantes de l’injustice. Si aucun génie supérieur
n’a été réellement méconnu en France, des écrivains de mérite, et
qui viennent les premiers aprés les maitres, que dis-je? qui quel-
quefois sont des maitres eux-mémes, ont été objets de mépris et de
risée, et, malgré toutes les réclamations, malgré toutes les prises
darmes tentées en leur honneur, n’ont pu reprendre aux yeux du
public Ia place dont des arréts iniques les avaient fait descendre, et
qui, en définitive, reste la leur.
Quinault est certainement un des plus frappants exemples de ce
que nous avancons Ia. Il avait débuté trés-jeune au thédtre, et avec
62 | LE THEATRE DE QUINAULT.
beaucoup d’éclat. Toutes ses piéces, tragédies ou comédies, avaient
été accueillies avec une faveur marquée. Il était devenu l’auteur &
la mode; if offusquait par ses succés la vieillesse du grand Cor-
neille, et avait été proclamé le poéle de l'amour bien avant que
Racine ne se fit révélé. Il suffisait qu’une piéce fit de Quinault,
pour qu’elle eit l’appui du beau monde, et surtout des femmes.
Nous ne faisons allusion ici qu’a la premiére partie de sa carriére
littéraire, car i] renonga momentanément au théatre, quand 11 était
encore en pleine possession de la vogue, et cela pour complaire 4 une
jeune veuve qu'il aimait et qui ne lui accorda sa main qu’a ce
prix. Ce ne fut que plus tard, aprés quelques années de silence et
d’inaction qu'il s’associa avec Lulli, et qu’il écrivit ces incomparables
opéras qui ont survécu a la musique & laquelle ils devaient, suivant
Boileau, toute leur vie et toute leur chaleur.
Puisque nous avons prononcé le nom de Boileau, 1! nous faut
d'abord reviser le procés qu'il a intenté & notre poéte, procés qui a
été perdu par Quinault en premiére instance, mais dont |’injuste
arrét,a été cassé en appel. Une partie du public lettré ne connatt
gucére pourtant aujourd'hui Quinault que par les immortelles épi-
grammes du célébre satirique.
Si je pense exprimer un auteur sans défaut,
La raison dit Virgile et Ja rime Quinault.
C’est le premier coup porté, c’est aussi celui qui fit le plus de mal,
car il est certain que Quinault n’est pas un auteur sans défauts, et
lépigramme a pris tout de suite de cette circonstance un air de jus-
tesse et d’impartialité. Elle se trouve dans la satire II, qui est de
1664, et qui est dédiée 4 Moliére. L’année suivante, Boileau, non
content de ce trait perfide, revint 4 la charge dans la satire III, qu’on
désigne ordinairement sous le titre du Souper ridicule. Les convives,
tout en causant, parlent des poétes les plus 4 la mode. Un campa-
gnard, un beau parleur, relevant sa moustache et imposant silence
a tous, dit entre autres soflises :
« Je ne sais pas pourquoi l’on vante l’Alexandre :
« Ce n’est qu'un glorieux qui ne dit rien de tendre...
(L’Alexandre de Racine venait de paraftre, et, quoiqu’il soit aussi
un héros doucereux, Boileau, aveuglé par son amitié, le présente
sous un tout autre uspect.) :
« Les héros chez Quinault parlent bien autrement,
« Et jusqu’a : Je vous hais! tout s’y dit tendrement.
« On dit qu’on l’a drapé dans certaine satire
LE THEATRE DE QUINAULT. 63
Qu’un jeune homme...— Ah! je sais ce que vous voulez dire, »
A répondu notre héte: ... « Un auteur sans défaut,
« La raison dit Virgile et la rime Quinault. »
« — Justement. A mon gré, la piéce est assez plate.
« Kt puis blamer Quinault! Avez—vous lu l’Astrate?
« C’est 14 ce qu’on appelle un ouvrage achevé.
« Surtout l’anneau royal me semble bien trouvé.
« Son sujet est conduit de la belle maniére,
« Et chaque acte en sa piéce est une piéce entiére.
« Je ne puis plus souffrir ce que les autres font.
« — Il est vrai que Quinault est un esprit profond, »
A repris certain fat.....
Nl est évident que l’auteur en veut particuliérement a Quinault,
mais aussi qu'il sait bien qu’il s’attaque 4 forte partie. Du reste,
cet Astrate, dont il a si mauvaise opinion, est la plus remarquable
tragédie de notre poéte; nous l’analyserons avec détail, nous en fe-
rons des citations, nous reproduirons méme des scénes entiéres ou
des parties de scénes, et le lecteur pourra se prononcer en connais-
sance de ca
On a dit que Boileau ne s était montré agressif qu’a l’égard des
mauvaises piéces de Quinault, et que les satires ou il parle de lui
sont autérieures 4 tous les opéras qui ont fait sa gloire. L’opinion
de Boileau ne fut nullement modifide par l’apparition des opéras.
Nétait-ce pas encore Quinault qu’il avait en vue, quand, dans la sa-
tire X, il rappelait avec mépris :
abies Ces discours sur l'amour seul roulant,
Ces doucereux Renaud, ces insensés Roland,
Et tous ces lieux communs de morale lubrique
Que Luili réchauffa des sons de sa musique?
Dans son dialogue des Héros de roman, il s’est attaqué par deux
fois a Quinault, et cet acharnement est tout a fait significatif. Du
reste, le premier trait qu’il lui lance est charmant et trés-juste. Plu-
ton demande a Diogéne : « Quelle est cette femme que je vois qui
arrive ?
DIOGENE.
Ne reconnaissez-vous pas Thomyris?
PLUTON.
Quoi! cette reine sauvage des Massagétes, qui fit plonger la téte
de Cyrus dans un vaisseau de sang humain? Celle-ci ne pleure pas,
jen réponds. Qu’est-ce qu’elle cherche?
THOMYRIS.
« Que l’on cherche partout mes tablettes perdues ;
« Mais que, sans les ouvrir, elles me soient rendues. »
6k LE THEATRE DE QUINAULT.
Ce sont les deux premicrs vers que prononce la reine Thomyris
dans la Mort de Cyrus, une des plus. mauvaises picces de Quinault,
écrite dans le style des hérgs de mademoiselle, de Scudéry, et, nous
le répétons, la critique est. aussi juste que fine, Mais-le second trait
nous semble mojns heureux ef ne lag pas seloninous. fi faut: iter
tout le passage. , |
| PLUTON,
« Quel est ce grand iqnogent.qui s en. ya des. derniars, et qui a ia
mollesse peinte sur le visage? Gamment. as aeoadl :
,, ASTRATE..:
Je m’appelle Astrate. ,, ;
_ PLUTON,,.
Que viens-Lu chercher ici? »
| acs ae
Je veux voir Ja reine. oth ee ee.
PLUTON:
Mais admirez cet impertinent! Ne diriez-vous pas que 4 "ai une
reine que je garde dans une hbopite, et que Je montre a tous ceux qui
veulent la voir? Qu’es-tu, toi? As-tu jamais été? . .
|, ASTRATE,
Oui-da, jai été, et il ya un historien latin qui: ait de moi en pro-
pres termes : 6 Astratus vicit. Astrate a. neces
,PLUTON,,
Est-ce la tout ce qu'on trouve de toi dans histoire?
ASTRATE..
Qui, et c’est sur ce bel argument qu'on a pomposd. une tragédie,
intitulée du nom d’Astrate, o les passions tragiques sont maniées
si adroitement, que les spectateurs y rient 4 gorge déployée depuis
le-commencement jusqu’a la fin, tandis que moi j’y pleure toujours,
ne pouvant obtenir que l’on m’y ee une reine dont) je suis pas-
sionnément épris. » : | 2 a. %
Astrate est amoureux de la reine, et la demande a tout le monde,
lorsqu’il est dans son palais. I n’est pas plaisant du teut de la lud
faire demander 4 Pluton, qui a, raison. de hai répondre: qa’il n'a
pas une reine dans une botte pour la montrer:au: premier venu,
tandis que ceux auxquels Astrate s’adresse dans la tragédie ne sont
nullenient en droit ‘de lui répondre cela. Asfrate est un-sujet d'in-
vention. Boileau raille Quinault d’ayoir traité un sujet qui n’est pas
historique. Mais Corneille avait plusieurs.fois déja dontié l’exemple
de semblable licence, et dans des ceuvres justement applaudies. La
tragédie d’Astrate obtint un trés-grand succés, non-seulement dans
sa nouveauté, mais toutes les fois qu’on la remit au théatre, et il est
LE THEATRE DE QUINAULT. 65
encore impossible aujourd’hui de la lire sans intérét. Il est donc
souverainement injuste de prétendre que les spectateurs y riaient a
sorge déeployée. Du reste, c’était un parti pris chez Boileau de n’ac-
corder 4 Quinault aucun mérite, méme celui qu’il était impossible
de lui contester. Il le cile encore, dans la satire IX, parmi Jes au-
teurs le plus justement oubliés, et il le cite le dernier aprés une
énumération des noms les plus ridicules ou les plus profondément
inconnus. Enfin, comme pour se résumer, et afin qu’il n’y edt
aucun doute sur son opinion définitive, il a dit dans sa correspon-
dance, 4 un moment ow toutes ces querel!es semblaient apaisées :
« Je ne veux pas offenser la mémoire de M. Quinault, qui, malgré
tous nos démélés, est mort mon ami. ll avait, je l’avoue, beaucoup
d‘esprit et un talent particulier pour faire des vers bons 4 mettre
en chant... Mais pour les autres piéces de thédtre qu’il a faites en
fort grand nombre, il y alongtemps qu’on ne les joue plus, et on
ne se souvient pas méme qu’elles aient été faites! » Or, c’est de l’au-
teur d’Astrate et de la Mére coquette que Vimplacable satirique
parle ainsi! [l n’y a d’autre moyen de lui répondre que de faire
connaitre ces deux piéces, dont la premiére est certainement une
des belles tragédies de l’ancien répertoire, dont la seconde est une
comédie qu'il faut de toute nécessité ranger au nombre des chels-
d’ceuvre, écrifes toufes deux dans une langue facile, claire, har-
monieuse, qui n’était déja plus celle de Corneille, dans une lan-
gue plus moderne, plus neuve en quelque sorle, et qui donnait
le ton & l’exquise douceur de celle de Racine. Il est inconcevable
que Boileau ait méconnu ces qualités de style, ou que, du moins,
Racine ne les lui ait pas fait remarquer. Mais ce dernier n’était en
1665 que l’auteur d’Alexandre, et peut-étre n’était-il pas apte en-
core 4 discerner les bons endroits ot Quinault lui enseignait le
langage de la véritable tendresse.
Quinault porta longtemps le poids des attaques si rudes et si sou-
vent réilérées du législateur du Parnasse. Il vivait toujours dans
lestime des connaisseurs, mais il était mort pour le public, et bien
mort, croyait-on, ayant élé tué par le ridicule. A cette époque, on
mourait encore en France de ce mal-la. Il fallut que Voltaire se fit
un devoir de remettre en honneur le doux poéte, car ce fut maitre
Arouet qui, le premier, et en toute circonstance, se déclara son
champion. Voici ce qu'il dit dans le Temple du Gott :
« Despréaux, par ordre exprés du dieu du Gout, se réconciliait
avec Quinault, qui est le poéte des graces, comme Despréaux est le
poéte de la raison.
Mais le sévére satirique
Embrassait encor en grondant
40 Ava, 1873, 5
65 DY WREAPRE: DE NQHINAUOT.
a fi ot Cel aimahte ptitendredymquby tyler satya geatyge 2 tre,
yeep tie 11 Quislui, pandonnay, ani rapty. iy oy. +, recy sterevetegtiatod Pesca
se 8s ‘ony ore es tooggises ot a eT a oe Ly eee Gs : Wife a nein es
“Ye He me Péconcille point avec vous, dissit Desi caux, que
op(it® 6 4a eg rT) ee rn TL OeEEES COMED SIN DOME E S| er pitis Cert ig.
vous ne conveniez qu'il’y a‘ bien des" Fideurs dans'tes operas ‘si
Le eer oa eine a i‘ s P hb “le oe ae ee pate roy ’ ‘1944 Hytat
afréables. — Céla peut tre, Aft Vainadlt, ‘mais’ cdnvehes 'Ausst que
‘ 4g ‘6 ‘fe, *, fait | ys ae aoa re bath SEE ore (' Pa |
vous n’eussiez jamais fait Alys _Armide.
\ 7 : aof 3 oho hg Re at ee ee le- etyrptead be tebe Mane apeayl>
A eee cs Dias Vos striipulddsos Heautésy 56 | soo didibee fay sduace
eta oo tot Sopez rnai; -priicisy naaorinables heey whey city! Ndite gy,
cola any etal Que vos e¢rits Solent respectas : | eanep tot GE Ge bebe
Mais permettez-moi d étre aimable. »
LGU Micns POT Meebo pe tests oe
VU{}i tout. Vdliaire t’oke''prodifie:Ytie'les Upéras pouk tédoticliter
lés deux'adversaires. Tl’ést. vrai’ qu'il ‘pése ‘ici’ toutes ‘ses pr
qu'il Y8tudie’4 ne rendre que des jubements sans''appél. Hl fat plus
hardi' dins te négligé ‘de'1a corfespordance,idang | S'ténibrités' ad
la cofivetsation, et ndus potirrions citel hiaint’ endrdit ‘of Il se
platé a réhubilifer ¢omplétement” Quindult, & prodlimer' Je Thétite
incontestible dela Mére cbquette; et & signalér Tes belles stbnes de
l"Astrate entrdé le héros ‘et Sichéd.'” ~ ype ” ee “stata sane
“Nous autons surtout pour’ but,’ dans cétte étude,''de faird con-
nate cés deux pidcds, et de prouver chitivant Heine! Qamaull avait
déji fait briller dans la’ tragedié ef dins' la comi¢die Yes’ quulitég
qui devaient!faire sa ploire'daris lopéva. "Nous avons choisi- tes ddte
ouvrages de' préférence 4 tous Ics autrds, car ils Sant cértdiicimertt’
les meilleurs ‘et ‘les sels qli soienf dighes d*ttre miadinterius'a 14
seéne': oe ae a ee ee Ete baauy fs Es TT i, cles iag ies
peer a ape asp yg onl ein le by erp aes
se pt tye Noe ghee’ dal Jad TU". fo i ' aoe een rieny (oud e
Go et he Ct. eed eg tae ato) peg ged dears.
he, tinge oleae ot Me a piteeee en cog Daren pete
ee Sey he heen deat mas eipot ait Wys; SU ft
Onc lit).en téte de Médition da Théatrécomplet'de Quinault, publibe-
en 4739, une! assed longus préfacd: qui! ala ‘prétertion de phitér:
plotot-du pegte que de Phomnte: C'est: uri! travail fort: thal fagty'od
abondent les dissertations: inutiles: (Liguteur essuye; ‘entre dutrées-
choses, ide blanchir Quihatitt‘du repreché qu’ or lui faisait diétve le.
fils d’un boolanger, et-U'avoir servi dhez'le poste Tristan 2 Hermite}.
a-titre:de valet. Qaingult était bie Je ‘fils dun bowlangen, “estlwn:
fait cotistaté par sori: acte da naissinga; et! il n’y a pas: al cnlrougir:
pour: lui.: Mats comme: flinfavait quehult ans quand il-chtva obtes
Tristan, qui le pril envamitié:et -quilui enselgna: tes régtes db ta:
poésie, il est probable qu’it n’était- puéte: propre encore 4 rendre les:
services qu’oh uttend: d’ua:domeslique.a pages..'Les ehesct: pbe- .
LB DHRATRE: DE IQUINAULT. 67
vent s'expliquer plus naturetiement.: tristan. avait ‘un fils qu’il ai-
mail tendrement, qui avait hérité d'une’ certaine fortune laissée par
sa mere, eb, quit; faisait, ele yer aN, Heaucoup de goin. Il prit dans
sp.mnaisOn le Jeune Quinaalt p f donner & cefils un émule, un com-
PAgngD,, UR TPH, comm? PR isait,alors, et il s’atlacha tellement
a lui, que, plus tard, quand il perdit ce fils si cher, i] reporta sur
Quinault toute sa tendresse palernelle, et exigea méme que le jeune
poéte vint s établir de nouveau chez jus.et ne le quitlat plus. Mais
n'anticipons pas. Quinault avait’ &peme dix-hutt agg, lorsqu’il com- ’
posa sa premiére piéce de théatte, tes Rivales, ‘dort Tristan fut si
salisfait, qu’il ne craignit pas de la présenter aux Ccomédiens comme
élant de lui. Js en, furent epchantés de leur cole, et lui en pffrirent,
cent eeu, (eta alors; la méthgde sunvie entre les comédiens ef les ,
anlepras Oa.convennit dug, prix.une fois payé,, et les gomédiens |
sans que l’auteur ent, Me rien a préfendre sur jes, béntlices réalisés, :
Qn assure que, aa risian cruf.deyoir déclarer aux comédiens de.
hotel de Bourgogne Hue da: piPag n’élajt pas dg lui, mais dun tous:
jeune homme auquel il s’intéressait, ¢eux-ci n’en youlurent. plus,
donner que. ginquante dqus au hiew de cent, Tristan, se récria,. Jes
comédigns tut objectfrent que lanyre dup jeune homme: leur pré-,
senlait, moins de, garanies de guccés. que Leeuyre d'un. pote agr.
clamé , bt, apes.bien des déhate,,if fut enfin conyeny que. le jaune
anteyr tqueherait le peuviéme des repeties que Tevgit-la piéce,, Tell
est, assure:{-on, Fgyiging de ges droits d’aulenr, qui ont sauypgardé.
les intéréts de quelques hommes de génie, et qui ont fait réaliser de.
nos jours de si beaux bénéfices 4 quelques hommes de talent. ©
Quoi qu’il en soit, les Rivales eurent un grand succés; elles rappe-
laient bien par l’intrigue une piéce de Rotrou, qui avait beaucoup
réussi quelques années auparavant, mais elles s’en distinguaient
par un style plus facile, déja fort agréable, et qui accusait tout de
suite; un éorodints Tristan: tus: rand du. pésaltat, et et :jouit: dniwe-
relable péresulia Géndreuse lagpatttude suimtde fort pris les:Rivales
et exupurta.tes) saéiies suffrages. La. yogue'se décdgra poyr-le now-,
vel autenri;.31 donna pidce:sut piéed, at ne marahe plus que de suce
cés on. siccds, Nous davons {duselots nous. hater. de: dire. que les trar
ghdies: dé Quinault renchéxirent. engore, sur la tendresse.alors & Ja
mode, ek que, douile au gouldyjaur,iline eoniribaa pas peu a-affe-
miper de. plas ea plysile théatne.. Ses héres-n'ont. jamais diantce af-
faire qua é étrdamourens j ils nayiguant en pleine eau.surle fleutedu.
Tendte,.méeme-ceux, qui.ant anquis dans Phistoire Ja:phisifier xrenom.
de. fos pgH6,; Cet sar epee que posta surtout la oritiquaide Beis:
lepu, et omiessobligg de.cenyenis: qib eWe Krappa :juste. Gepesntant.
68 ‘LE THEATRE DE QUINAULT.
Jes amoureux de Racine sont’ de la 'méme famille; il ya tine! rudnte
sans doute, mais s’ils paraissent un peu plus raisotidables;‘ils ne
sont certes pie beveup plus historiques. L’amitié, ‘cofame ‘tous
l’avons dit, aveugla Boileau, ou, dy moins, Ie fit bere eh
Voltaire dans son Temple du Gott, devait rejeter contre’ ‘Racine’ ‘le
reproche si constamment adressé '& Quinault par ‘sori tértible en-
nemi. Parlant des héros de Racine, Voltaire'ne dit-il pass eeu
Se i att as a de p beg ages
“Hs ont tous ‘le méme'niérites 6 ps th pa
Tendres, galents, dopx et:diserets;.,..). 0. cicen aor or
Et amour, qui,marche leur suite, .
Les croit des courtisans francais? —
renee ea Gy
Mais Voltaire ne réfléchissail pas qué’ tous ses Héros, ‘a lui, sont exac-
tement taillés sur Je patron de ces héros amoureux dont '‘il’'se ino-
que. C'est que les poétes, ef surtout ‘les poétes dramatiqnes, ‘soitt'do-
‘minés, sans $’en apercevoir eux-mémes, par le gotit'da temps dv ils
écrivent. Leurs qualités leur appatliennett plus en propre que leurs
défauts; ceux-ci leur sont presque toujours imposes : ils tiennent
les autres de Ia nature. |
Tristan "Hermite, tout en s’associant de cteur ala gloire de son
jeune disciple, ne se laissa pas éblouir cependant,,. et l’engagea sa-
gement a choisir un état: Hl le fit‘entrer chez um.avocat au conseil,
comme qui dirait aujourd’hui chez wn notéire ou' cliez un avoué. Les
poétes sont en général gens assez raisonnables et susceptibles de
donner de bons avis, quand il s’agit des autres; ils ne sont tout a fait
fous que lorsqu’il s’agit deos-astines, Quinault, sans cesser pour cela
de se livrer 4 son gout favori, et sans produire moins d'une piécé en
cing actes et en vers chaque année, dcquit pourtant assdz dé ton-
_ Maissance des affaires pour exercer avec succés son petit etnploi ‘et
rendre a ses clients de vérilables ‘services. On raconté qu’s ‘cétté épo-
que, ayant été mis en rapport avec un riche marchand dé'Paris que
des associés malhonnéles commeéncaient & inquicter, i! parvitit, tion
sans peine, 4 déjouer leurs mauvais desseins. Ce miarchand, qui'l'ap- -
préciait comme homme d’affaives, et qui Yadmirait én méine temps
comme poéte, avait une femme jeune ét belle. Quinault fut admis
dans Icur intimité. Quels rapports 8’établirent peu a pew ‘entire lui et
Ja belle marchande, c’est ce que nous croyons ihutile'de rebhéercHer.
Ce quil y a.de certain, c’est que Je mari éfant mort pir la’ stite, 'Qui-
nault épousa la veuye, qui lui apporta ‘en dot’umeé ied Sabah
Ce ne fut pas seulement, du reste, aux’ matis qui dvdient de joes
femmes qu'il prodigua les lumiéres qu’il avait acquises ‘dans Tétude
des lois et dans Ja pratique du droit. Lorsque Tristdh Hermite vint
4 perdre son fils, les parents de sa femme lul infentérent uh‘méchant
LE THEATRE DE QUINAULT. 69
pinets, pour des comptes.qu’il devait rendre. Qujnault se chargea
de Jiaflaiga, [lassista de.son experience et de ses conseils, et Tristan
Gant Jombe malade par suite des inquiétudés que lui causaient tou-
tes ces, acasesrier. son jeune ami vint s’instal[er ‘son chevet, passa
rés,de lniles jours,et les nuils, le soigna comme le fils le plus ten-
ie A cateate la douceur de ‘lui rendre: a la fois la sanitéet la trani-
quillité d’esprit,.C gst alors qu’jl quilta son avocat pour aller loger
chez Tristan. La chronique ajoute que le vieux poéte reconnaissant
étant mort peu de temps aprés, Jaissa. a Quinayst de quoi se conso-
ler. Nous avons étudié avee:quelque déiail la vie de Tristan 1’Her-
mite; nous savons qu'il ‘mburot pauvre,; el qu'une épigramme du
temps disait qu’il n’avait pas méme pu laisser un manteau a son
meilleur amy. Mais niest-ce, pas ainsi qu’on écrit Vhistoire? Le noir
eble blang, opt, cours ¢galement, sans qu’on daigne prendre seule-
ment Ja peine d’adqucis un pep les disparates. ’ |
. ep pe, dut Ven 1666 .que, naire poéle se maria, qu’il épousa la
bolle squve ai aimait ; if.en, et cing filles. dont il a dif plus tard
Ls | nc
palvua, 1 lept, avec peu de bien, un terrible devoir > : ‘
is pee sentir pressé d’étre cing fois beau-pére.: * *'
* = 09 T I Qed?! einy‘aetey devatit nolaire ! - t
cries f°, Vine Poue-eing filles quiitfaut pbudvoir?:. - 2.
Lorn ca v0 ciel! peptton jamais aver. i..
Colbie Ppa pbs Sicheux afaipes
10 ret Se oe ay eat, ge. Vga aye Gy Ge A . =o ;
Nous avons. vu, quon .prétendait. que cétail sa femme qui lui avait
imposé, comme, condition de leur mariage, ! obligation de renoncer
au thédtre ; celle. supposition est fort admissible. Au dix-septiéme
si¢cle, ja bourgeoisie avait, encore plus que la noblesse, de ces scru-
pules, religieux, et lon. sait que la femme’ de Racine ignorait jus-
qu'aux gos des piéces de son mari, Mais il est 4 croire aussi que
Quingylt fut an peu distrait de Ses. occupations favorites par les nou-
yelles, gt fae gar qu'il exercait. Il avait acquis une charge
daudueur, des cena sajt? ces messieurs les audileurs, qui
Hayaient point lgiss fe fing, op difficultés pour admettre datis
leng ia eli un.simple faiseur de comédjes, tui avaient’ peut-
etre imposé Ja condition tacjle de ge plus récidiver. A cette occasion,
qui. Rous, sqil,. permis, de raconter,, en passant, une assez piquante
aneedate, Qui ulf,, ayant donné un grand diner 4 toute 1a compa-
OME. -apssi ta. ypenes au théd(re pour lui faire entendre une
de.ses pieces, gu pi jqnajl alors. Tous ces messieurs étaient en robes.
[ous HONsA diet ane le respectable agsistance! Ils ne savaient trop
dahord qnelle gontenance faire, sils devaient partager les émotions
70 LE tHEATRE DE GUtNAUET.
Ae” Bae Nhe iat, Suey. Cap la! os Te ee, ne ;
du pubjic ou bien garder Jeur quani a eitx; rhafs enfin ‘its ‘prirent
leur parti, et comme ils virenf que iout le, mondé applaudissait’, itg
se mirent 4 applaudir ayec tout le mdndd.' C'est Mdliéré qui‘edt été
heureux Asemblable fete! © Fe
Quinault fut, dit-on, trés-exact 4 remplit sa charge.‘ Totitefots'il
se laissa séduire et ramener’'au thédtre par'Lulli, qu] he trouvait pas
d’autre podle a.son gré. Son talent, pour cortiposer des vers propres
a dtre mis enchant, était déja reconnu et tonsacré. C'ést lui que Mo-
liére avait chargé d’écrire lés 'infermédes de‘sa Psyché. Lulli ¥ éfant
adressé 4 Ia Fontaine pour avoir un opéra, ét celvi-ci ayarit eorhposé
une pasforale de Daphné, dont les ‘vers n’agréérént' pas du ‘tout au
musicien, il en résulta une grosse affaire qui'passionna la ¢our'ef ‘Ia
ville. Quinault, qui avait 66 nommé de l’Académie en 1670, et qui
était fort bien vu a la cour, fut sollicilé de toutes parts, et meme de.
trés-haut, et finit par céder aux instances de son ami; il s’engagea &
lui fournir, chaque année, un poéme lyrique en cing actles pour la
somme de quatre mille livres, ppix débattu et convenu d’avance.
Peut-étre ce prix, trés-élevé pour ’époque, contribua-t-il a faire ces-
ser les scrupules de madame Quinault. Toujours est-il que c’est a cette
circonstance que nous devons ccYte suite d’ceuvrés‘charmantes, d’o-
péras inimités ef ininiitables, dont, en dépit des ‘prédictions de Bot-
leau, les vers faciles et harmonieux ont survécu’ & la musique dé
Lulli, et vivront autant qué Ia langue frangaise. © ~
De néuveaux scrupules religieux, mais ceaxld: tout personnels,
arrélérent celle. seconde course de Quinault, au moment ot it venait
de produire Armide, son chef-d’duvte. Pour expier ses erreurs pas-
sées, il entreprit un poéme sacré sut la destruction de: Phérésie, —
dont on a conservé les quatre prethiers vers‘: " "Ui ol
Je tai que’ (rop:chanté ley jeax.etles-amoursgi ido. tide ot
‘ Bar un ton:pios sublime, il fayt.noug faite entendpe., 9, i.
af oe TOUS CIS A TOME UT oe A: So, ge
oa .., ,. Et yous dis adieu'pour toujours, - eo
Ea maladic ne Jui permif pag de pdursnivre’ son’ dessein ;’ elle s’ag2
grava lientét par'‘les terreurs qui Vassaillirent, par les remords-exas
gérés sans doutd que lui causaient’ses Péchés de jeuneste, ot il ttiou,
rut 4 l'4ge de cinquante-trois ans, dans des éciitiments qui lui furent
~ communs avet tous ses contemporditis de 'parife;: et ‘qtil'sont ‘canted
plus ‘consdlarits et plus ‘ribblés qué céux doit quélqwes Hommesde
leltres, fort en'vue, oft cru tout récemment ‘encore devoir {give ote
lage 4 leur fit'de mort. 'West-it donc ‘pas acquis'aujodrd’ hui pout
tout le’ monde, que 'Thomme vie petit’ janis ‘selever aesez haut ext
Pye HF Sab dy te of Tye Gt
Ly
it
fMmourant?’ ‘" me aster 2 ce pe
: AE REAR DE, QUISAuLT, "
Quinawlt était, grand. bien fait ; des yenx hleus languissants a fleur
de whe, au Ue Ip front Aleve, iseqovel uni. Nous ex-
trayops.ces doux lignes d’un portrait beaucoup plus long et que nous
avons tout lieu de croire exact, puisqu’il est tracé par un contempo-
rain, sans nous arréler 4 un autre portrait fail par Furetlére, et
dont Ja, haime semble avoir broyé les’ couleurs, Quinault s’exprimait
avéc facilité, a. if parlait et écrivait fort juste, » dit le méme témoin.
Nous, ajouterons, d’aprés des renseignements recueillis ca et 14, qu’
dait, du, epmmerce,le plus sur et le plus agréable, qu'il disait dy
hien de.tqul le mond ,méme de ses rivaux, et qu'il n’en voulait &
perspnne,, pas méme 4 Boileau, pour qui il affectait en toute rencon-
ie beaucoup de considération et d'estime, et cela sans bassesse.
Majs apnés,naus dtre occupé.de l'auteur, il nous fayt maintenant
ahorder, Vexamen de ses onvrages. =,
Regie IG age stone fe
Ae Wii a s ae ae, ne a
tory sai 1 er i ;
oF 4 EPegts ‘ ’ he iti qi,
° +g ? .
reseed ‘ I~} i ore ee oe a eae Ll - 74 . ' $i ee :
i f
f
mf
wfieorq, [eqs thee de eis i aay, ae of gets =P hes a he ky : ;
Nous) axons wn. que, teut en abtenant les applaudissements du
prblic, el.aa.ne remportamt jamais que des victoires, notre jeune
pele nianat dabord que trop jnstifié les, sévérités de Boileau 4 son
égard. Ses comédies, faciles ef agréables, mais jel¢es.toutes dans, un
moula. wes Manquaient d’observation -et. de profondeur ; ses tragé-
dies, éeriles; Van style clair, abondant ef déja trés-épuré, | ecleasal
lontes par la puérilité.de V'invention et par un excés de fendresse qui
allart, jusquia Ja,fadeur. La note, juste de |’amour,sonnait bien de
temps en temps par-ci, parla; mais Ja galanterie envahissante ab-
sorbait tout. C’est dans une piéce, trés-défectueuse encore comme
invention, mais dans-laquelle, lai donnée une fois admise, éclatent
des beautés réeltvs'et dun gente nouvoatr; e’est dans le Faux Tiberi-
nus, piéce qui fit courir tout 'Paris'et‘qui conserva trés-longtemps
sa vogue, que Quinault donna pour Ia premiére fois la vraie mesure
de-te qa’ il pousait faire. Toute la pidce repoae sur une ressemblanca
romanenque et.impossible, Tibérinus, rol d'Albe, a été tué dans un
combat, xt unde.ses géndraux a l'idée de faire régner A sa place, et
spam teiméme Bom. san, propre, fils gui avait avec le roi une ressem-
blepoe singuliire, Il xanand pour celale bruit que Je roi, par suite des
chainde, que lyi,ingpirajt;ce,jeune homme, J'a fait mettre ‘4 mort.
An mement oy‘commende |'action, c.est Agrippa, c’est-a-dire le faux,
Tehérinus: quirpgna, et nous as3istons a toutes les élranges complicae
hong que.compone ype subshitytion pareille. Ainsi la sceur d’Agrippa
reproche au faux Tibérinus la mort de son frére, et Lavinie, princesse
LE THEATRE DE QUINAULT,
du sang royal, qui aimail ¢e frére an,seoret, sans jamaisle lui avoir
laissé soupconner, fait éclater ses. septiments Mevant ‘celni,,qu'alle.
prend pour son assassin, de fagon qu'il’ a Ja dgueepr, d’enfendre,.au
milieu des reproches ef des malédictions que ,prayoque son crime
supposé, des aveux qu'il n’avail jamais osé réver, pour lui-méme.. UU
y 4, nous le répétons, un mérite réel dans cette piéce, qui se. lit pny
core avec un certain intérét., Quelqués vers bien, ey falar irésr
bien frappés et Irés-nafurels, révélentle poéle dramatique., Elie.nous
a rappelé!’ Héraclius de Corneille, qui ne parut queheaycoup plus lard,
et il est certain que Corneille, qui avait tant pesfé contre le sycces de
Quinault, n’a pas dédaigné ici de Pimiter, Mais en somme,.ct, malgré
la valeur relative que nous lui accordons, le Faux. Tib¢rinus, mangue
trop de cette qualité si nécesgaire' aux belles ayvres, ta simplicité. .
Le sujet de )’Astrate est beaucoup moins egmplique,, beancayp
plus vrajsemblable, du moins, et accuse, un -énorme. progrés dans Ja.
manieére de I’auteur. Les fréres Parfait disent dans leur Histoire, que
c'est une des tragédies les. plus inléresgantes du répertojre du Théa-
tre-Frangais ; ils sé faisaient,, en. sexprimant Ainst, l'échy des, bons,
juges, qui, malgré le formidable arrét dp maitre, du Parnasse, ren-
daient justice au chef-d’ceuvre de Quinault, Pour bien camprendre le
mérite de cette pidce, il faut se reporter d’abord al’époque.de son.ap-
parition. Les fréres, Parfait la font reprégén{er en, 1664, nous ne saz,
vons pas pourquoi, car il est.acquis, au coptraire,. qu'elle fut repré-
sentée en 1665. Ici les dates sont fort importantes, En.1665, Ragine
n’avait encore fait joucr aucune de ses piéges, pas méme les Freres
eqynemis. Or il est impossible de lire |’ Astrgte ct de n'Aire point frappé
de la clarté, de I'élégance de, la versification, du, mérite, presque
racinien dy style. C'est dans l’Astrate que Racine pul prendra des
legons pour former son style de tous les jours, sj,)’on peut parler
ainsi, tandis que c’est aux belles piéces de eerie dat demandait
le secret d’un style plus fort et plus véhément. Mais, malgré cela, ou
plutat & cause de cela, l'auteur d’Andromagye devait, dire natprelle-
ment hoslile 4 l’auteur d’Armide., Un homme.da génic o'aime. pas.a
ressembler 4 quelqu’un qu’il estime inférjeur a, lui. Puis, les deux,
grands poétes officiels du siécle nouveau, hes. deyx gélébres amis ey-
rent encore par la suile un autre motif de sourde, jaloysie contre
Quinault. On sail avec quel apt délicat,, avec quelle yerve {pujours
préte et inépuisable, il variait les louanges de Louis XIV dans les pro-
logues de ses opéras. Racine ct Boileau étaient coprlisans +, rlui-ch,
jusqu’a la rage, celui-la jusqu’a en maurir,.. Ils ne papvajent,. dans
les épanchements de leur intimilé, tre favorables a un paéle qui mar
Diait si bien l’encensoir,, et quien faisait sorlir des parfums si doux
ef. si pénétrants.
Portpetiploae fat fo feos cern betotie foe ane
LE THEATKE DE OUINAULT. 3
Le gtd 'réproché' que faisdit Boileat 4 la pigce qui nous occupe
) edmind nous Tavons Vu; sé réduire i céch : Astrate n’est qu'un
sujet dé pure invetitions bh ne sajf‘rien dé ‘particulier sur Astrate,
rit, si ce n’est qu’AStrate a'vécu.’ Nous Tui'ayons répondu, en pas-
sat, que'les sujeéts d’invéention peuvent élre ‘trailés au thédtre tout
aussi Hier ‘que les stjets historiques; ct rious ajoulerons ici que Vhis-
loifé‘est trop’ souvent le pfétexfe et non Ie sujet de la tragédie. Pour
ne parler due ae YAndrothagie de Racihe, n'est-il pas clair que le
triple afnour'd'Oreste pour Hermione, de Pyrrhus pour Andromaque,
et @Herititone pour Pyrrhus est de pure invention, ‘sinon par le fait
méme,‘dd moins par la’ maniére dont il ‘est traifé? Les héros et Tes:
hérofites''de cette pidce ne sonf-ils pas simplement des Francais et
des Fraticaises élevés dan§ le culte de lantiquité et revétant leurs
sentiments moderneés de Souvenirs classiques? Oreste, tout poursuivi
qwifest par les Furies, n'ést-il pas plutot le précurseur de Werther
et de Ret# que te vrai'fits du roi d'Ar¢os? A’ Dieu ne plaisé que nous
ayoris Pinfentidn de ‘ditinuer le ihérite de Racine, de lui faire une
msitaise' chicane a propos de ld‘couleur Jocale dont on a tant abusé
depuis, ‘ét dot il n’usait'et ‘he ‘vdatait user qu’avec sobriété! Nous
avons dit ailleurs que c’eSt une nécessité du’ poéte dramatique d’as-
simafler dans une cettaine proportion, les héros des siécles passés
aux hétos'du siécle pour lequel il éerit, ‘qu'il n'est pas mauvais que
les’ Girees'et ‘les Romaitis'de Corneille ‘et de Racine soicnt quelque
ped Francais, et que, s"ils étaiént’ Grecs et Romains seulement, ils ne
nous toucheraient guére. La'n’est pas la question. Nous reprochons
sitiptement & Boilead d’avoir eu en cette circonstance deux poids et
détix mesures ; en u'mof,' de'n’avoir pas pesé |’ Alexandre de son
ainj'dans la balance Tigide of il pesait l’Astrate de Quinault.
Miis commencons lanalyse détaillée de la piéce , qui est intilulée
Astiate; rot de Tyr, Ue }
Une jeune princesse, nommée Elise, est devenue reine de Tyr par
suite d’imé usurpation. Son pérc, qui 4 détroné le roi légitime, lui a
constili@ en mourant, potir consolider son pouvoir encore contesté,
d‘épousér Agésior, printe du Sang’ royal, et ‘qui a aussi un parli dans
Etat: Les deux familles Tes’ plus’ puissantes ainsi réunies pourront
fadlemenit tenir téfe 4 toutes les enfreprises. Mais Elise dime Astrate,
jemhe-hdinmd brave, charmant, plein @'avehir, qui s’est ‘déja signalé
cbtithé Tes eninémis de Sa'scuverdine, ct qui vient de l’affermir sur le
troite par ahe éclatante victotte" Ndénor découvre que, de son cété,
Astrate diine la reihe;' mais; domme il ést sdr'd’épouser Elise, i! dé-
daigrie dé le. punir et ne laisse pas de protéger toujours Sichée,
qu'én ‘croit' plré d’Astrate et qui pouvait étre suspect comme par-
tisan de l’ancien roi. C’est & Sichée lui-méme que la reine apprend
14 LE) THEATRE DB QUINAUAT.
qwelle yeut épeusar.son fils,.et, comme .il-n:accugille, pas cette. dé-
claration, avec ’anthougiasme auquel elle. saltendait, elle est obligge
Geluidire;, tt tee tt et a
aioe. «oS hake étre _ — soyes a pea phe ere: a a 2 ae
: d |
Blle x ne:se, fait, du raste,. augune ‘llusion. 1:6 ‘est! par le cxime. quielie
nagne : le-vieux-roi -Iégitime et, ses deux. fils,ont ¢16-inmmolds‘’ ses
intéréis; un troisiéme fils qui leur survil. et qui lui est échappé,
doit étre immolé.de.méme,,. et ceal . ue vauenmuailacts Lous. S68 SAAS
tendront désormais. ee ee a 2 ee eee oe ae (a
hd Mon destin me demande encor cette victime. ae
' "* "Te sort de ma maison, plus fort que mes soulaits,
ee ee a nneeence ef m'énahaine attik’ forfats. : ayy 4g)
si or ae wees
: On idiea eaaa ‘doute. qu’ “il est. assez, singulien quane jeune, reine
dont la sceptre east teint de.saag, et qui comprend si. bien Ja négessité
des. crimes. politiques, $e soit, prise, Cun. amour vertuepx pour. un
homme,que, le.sort,a. fait. nailre dans Up Fang: Anforiews, QUOKYR-|pxAs
tout. Sichée.goit:.un, des prigcipaux seigneurs. de sa, cur. Mais,il.en
est ainsi dans. toutes les tragédies.;4 7. esi-ce, pas aussi lq coprs Ra-
turel.des choses d'ici-bas?. Las.crimes politiques sont d’yne essence
particuligre ; ila n’empéchent pas les_rojs de dormir.et de vaquer a
leurs affaites..C’ast dans la.tragédie, surlout que. jes minisizes, seuls
$ont respansables,.et que le. regune os se.déplaie dans
toute sa rigueur. ae et, a
; Au-second acle, ka reine est seule avee Sa confidente. Elle aenyoyé
consulter. dans ison temple Jupiter. Amman, jet voici la. aia we
sherk ugh ial: “Gaeta, wit te: ae 8 Sati ana acces Aree ees
7 eae ee, 1, ie
; : “Reine, ne cherche'p pas ‘dilleurs que dans ta dour’ es Peee ty 4
' L'etinemi que 1é' ciel pour ta perte'a fait naitre: as
‘+ ‘Lheure fatale approche of tu dois besaawiees probe eae ota,
Mais. il pemeRhreuey at Vempire ef lejoar. .) gre eras tage
La confidente se désole en entendant celté prédiction sinistre, et elle
dit 453 wiles ait Te ae oh ar en een ee
t ** 45 yard
‘ ! daoi !: volis voyer ‘1ey dieuk! prats’a vous boodblét} fd ea ec
if nen teeta ae boobs Jr : oP ro! st, Ottyeboe al
Wee: se ee fo, "ELISE! site dip ao af
Que. sertal de ‘rember
let S‘il est’ vrai qu’au ciel ma perte soit écrite, a
_Doiit en crathdre le coup, haa pate re Tent fe ie
‘ th na Id
ixtataciese d’Bilist se développe tived up éclat: tout cornélian:.: Sa: fer-
mefé ‘ne |’empéshe. pas cepriedant diaimemAstrate, de,Vaimar amir
Shi". bey i Dh
‘£8 /THBATRE DE OUFNADET. [3
qaaen ef fuses lo falblesve: Mais le pénérogité aA péiior qui sur-
vidtit ot: q tai hai’ déutove quill laisse Nhre ‘de sé prononcer! qlt’il ne
veut rien devoir 4 la volonté derniére du feu roi, cette sén@rbsité
ne laisse pas de |’embargagser.. Ele sait qu’ib a découvert l'amour
u’elle a pour Astrate... Celui-ci se présente a son tour. Puisqu’il
meép ener dutient lk rein’, "ilest naturet qu'il'cherche a la voit,
qa] Jd-demiande A.toud ‘ceux qu’il rencontre. O'est’le contraire qui
strait étonnant et bizarre. La critique ‘de Boileau porte donc en deta
complétemeht a faux. Astrate ‘n’a pas revu son pére; if ne sait en-
core rien, par conséquent, de l’honneur que la reme veut lui faire,
du bonheur inespéré qui lui est réservé. Elise, avec une habileté
toute féminine, qui est’ plus du domaine ordinaire de la comédie
que de celui de Ja tragédie, lui arrache l’ayeu de son amour et se
plait 4 lui laisser voir elle-méme 4 quel point il est aimé. La scéne est
erxciewse; qtiviqué dépour'rue, dans cerlaines patties, de eetle con-
venénce rhajdstuedse, de cette nnilé de ton que Voltaire admire tant
che# Racine: Il serait interessant ‘pourtant de rapprocher cette seéne
de ‘elle ‘d'Hippotyté avec Arivie dans: Phadre. ‘Mais poursuivons. Ad-
trdte;'et artivant, a prévenu la feine qu'il serait bientdt, en mesure
dé iii ‘faire’ cétinaitre sén detilier ennemi, ce troisiéme fils da ‘foi
legifitne, ‘qu'il’ jure dé nouveau’ d’itmmoler de 6a propre maih. Oh
voit ‘que, not-seulement il ést amourenx d'Elisc, mais qu'il est:en
gained dh tidreirient' dévoué-aux intéréts de la nouvelle dynastid.
"He trowieme bute’ est teas-beau, et ld scéne qui le‘termine estiad-
mirable et des plus pathétiques qu’il y ait au théatre, Astrate, députs
qgiifse'sait aimed; ptouve plus impérieusement encorele besoin de
revdit'la teind. Sichéel’ én’dissnade & wots corverts, l’engage méme &
s’éloigner en cherchant 4 lui faire comprendre qu'il ‘y‘a péral pour
lui a demeurer dans le palais. Mais le jeune homme ne veut rien en-
tendre, et s’adresse alors & Corisbe,. la confidente d’Elise, qui est
dans ses intéréls, mais: qué lui-apprend avec tristesse que ses affaires
ont pris une autre fite, que-la'reme a reva’ Apénor, qu'elle l'a ac-
cpeili avee bonté, et a fini par, lui remettre elle-méme son anneau,
he est préte 4 Lépdiser. Sur cela arrive Agénor. « Cedi
vous que la reine aime, dit-il & Astrate : elle ne m’a confié son an-
neau que pour miangager a, vous. le-donner ; mais il est 4 moi de par
la volonté du feu roi, et je le retiens pour vous faire atréter. » Mais
le capitaine des gardes auquel il s'adresse pour faire exécuter cet or-
dre, et qui a récides ordres contraires, lui redemande l'anneau, le
remet a Astrate, et,emméne,le prince dans Ie fort qui lui est assi-
gné pour prison. Voila donc ce fameux incident de l’anneau royal
deht Boileau’ sesh tant moqué! -H ept wai que Vinvdntida.a' quel
kt those de Fominesque ctide pudril, mais Pexécution est -habile,
16 LB THAATRE DB-QUINADLT,
et ces deux scénes ‘doivent produire:de effet..a la représentalion.
Sichée, qui est revenu'avec' le'capitaine des gardies| reste seul avec
son fils et le détourrie plus que jamais d’aller rejoindre Elise. « Mais,
sécrie Vimpétuenx, jeune, herame,,, 1 fant absolument que: ja. dy
parle, Le complot qp’on tramait contre ella est découvert; jien tiens
dans, mes mains tous les {jlg..Un, tel et un tel sont caroplices. - _
Mais te ‘sont mes amis! ‘dil Sichée.. — Qu}importe |.,. — - Et. SaNezr
vous, mgn ‘fils, quel est ‘le chet de ce sudaeanel Non, — ‘Gest. mai.
— Vous, mon pére!» +,
st! a ae igh ray OEE Se
{. ve , 7 « ’
a a ' Chic ah a Pails bey a ie ee
a.
Je me ‘fle au pouvoir des droits de la nature Meh isch ies we. coe
Au premier des devoirs, ay ‘plus sacré et... eye
_ | ASTRATE. | ;
- - * Seigneur, contre! atiour neé'vots'fidz 4 Hen. eae Ne Sey
oe Vemer: deniander grace, et nous Yatirtins sans: eine, ree de
ay saad seigne@r, {y as dire foul-@ la pAine. . 7
, fe Ure SBOE Et | Pie
Ho trahip BION ; Sea mon. prince,, mes amis! aera
lutot, ‘si vous l’osez, trahissez-moi, pion fi Is.
; 'Perisez-vous que Vappat du rang qu'on yons présente, oe oe
es cet infame prix, the! ebrrompe’ ‘ol mettente? oe’ 6 re |
» Connshsser: mieux tha dois mien depertlémouyoir, 5 ou et
Et } je n'ai pas de fils si cher que mon devoir.
Jai juré de venger mon maitre légitime,
De couronner son sang, de detroner le crime, |
* tak add
D‘affranchir mon pays d'un empire odicux, ;
Ou du mbins de périr d'un trépas glorieux.’
Dans un si grand dessein je suis inébrantable.’
Il faut qu ‘enfin la reine ‘ou succombe ou m'accable, _
(Que vous voyiez ses jours ou les miens terminés, :
Et c’est a vous a voir quel parti vous prenez.
| ASTRATE, 7 Wy
Entre la reine et vous je nen ai point & prendre, ,
Que celui de vowloir tour a taur vous défendre, «dia
Vous garder l'un de I’ ‘autre, et toujours me ranger
‘ 1” ; te 1 oe
Qu eulement au. sera je danger. ee or eee
aan ae a dabon ord ae Sat He eine . ee
" Patdonn esij'y cours, PH ee NEN ree
ae eo ‘doa ed tan 7 cle te ate beth te betobed aide feed
Pe toy gt fal to. ton@uidi tl a indfube est venti peel by
ot ‘y aN Nop igage toe ene nee a atbaog
on oe aie ‘yes aitahas pal ecder Resane de mom-secowlts, yi clogs
- 1, Seigneur, .etda,la.rping, an sartrapeher lesiquys! to sy
7 Avec le mame soin que, cqmme amant déle, ere a i Se
" Je vais ou fa sauvér, ou périr avec elle, a aeeuad
Je saurai,'l'ayatit'mlse a ouvert 'dé Vos eéups! ee i
' + Vous sauver comihe fds) pupegiraveciwaus. 65 et
Je n’examine point, dans cette conjoncture, ) oa, oe
LE TGatRe De GeINAUET. 1
rele has- (Qus dodt vaihore du ‘ebderti Vamogr bala waturet: - 0!
ret tuo 2 tSans Jugériqui des deux foit dtrd plus puissant,
vat’. yc de Tegarde aps, perils, of coprs au plus pressant, 0.
foute le Scétia! dir ‘éothmerichmentt' Ald fiti'!"det’ Rcrilede ce style,
ding telte langiie’ ébrvectéi'ét' hdrmdiiduse, ‘Avec cette force et cette
sirété‘do main.'Et voila’ ¢e qui, ‘selqn Boiléau, faisait rire les 'spects-
leurs & gorge dépJoyée? Mais est-il névesvaire de réclamer et de s’in-
digner? La critique Ia plus respectée, la plus autdrisée, est impuis-
sante quand elle s’abuse 4 ce point, et n’a pas méme besoin d’étre
combattue : la simple vérité est plus forte qu’elle.
Au quatriéme acte, Bazore et Nicogéne, complices de Sichée, le
pressent de faire apparaitre enfin, leur yéritable maitre, le dernier
fils du roi... Sichée leur promef de les satisfaire, mais les prie de le
laisser d'abord quelques moments sep) avxec.son, fils. La scéne est
encore d’un trés-grand effet dramatique:.Astrate. presse 4 son tour
son pére de lui faire connaltré Vennemi ‘de ta’ réiné, ydi est devenu
son ennemi personnel a lui et dont #1 brile de répandre le sang, puis-
qu’enfin il ne faut plus que cetté mort pour alfermir Je trone ot il va
monter, et pour assurer a jamais la [ranquillité du royaume. Sichée,
a bout de détours, .se.. rend .4.ses-instances.-et lui dit :-« C’est vous,
cest vous-méme qui: étes: cet enneii.. Vous étes de: 81s du dernier
rol. » Fae aes Se ee I Peep oth
Un fils que je perdis,' dont jacelai la’ mort, | |
Me donna le moyen d’assurer volre sort. |.
Vous étiez de méme age, et tous deux dans l'enfance,
Et son nom aisément cacha votre naissance.
Soy, ASTRATEL ta r
Qu’a jamais ce sccret n’est-il caché pour moi !
Ah! cruel, fallait-il, si je suis fils du rot,
Pour me montrer la main qui fit périr mon pére,
Altendre que l'amour me fa rendit si chére? ;
Et ne Udviéd-vous pas, pout Ye bien de res jours, ©
; Ou m’avertir plus tot, ou ‘you's taite' toujours?’ _
"eats |
La scéne se poursuit avec des développements d’une éloquence pas-
sionnée. Enfin arrive la reine, qui, res{ée seule aveq son amant,
fait un retour sur elle-méme, sur les sentiments qui l’ont dirigée,
et lui apprend quae c'est. pour lui.seul, pour lui assurer un trdne,
qu'elle a commandé le meurtre du roi légitime et de ses fils. Elant
sur cetle pente, elte: instste raturellement: pour quail conjure les
derniers périls, pour qu'il Ini désigne sen ‘dernier ennémi, puisqu’'il
s'est vanté de l’avoir découvert. fl se nomme. Cette scdne est au m-
veau des autres. L’jndérat croil avec la pitié. Elise dit alors 4 Astrate
de se venger, de venger son pére:et ses:fréres. Il s'en‘défend et lui
répond : e MUTT er hate yet oe
" ae ee :
718 LE THEATRE BE QULNAULT.
De l'amour.et de. moi que:pent craindra.wotce Ame? ..
Contre votre ennemi vous pouver.taut, madame... «|
Vous vouliez le connaitre, et je vous l’ai montré; °
‘iy «5, Vous cherehieg é le.perdre, et ja.vous Vai livré. tis! fey 4
N’épargnez pas mon sang dans ce malheur extréme.
Vous en aves besoin. es
rf
Por fy
Eperdue, atterrée, elle ne revient % elle que pour le presser de nou-
veau d'immoler celle qtii'a été le bourreau de'sa famille entiére. Le
ciel veut qu'elle périsse par lui.
' Seewch resale a
"' ‘4° tft oracle assure, 1 fant qu'il staccompligge. "I oti f |
Les dieux me l"ont trop dit’ pows’ oder ét ‘douter.!! fev cul) Lai] (
ASTRATE.
L'amour est le seu! di¢u qu’fl en faut consulter, |
Et sa voix, dans mon coeur s’éxplituiant’ sans obstacle,
Vous répond do contraite, 'et vaut bieri'votre oracle: ‘'
C’est le dieu qui me touché et me connail le mieux :
Fiez-vous plus & tui qu’A tous les alitres dieux.
S‘ils menacent par moi vos jours et’ votre empire, **"'
Ils se sont abusés, jose les er‘dédire!’ = 5°
Je prétends vous sduver'en dépit des desting.’ ©° | "
re J
On vient alors annoncer & la reine que'la révolte fait & chaque in-
stant des -progrés,.que l’ennemi fatal .réservé. pour lui nyire a com-
mencé par prendre pour premicre victime un prince du sang, Agé-
nor, qu'on vient d’immoler, et que c’est elle qu'on tmpate le crime,
de sorte que les partisans d’Agénor'se joignent maintenant a ceux
du nouveau prétendant. Enfin une foule hostilé entouré ‘te palais.
i
Vous voyaz que des dieux l'implacable courronx. .,
Veut que vous vous vengiez, Astrate, ef. malgré youp.. ,
Ecoutez votre sang,, bie: Eh
' t boar, a, oD
'
’ i a ee eee pe
« J’écoute mon amour!» s’écriert-il, et il la quitte powr’courir lui-
méme repousser les rebelles. « me Te a
Au cinquiéme acte, Elise s’entrétiént de ses malheurs'avec Co-
risbe, sa confidente. Elle se réjouit d’étre aimée encore, mais elle
sent (rop qu’elle n’a plus qu’a mourir, ef Corisbe essaye ‘en vain de
Ven dissuader. Armveat-bient6t Siebée et ses‘ complices.'Sichée ap-
prend 4 la reine qu’Astrate nest plus en état de pouvoir la défendre,
qu’on s'est eniparé de hti, et qu’on Ya Wdsarme:' «' Ainsi tena a
elle, je ne le verrai plus! Mais exaucez'ma dernitre pridre’:' em/pe-
ehez-le de vouloir me suivre.a. te
one ie : PY overdo cet te on a eda er
Je sais Famour d’Astrate, et juga pan moieméme: 4, (:
Qu'il est doux de mourir, quand.on perd ce qu'on aime.
‘ t @ thot ft
LE .WHRAIRE: BE UINAULT, 19
Ce n'est pias quia! ses: jours que'je pronds intératy: |
Et vous pouves: deg ‘miene user comme nee. md
phceth ae oe a4 pY der gt faee gq r) ¢
Un grand bruit se faisant' entendre en te moment, Sichée lui dit :
vt ms A es
Mais je crains tout du peuple, et ce benzit kone. eee
ELISE.
14 * ry febon me laigse ensrepdg ; je sangice. quajefoi,.. 1 ..,,,
1. 01 Pb je Satiglerai les, dieu, Jepeupla et mo po ,
Etelle s’éloigne avec sa suivante. =" EOP DEE ae ta gee Wg 1G
Elle est & peine sortie, qu’Astrate accourt, élant parvenu 4 s’é-
chapper des mains des soldats qui le retenaient.. + oe
, Mais ou done est la reine? .
Ah!:sij’ osais penser, qu‘ en cette extrémité ,
Deja, one sg, yie On euit, rien a? a
1. SIQHER,
La reine vit encor ;, mais enfin yaici Theure |
Ou c'est, ne) aimer pas qy. ‘empécher quelle meure. ”
Tous sont a limmoler. ee résolus, |
On les retient, A peing, pt Je n’en_ réponds plus,
, ASTRATE.
, 1, {ae nq camnais que trep ce qui naus est fyneste. .
"+" Répondez- moi de vous, Je vous réponds reste.
Pour me rendre ici‘ maitre, annoncez qui ie suis. ee
fob] Cb bo tet guns: phe te pe av oa
a i Ne nous en Rater point, o’est, 09 que je be puis, ..
BD coup, Sc: | ASTRATES 'y oo
; ‘Guana done, réser'vez-vous de me faire connaitre?
a nit D1 SERIO SICHER. ° oF i
Quand j'aurai vu venger le sang qui vous fit naitre.
ASTRATE.
Mais saveaCvous quel prix doit attendre de moi -‘
Un gif barbare sein de votre trop te for?!
Que, si pour me venger en dépit de mei mérhe ‘ten |
Votre cruel devoir m’arrache ce que j'aime,
a cay ny eb.deknd propre main, 0 Gi
L’excés injurieux de ce zéle inhumain. . .: | i,
2 F :,, SROBRE. " eee
ae Bika mon maitre assez pour m’ exposer sans peina .
“ALY 2bott Gadahys'd Loser’ servir au péril de sa haine; et
sae Maas HOKO pha perte apsurde est, apreés'tous mes soins, ' Pe AR nM A
v ‘ule 7 Logstine de = ae moon ri craint Je moins.
ors “hy tl Nass!
i ial au dises our: essaye ag 5 luer, _ comme Sichée par:
vai, r en empecher, pein cigs Megas sok a
s
rae XN 2
oo ee be ora
Cruel, mon sang vous fait-ii’ fan —
Si vous ne craignez pas de mvarracher le coeur?
Que née: m’épiargiesvous par ow jé suis sensibfe?
Ge n'est eee Teing ob Lai thort n'est 'horhible’;
80 LE THEATRE DE QUINAULT.
L'amour m'enchaine au: sort qu’elle doit ¢prouver:.
C'est en elle gy'il fant Me perdre oume sauver..§ i
Si vous aimez mes jours, cessez, mon cher Sichée,
beg,
De ‘poursuivre une vie 4 la mienne attachée.— me ane tay
Vous n'avez que trop bith sighald votre ‘fol : FEE aes
‘Servez-moi ‘commie amant platdt que vomme foi, 11; + “oy
dae 4 Préférez,mon sang. propre au sang qui m’a [alt males aT ‘v
Enfin la reine reparait et ainnonce elle méme a Astrate qu. “ai s ‘ost
empoisonnée. 2
| te Oe ae ee Vat
ASTRATE. Lome rnabae bbs
Qu’ on gherche « du secours!.. |
isk
Siete Venite en dérait reel
A, Le poaon que pris porte mee oun tea. ae ee
; ASTRATE, A Sichéo, |, en es eee
Si c’est vous, yen Ja barbare ee SF eat ky he ee pel
LISE ‘
Non, vous ne dévez Heri de mon trépas qu’ dmol. cee
Fal cru devoir rioi-méme expier mon offense,‘ - BE ae
. Vous offrir de ma main toute voire vengeamoe; 2. et.
Mettre, ainsi votre sang AVCE vos faux d’accord, 6, toate
Et sa pane sans rune au moins aprés ma aah
ot onttte ss suite Jace be
be jour avec vous det! 1 mabrait pu fhire etitie.. ike
Mais sans trond’ et sans vous,'qod faire dd la vie? ee
) a ee
Se sentant défaillir, alle donne Yordre qu’ on Vemporte pour mourirc
loin de lui, et pendant.qu:Astrate, éperdu, Larrdle ef se prévipite &
ses genoux, elle expire dans les: bras de ses.suivantas, . 60 i .. +,
Telle est cetle piéce qui par:ses qualités scéniques, par la: cen-
duite, par l’intérét et surtout par le style, est un des. medlaurs titres
de gloire de Quinault, et. qui, encore, aujourd’huj, représentée, par
exemple, 4 une de.ces snlepnités ittaraines, organisces par .M. Bal+
Jande avec tant de succés, serail bien. susceplible. de captiver la pu-
blic en lui révelant en quelque sorte un:auteur qui n'est plus guéne
qu'un nom dans notre lillérature.. ain
i e ] foe
t A . oo t .| : oe 0 viuy Pa
IV we
Ce n'est point, au eontraire, sur le thédtre de la Gente, slest's la
Comédie-Frangaise quenous voudrions voir'remeltré & 1x ‘sebne'une
autre piéce d’un mérite tout a fait incontesté, une comedie qui sou-
tient la comparaison avec les plus charmantes, et qui n’est'pas seu-
lement un chef-d'ceuvre de Quinault, mais un chef-d’ceuvre de notre
LE THEATAG DE. QUINAULT, 81
thédire. Cette reprise:serait''d’autant: plas-opportime et désirable
que la comédie de fa Mere’ coquette’ contient tin réle d’amoureux des
plus complets qu ily ; ait, un role ‘aussi ‘passionné dans son genre
que celui du Misanthrape, et que.le theatre de. la.rue Richelieu pos-
séde justement un .acteur pour lequet il.sembde- avoir été écrit.
M. Delaunay, si-séduisant' dans Je Menteur, sii remarquable danis la
Métrom@gnie, devr it tenir 4 honneur de j jouer le role d'Acante. ly
ferait valoi?’ ces’ dinhites dé passion qué le drame moderne a déve-
loppées chez lui, et dont il trouve rarement l'emploi dans les comé-
dies de l’ancien répertoire.
ll est impossible que Racine n'ai pas senti toule Ia valeur de la
Mere coquett¢, 11 ne, pouvait, méconnaitre des beautés qui sont de son
domaine propre, ‘pour ainst dére;ef qui: devaient- nécessairement
moins toucher Boileau. Celui-ci était tenu pourtant d'apprécier Vex-
cellent style de la pidce, ét il’ ne I'a pas fait. Nous revenons done sur
ce que nous avons déja ait, Sur.ce gui .peut.seul expliquer, sinon
justiGer, la flagrante injustice... Quinault était.un rival des deux amis
dans la faveur du raoaarque, et leurs sentimerits de poéles se ressen-
laient beaucoup trop envers lat de lears sentiments de courtisans.
On sait que Boriedu essaya contire vent et marée, et sans doute excité
par une émulation. malsaing, de, faire wn prologue.dapéra (et quel
prologue!) pour yenir' en. aide,4 Racine, que. measdames de Montes-
pan et de Thianges, lasses, dit-il, des opéras de M. Quinault, avaient -
décidé den cohiposer un. Eb ajdute : d'M.'Quinault s’étunt présente
au Kok les Jarmies dux'ydua, et Lui a'ybat remontré Paffront qu'il allait
recevoir s'il ne: t¥availlait plus ‘au’ divertissement de Sa Majeste, le
rof, teuché de vompussion , déelara fiatichement aux dames dont j’ai
parté qu'il we pouvait'st résbtidre 4 iui’ donticr ée déplaisir. riers
relouradmes: donc,:M. -de'Ritine' et wroil' a notre premiér emploi...
Et de Fut-trés-heuveux pour lii' et aussi‘ pdur Racine. Le'su jet choidi
le Chutesde Phadlon, he powvalt: nidhaer. Yocdésion d'un triomphe
au pedte ‘de! Bercnige ;' Ay‘ teivaillait ‘sans ardéur, il ne sé sentait
pas sur son terrain, et il est douteux' qué; ihidme étanit bid fnspiré;
il edt pu faire, non pas mieux, mais seulement aussi bien qu’ Alys
ou qu’ Armide. Quinault avait des qualités propres au genre ou il ex-
cella, qualités secondaires, si l'on veut, mais qu'il possédait au su-
préme degré, et c'est ce que Racine et Boileau se sont toujours refu-
sés areconnaitre. _
. ba. Mere, nequatte.Gt:heagcoup de beuit : sa: naissance. Il y eut
mémadw scondala,, ua debat public entre. deux audeurs:cohwus, .ca-
hale powe aeliticci.,nabale-poun ealuinta, ef onGn iniersention dumai-
tredeg maitres, del’ omnepotent Louig XIN qui: fut forces de mattee
le holaf Deux, dieres da deuxauleuss; portant chatune le méme ti,
19 Avan 1873. 6
83 LR THEATRE DE, QUINAULT.,
tre, furent jouges Je mame igur a Paris sur deux-théatres différents.
La seconde piece élait de de Visé, en trojs.aeles ef en.vers,. et s'ap-
pelait comme Iautre la Mere coquette, ou les amants brouillés; De, Visé
prétendit et imprima qu’il avait parlé derson sujet. Quinault, et que
celui-ci le Jui avait volé. Les caracléres, Vintrigue, cérlains détails,
gont en effet les mémes ‘dans les deux pisces; il n’y.a.que le talent
qui différe. Quinaull ne se défendit qu’assez fhibherment il allégua
wil avait tiré son sujet d’une nouvelle espagnale.. e Visé riposla vere.
fement, non toutelois sans ménager quelque peu sen. illustre cqn-
current. Ll-est & croire que Quinault se passionna pour um sujet qui
ne.lui apparlenail pas, el‘que, sa muse ]’ajgujllonnant, ikne put ré-
sisler au plaisir de le trailer. @était, il faut le dire, un sujet mer-
veitleusement favorable aux ressources qu’ i]. avail en lui, et dont jl
n’avait pu trouver encore un si bon emploi. Nous ‘avdns yy. dans
notre siécle, et tout récemment encore, de ees. tentations irrésisti-
bles de prendre son bien ot en le trouve. Un de nos auteurs a la
mode a été mis en cause, ef conddmné & diverses reprises, pour un
sujet tiré d'une nouvelle uméricaine, pour une intrigue calquée sur
celle d’une nouvelle francaise, pour kidée d'une’ scéne prise dans up
manuscrit oublié a dessein sur la table @’un direclenr pen spigneux.:
Nous croyons, ‘comme Shakespeare, que :c’est beaucoup de bruit:
pour rien. Les sujets apparliennent un: peu a tout le mondé;, il n’y
a qu: la forme,qu’on Jeur donne qui ait une yaleur propre et détinj-
tive. On peut beaucoup emprunter en Jiftérafyre, a cdndilion: towle-
fois d’embellir, d’améliorer, de transformer le médiocre en bon, le
bon en.excellent, le cuivre en or, le caillon en diamant. Ce .n’est
guére qu’un emprunt, forcé, cf dont Ia postérité- vous absout, lors-
qu’on lui légue un chef-d’ceuvre; mais,les conlemporains sont moins
indulgents, surtout quand il y a récidive, quand Je procédé de l’em-
prunt semble passé en habitude, ou quand on nvavoue pas franche-
ment Ia'source of l’ona puisé, Soe ae
Cétait, du reste, le cas de, notre poéte; il-n’en était pas & son
coup d’essai, Mais onest obligé de convenir qu’il avait été moins bien
inspiré, qu’il avait cu la main beaucoup moins heureuse lors de son-
ptemier larcin. Une de ses comédics qui eut dans I'origine le. plus de.
succts, l’Amant indiscret, ou le mattre ¢tourdi, a bien !'air d’avoir été
imilée de l’Etourdi.de Moliére. Si Vintrigue est différente, le princi-
pal rdle est absolument Ie méme dans les deux piéces. L’Etourdi
né.fut représénté 4 Paris qu’en 1658 ; mais Noliére, avec sa troupe
nomade, lavait joué & Lyon vers 1653, et Quinault ayant produit sa__
piéce entre ces deux dates, il est probable qu’id en avait eu connais-
since; que, s'il né ’avait ni 1u i vu [la piéce-n'dtait pas imprimée), ,
on lui en avait du maigs parlé avec quelque detail | crut qu’un au- |
e
rt
: LE THEATNE DE QUENAULT. 83
ted de Parks Uvait' bik 1d 'droit dé s’dpproptier ce qi appartenait A
umauteur® de province.’ Par malleur pour yi,” cet auleur de province
devint Molrére.!' ON ee
‘Nous nous ‘pronontons ‘dotic franthement'contre Quinanlt dang
cette’ question’; notis croyons 4'l’emprunt, pour ne’ pas dire au yol,
én constlatant' qu'il y avait racidive, da nous ‘basant sur ce qui s’est
produit de nds'jburs pour juger de de qui s'est passé aulrefois. Mais
quel bidn! cela fait-il au’ pavyvre dé Visd, d’avoir trouvé lé sujet'd’uné
bonnie’ piéte! gil; et deftiitive, ¢ Gt composée et bcrite par'un ail-
tre? 'Ea'Mére coquette nie sé! recommande pas précisément par I’in-
veritivid salle we fetoimmarde ‘par Vobsérvation des mceurs, par les
détafis piquils, pat les ‘suillies du dialogue, el surtout par’ ce gé-
nie‘qlii ést-Propre A'Ouitault” domme 2 Racine ‘et a Moliére et que
nous polvons appeler le géiiie dé l'amour. *' aed en Le
“Laharpé:' dany'sdn Cours de littérature, ou if y'd sur le théatre du
din-septidmie ‘sidcle dexcélletites parties, jilge’ dssez I8gerement li
comédfe qait Hotis o¢cupe.’ H en parlé comme’ d’un outrage ‘secon-’
daire: IV dit que Wi'piétd s'ést sotilentie du thédtré, qu'elle est bien
condiiite, Gud Ids chrdttdres et Ta versificdtich sont‘d’une touéhe na-
turelté; hats tin’ pel fila’ il ujdubdé yéeil fd @dgreables détails, ‘de
honites plaistitéries,’ et i sé‘borne ‘a citer’ fe billet qu'Isabelle écrit
i Rodnte et Yu'il: declare # tras!joli. » Pais ‘c'est tout. La bienveil-
lance'de Lafarpé ést tel, & Son'insu peut-étré, injurieuse pour Qui-_
nant.’ Fe faut décidémént prendre’ of‘ autyé ‘ton “pour parler de la
Mare "adgliettel ec 0 Fee ncteten tae te Be oe
N sdviohs tel la piécd ayet beaucoup de plaisir; mais le pre-
midr'acteé'hiutis ‘avait paru mojhs bon que les dutrés. Nous venons de '
le refité'tnhcore; ¢é premier acte : i] est exquis, plein de détails char-
mants, ‘Ge traits guj portent. L’expdsition est hette, piquante, amu-
sante! Le piihdlat’ personage se piésente tout. de suite, non pas'
comme un amoureux de comédie, mais ‘bien comme, un jeuné
hottinre Viritdbtetnetit épris, él les premiers mots qui Jui échappent
tratiissanit 4 passion 14 plus naCurelle et la plus siucére, Unc analyse
detwiltée’dé co tble'excéllent tous 'tenterail’ cerfes; il y aurail bien
des’ head tiés oe 4 sonder, bien
des ‘cin Pataisins' #''établir, toutes 4)l’avantage de Quinault; mais
uile telly dnal\Se'nbYs entrafabrail beaucoup trop loin pour les prq-
portibis' qhe* ating cétte éliide. Nous nous jbornerons donc a
comma “cdtldines, ritiques qui ont été faites un peu légtrement,
+ qf Juice iSTt my yey ie Cire Bite | : Z : 0
Ex' pide!’ edt” db “Celtel qian est dispensé de‘raconter; il vaut
mide bbiseiffet, Hel 'lite, dat tdiit Te. fnonde peut y mordre sans
peepatitith Ce West’ paé ‘seulement Ie ‘rdle ‘d’Acante qui est trailé
84 | LE, THBATRE: DR, QUINAULT. ro 2
de main de maftre ‘tous les' dafres ‘roles sont pnesdniés squs le jour
‘qui leur convient et ditls f4'rluance qui lean -estipropre..On a.beau-
coup critiqué le rote du: pere'd’ Acante, co: banhomme,qui, 2 soizante
ans passes, est Urtidufde’ ichmne Aovee gh alts ;-qul se porte ign,
difril, aS ee eee ee ee ‘te
angel ie Hors quelques petits maus; ‘torime 'atteinte de gontth! 4). 3,]
, ; "CAfatte Mihdaationae. Le | Vee TN Spa da Oy topayp er!
SE ENNIO INE TEER oe 8, sha en Para seer a rye : ty on
et qui tousse!a-chaquerinatant, parce que, ajqute-t-il, : : ares
ior ee Re Sees Tey pe Lee ane Oe a ne 4 J : fi
ra *e é . < Am ¢ rrr t, a Pel
e. nee i ! La indy Aplin, me {ait Lougser. d'abord. Pie 1
Cee oe ‘thoes, rite a
Hoe
Mais ce role est. wés-bien observé, au ¢éntratrée; trés<natavel, trés-
franchement comique, et il est bon re i be qui veptiavair. des
sentiments d’un jeune homme ait Youtes ? s'{heom modi 6s. phyjsi-
ques d'un, yieillard, Ce contraste est biet uw dériaine dé ta cbmeddie.
Ce quivest.cncore excellent, c'est quil veuill@ morier'sénviils aa
méreméme.de)la jeune personne qu'il pretend Hésérver sown lai,
croyanl ainsi sans doule rapprocher les'distances. It so fatt sien: lui-
méme la plus complete illusion; il dit au marquis,' $on/névew ty 11;
eS ge te at Pp poetry See ee ee
Tout viettx' que je sSaruls. age encore. me. laisse ; : :
Des resteyideehsleur, des regaing de jeunesse; |.
Mon pel? blant céuvre encone an, sang, sbtil et chad,
Te? yates temps ie ee a, apy Megs ;
EET Ue AROUIB ce reer]
Vous prenez le récit d'un peu haut.
Jasurnreds grate: an dy pe as
1 bk a é® chaque lignades thaits-gembladles ; ile dialogue, élin-
' Gélle a’ esprit ee clout: uw wnodéle iquinduy dpe pien plile 4 Regnard.
“A ptlopos ‘de Reanertl):’ of a thitaves. justice que ¢ flail, 4 Quinault
qu'il avditeni prints! tq'type'-deisas marquis, ridicules. Le marquis
de la Mére coquette est un personnage trés-finement observe, trés-
heureusement. développé,.¢t..qu.on alaxé a tort i le lla
l'exagération que la jeunesse.porte dang,ses,fraver's. Comme dans tout
le reste. Est-ce que nos- petits crevés:d’apjourd huilgissent quelque
chose a désirer aux jeunes événtés de Moliére, de Quinault et de Re-
gnard? Est-il une charge si ridjcule’ qui iid ldur'sott'Pessemblante en
quelque point?! Ice le: marquis esl cousin-germain d Acante, un mar-
quis qui se pate Pan fdux titre) ditsgelui-ci, ea quiz n’empéche pas
le pére d’Acan{¢ ‘d"dvit’ ‘uné' sortede: respect:pourhui, tant l'appa-
rence impose méme A ceux ane ‘he “péut tromiper, mais aux-
quels il en revient comme uy, seflef d’horineut! 4" passion du mar-
quis est de’‘passer ‘pol un: homme a bonnes fortunes; il ne tient
nullement a l’étre, mais & le parattre, dit-il, et il ya dans celte fan-
‘
2 Oe Jeuihg, Cap yes yell I,
ed
LE THEATRE DE QUINAULT. 85
faronnade un trait qui. est’ particaHérement-propre a l'extréme jeu-
#! Hen est de mérbequanid: il. sq vanta de ses fripnneries. Nous
conitiatsséhs <uft font jeune homprae,,. Mais, bon Diey! arrélons-nous,
et'ie rious'dxpesons pas:4. soulenir Nos opinions heen par des
observations: faites dank. danalara,e} prises, comme, on it, Sur le
vif.
Le réle d'Isméne a' aussi encour. des reproches. Il était tras‘aiti-
cile 4 traiter, et il nous semble qu’il m’était-pas possible d’y micux
réussir. Il est plein de ces mots trouvés, de ces trails profonds sous
leur légéreté dpparetllds dint si'pet d’auteurs:qnt!eu:le secret, Hers
Racine, Moliére et Quipault, Rlnes autres poétes peuvent se vanter,
dans notre ancienne littérature, d’avoir bien compris les femmes?
Cest. queices haureux génies les connaissaient d’instinet, pour ainsi
dira, non par debseryation seulement, par lit retHerche!: ‘pat ta ré-
fletaon,) iaais, par. {putes las qualités de finessé''et ‘de délivatessequi
Kun dtaiens communes avec elles. Ils rencontraiént ‘haturellement
la nite juste, sans avoir. beyoin de l’ayoir enttndue. Lv'réle'd'Ismiéne
feraat. an finament} d'honneur: 4 Vactrice A sdurait ent réadre:et en
fine ressortir toutes les. wane La sc ne ot: elle’ pels de de-
monteer: §,AgaBLE GHG, i reg, i tae
C'est aprés les erreurs ot aj jeunesse engage, oe -
Vers trenfe ans, c’est-4-dire environ & mon.age,, ,
ae ést de retour des vains arbusements
Qui détournent fesprit des vrais altachements,
Cest alors qu'on peut faire un chaix.em assurance, :
Etc bide la proprement Wage de la constance. —
s‘la te n'est terrible pour. Isméane;..c’est bien de la mo-
cette nelle on est a’ un comique charmant, d'une grace achevée. En
qa'a'ta fie ald ary et en-nes be aue.de Ja fille,
is ah dy tps; sade! ea ASHRSE.. ah
]
dé: Ya ‘meitleure. Ea effet, comment ‘le jeune
idlniae (tp énd- iV 4 cés'douces avanees de la:mére? En ne. songeant
: if’ Se his! rons 7 i ;
Acante. wo,
Mais, tnadme, apres tout, qui Pedt drild'tedbotiat- oe
t eattutde, hae
a! tube ty “Ygabetlte intonstamte, Isabelle infidéela, - i. | ;
mae Sl -+ i Bgabaate perflde, acu i is dip eM *
‘ ‘po j oly eo, frre
Nba . Quai! toujours ie i” : ie is
ACANTE. =o
bs a mee ae eee, |: ae babel aap rar oerasa
Shar tee a
7 e e Bee veux, il: Pecan arpa at mn
Wee meee Ce Valera tbo span COPE, JUSS, 4 SO}, Nis méme: Cee
rant pene my, isser rren de ce qui me fut'doux.’
,, Grage at ciel, cen est fait:' a ‘ i rn nT ae a |
, ad it, alee iG
es a lobed | carb Ther Pep ye ces G
- ‘ar ods ees ic’ . VEE way fe est frien i Jou, . |
chun ; : -t7,
86 LE THEATRE! DE! QUINAULT.
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Ten faa JvGe TAREE, shld. ipa eae ai Monraange trad
‘ ie i noir que. piesa ae ft
lies tant e oe Be rade anert fafts, Moatoil oh Jefe
De nous aimer toujours, de ne changer jamais,
Isabelle aujourd'hui, cette méme Isabelle...
Madame, obligez-moi, ne me parlez plus d’elle.
ISMENE. ‘
aiehitll Avast vous qalin’da! parleg. ary bebo tin eitent ou Chol,
ares Gere Sree) Oe ee re “A~tAKtE. bea ECHOLS Jory OP ae “Hage f
AOS beth Aes AE iat eat ‘Ce sorit tous es endroits;-. bo ONE the:
1» fuacuc, Ou Tingrate a prgmis de, yo aimer. tant de foiss. if, urd uy sie
Ces lieux témoins des nacuds dont son cour se dégagey! 1, 1,
De qui !’objet encor m’en'rappelle l'image; * “" a eae:
pee TE Ope utp tharquer Phedeut que jul d’y rehonbér, al fe dui-atth
ask ict! Bene: veuk plas‘ pieh voit iqui my fassel gedsersinioi -oito ip sae
bids ct Loutme patie ici delle, it vaut mieug que fe aod. ts siited on
is. 2 gla ict ite) LAW BBeio in ob eib eatts soe ail
Rar ou dome plesevous tip aiee sti Head bh HOTLOG nh oy 2d
as oe ake | " wy OT! ar alia orem drt, au ee
Hi olen “pete atin delta fon ‘bescetid’ abled Ben!!! OEE of ang acco
“fp obit 4. taste oe Gl gael ae P}a5? trap ll faitoy rot ldy ‘ytide
(G..Js 2.0 Mele estth deddags! Oluol do aoe deed ited cite reg
pt ds Seti 3? nee oto Acar! Udtioe eocrinodd ct POA THce fy
eee eee ce - Ab! Je th’en vessoutiene Yao Lo elec
. tt. Al est pas,,An-effaty.a BTApOS GBELY BASIS sp ciouind b erode
. 1.) RAR WoHS.Je | qublipis, ef je vousen rands sracey it it sia aol
; ; j16 GUE atroieenh 2 49 aloe od
Nous n’ayons pu résister au ane de citer toute, 1a, fin’ dé‘ cetté
4 qe 2 | = ') demi di Da i) ) ‘thy J ~ ra
scéne déicieuse. Le,commentlaire es inufile, le éxte 81 fti€ Nes i:
oily : Cy ibe de gale ohhh eb 2108 atens
pas la nature méme? Cé jeune liommeé. qui veut fuir des licuy’qui hai’
rappellent trop celle quil.a aimée, celle gt teu “apt Ho Ree
RY DEO n! aff Suk!
ay
Set deop LIE
‘ere JUD Sd ma
‘
if J
mais, él qui séloigne et qui prend justemen lé chemin o |
dé Ja réticontrer! Et quand Ja’ mére.Jor'dit! &M is maf) e ‘bot ta:
dedans! — Ah! je m’en sonviens, » té ond if ; “eb! Yl Ta Femere a (
lui rend grace dun avis dont il'sé scrajt'si bien ‘passé.’ Radite’a fuit-
aussi bien, non pas mieux, mais dang des tragedies et él des sijét’s”’
of Pon tail peul-dire én droit de lui'dire ? Non érdt' hie Tov ss Td, at!
contraire, tout est A sa place, tout est bier dans Te ton Vout 1 Ya'pro-Y
fondeur de l’observation se revét' del praca’ la' plus exquise. C’est
un ohef-diapvre;:abselument pirkents Btn ovlilions pasque bt Mata: :
coqyetié est, de 4665; que |Raeine we detinn son Andiomequequier
1667) etque lei Misanthvepe' ne-‘fut. ceprésenté iquien 4466.) Mohaére:)
lujeménre a-pu fdire son profit decelleadmirahle'scémeb sioe e197 25
Nous ne dirons'rien da ‘tole de la-jéune fille: dl est excellent: naib *
il était le. plug facile a: faire, les ‘bons modéles ande genre tlasent |
6 E gondmus dasmotistisg 167
hs 4 5
LE THEARRE DE QLISBDLT4 83
déja nombreux. Les réles du valetet-de la soubrette sont aussi trés-
heureusement traités!" ative’ mattiére sy doriter: tont a vee le ton aux
valets de Regnard staux soubreties. de Mativauk,' '?) "“ _
CAAUUIG, Tonite out yb a tte cites a
ate shine Whe wal: Sokdb tan ad bere cath fone: a “tha di bsiee
Jolly b- oliy , oy rays “antl are Negra gSele oes, \/
Nous ne nous arr¢terons qu’ en ‘passant: aux. opéras,de Quinault.
Leur mérite est aujourd’ hui unjversellement reconnu, en France
comme a l’étranber.:Maie'est-ce pas un mérite que nous sommes
un peu trop disposés' Bertie sie: pardie? Bes’ ‘cetvres' qt doivent se
produire & la seéné aye ‘le eguicoulrs 9" dé’ Ta" ‘intisique ont naturelle-
ment a 1a lecture quelque: -chese,.d’ incomplet | et’ d’amoingri. Il sem-
ble qu’elles ne battent: phisiaue. Pane. aile paur nous-ensporter dans
le domaine de -Fidéals pn'vreste fité Ho laiferre; quand on devrait
planer avec elles dans le libre cieldela fantaisie. Cependant, si nous
nous en rapportons a nos impressions’ persdtiticltey, quelques opéras
de Quinault, par la riches se de Piltn¥ination, par la simplicite gran-
diose, par le charme’ nsnaie du. style, sont -capables ce produire
une illusion complete, de salisfaire enticrement le Tecteur. Nous ci-
lerons particuliérement Atys, ot toute la puissance des.dicur et tout
le pouvoir des hommes semblent, ep réalité, conjurés contre deux
amants; Roland, otvitetetent ‘les: plas heureux contrastes, oti les
amours d’ Angélique ‘été Miter sort peintes des plus tihiches cou-
leurs, of la erp nse “We Adlartd' set trite’ ane facon si
wee ag # Sh Shah ma Nae il ya, méme dans le cinquiéme : acfe,
rials oe ou e diet endormi révient a A Yay raison
eng A nee cS biases Ph eet chose dé” gta
He ttl ni ame. us préferons ¢ de beaucoup"
4A fn a ine ite q } sa it fe ‘heuteux, inoins Original
a eu dire. Ce" inagniffghé posrig a,
mire. i emlé Thablles criti Hos: ef surlout par es,
7 8 are nf oe ike jug es’ de Quins qui Pont This |
UT 4 JOU en osiqus, out le dé connait la’ belle p nrase, non
pas Py i a a “belle. phrise tout te Spl, 4 fT i Jet ent avee ’
a poe aalaacoli, ave 8 ng sy BO ain apr vuwaMy
ley DALI OK: ) brides gua. 7H alle, quiler} ge Hols toede d ou Geobae
Quinduld expetia; dans bau épititiend de vorsu Le phrase quiib-répéte:
etiiopjours celfes huitudoitile lp lus metundllempnt revbnir,icele qui -
formeddé fond drome dé tavaitdatioty U dvel oppée: dandiila\ suénd. Tous!
les vers sont d wnedlotbeuripéndtvante) ipasitrop brillantp; pastrep:|
édetants Ween j-cdinmbitertuinsveds dy Radine, ves obdaatés qa/il
faubdékowerie; plulds piclics beodi és hyd sahlent avd yodq.On)con-l'
goit parfaitement combien Lulli tenait aux vers de Quinault, et qu'il
' 38 LB THEATRE DB OBINAULT.
renoncat & mettre en musique ceux de la Fontaine. La Fontaine est
plus poéte que Quinault par l’expression, ses couleurs sont bien
plus vives, ses traits bien plus marqués; il a bien plus d’éclat par
lui-méme, trop d’éclat pour 18 ‘musicien, qui n’a plus rien a faire.
C'est un grand art, de faire de bons vers propres 4 étre mis en mu-
siquc, ‘Racine avait ‘det-arkla, 2. un moindre deprd.que Quidault,
pour l'avoir moins-pratiqué:que led; mais il. est Certain: quelMalidre,
l'imepmparable rsmeury, pe: Havait! quia un: degré: taésindéaieyrs et
que-Corngibte ne ll’avait “pas! duteuti C’est.la gloire, poopre de Qai-
nault diavoic porlé cet art!iphis doin que personmes i os tgs
Neus ui mons moins Jeb ppémesidontsil a pris jes syyjets-dansilaFa-
ble..H sVanait ‘pas,..coname::Racine, de. sentisient: ptofond de:daali-
quite; iin’ btaiujainais, obmine dui, Grec.qu Romain. pak Jlexpres-
sidn> son aloridancest: sa deveeun sont Aovles fnancasses. Nqns fal-
sons exception pour quelques belles: seésbside id opéra-dq iY ager-
pineoti pours quelques passates: génirotement -adimives, 1: camhe le
midndlogue) de Méduse, ee ent als laad versainmisbg-
INentdomponémeigneciio’ eearoidiGs eng doe GU TRIO oe 8
‘On alpepredhé 2 Voltaire: Wayoir: fropi qucfail talbe, poéle, easime
‘ors avait rdprochd/& Borleuw de: avegr (nop sdbawsiudl sbraitdndésiter
que Voltaire mteppas excouru d'autres repradhes c on. o-puealt pas
‘depaiag ate justisen, 1] était. naturel qu'itipariat:aved obqlennidiun
homun > -quiorr peut gaolifier usahs: esate -daimom dhom me. dt. gé-
mies ‘qd i]‘en parldty.did-je,caved itobt: Fenthousiasme vebgeur ddan il
étai capable; Boitequavdit.été tdep boupplétémeht injoste ipmitique
son injustice nb détermenit pdsumbrvinleste réactidn Du'resta;Jes
élages ni Jesicritiques njont guéneinilaenceiaupsds: dellaipoxtérité :
‘elle juge les! opuvees: pour! ce qafeltes, Sont ,.e0-qaand lune iehdseume-
- vite dq vivre, 'iqabkd zildvest srecon moe tinaiment ipnepdeslémoysi ce
n'est ipas paren !qa’alle aidt proclamhée tells par; Pierne ou par Pant,
c’esti paros qulalhe est lice em néalitéueisced 1 oven bles me
' Ldhaepey, qui w'aphs dé un metrde ¥ Astratey) et qui; bdmmeindus
Vavons via -judéid'antpew lead ta Mere. leqyaette; ihdhatpe a marlé
“des opéras dv. Quingult en fort bons iteem@s; ef avec: hiner jaste admhi-
ration, 'G’est Fopinionde Voltaice qu'il cemmonie et-déyeleppeyet i!
est faciie'de voir qua detteopmion dud imipese! ‘Maisiquéit quidbibdit,
et relournant Fayre manééce Angérieuse contre Lath Jes verscdasba-
tiriqadret +: roannioaerh aig) of ounidtoddnd ofcop empb
re 2 ae paspensting nels ated wintpwitiad-vastiews rvs Zl AeTeTe
min —. Gs.pacpads iba dermone, ofyaz etiem
SE eae: ~ Gueresmule Guinault du ult day a OR SFRIRS Ge Jerid ation
il est trop évident, nous Jerépétona, iquiid ebbancore kous deneoupode
Pexemple.d’irrévérence donné par le maitre, et qu'il est toujours
tenté de mettre une sourdine a ses éloges.
LE THEATRE DE QUINAULT. 89
Poe fatu ney paren, i? te oe? in,
PEP UG tebe de be te VJ the
OM WG eh ap agha cee eres a) sane Ore) ey er ae i moos
TucQuipaaltoaveit: fats beaweany de poésies:-Slles passérent, dit-en,
ented les; muinsd’tn de ses gerdres qui,; pour ss.conformer au veu
! exprimd en mburan® par son; bean-pére; pe jugea pas a propos de
des divper nq public. Faut-ib le. regretter? Non. iLe petit poéme des-
criptif, en deux ekants, sur ja maison de.Sceaux créée par Colbert,
ton paghtabigy-ou plutét. tout obrtenx)qq’il tea lire, ne saurait rien
lgputer 4 Jal giqirs de Vasteur. etme.'penmet pas. de: cvoire qu'il ait
‘expel dags:umaulregense.: Génie: fneile et. abondant, il avait. be-
- dot, Poep-se proluite avec tous: sia aaa de pane entrave
‘qu¥inpbse teyjdurs le-thédMres!i - 1
. sifigus ne veuldus pas derminer calle bine sansie aapeiriee un veu
,Gdnt ddus ies ampsdes leltresmeuis:sauvonl gré.. Les éditions du théa-
trede Quinault ne sont pas nombreuses. Nous:a’en.connaissons que
ndews :'ene,:de$750, quiiest compléte, mais qui est défectueuse en
rbeabooup'de poirtss:Rautre} qui ie icontiant: que. la Mére coquette
. Cetiles iopérasy aveo!le poémoe de Sceaux, iautile ornement. Nous veu-
Judbions igde be maaisom Hachetfe; epaiiest;en drain de nous donner de
- ‘bebles: e¢ consdiencieusbs ditions de-nos prands classiques, nous en
'. bfftit ene deumatelt: Ml y-fdudrait uae, préface of: le poéte fut remis
“Méfinngi vemeant A.1a place qa estdigne:d’ eccuper, une préface écrite
“epbe style sobre eb ferme dont quelyues horomes de goil ont encore
‘le sboret: Letresweil:pourrait eommniencer. par fas Rivales, cette piéce
sage? Qin paul b comspesa, fac Pape! de; das-huit:ans, qui n’est pas en-
" Par me irs daparcenite on vers aimebles et faciles, et qui servi-
‘tsmontoar id) pnopigtease disfaneg qu'il a:franchie pour arriver &
son chef. d’ceuvre. On pourrait doriner ensuite Agtipna, nosd’ Albe, ou
-Ulefaussr Bab érinpuss traghdie torhamesque sanydaeute, et qui péche sur-
‘Htoptpante dhdix-dasyjet, mals of éelatent des quabitds réelles, les qua-
hikes preqresidw potte ;-puis-Niendratent Asfnate;:la Mére coquette, et
It teusdgslopébam Decewxre) ik ne faut écarier aucun; les plus faibles
ibdtdédnvadepr.; Odtle edition n’aurait pas plus de trois ou quatre yo-
cdumbesy}cot ceb trois ow quatre volumes, ainsi-composés, se rangeraient
dans toute bibliothéque de littérature dramatique immédiatement
aprés les ceuvres>de Motiére, de Corneille et-de Racine. Ces trois
maitres seuls oftt 4é Broit de marther avant Quirault — qui est un
mattre aussi, un ‘maitre ‘dont “nos compositeurs de livrets d’opéras
‘hop convo re plus dune: eoone legon & recevoir.
rumjust =o Tee ERNEST SERRET.
tert tL depee dy Te feeb rye isd. a
Peep eerie yefla catenins th sean ea sh cecpeslasith es
Spot og eameeteat. dal hob olbutiraeea eyo b eet lever enele mosd
eeporos tt ett Pte oof treat midget, fy ots abe a'tarip weve seats ye eyf
Cr ee | platy -Oretpeaad procter ay FE ee ee A Woeepresb ge neh
o fia VisEL White in “a9 mar ip nh ig aagaters 2 laa oy Ha ne
~foosc dea ou ee hs i; SYN OF ets Saou
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CEGLISE' REFORMER ‘DE FRANCE:
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tn) Me Pe CT papedely 4807244 shoycgraler gta d oh olla
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Vetted AA grep pl ge bo de derrdasaqay 12
+4 raft tt vag long [ Fel Cb beng) nda iy* TVs it ‘ye tie MOT KO Ce “Hole Tene iT
a cs et a. th eestor s. o al ed) revloeearh grea te?
4. : and | e foi 1 Me : ag iL Seo oshowre ob yur olor
age nd une fa is of Attia a Brave, ci POMPTe AYER
ee 18 i ani catholique ef de Vautorals id fa ibe Fine B25
rans Par cela méme un regiipe, Anh finyment, laborious Apt deSub
otf eet, comme Je Individys,,.dqivent aRVaHe AGRERISAPS.9R A
TITESTOE LISTS LLL Se LEO ie IQ feeb dl
G Ce n’est pas, tine ipetite ques ion, que de ayoin. She, ij bre pra
men condui nicessaftement, les sa saciélés qui, eat Ee ; Hes ie i
cenaeaieat et clest-: dire ila A 19» 94, fl, In ie 6n9:
ici,conime ailleurs, est capable de fap agai en lesaues.ap el Hit rth
a causées, ~ TOC GL QUT: 4 $9 eo noOmnme
« Nous ng Savon pas, ce, qu A fay altens dred | sytlo dg, pratestans
actuel; ‘mais, quelle qu'en post Figspe, il yah QU UF RAFA AIM
renscignement de plus pour Pélude. da alta grave question eatin
Crest en, ces lermes qu'un ont dont] es afl waa deprotesr y,.;
tantisme, sont bien connuies
gail, be Ml rp ‘ys
du synode ‘général’ convoqué ate neta ; eds Fe. Nee ae
La question est trés-neltement posée dans ces lignes, et pour qui-
conque a éludié, particuliérement dans les soixante-dix Laid
années’ deve sidcle, les vicissitudes docttinales et distipl Inaircs
ie eae Bow
protestantisme franeais, an poukaflicme ae. elle.¢ ef, resaluen Jos eve dane,
Ce. qu'est devenna.l’Eylise réfarmée .da, Beamce:sous..J’action. du, ....
libre examen; oe'qu ‘elle av fait, “non-soulenient: des Vieilles ‘eroyan We
le
br
SO
tio
‘ Voir ies articles du- Correbpondant; du os, juittet et du 23 coaateata al have,
3 Le femys;: $ shin 18721 | plea beet yc ay toe eid oe a Wlose sb sau
LE SYNODE GENERAL DE L’EGLISE REFORMEE. 92
ces théologiques de ses péres du.seiziéme siécle, mais, ce qui est
bien plus grave, des données essentielles de la foi chrétienne de tous
les siécles; avec quelle audace de destruction le parti des indépen-
dants ou des radicaux a sapé les fondements mémes de la révélation,
en niant résoliment existence et la possibilité du surnaturel’; com-
bien, en cette heure é ion du protestantisme
demeurée sateen any mini the ne ga sho cette at-
taque formidable; quel courage elle y a déployé, et avec quel insuc-
cés elle a combatlu; comment chez elle des intentions excellentes
meee fpleciepx, et per quell, inexorable -
faved ‘ hi an in paid ney if }agetiin ngG Cunt ndualte:
contre l’autorilé s'est trouvée inhabile a défendre 4 son tour l’auto-
nité contre la révolte: l'histoire du protestanlisme en général, et
celle de V’Eglise réformée de Fiancd ef-barticulier, a mis tout cela
en pleine lumiére.
Si cependant il était nécessaire d’ajouter-ala force de cette dé-
monstration ; si on pouvait se méprendre encore sur |’action néces-
sairement dissolvante des principes générateurs du protestantisme,
tense du synqde aati de ats west sssenuerenent faite our
2 bce ae dg iii :Enrassista dug débals de e cette I
¢ nit ib gi « Tes walls el “Tes indivit .
is its h radi a 1s‘ tay ermination, de ‘tompré a avec
Cipé de Pinte’ any Ms te intaiflible; ont ‘em.
i par cela méme un ifgime infiniment,laborieux. » , _
Toate 4 ilo at b sii c AM gime’ ‘laborieuk Fe Wat ssemble ”
i ot Beli lés cdtituld 1, Pontes - Ae git ‘préedde répa-
rent’ 1% nn i i bbidlt if ibossatebtnent east .
romiatiiea Was’ aupralhe tee eduilstons da “Pagonie | Ah .
annoncent et re arent | F .
ASS BAT i fad a parti he Ha’’Solut lion'dé ‘eat impo por-,
tt BOSE! TAME pbc lan I TAIsOHioH 4B tober dS”
a Teta Approfontie'd "passé, Heath altel nti de’ ae
oa rune ts { fisfnie i i abl th Me! Hesure cés con- P
Asi 1 deta ith ite elm ietlite’s Sur, BN
min dd I peituagent ne wh Pos ee
enip qnogis esau evo brine ahi coc Jaen a ’ a erie side my
SP otgeig 7b qnewnenk col earh is TOR SMIESE JED AEs Pootbibe owit a,
Fe eave gl mie aha Je, domme ovina. fe sent £1518
ra u
of
ar les secrétaires du ‘s node ; 2s les j jour :
naux orotestant it a bh faade cH ‘Wels ' ebate dd Tasseribl&e; Ye Christianisme *
ax dibneadttate bidels, orgundsda ie ovthbtloitel; 24 Renkisaanbeet Heigivore’
anes de pestiih tral + lecsfounnal del ffensyeg 115° Ins:Viscotts iep byochuresipabliés |.
par plusieurs des oraleurs du synode; 4° enfin, et surtout, lHistoire du synode,
par M. le pastensr Byrsiets: qui ja menegententent..neproduit Jos. prootseverbanx: au '
thentiques des secrétaires, mais inséré in extenso les discousslesipysimgortanid,
92 LE|GYNODE- GENERAL
a : f o ey
' ’ rye eee eee ee tf ote ane 4s cs ae ae ave aT ee : P
‘ "ee cree gp oupeeps sy | Pe ae
e
ern eet repens
Se aha OP oat aa te ag hy. ae icioate abe, V4
rest des arp gh Foe |
fa Seale pers ’ eo ae ra | ‘ 1 a | B 7h 5 i! anys) be Ne 4 fry “it ’ bapey
Py ‘ . ry 1
. ‘ (. ; ,
Hy! oom a, 8g ’ st, no tf t vit F) $y cpeaalis of eerde Grey tas je if
ae , 4
Les questions principales successivement examinées et-rdsohnes
parle synode géhéral de 1872 ont Oz et i tee ye ad
4° La question préalable de sa propre'compétenebs > h ris..
2° La question de la confession de foi. say
3° L’éxamen ét la discussion du ‘projet da loi organique destin &
fixer désormais le mddus vivendi'dé'l'Eglise réformée do Frenes,.et
4 résler ses ripports avec PEtat. 9 te
’ Sur'toufes et chactine Ué“tes questions nous venrons- ¥aeqen (wer
lantagonisme des deux principales fractions du-protestantisme fran-
cais, le parti orthodoxe et le parti libéral, entre-lesquels ik eat, aiffi-
cile Massigner une place bién'nette!d-ce que Vora abpeléy-dags un
style plug piirleméntairg qué thiédlogique, le centre: gauche, ee centre
dant loiljours trouvé en ‘commiunatté de doctrines et-de-votes arec
Ja gauche proprement dite, sauf en ‘qhelques points de peu d'impor-
fance. '- . Ce eS Seen ed LCT] aT to 6
1,7 self _t ', ty ‘ ; es i arte Wheres i
ome a ne a by
Dennons diabord quelques détails sur l‘organisation de Vassembtée.
Le déeret qui autorisait la conypcation d'un synode générat avait
firé ke mode d’élection des députés deca synode’,
Les.cent: inois comsistaires des Fglises réformées de France ¢t d’Al-
gérie élaicnl répartis en vingt et une circonscriptians syriodates: Es
+ Chaque consistoire devait élire; pour ses représenfants au sytigde
‘de sa-circonscription, un pasleur et un laigue., |
. Ces.représentants, réunis, dans un des chels-ticux’ consistoriaux
de leur cixconscription synpdale, avajent mission, d'élire ‘tes! dalé-
gués.ausynode général, ..,. 0 os
. Le nombre deg délégués A. éline était fixé' @aprés le nombre ‘des
pasteurs de chaque circong¢ription synodale, 4 raison dai délégué
par six pastaurs, . A ee iii
La moilié.de ces délégués, si, leur nombre était pair; 13 moilié,
plus un, si Je nombre était.impair, devaient élre laiques. “'
Les' élections eyrent liey dans la premitre quinzaine dé ‘iars. Le
Cpferae 4,
Teeny 4
'
fs .
t ’ “yp 4) i oe ee hr ee a 1 2g; }
généralement revisés par leurs auteurs. Je ne fais que ie a un defpir de justice
en remerciant ici. M. Bersier de la courtoisie avec Iaquelfe if m’a fait hommege de
ces deux volumes, auxquels je renverrai pour'la plupart des eitations../..
‘ Le texte de ce décret se trouve en tate dei’ Histoire dui synode, par M. lespas-
teur Bersier, t. I, p. 4: a ’ a ee ee eee
ae f ge ‘
DE FRCHISE NSPORMEE. 95
44 mai, une circulaire de M. Jules Simon, ministre des cultes, fixait
au jeudi 6 juin, 4 Paris, la réunion du synode.
Les délégués étaient au nombre de cent huit, dont quarante-neuf
pasteurs, plus seize suppléants, qui furent appelés 4 remplacer des dé-
légués empéchés de participer j Jusqu ’au bout aux délibérations de l’as-
-gertbhbet) oc \irte svn Metts
Le mercredi 5 juin, une roungoN: eligiciice: préparatoire aux tra-
vaux du pynodey soups tien: nig ie euple as l'Oratoire Saint-He-
aor
‘ulitedtscoerss prondndé pre, M Je, pasteur Babut, de Nines, avait
‘soasieaieL e lataninignage: qua Jisus.se rend.A lni-mndme. 5
A lui tout seul, le choix de ce sujet, est .une réyélation sur Je, tra-
‘wallapa’ ¥ ext oparé> nr Sein, du,protestantisme francais depuis deux
“MMableay-destaaidire depuis) laiconvacation de #68. derniers synodes
‘Dida dpavkt rbprapbrerisy:)!):+. Fog at tae hecagh tes eee
'Y Matrefdisylennent qup wisail.j apeu, pres cpnslamment. toute pre-
“Ghat ton prdlestastay,o atajié A gline homaine,: Depuisy Ja hataille s’est
‘doplabéeplet-densi-in. premitirea.circonstadce solennelle on Je prates-
“Egiticine fakes; imendu,,d,dyi-mage, rafronve, Par, la’ convocation
d’un synode général, la pleine liberté de sa discipline, ‘son premier
besoin est d'aller droit & la question sur laquelle ses pasteurs et ses
ba FOR Pie d’ kia
pte aut Je y bien’ mharyaér, cebte-ddthd istration: de da. divinité
de Jésus-Uhrist, éxpp sod par} : Babut avee'ane ‘pratide ‘sobiditéid’ar-
1eyReal aya et de ddductiing theofotiqdes) chuntes# pas au
rea sme du det a Télerhet | erfndm? de 2a ‘fol chrétzenne, que
afb ps raph be aser® Cé ‘quit’ combut ‘itis! /¢e'intebt nil Lelse, ni
omet, ni Socin, ni Volfatte) ni' Stradss, ‘ni feats tout régents imi-
date: tridologiens ét dés’ nasteutts: qui se disentichrétiens
set nets WA der iy ons ‘cette page Papologic uw decent particulier
de fists. Toho irae Se fait! ie ra pes expridner
sofantes, gisses, plus on ifs sent viv ent! da ‘28 Jangage: con-
“ABE oF Piae si ie ay att en ‘Hlessé dans ses coh ialions les plus
rey 4 a iH si bien ad (HEME Ge Papotdbiate: vet cb caper
M rai pas 4 discyter quelques propositibns, doce dis-
‘aio BE ee fe aNd °g ts rd dé VEblise eathbliqueselles n’y
) I
5 f r ainsi bie Wa tied de remniibiscenees-dupassé, et
scr ib bit xb AG viele tradition-qal d'dillents, on
PH dlit singuli¢rement en face des terribles problémes de la
canna a aeraptte H) einl ad gh eta nt DOR LY od 8S OT
a Etrange.et pian ination’ (Ge n’est plus mdi qa fair cest
“St! Te pastor Babatip:Nons n'a vons, plus. rjen.a. eran re du gou-
vernement ni de la société qui nous entoure, mais ngs divisions
Ok 1.4181 S THOTHE: GERBER AL.
AgtGrieuites :pois:-fonb-plass ide. mal «que: ta:.perséeution éllesindme
iB jaciais pu sous.en: fairey Nows,avonsitoute tiberté: pour! affitmer,
pour iprécher, dans une prande mesune pour prepager ros croyances *
mais, eames Koglise, nous: ne sovons: phos! caactément: te: que nous
crayona’,. Bots bab at ge ehh de pee gto yal 7 Weloe toby bob Ds AU
Quel aveu! comune s: sa lumidre on. ge: rend.n- compte exttet- de
la: marche suivie par. le protestantisme depurs ta nakssance! -'
.. [Lest sorti:fidrement des rangs.de PEglise cathelique,. Peoceeal
de superstilions et: d‘idolatrie, et.'se: vantant qu'avea: l'Eoriturd, et
VEcriture seute,.il. maintiendnait, dans toute.sa eee los dapot de
la vraie: foi, sans supertétation et sans altétation... 3 aoe
., Trois, siéeles s’écoulent.; He OSs
Trois siécles, ce n’est rian pour: ane eliglzal La grindeLisive chee
tienne du temps des Césars resta plus de trois siécles dans les en»
traves et. les ténébres des. catacombes; quand.elle en. pat sortir pour
se monizeran.grapd-jour, alle. clait:dans toute la jeunesse d’une'foi’
affirmée et,confirmée.aui milieu des- “phus.coustantes: et des: plus tere
ribles perséculions! 2 shih ele ee ee teed
Elle aussi, cette société religieuse, qui a si ouvertement Nigeion
avec PEslise catholique pour cauge de foi, est appelée,,aprés trois
sidtles, a rentre'un' ‘compte public de ga situation. |,
Bt daris cetté réuition’ soléniielle, éllé est obligée de contest pen
a coMME EGLIsE, ELLE NE SAIT PLUS EXACTEMENT CE QUELLE GROIT! p -
‘Mais,’ pour faire ressortir davantage importance de cet ayeu, cae
pital; it faut ne pas Je’ séparet des actions de’ graces rendues 4, la,
Providence pir Mi le pasteur Babut, ‘pour les facilités ‘singylidres,
dont: le protestantisme jouit ‘au sein, des Sociétés modernes,, celles,
a @affirmer, de précher, fe propager ses croyances! »
Le Psalmiisté disait : « Je’ crois, et c’est pour cel que j ‘ai “parle:
Credidi, propter quod locutus sum. » En effet, h’est-ce pas la | premiére ,
et indispensable condition de toute propagande, quelle qu ‘elle -d
Avant'de précher aux hommeés une doctriné, n ‘est-il pas d'une
sélue nécessité que ceftt doctriné ‘existe? $71 § ‘agit ‘surtout, d arya,
cher les honimes 4’ une foi ‘que I’on'taxe, d’erronée, pour leur don-,
nef'une foi qit'l'on'estime ‘seule véritable, ne fouteil pas que. ceux.
qui préchent cette foi sacherit trds-netterndnt ce qu’elle est, ce qu ‘elle
peut, ce qu ’alle vaul? Nous avoris gous Tes yeux les ceuvres de, pro-,
pagande auxqutilles'se livre" Eg lise proféstante, les efforts de'pro..
sélytisme: faits‘ par ellé pour délivrer Anes dmés de ce qu’elle ap ate
encore quelquefois « les superstitions du papisme. » En altendan
cette Eglise qui jouit de toute liberté « pour affirmer, précher et pro-
« pager ses croyances, » ne sqit.plus, exagtement, 64.a¥- "elle ordits ee
{ Le Témoignage que Jésus se rend a lui-méme, p. 9. UE GE We re ©
De AibccIsHTARTORMEE. A
mapa & quel irégine labbricer ba: condamyent tes: individws et: ‘les
sonvotés qui qnt: pais ‘tan grave’ résobdtion de romps ‘avec te: print
clipe, de] uaité eb de: eudorsts + La ofair 8 ‘yatiénue , is'y sabtilise
pour ainsi dine, et ches. beducoup':d'Ames, «elle n’arvive plus & dtre
qu'une demi-foi, pleine de sous-entendus et de réticences, ne con-
chdant jes mots.que poor disputer ‘sumies chosesfien)
On n’a plus alers:’ se demandst:« si: Ja: bibérté-d'examen, appli-
quée aux choses: dé la fot, ést capable, elle toute | seule, de guérir
les blessures quedle ja sfaates. » Ors voit: trés-nettement lo mat: dont
elle -a..dt6 la-eause ; 00 ohereké, sans: potiveir l'indtquer’, le bien
dont ce mal auraifiété: Vodcasion. Et on: est réduit a dire! de pro-
testantisme , par Vorgane d’un de ses plus zélés et de ses: plus
congcierieichs défenseura,. queisa smuation est: = ‘étrange que
cpwellg! ony. fs edie eat My eria ne “4! {
: Gaualle, - certainertient: om; grange: moins quill née paratt; car
calte, situation pest que le eésultat - logique: ‘des ‘principes primitifs
dy profestanhisme. 'Quand-on 2 isens le vent; a-t-on le ore a 36.
tonner si on recueille les a ?
ugeners japon cc wa By pe apa *y
“Ye jeudi 6" ‘ain {379, - midi, le ynode. général de ies ré-
formée, de France s se réunissait sae temple du Saint- -Ksprit, rue
Roquépine.
Deédifice avait été, par les soins, de ‘Vagministration, décoré avec
bey ycoup, ¢ . gout, pour. cette perémonie. Le mur, intérieyp était re-
fans ont pn pourtour, d'une tenture en drap ponceau. frangé
ne ‘erép ine, d ‘or; les, ouvertures étaient ornées de yastes poy-
> $ en salours’ rouge. foncé ; dans le fond,.un dais de la, méme
a Surmonts d’ une crojx, couvrait,. la chaire et Yestrade ou sié-
ea 4g bureau. La (ribyne ayait elé placée au pied du slaliies Sur
la ichdire, s se trowyait une grande Bibleopverta®. |
fe tee trop ) Jasq) u’ quel, point ce eérémonial, ees tentures,
cee. ci . eal élé, goutés, par les, vieux huguepots du
temps a Agar} i ou par, les farouches camisards, des Geyennes, Plug .
d'un pate ene SB fui scandalisé de celle pompe exlérieure, ae on. di-
nif em ipruntée 3 aux solennites, eatholiqnes,.... ;
i le protestantisme contemperain n’ en ‘est plus A la thég-
eat seatmne el, dp dix-s tidme sidgle, i) n’a pas, gardé non
ii s Apres, rancunes et, le ur Jangage des. abaiaiian aiid de °
ann poh Gusta ibe aetna eh om ees ete!
Pde SH 2 PUG ti heres Oty afi, poatape abs See thf : hone
Qui vohtdin venitiabnh turbines hietent (ste, vm)" 3
. tale 46. ry nea: 7
96 LE SYNODE GENERAL
A part quelques esprits incorrigibles et attardés, on ne croit
point pactiser avec ]’Antechrist parce qu'on parle du pape sans in-
jure, ni conniver avec les abominations de la Babylone mystique,
parce qu’om met dans un temple protestant des tentures et un dais
surmonté d’une croix.
Aprés la vérification des pouvoirs, faite dans la séance du 6 juin,
sous la présidence de M. Emilien Frossard, doyen d’dge, l'assem-
blée se constitua réguliérement, dans la séance du 7 juin, en élisant
son bureau.
Lélection du président, ou .modérateur, pour employer le terme
consacré par la tradilion protestante, permit aux deux partis eatre
lesquels le synode se partageait, de compter immédiatement leurs
forces respectives.
Sur 401 volants, M. le pasteur Bastie, de Bergerac, du parti
orthodoxe, oblint 56 voix; M. le pasteur Viguié, de Nimes, appar-
tenant a la gauche ou 4 la fraction libérale, en obtint 49.
En conséquence, M. Bastie s’installa au bureau, comme modéra-
teur du synode de 1872. .
En prenant possession du fauteuil, le modérateur constata que
a le moment était solennel » pour l’Eglise réformée, et exprima Je
voeu que « l’enceinte du temple ne retentirait pas du bruit de débats
passionnés'. »
Dés le lendemain, 8 juin, la question de la compétence, des attri-
butions, et de la valeur du mandat confié au synode, fut.seulevée a
l'occasion d@’une déclaration signée par quarante-deux membres de
l’assemblée, déclaration empruntée au consistoire de Lyon, et ou
il était dit que :
« Le synode n’était pas la représentation vraie de I’Eglise;
« Que, vu son mode de formation, ses décisions ne pourraient
avoir qu'un caractére provisoire et consultatif;
« Et, qu’en cet état, il ne devait s‘occuper, du moins officielle-
ment, que de remanier les circonscriptions synodales et d'édicter
une loi électorale, qui permit de réunir ultérieurement un véritable
synode, représentant réellement et légitimement l’Eglise réformée
de France. »
Avant de résumer les débats qui eurent lieu au sujet de cette pre-
miére question dans les séances des 8, 10 et 14 juin, il faut en faire
ressortir la gravité, et montrer pourquoi le parti libéral choisit ce
terrain pour offrir la premiére bataille au parti orthodoxe.
Ce fut lui, en effet, qui ouvrit les hostilités. Les quarante-deux
membres signalaires dela proposition qui, s'appropriant la décla-
4 Bersier, I, p. 21.
DE VEGLISE ALFORMEE, 97
ration du consistoize de Lyon, infirmaient en-principe la validité du
mandas de. |’assermmblée, appartenaient-fous: & la gauche, quaique
tous des -nembres de 1a. gauche. ao l‘eussbnt pas scuscrite::
DéejA, vingt -ans: auparavant,- ce parti avait: été.le promoteur se-
cret de cette constitution de 1852, qui dotait ’Eglise::protestante
d'un ségigre beaucoup-plas autoritaiwe que hbéral, en meéttant’a
ma tate surf conseil eentral dant des menabres n'étalent pas'élag!;.
Nentseadement; pendant eatte période: de‘vingt années, ‘ce parti
ne s’était jamais associé aux réclamations élevées en faveur‘du:réta-
biasesaesit thy. dynode ginéral;.mais-on ‘sentait-son opposition dé-
clarie.a-une jnostitution disciplinaire:dont ‘le premier dévoir, comme
le pnemijensnin, devait étre de chercher-a rétablir l’ordre au séiv de
lEglise et de faire cesser la déplorable anarchie d’enseignenrent o
trinal, qui, divisait: pasteurs et-troupeaux
layqque lea Anstandes réitéréés :du' parti orthoduxe durent enfin
obtenu la convocation :du synode; le: parti tibéral, ‘dvant d'aborder
les. questions: de fond, trouva habile d’arrétdr Tassemblée, ‘des le
début de ses travaux, par une question prenenie en lian Se com-
GBive et ge
‘Cimaity grace A .nane - difficalté: constitutionnelle’, saralvaee® d’-
vanee fous les efforts dp perti orthodexe, et jaisser libre carriére aux
progrés du rationalisme radical.
hes: hasan Ne: ty. was slats Pas, e Tengagement ft trés-
Wf. she Cathe,
Voici, en sonata: les.Teisons javeaueee! ae lés Hibérauk pour dé--
oler jau synede'.le caractéve Kgislatif et: constituant,:et refuser de
le reconnaitre comme I’héritier légitime des anciens synodes natio-
naux, auxquels, d’aprés les termes de la discipline en vigueur dans
VEglise péarmée ot il appartenait de decider de toutes choses
ecelésiasliques.
49..L¢: igounernement. n, Pavait pas pu vouloir instituer par décret
ua. syhode législatif constituant, puisque fa loi de germinal an X
et l¢-décret-loi-de 4852, fondements de Vorganisation ecclésiastique
de-Keeglise da :France, gardaient un complet silence sur cette sorte
d’assemblée.
2° La: mode délection avait été ‘défectueux et ne permettait pas
de teronnaitre, dans le. synode, la'-représentation authentique et
autoriséeide LEg¢lise. En effet, outre que lélection avait été trés-
indirecte, et n’avait: pas pris inimédiatement ‘sa source dans le suf-
frage anizersel: des: fidéles,-te' groupement: des consiStoires destinés
a forite Tes es colléges électoraux avait é16 tout: & fait arbitraire. Tel
1 Décret-loi du 26 mars 1852, signé par le prince-président de la république.
10 Avan 1873. 7
98 LE S¥NODE GENERAL
consistaire, consosé de quelques centaines de fidéles seulement,
mais dispersés en plusieurs petites paroisses, avait pesé dans la
balance autant qu'un autre consistoire, composé d’une seule pa-
raisse, mais forte de. 20 ou de 30,000 dames. Or, s’il était juste de
tenir compte de chaque paroisse, petite ou grande, comme d'une
personne morale, et de lui assurer une part de représentation, i] ne
l’était pas moins d’avoi égard au nombre, dans Vélection d@’une
assemblée dont les décisions pouvaient avoir de si graves consé-
quences pour l’avenir del’ Eglise.
Tels furent les arguments dirigés contre la compétence législa-
tive du. synode par MM. Jalabert, Penchinat, Colani, Clamageran,
Laraac, Corbiére, auxquels répondirent, du cété droit de l’assem-
blée, MM. Laurens, Monnier, Guizot, Vaurigaud, Mettetal, Babut ef
Bois. ‘
Ces dernicrs orateurs justifiérent la legalité du décret de conveca-
tion, et, par conséquent, la compétence législative du synode, en
se reportant aux divers actes constitutifs. qui, depuis le rétablisse-
ment des cultes en France, au commencement de ee siécle, avaient
réclé les rapports de l’Eglise réformée avec ]’Etal.
Ik est vrai que la loi de germinal an X, aussi bien que le déoret-
loi de mars 4852, gardaient le silence sur l’existence du synode
général. Mais le silence équivalait-il & ]’exclusion? Il n’y avait pas
lien de le croire, puisque, dans ses considérants, la loi de germinal
visait dans son ensemble l’ancienne discipline des protestants fran~
cais, et que cette ancienne discipline établissait formellement la con-
vocation périodique des synodes nationaux.
Quai qu’on. puisse penser de cette argumentation juridique, par-
ticuliérement souteave pax MM. Laurens et Mettetal, et attaquée, au
nom de la législation,, par M. Larnac, avocat au conseil d’htat el
membre laique du synode, on doit convenir que les raisons morates
étaient toutes en faveur de la droite. |
Il était étrange, en effet, qu’au moment ou, par la bienveillance
du. gouvernement, |'Eglise réformée de France, longtemps main-
tenue dans une sorte de tutelle humiliante, était appelée a délibérer
sur ses propres affaires, et 4 soumettre a !’Etat les bases d'une
union concordataire, lassemblée chargée de faire cette grande
cuvre ne fat pas reconnue comme investie de la puissance con-
stiluante.
Les libéraux disaient, par l’organe de M. Penchinat, qu’om ne les
avait pas plus consultés pour la convocation du synode « que Mentor
ne. consulta Télémaque lorsqu’il jeta celui-ci 4.la mer‘. »
‘ Séance du 10 juin. Bersier, 1, p. 64.
DE VEGLISE REFORMEE. 90
Sile mot est plaisant, il faut convenir que l'argumentation étail
faible.
Aprés tout, les libéraux avaient pris part aux élections, et ils
avaient concouru comme les autres 4 la formation du synode.
Sil y avait eu des défectuosités dans la formation des groupes
dectoraux, il n’était pas démontré qu’elles eussent tourné & leur
désavantage, puisque le nombre de délégués par lequel ils étaient
représentés était & tout le moins égal, peut-dtre supérieur 4 leur
proportion numérique’.
' Enfin, on pouvait leur demander s’ils eussent contesté la compé-
tence législative du synode, dans le cas ou ils auraient obtenu la
majorité *.
Comme il arrive dans toutes les discussions, les mémes arguments
farent reproduits plus d'une fois de part et d’autre par les divers
orateurs qui se combattaient.
Enfin, deux ordres du jour motivés résumérent le débat et prépa-
rérent le vote.
Le premier, présenté par M. Jalabert, au nom de la gauche, ne
niail pas formellement la compétence du synode, mais l’affirmait
encore bien moins, et se résumait en une déclaration vague qui ne
tirait pas de son obscurité la question controversée’.
Lordre du jour de la droite, présenté par M. Pernessin, tran-
chait trés-netlemeni la question et proclamait hautement l‘autorité,
la competence et le mandat constituant du synode‘.
! D’aprés M. Babut, les deux tendances qui se partagent le protestantisme fran-
qis peuvent se répartir ainsi :
317,402 orthodoxes.
256,850 libéraux.
Ce qui donne 4 peu prés cette proportion, aux orthodoxes les § et aux libéraux
les & de Ja population totale.
Le nombre des délégués libéraux envoyés au synode était un peu supérieur a
cette proportion. .
* M. le pasteur Monnier (Bersier, I, p. 62.)
+ Il était ainsi congu :
« L’assemblée, appelée 4 se prononcer sur son caractére et sur ses attributions,
reconnait que les bases électorales adoptées pour sa convocation ne peuvent don-
ner la certitude que toutes les tendances du protestantisme frangais soient repré-
sentées dans son sein en raison de leur importance relative;
« Mais sous cette réserve, elle se considére dans ses différentes fractions comme
éiant auprés du gouvernement J’organe autorisé des besoins, des yoeux et des
sentiments des différentes parties de ]‘Eglise, et comme appelée, & l'égard des
communautés protestantes, 4 faire une quvre d'union et de pacification sous les
inspirations de Jésus-Christ, chef de l’Eglise invisible, dans la communion duquel
elle veut travailler a l'avancement du régne de Dieu en toute vérité et charité. »
* Voici le texte de cet ordre du jour :
« Considérant que le présent synode général a été convoqué et s'est réuni aux
100 LE SYNODE GENERAL
Une derniére riposte, plus tumultueuse que le combat lui-méme,
eut lieu dans la séance du 42 juin, en présence de ces deux ordres
du jour.
Des mots vifs furent prononcés. M. Jalabert articula contre les
orthodoxes le reproche d’avoir fait illusion 4 I’Etat, en créant « des
nécessités volontaires, » et il affirma de nouveau que le synode
n’était pas la représentation fidéle des Eglises.
‘M. de Clausonne chercha a tracer au synode une voie moyenne
entre les deux ordres du jour proposés; mais, aprés une réplique
de M. Bois, la motion de la droite fut mise aux voix et votée par
64 voix contre 45.
L’issue de ce premier débat était favorable aux orthodoxes.
Mais ce n’était la qu’un combat d’avant-garde, et c’était sur la
question de la confession de foi que devait porter le fort de la
lutte.
IT
in votant l’ordre du jour de M. Pernessin, le synode de 1872
avait affirmé son existence constitutionnelle et sa compétence 1é-
gale. Il s’était proclamé l’organe autorisé de l’Eglise réformée; il
avait renoué la chaine des traditions et s’était rattaché 4 ces an-
ciens synodes nationaux du dix-septiéme siécle, gue la confession
de fot primitive du protestantisme francais avait investis du pou-
voir de « décider définitivement et résoudre de toutes choses ecclé-
siastiques*. »
C’était, assurément, une importante victoire remportée par le
parti orthodoxe. Aussi, bien que cet avantage n’ett été obtenu qu’a
une assez faible majorité, 11 se hata d’en tirer parti, en abordant im-
médiatement la question fondamentale, celle en vue de laquelle .le
synode avait ¢té précisément désiré et réuni, celle qui pouvait déci-
der Jc l'avenir du protestantisme : la question de la confession de fot.
a termes des lois et décrets qui ont réglé le régime de lEglise réformée de France ©
« depuis son rétablissement ; .
« Considérant que la convocation et l’élection audit synode général recounaissent
« et consacrent les libertés et l’autonomie de I'Eglise réformée de France en ‘ma-
« tiére religieuse ;
« Considéranf que les élections au présent synode général ont été faites en
« pleine liberté avec le concours de toutes les autorités religieuses appelées a y
« prendre part, et que le droit de I'Eglise réformée de France 4 modifier, s'il y a
« lieu, son regime intérieur religieux, notamment son sysiéme électoral, quant a
« ses synodes futurs, reste entier et pleinement réservé, passe 4 l’ordre du jour. »
‘ Conf., Partie discipl., ch. IX, p. 7. :
DE VEGLISE REFORMEE. 401
Dés les premiéres séances du synode‘, M. Bois, professeur 4 la
Faculté de théologie de Montauban, avait déposé sur le bureau la
déclaration suivante :
« Au moment ot elle reprend la suite de ses synodes, interrom-
pue depuis tant d’années, |'Eglise réformée de France éprouve,
avant toutes choses, le besoin de rendre grace 4 Dieu, et de témoi-
gner son amour a Jésus-Christ, son divin chef, qui l’a soutenue et
consolée durant le cours de ses épreuves.
« Elle déclare qu'elle est restée fidéle aux principes de foi et de
liberté sur lesquels elle est fondée. Avec ses Péres et ses martyrs
dans la confession de Ja Rochelle, avec toutes les Eglises de la ré-
formation dans leurs divers symboles, elle proclame :
« L’autorilé souveraine des saintes Ecritures en matiére de foi;
« Et le salut par la foi en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, mort
pour nos offenses, et ressuscité pour notre justification;
« Elle conserve donc et elle maintient 4 Ja base de son enseigne-
ment, de son culte et de sa discipline, les grands faits chrétiens,
représentés dans ses sacrements, célébrés dans ses solennités reli-
gieuses, et exprimés dans ses liturgies, notamment dans la confes-
sion des péchés, dans le Symbole des apétres et dans la liturgie de
la sainte céne. » :
La discussion de cetle déclaration, commencée le 43 juin, se
prolongea jusqu’au 20, et remplit sept séances consécutives.
Ce long et grave débat doctrinal entre les deux fractions du pro-
testantisme francais mérite d’étre trés-sérieusement étudié.
C’est pour nous préparer 4 le bien comprendre que nous sommes
remonté aux origines de la querelle*, que nous avons raconté com-
ment, depuis le commencement de ce siécle, les deux tendances
avaient tour a four prédominé, au sein de I’Eglise réformée de
France ; comment surtout, depuis 1830, |’antagonisme s’était accen-
tné entre une partie de cette Eglise qui déclarait vouloir se ratta-
cher au passé en demeurant a la fois chrétienne et calviniste, et
tne autre partie de cette méme Eglise qui, interprétant 4 sa ma-
niére une parole de saint Paul’, faisait pour ainsi dire table rase
dn passé; repoussait, non-seulement la théologie particuliére aux
écoles du seiziéme siécle, mais le sens traditionnel et universelle-
ment accepté des dogmes chrétiens, et se déclarait hardiment le
christianisme des temps nouveaux, précisément parce qu'elle ne crai-
! Séance du 8 juin.
* On trouvera ceite partie de notre travail dans le volume qui contiendra l’his-
toire du synode général.
3 «J oublie tout ce qui est derriére moi, et me dirige vers ce qui est en avant. »
(Phil., mm, 44.)
402 LE SYNODE GENERAL
gnait pas de rompre avec les vieux principes et avec une théologie
surannée.
Ce débat, en se prolongeant, s’était envenimé. De sérieux désor-
dres _s‘en étaient suivis. L’anarchie était dans Ja société extérieure
de l’Eglise, ce qui était grave; elle avait pénéiré dans le domaine
intérieur des consciences, ce qui était plus grave encore. Des pro-
testants libéraux de Lyon avaient déclaré, en novembre 1829, yu’il
était insupportable de « voir transformer la maison du Seigneur en
une aréne ou des gladiateurs remettaient tous les huit jours contra-
dictoirement en question les voies propres a assurer le bonheur su-
préme de homme’. »
Quarante-trois ans aprés, un pasteur orthodoxe voulant décrire la
situation de |’Eglise réformée de France, au moment ot le synode
allait se réunir, laissait échapper de sa plume ces plaintes signi-
ficatives :
« Au point ot l'on est parvenu,... l’édification mutuelle devient
impossible. Les contacts douloureux naissent 4 chaque pas... Gest
dans la méme chaire, c’est en présence des mémes catéchuménes,
c’est 4 la méme table de communion qu’il faut entendre, d'un di-
manche 4 l'autre, affirmer les vérités les plus édifiantes et les cheses
qui heurtent et qui blessent les convictions les plus sacrées. de
lame?, » ;
Enfin, dans la cérémonie religieuse qui avait préludé & l'ouver-
ture des travaux du synode, on avait entendu ua oraleur, apparte-
nant 4 la fraction orthodoxe, déclarer, avec humiliation et douleur,
Que, comme EGiisk, LE PROTESTANTISME FRANCAIS .NE SAVAIT PLUS CE QU'IL
crovarr. Et il avait, avec raison, qualifié cette situation d’dérange et
de cruelle.
Le synode ne pouvait donc échapper al'obligation d’examiner &
fond cette situation, et au nom de l’autorilé dont il s’élait déclaré
revétu, malgré Vopposition préalable faite par les libéraux 4 son
mandat constituant et législatif, ilne devait aborder cette ques-
lion que pour la résoudre d'une fagon définitive, autant, du moins,
que le Jui permettraient les principes mémes de la théologie ré-
formée,
C'est donc sur ce terrain d’une confession de foi & édicter qu’al-
laient se mesurer les plus vigoureux athlétes des deux parlis bella-
gérants. Jusqu’alors, c’est-i-dire depuis plus de quarante ans, ils
luttaient dans les journaux, dans les revues, dans les chaires livrées
tour 4 tour 4 des enseignements contradictoires; le moment était
‘ Destitution d’Adolphe Monod, racontée par lui-méme, p. 62.
2 M. le pasteur Bersier, Introduction 4 lhistoire du synode, p. 49.
DE WEGLISE REFORMEE. 105
enfin arrivé ou tis allaient se rencontrer dans yne méme arene,
s'aborder corps 4 corps, et se livrer devant la triple galerie du pro-
lestantisme, du catholicisme, et de la libre pensée, un duel A mort.
Je serats tenté d’évoquer ici un souvenir épique et de dire comme
Virgie, au moment ow il va raconter la grande bataille de Turnus
et de Mézence contre Enée et les Troyens :
Pandite nune Helicona, dez, cantusque movete ;
Qui bello exciti reges, quae quemque seculz
Complerint campos acies..........
Mais il me s'agit pas de passer en revee les combatants, et de
faire connaitre par des esquisses biographiques les champions en-
gagés dans cette lutte. Les questions de personnes disparaissent en-
lidrement devant les questions de doctrines, dont nous avons wni-
quement a nous occuper.
Au moment ot, dans la séance du 43 juin, la discession sflait
souvrir sur la déclaration de M. Bois, deux autres déclarations fu-
rent déposées sur le bureau, et lues en présence du synode.
La premiére, présentée par M. Jules Gaufrés, était signée par
tingt-neuf délégués; la seconde, lue par M. Camille Rabaud, ¢tait
signée par dix-neuf délégués, quatre desquels‘ avaient égaleme::
signé la précédente.
Avant d’examiner la valeur comparative de ces diverses profes-
sms ou déclarations de foi, il est un fait significatif sur lequel je
dois appeler l’attention du lectcur.
En se déolarant, par te vote du 42 juin, I’héritier légitime des
anciens synodes nationanx de PEglise réformée de France, le sy-
tode de 1872, ou du moins la majorité numérique qui avait re-
poussé la thése d’incompétence et d’inconstitutionnalité plaidée par
lagauche, avait entendu renouer la chaine rompue des traditions,
cmtinuer l’ceuvre que tant de vicissitudes religieuses ou politiques
avaient, sinon totalement interrompue, du moins singuliérement
rétardée pendant deux sidcles, et par-dessus ces deux cents ans,
donner la main 4 ces députés de Loudun qui avaient formé, ‘em
1659, le dernier synode national complet du protestantisme francais.
Or, daprés la régle constamment suivie dans tous ces syrrodes du
setziéme et du dix-septidme siécle, — régle mentionnée dans l'art. ™
du chapitre IX de la Discipline, — on commengait toujours par « lire
les articles de la confession de foi. »
Et la Confession dont il s’agit ici, est la grande Confession en
quarante articles rédigée pour la premiére fois dans le synede de
' MM. Martin-Paschoud, Athanase Coquerel fils, Viguiéel Gavbe
104 LE SYNULE GENERAL
1559, tenu sous le régne d’Henri II, et solennellement confirmée,
en 1574, par le synode de la Rochelle, dont elle a gardé le nom.
Il semble donc que le premier besoin et le premier deyoir de la
majorité orthodoxe du synode de 1872 eut da étre de confirmer, par
une nouvelle adhésion, ce premier monument de !’histoire dogma-
tique du protestantisme frangais.
C’était, il semble, la meilleure maniére de faire cesser, cet état
indécis et confus qui avait fait dire 4 un pasteur orthodoxe, dans la
cérémonie d’inauguration du synode, que, « comme Eglise, le pro-
testanlisme ne savait plus ce qu'il croyait. »
Nous avons, dans le temps, étudié avec soin cette Confession de
foi de 1559 '. Nous en avons analysé les artic'es les plus importants.
Elle ouvre un vaste champ aux discussions de la controverse, et
comme elle résume d'une fagon trés-claire la théologie de Calvin,
elle souléve plus d’une objection de la part de ceux qui font pro-
fession d’adhérer 4 la théologie du concile de Trente, et dac-
cepter dans ses décisions les arréts irréformables d’un concile wcu-
ménique.
Mais si le théologien catholique trouve beaucoup 4 reprendre et
a discuter dans la Confession de fui de la Rochelle, il est du moins
un reproche qu’il ne saurait lui adresser : il ne peut. pas l’acouser
d’avoir laissé dans le vague et dans !’indécision ce que le protestan-
tisme primitif regardait comme de foi.
Tant que ce document a été la régle dogmatique des Eglises ré-
formées de France, il aurait été impossible 4 un pasteur de dire,
ainsi que l’honorable M. Babut, dans sa prédication du 5 juin 1872 :
« Comme Eglise, nous ne savons plus ce que nous croyons. »
J’écarte la question de l’exactitude ou de Ja fausseté des doctrines
consignées dans ce document.
Mais, du moins, faut-il reconnaitre que ce sont des doctrines
trés-neltement articulées et ramenées aux formules les plus pré-
cises.
Le nombre et le titre des livres de ]’Ecriture proclamés canoni-
ques ‘sont mentionnés 4 l'article 3.
A l'article 5, il est dit, sans restriction ni limitation, que cette
parole de Dieu « est la régle de toute vérité, — et qu’il n’est pas
possible aux hommes, ni méme aux anges, d’y ajouter, diminuer
ou changer.»
C’est en conséquence de leur conformité reconnue avec cette pa-
role que l’on accepte les trois Symboles des apétres, de Nicée et de
saint Athanase.
! Voir le Correspondant du 25 juillet 1872.
DE L'EGLISE REFORMEE. : 105
Le mystére de la trés-sainte Trinité est trés-explicitement énoncé
dans les articles 6 et 7, conformément aux décrets des anciens con-
ciles, interprétatifs de I'Ecriture, et aux écrils des Péres qui ont
combaitu les doctrines ariennes, saint Hilaire, saint Athanase, saint
Ambroise et saint Cyrille.
Sont de méine mentionnées dans des termes fort catégoriques :
La création, la tentation, la chute des anges infidéles, le minis-
tére des bons anges (art. 7).
Le péché originel, exposé d’aprés les idées particuliéres de Lu-
ther et de Calvin, est dit avoir corrompu entiérement la nature de
lhemme, complétement aveuglé son esprit et dépravé son coeur,
sans lui laisser rien de reste, de facon que la volonté de l'homme
est entiérement captive sous le péché, el qu'il n'a que par grace la
liberté de faire le bien (art. 9-41).
L’article 142 résume en termes terriblement clairs ce qu’un pas-
teur de Genéve, M. Cheneviére, a appelé « le dogme épouvantable de
la prédestination calvinienne ; » il y est formulé dans toute son apre
ngueur, sans explication ni adoucissement, sans autre considérant
que « le bon plaisir de Dieu. »
Les dogmes de la divinilé de Jésus-Christ, de sa naissance mira-
caleuse, de sa résurrection, de la rédemption de l’humanité par le
sacrifice sanglant de la croix, sont énoncés dans les articles 43-17.
Le salut par la seule foi, l'inamissibilité de Ja grace, et les bonnes
euvres résultant nécessairement de la foi (dogmes ot se retrouve
toute la théologie primitive de la Réforme), remplissent les articles
20-22.
L’article 24 énonce et rejette formellement diverses croyances et
pratiques en vigueur dans !’Eglise catholique.
L’article 25 définit ce que le ‘protestantisme frangais entend par
Eglise, affirme l’autorité du ministére pastoral, et condamne ou dé-
teste « tous fanfastiques qui voudraient bien, en tant qu’eux est,
anéanlir le ministére de prédication de la parole de Dieu et des sa-
crements; » demande aux fidéles (art. 26) « dese soumettre 4 I’in-
struction commune; » déclare qu’il n’y a point d’Eglise 1a « ot Ja
parole de Dieu n’est point regue, ott l’on ne fait nulle profession de
Sassujettir a elle » (art. 28). |
Les deux seuls sacrements maintenus rar |’Eglise calviniste, le
baptéme et la céne, sont mentionnés et expliqués dans les articles 35
a 38.
Enfin les articles 39 et 40, en fondant sur l’Ecriture la puissance
des princes, leur reconnaissent ]’usage du glaive pour la répression
des péchés.
406 LE SYNODE GENERAL
La partie de cette confession de foi qui traite de la discipline n’est
ni moins précise, ni moins explicite.
Elle se compose de quatorze chapitres, subdivisés en 282 articles.
Les seuls titres des chapitres suffisent 4 montrer que les premiers
législateurs du protestantisme n’avaient rien laissé & |’arbitraire.
Chapitre [*. — Des ministres (57 articles, avec une formule pour
l’imposition des muins).
Chapitre IJ. — Des écoles (5 articles).
Chapitre III. — Des anciens et des diacres (10 articles): :
Chapitre IV. — De l’administration des deniers des pauvres par leg
diacres (4 articles).
Chapitre V. — Des consistoires (avec une formule d’excommunica-
tion conire les pécheurs scandaleux), 33 articles.
Chapitre VI. — De l'union des Eglises (5 articles).
Chapitre VII. — Des colloques (6 articles).
Chapitre VIII. — Des synodes provinciaux (16 arlicles).
Chapitre IX. — Des synodes nationaux (12 articles).
Chapitre X. — Des exercices sacrés de l’assemblée des fidéles
(6 articles).
Chapitre XI. — Du baptéme (419 articles).
Chapitre XII. — De la céne (44 articles).
Chapitre | XIII. — Des mariages (32 articles). Le divorce y est for-
mulé en principe, et son application confiée au magistrat (art. 52).
Chapitre XIV. — Réglements ou avertissements particuliers (33 ar-
ticles).
Nous ‘nous trouvons donc en présence d'un monument complet'.
Dogme, morale, discipline, rapports des pasteurs et des fidéles, rap-
ports de PEglise avec la puissance séculiére, tout y a été prévu, ré-
glé, décidé dans un trés-grand détail.
Si les changements considérables survenus dans la société civile
depuis le temps ow ce code religieux était en vigueur pouvaient étre
une raison plausible de ne reprendre qu’une partie des articles dis-
-Ciplinaires, aucun motif semblable n’ecxistait & Végard de la partie
dogmatique.
Les dogmes qu’on dit étre révélés de Dieu, et dont on n’a tiré la
formule que de sa parole contenue dans la Bible, ne sont pas sujets
aux vicissitudes des révolutions.
Ce qui était donné en 1559, et avait été assez fidélement gardé
4 Cette confession de foi se trouve a l'appendice de l‘ouvrage de M. Bersier, t. II,
p. 565-428,
DE VEGLISE REFORNEE. 407
pendant un siécle et demi au sein de |'Eglise protestante, comme
provenant de la révélation divine sur la prédestination, sur l’mamis-
sibilité de la grace, sur Ja certitude du salut, sur la seule foi pro-
duisant nécessairement les bonnes ceuvres, on ne voit aucune raison
théologique de ne le pas maintenir au dix-neuviéme siécle. Les ré-
volutions, les chules de monarchies, d’empires et de républiques ne
font rien aux questions de cette sorte. Et puisque le protestantisme
moderne, dams celle de ses fractions qui est demeurée chrétienne,
regardait comme un supréme péril de xe plus savoir ce qu'il croyait,
il edt dd saisir avec empressement l'occasion solennelle du synode
général de 1872 pour remettre en honneur et en vigueur la confes-
sion de foi qui avait donné a la réforme frangaise ses premiéres et
ses plus héroiques générations.
Quant & la fraction libérale du protestantisme moderne, si elle n’a
pas revendiquécomme son héritage la confession de la Rochelle, cela
Se comprend.
En effet, elle condamne cette confession par ses doctrines, comme
cetle confession la condamne par ses décrets.
Elle nie le surnaturel, la confession I'affirme.
Elle parle dédaigneusement des formules athanasiennes sur la Tri-
nité; la confession les proclame, non-seulement au nom de l’Ecri-
lure, Mais au nom des anciens conciles et des Péres.
Kile fait fi du Symbole des apdtres, le qualifie de document sur-
anné, de légende vieillie; la confession y reconnait l’expression
exacte des doctrines scripturaires, et admet avec lui, pour les mé-
mes raisons, le Symhole de Nicée et celui de saint Athanase.
Le libéralisme traite de mélaphysique étrangére a la vraie reli-
gion les doctrmes relatives 4 la divinité de Jésus-Christ, 4 sa nais-
sance miraculeuse et 4 sa résurrection ; la confession déclare qu'il
ne peut y avoir de salut qu’en Jésus-Christ Verbe incarné, vrai Dieu
et vrai homme, ayant racheté le monde par son sang.
Hl nie le péché originel, ou le définit de maniére & en défigurer
enticrement la nature; Ja confession y croit jusqu’d lexagération,
Jusqu’a la négalion de cette raison et de cette liberté dont le libéra-
lisme fait l'unique crilérium de toute docirine.
Il n’est donc pas surprenant que celui-ci repousse la confession,
puisqu’il se met en contradiction avec elle.
Mais il faut ajouter que si le protestantisme libéral condamnce la
confession de foi, celle-ci le lui rend bien.
C'est elle qui déleste hautement « ces fantastiques » qui parlent
et agissent contre l’ordre de I’Eglise (art 25 et 26); — ces esprits
indépendants « qui ne peuvent souffrir d’étre bridés; » — qui '.c se
«soumettent pas 4 Vinstruction commune et au joug ’e Jésts-
408 ’ LE SYNODE GENERAL
Christ, » et qui, bien loin de reconnaitre au magistrat temporel l’u-
sage du glaive pour la répression des péchés, n'accordent méme
pas aux aulorités ecclésiastiques un droit de censure et de police.
D’ailleurs, quand on pose en principe, comme le fait la gauche
libérale, 1a souveraineté de la raison individuelle en matiére de reli-
gion, on est logique, en n’admettant aucune confession de foi, ni
celle de la Rochelle ni une autre.
Nous n’avons donc pas lieu d’étre surpris si ce document vénéra-
ble de l'antiquité protestante n’a trouvé nul crédit ‘au sein de la mi-
norilé du synode.
Mais, précisément pour les mémes raisons, nous devouns étre éton-
nés que le parti orthodoxe et conservateur ne se soit pas résoldment
placé sur le terrain de cette primitive confession de foi.
On avait relevé l’antique discipline, ei: proclamant que le synode
de 1872 était le continuateur autorisé et l’héritier légitime des an-
clens synodes nationaux. Cet acte n’appelait-il pas nécessairement
la restauration de l'acte dogmatique qui avail si neltement déter-
miné les croyances des deux premiers siécles du protestantisme fran-
cals?
Toutefois, personne ne I’a osé faire; on n'y a méme pas pense.
- Jen‘hésite pas 4 le dire, le silence des orthodoxes vis-a-vis de la
confession de la Rochelle n’est pas moins significatif que les récri-
minations passionnées des libéraux contre la vieille théologie.
Ceux-ci Pattaquent, c’est vrai; mais les premiers l’abandonnent.
Le résultat n’est-il pas 4 peu prés le méme?
Ainsi, en méme temps que, au point de vue disciplinaire, l’or-
thodoxie protestante affirmait trés-nettement son intention de se rat-
tacher au passé, de le continuer, et de demeurer fidéle 8 la tradition
primitive, elle n’a pas osé faire ce qui était plus essentiel. une res-
tauration dogmatique; et, tout en jetant les hauts cris 4 la vue de
l’anarchie croissante des doctrines, elle n’a pas fait appel au docu-
ment le plus considérable de toute son histoire.
N’était-ce pas 1a cependant que se trouvait le principal reméde au
mal?
On se plaint que I’Eglise protestante contemporaine ne sait plus ce
qu'elle croit. La confession de la Rochelle le sait, et ledit avec une
trés-grande précision.
On se plaint que le naturalisme envahisse les mes; Ja confession
de la Rochelle affirme trés-haut l’existence du surnaturel. On peut
méme dire que, dans la question du péché originel, elle l'affirme
avec excés, puisqu’elle ne tient plus aucun comple ni de la liberté
ni de la raison.
Pourquoi donc, encore une fois, n'avoir pas tout d’abord recouru
DE L'EGLISE KEFORMEE. 109
ace reméde, préparé pour ainsi dire par la prévoyance des grands-
péres aux malaises intelleciuels et moraux des petits-fils?
C’est qu’apparemment on a jugé que le reméde serait pire que
le mal, ou bien que les médecins eux-mémes n’avaient plus foi au
reméde.
Le reméde eit été pire que le mal, en ce sens que si un synode
contemporain avait de nouveau réédité, comme étant la régle de
la foi dans l’Eglise, la confession des huguenots du seiziéme siécle,
i eat probablement élé seul 4 souscrire cette confession, et n’edt pas
été suivi, méme par la partie orthodoxe du protestantisme francais.
D'ailleurs, les médecins eux-mémes n/avaient plus foi au reméde.
Apart peut-étre de trés-rares exceptions, parmi lesquelles il faut
compter ce vaillant Adolphe Monod, qui souffrit et lutta si courageu-
sement pour affirmer les doctrines de la Confession de foi et pour en
faire revivre la vigoureuse discipline, personne, parmi les pasteurs
orlhodoxes, ne voudrait apposer sa signature au bas de ce docu-
ment.
Il est mort — deux fois mort — et parce que le temps l’a tué, et
parce que ses partisans n’ont ni pu ni voulu le ressusciter. Ceux
mémes qui tenaient le plus 3 la tradition et 4 l’archéologie en fait
de discipline, se sont sentis épouvantés devant cet exposé trés-franc
du pur calvinisme. L'inexorable action du temps a usé cette théolo-
gie. On se dit calviniste aujourd’hui, par je ne sais quelle maniére
de parler qui n’est pas exacte, puisque l'on n’ose plus professer ce
qu'il y a eu de plus original et de plus vivant dans le systéme de
Calvin.
Sur ce terrain tout négatif, orthodoxes et libéraux se sont trouvés
d'accord : ils ont tous répudié l’ceuvre de leurs péres*. Ce monument
de granit élevé, au seiziéme siécle, par le sombre mais puissant gé-
nie de Calvin, arrosé par le sang de nombreuses victimes, n’est plus
qu'une ruine. A titre de souvenir archéologique, elle pourra figurer
duns le musée de l’histoire, mais elle a cessé d’étre l’édifice qui abri-
lait le protestantisme frangais.
Que lui a-t-on substitué?
C'est ici que nous allons rentrer et pénétrer dans le plus vif des
débats du synode de 1872.
Avant d’analyser la longue et intéressaute discussion engagée ¢ au
sujet de la déclaration de foi présentéc par les orthodoxes, je vou-
drais dire quel était le sens des deux déclarations ce la gauche libé-
tale.
‘ Voir dans le Correspondant du 25 aoit 1872 comment, dés 1859, les pasteurs
les plus orthodoxes étaient unanimes a déclarer abrogée cette antique confession de
foi.
110 LE SYNODE GENERAL
Lisons la premiére, présentée par M. Jules Gaufrés*.
« Appelés 4 représenter au synode général un grand nombre de
nos fréres, nous leur devons de déclarer dans cette assemblée ce
que nous voulons et ce que nous sommes.
« Nous appartenons a la partie libérale de |’Eglise réformée de
France.
a Fidéles 4 ces principes, nous usons de la liberté, commune a
tous ses enfants, d’étre chrétiens selon nos persuasions intérieures,
sous notre seule responsabilité.
a La foi qui nous unit & Dieu étant le bien supréme, la régle de
notre vie et de nos résolutions, ne dépend que de Dieu seul. Nulle
volonté humaine, isolée ou collective, ne peut dominer nos con-
sciences, nous dicter des devoirs ou des pensées dont nous avons
seuls 4 répondre.
« En nous transmettant ’héritage de cette liberlé, nos grands ré-
formateurs nous ont enseigné 4 chercher dans les saintes Ecritures
la pure connaissance de l’Evangile. Nulle part, en effet, Dieu ne parle
4 l’homme un fangage plus distinct, plus majestueux et plus doux;
nulle part nous n’apprenons a connattre des hommes de foi et de dé-
vouement comme les prophétes d'Israél ou les apdtres de Jésus-
Christ; nulle part n’apparait plus rayonnante |’image de cette pre-
miére société chrétienne, dont les membres, remplis de l’esprit de
Christ, ne formaient qu’un ceeur et qu'une dame; nulle part enfin ne
se révéle avec un tel éc!at de saintelé ce Fils de l'Homme que la voix
de tous ses disciples a proclamé Fils de Dieu et Sauveur des ames.
« Assez de divisions et de schismes ont affligé I’Eiglise, qui ne de-
vait étre qu’un seul troupeau sous un seul pasteur. Mais l'union
protestante n’exclut pas des diversités , méme graves, entre des
fréres ou des groupes de fréres ; et, en effet, de telles diversités exis-
tent entre nous. Il n’est pas 4 craindre, toutefois, qu’elles compro-
mettent l’unité d’une Eglise of le méme chemin condnit les fidéles &
la méme vérité; ou, sous les auspices de la méme liberté, ils puisent
tous 4 la méme source de lumiéres, la Bible; y trouvent le méme
maitre, Jésus-Christ; le méme pére, Dieu, qui les appelie 4 une
méme espérance, la vie éternelle, et 4 une méme vocation morale,
l'alfranchissement du péché, la perfection de la charité et de la jus-
tice. » ‘
A quoi se résume |’élément dogmatique de cette déclaration?
Si je ne me trompe, elle proclaine d’abord l’individualisme ab-
solu en matiére de foi. Il ne faut plus parler de symbole collectif, de
' Bersier, J, p. 413.
DE L’EGLISE REFORMEE. 444
croyance de I’Eglise, de foi commune. La foi est une relation person-
nelle de Dieu 4 l’dme et de l’dme & Dieu, relation dans laquelle per-
sonne n'a le droit d'infervenir.
Mais comme il y a entre les 4mes une variété infinie, il faut ad-
metire une variété correspondante dans les idées et les croyances
individuelles. C’est 4 chacun de voir, sous sa seule responsabilité,
ce qu'il doit comprendre dans son acte de foi; personne n’a le droit
de lui en demander compte.
« Chacun pour soi, chacun chez soi. » Voila, pour rappeler un mot
emprunté & |’histoire de la politique, la formule de ce christianisme
irés-élastique qui admet que « l’union n’exclut pas des diversités,
méme graves, entre les fréres ou groupes de fréres qui composent
une méme société religieuse, » et fait passer 4 une sorte d’état ga-
zeux, Si je puis parler ainsi, toute la partie formellement dogmati-
gue de l’Ancien et du Nouveau Testament.
En effet, il ne voit que « des hommes de for et de dévouement »
dans ces prophétes d'Israél et dans ces apdtres qui ont eu pour mis-
sion, les uns d’annoncer un Messie réparateur de I’humanité, les
autres de précher le Christ crucifié, rachetant l"humanité par son sa-
crifice. L’Eglise n’est plus qu'une association fraternelle, et on ne
dit rien de la mission qui lui a été confiée, de continuer louvre du
Verbe incarné, par un enseignement perpétuant la doctrine et par
un ministére transmettant la grace. Enfin, !e Christ n’est qu'un maf-
tre qui a brillé par !’éclat d’un saintetée incomparable‘; auquel on
décerne, il est vrai, les titres de Fils de Dieu et de Sauveur des ames,
mais eans définir clairement la portée de ces mots, que VPhistoire
des hérésies montre avoir été pris en des sens bien divers.
La seconde déclaration, présentée par M. Camille Rabaud, n'est
guére plus explicite.
« Membres de |’Eglise chrétienne réformée de France, et délégués
au synode général, disent les auteurs de cette déclaration, nous
éprouvons le besoin de rendre compte 4 nos coliégues et & nos core-
ligionnaires de nos principes de foi et de liberté.
«Noas sommes membres de cette Eglise batie sur le seul fonde-
ment qui puisse étre posé, Jésus-Christ (I Cor., m, 11), et comme
Simon Pierre, nous disons de coeur a Jésus : « Tues le Christ, le Fils
du Dieu vivant. » (Matth., xv1, 16.) Nous rendons graces a Dieu de ce
quil a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin
que quiconque croit. en Lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie
éternelle.
‘ Cependant M. Pécaut, un des signataires de cette déclaration, a publié en 1859
on livte intitulé le Christ et la conscience, ot est contestée la sainteté absolue de
Notre-Seigneur.
112 LE SYNODE GENERAL
« Nous avons puisé cette fois direclement dans !'Evangile, et nous
youlons, selon l’ordre du Seigneur, « sonder les Ecritures qui nous
rendent témoignage de Lui‘. » (S. Jean, v, 39.) C’est un droit natu-
rel et sacré; c'est la méthode que nous ont apprise nos illustres ré-
formateurs.
« En vertu de ce principe et de cetterégle, nos voulons, confor-
mément au précepte de l’Apdtre, «rechercher la justice, la foi, la
charité et la paix avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un coeur
pur. » (Il Tim., 1, 22.) Nous désirons en particulier ne constituer
qu’une seule société religieuse avec ceux de la Confession d’Augs-
bourg que nos désastres ont laissés de ce cété de la frontiére.
« Nous sommes préts 4 coopérer dans le synode a toutes les me-
sures qui pourront étre proposées pour le véritable bien de I’Kglise ;
mais nous répudions formellement toute pensée de schisme. Notre
ligne de conduite sera celle que nous trace saint Paul: « Je vous
« prie de vous conduire d’une maniére digne de votre vocation, avec
« toute sorte de douceur et d’humilité, avec un esprit patient, vous
« supportant les uns les autres avec charité, ayant soin de conserver
« Punité de l’esprit par le lien de la paix. » (Eph., 1, 1-3.)
Les discussions soulevées par le projet de confession des ortho-
doxes nous donneront bientdt la clef des formules employées par ta
gauche dans les deux déclarations de MM. Gaufrés et Rabaud. Sans
cela, il serait vraiment difficile, en face du texte seul, de se rendre
un compte exact de la pensée de leurs auteurs.
Peut-étre la seconde déclaration, qui parait appartenir plutét au
ceuire gauche qu’a la gauche, est-elle moins radicale que la pre-
micre. Elle ne pose pas en principe absolu «l'union, malgré des
diversités graves. » Elle cite sur Jésus-Christ des textes entendus gé-
néralement dans le sens de la divinité. .
Mais il y a un commentaire qui ne laisse pas que d’étre génant
pour cette interprétation. Ce sont les noms des quatre membres du
1 Je me permets de faire remarquer en passant que les protestants tirent de ce
texte, dont ils font un trés-fréquent usage, une conclusion qui n'y est nullement
renfermée. Discutant avec les Juifs, qui refusaient de reconnaitre en lui le Messie
figuré et promis dans l’Ancien Testament, le Sauveur les renvoie aux prophétes,
en leur disant : « Lisez-les, puisque vous pensez avoir en eux la vie éternelle : quia
vos putatis in ipsis uitam habere. Mais cette parole n’a aucun rapport avec la mé-
thode d’enseignement religieux établie par Notre-Seigneur lui-méme. Il n’a pas dit,
en efiet, aux apdtres : « Ecrivez, et les chrétiens trouveront dans vos écrits la vie
éternelle. » ila dit : « Allez, et enseignez les nations 4 garder tout ce que je
« vous ai confié : Euntes docete omnes gentes; docentes eos servare omnia quecun—
que mandavi vobis. » (Matth., xxvii, 19, 20.) Par usage erroné du texte de saint
Jean, les protestapts veulent tout ramener a | Ecriture, contre le texte formel de
saint Matthieu, qui fait de l’enseignement oral Ja inéthode principale pour la trans-
mission de ja vérité chrétienne.
DE VEGLISE REFORMEE. 445
synode qui avaient déja souscrit la premiére déelaration, MM. Mar-
tin-Paschoud, Athanase Coquerel fils, Viguié et Gache.
Ces messieurs ont-ils voulu montrer, par leur exemple, que les
confessions de foi n’ont 4 leurs yeux aucune valeur, et qu’on peut,
sans scrupule, sigher ce quon veut, parce que, aprés tout, et en
derniére analyse, l’acte de foi se raméne toujours 4 une relation in-
time entre Dieu et Ame, et que.cette relation s’accommode de toutes
les formules, en les méprisant toutes ?
C’est le débat sur le projet orthodoxe qui éclairera de leur vé-
rilable lumiére la pensée des membres de la gauche et du centre
gauche, signataires de ces deux déclarations.
Peut-étre quelques-uns des signataires de ces déclarations eussent-
ils été plus conséquents vis-a-vis d’eux-mémes, s’ils n’eussent pas
essayé de rédiger le programme de leurs croyances.
C’est un d’eux, en effet, qui devait dire deux jours aprés, dans la
seance du 15 juin, cette parole accueillie par les applaudissements
irés-significatifs de la gauche : « Une confession de foi est un man-
que de foi‘. »
La formule est aussi originale que la pensée, et il sera intéressant
de voir sur quelles raisons s’appuie cette brillante antithése. Mais,
en attendant que nous ayons a analyser le discours de M. Clamage-
ran, nous nous saisissons de cette parole, et elle nous apprend a
regarder les deux déclarations de la gauche par leur cété négatif
plutet que par leur cété positif.
Elles voudraient dire alors, et tout particuliérement la premiére,
que la foi étant un phénoméne purement subjectif, et tout personnel,
cest 4 chacun de se faire son credo 4 ses risques et périls. « Chacun
croira ce qu’il voudra » : tel est le symbole trés-court et trés-simple
qui permettrait de grouper dans une méme association religieuse
les interprétations les plus diverses de la pensée chrétienne.
A cet idéal de la fraction libérale du protestantisme, nous allons
voir ce qu’a pu opposer la fraction orthodoxe. Elle n’a pas osé re-
prendre la Confession si nettement dogmatique de Pancienne Eclise
calviniste de France. Il faudra examiner le document dogmatique ? a
l'aide duquel elle espére arréter les progrés du rationalisme, d’au-
tant plus menacant qu’il s’abrife sous des formules chrétiennes et
s’arme contre l’orthodoxie des principes les plus fréquemment invo-
qués depuis trois siécles par tous ceux qui se réclament du nom et
du drapeau de la réforme.
ApoupHe Perravn,
Prétre de l’Oratoire.
* M. Clamageran. (Bersier, I, p. 189.)
La suite prochainement.
10 Avrait 4573. 8
f,° i
THERMIDOR
DEUZIEME SERIE
MARIE-THERESE ET DAME ROSE
QUATRIEME PARTIE
LA GRANDE BATAILLE! |
Il
CE QUI SE PASSAIT AU JARDIN DBS TUILERIES ET A LA PLACE DU CARROU-
SEL AU COMMENCEMENT DE LA SOIREE DU 9 THERMIDOR.
Vers sept heures du soir, le jardin des Tuileries s’était rempli d’une
grande foule. La plus violente fermentation y régnait, C’était, avec
le jardin de la Maison-Hgalité, ci-devant Palais-Royal, le lieu le plus
fréquenté par les muscadins, par les hommes et les femmes qui ne
craignaient pas de protester contre |’égalité-en s’habillant avec quel-
gue recherche. Ce soir-la, malgré la gravité des événements qui
annoncaient une victoire définitive pour la plus grossiére des tribus
des sans-culottes, et qui conseillaient les plus grandes précautions
aux gens amoureux de propreté, ce soir-la, on voyait encore domi-
. ner les chapeaux ronds sur les bonnets phrygiens. Lés cheveux noués
avec la queue en catogan l emportaient sur les cheveux noirs et plats,
les bottes ou les souliers 4 boucles sur les sabots et les souliers lacés
et ferrés. On remarquait méme quelques tétes poudrées, et les sales
Voir le Correspondant des 25 septembre, 10 et 25 octobre, 10 “et 25 novem-
bre, 10 décembre 1872, 10 et 25 mars 1873.
. THERNIDOR. a5
cornettes a cocardes, qui étaient devenues la coiffure nape de
la Parisienne, n’y étaient pas en majorité.
On pouvait donc supposer que |a, du moins, la majorité du peu-
ple était pour la Convention. Pourtant Victorien Desclusiers, qui,
eseorté de quelques membres de la section Révolutionnaire ou du
Pont-Neuf, parcourait le jardin, constatait que la foule était incer-
taine entre l'Assemblée et la Commune, et que lopinion était 4 la
merci d'un événement, d'un mot. Les émissaires des jacobins,
quelques-uns des orateurs publics que la Commune avait A ses
gages, ou qui.lrahissajeat leurs patrons du Comité de Surveillanee
générale, faisaient rage dans les groupes. Nos anciennes connais-
sances, Justin Pourvoyeur, - ‘Bacon et La-Tour-la-Montagne, poéte,
bourgeois de Paris, et espion, étaient parmi les plus ardents.
— Eh bien, tu commences a voir que tu as pris le mauvais parti!
dit 4 Desclyusiers la. voix fatiguée d'un homme qui lui frappa rude-
ment sur |’épaule. Kt tu te dis.que si ca ne va pas fort pour la Con-
vention dans le. Jardin National, qui est un nid de muscadins,
d’aristocrates et de corrompus, ca va encore moins bien dans la
cour des Tuileries, ca va bien peu sur la place du Carrousel, et pas
du tout sur la place de Gréve.
Victorien se retourna. Il avait devant lui la face empourprée, les
yeux fiévreux de Testard. Celui-ci lui fit une grimace, en ajoutant
avec un rire qui avait quelque cose d’un fou furieux :
— Tu as joué ta téte contre la mienne, j'ai gagné. Je la prendrai,
et je donnerai dame Rose, qui (’a poussé contre la Révolution, 4
Pourvoyeur, qui la mane aux bons principes.
— Es-tu tombé si bas..
~~ Je ne suis pas tombé, jai glissé sur la pente, jusqu’a I'Ega-
ltée. Et c'est toi qui.as le tort de te retenir au milieu de la planche.
Planche aux assignats, planche 4 ja guillotine.
-Ki il se faufila au milieu de la foule en hurlant.
— Ji n’a pas tort, citoyen, foi de Sempronius Boudin, dit un per-
sonnage qui se.promenait de groupe en groupe, les mains dans les
peches de la -carmagnole, écoutant curieusement et froidement,
comme un philosaphe que nul de ces événements sublunaires ne sau-
rait émouvoir. Mes amis, les illustres citoyens Peys et Roupillon (de
Saict-Calais) en jureraieat. Je viens de visiter les endrorts en ques-
lion, et 4 mesure qu'on s éloigne de ce champétre asile ot nous
sommes, la Convention perd en raison des distances. Ainsi juge. Je
ne parierais pas un moneron contre un assignat de mille livres en
faveur de ce haliment-ci, conclut-il en montrant le pavillon de l'Hor-
loge, ou: siégeait l’Assemblée. D'ailleurs, reprit-il 4 mi-voix, ce qu’on
pouvait prévoir arrive. Billaud et ses amis agissent moliement. En
436 THERMIDOR.
core 4 ’heure qu'il est, ils sont occupés, sais-tu & quoi? 4 empé-
cher la Convention de montrer plus d’énergie. Ils essayent de gagner
la bataille tout seuls, afin de triompher en méme temps de la Com-
mune el de la Convention, et de remplir toute la place que Robes-
pierre aura laissée vide. Puis, puis, continua-t-il plus bas encore,
il va se passer de tristes choses & La Force.
— Quoi donc, pour Dieu!
— On va septembriser.
Il se perdit 4 son tour dans la foule, et quand Victorien le chercha
des yeux pour l’interroger plus amplement, 11 se sentit saisir vio-
lemment le bras. Il se retourna. Heurtevent, la figure aussi défaite,
le regard aussi exalté que Testard, le tirait jusque sous un arbre
assez solitaire.
— Que me voulez-vous donc, Heurtevent? demanda Victorien ;
vous me regardez d'un air épouvanté. Est-ce que Rose... ?
— Rose! Rose! tu veux dire Isabelle! Vois-tu, je n’ai confiance
qu’en toi. Tous ces aristocrates sont des laches! Isabelle, dis-tu !
Eh bien, tu sais, Pautre nous avait donné un laisser-passer qui
devait tout ouvrir.
— Eh bien?
— Eh bien, ga ne vaut encore rien. Et pourtant je suis Pami du
concierge de LaForce. Rien n’y fait. J’y ai été, fen viens, avec cet
aristocrate Aristobule ou Lozembrune, qu’importe! Ah! nous étions
bien heureux. Nous présentons notre papier. On nous demande si
nous sommes Raffin, chirurgien en chef des officiers de santé, ou
hien Soupé, Markowski, Legras, officiers de santé. Il y a, depuis une
heure, un ordre des administrateurs de police, qui interdit )’entrée
dans les prisons 4 tout autre qu’a eux. Alors noos demandons que
si nous ne pouvons pas entrer, du moins on laisse sortir nos épou-
ses. Eh bien, mille tannerres! non, non, non. Il y a encore un ordre
qui vient d’arriver, un ordre de la Commune, qui défend de laisser
sortir qui que ce soit, sans l’ordre de cette Commune. Et mon ami
Je concierge nous a dit, en nous fermant la porte, qu’il devait d’au-
tant plus obéir qu'il se savait suspect a Robespierre et 4 ses amis.
C’est la-dessus que Je te dis que ces aristocrates sont des laches,
car j'ai proposé a Aristobule de nous engager dans la Commune, puis-
que la Commune était maitresse et pouvait délivrer...
— I] n’a pas voulu?
— Il n’a pas voulu, en disant que ce serait trahir. Alors je lui
ai proposé d’aller chercher tous nos amis, et de venir faire le siégede |
La Force. Il a hésité, et puis il n’a pas encore voulu, en disant que |
ce serait inutile et trop compromettant, et que c’était dans la vic-
toire qu’était le vrai salut.
THERNIDOR.. 417
— I} a cent fois raison, Heurtevent ; il a parlé comme un sage et
comme un brave, car sois sir qu'il aime sa future autant que tu
aimes ta femme. Et puis qu’as-tu va encore & La Force, ou auprés
de la prison ?
— Qu’est-ce que j’aurais vu! répliqua Heurtevent avec colére. Et
moi qui venais 4 toi pour te demander conseil ! Qu’est-ce que j’aurais
vu! J’ai vu le frére de dame Rose, qui garde la grande porte de la
prison, comme une sentinelle; a cété de lui, un enfant de douze
ans, qui est pale comme un mort, et qui garde aussi la porte; et
puis un autre, un fou, quichante avec une’ guitare, et quia promis,
s'il y avait quelque chose de nouveau, de venir nous averltir, moi et
surtout Aristobule, en chantant une chanson sur le salpétre.
Victorien laissa échapper un soupir de soulagement. Il n’y avait
done pas encore autour de la prison un seul des préparatifs bien
connus qui indiquaient l'approche des massacreurs !
— Hé! demanda Heurtevent d'un air sombre, c'est tout ce que
tu me dis?
— Je te dis, répondit Victorien avec autorité, de redevenir un
homme, de te préparer au combat, et je te jure que cest en triom-
phant des conspirateurs de la Gommune que tu peux seulement sau-
ver ta femme.
— Soit, soit; dit Heurtevent avec abattement. Mais, comme tu
dis, je n'ai plus de bon sens. Conduis-moi, et quand tu me diras :
Frappe, je te réponds qu'il en restera sur le carreau.
— Viens donc, viens, sur la place du Carrousel, rejoindre nos
amis.
Ils se dirigérent vers les abords du palais, aux approches duquel
la foule était plus dense et plus animée que partout ailleurs.
— Citoyens, dit un petit vieillard, qui les combla de révérences
au moment oi ils fendaient le groupe pour rejoindre le passage, au
milieu du pavillon de I’'Horloge, est-ce vrai ce-ce qu’on-on dit que
Ro-ro-ro-bespierre et les autres dé-pu-pu-pu-u-tés sont-ont par-artis
et en pri-pri-i-son.
— Oui, vieillard, Saint-Just est envoyé aux Ecossais, Robespierre
jeune 4 Lazare, et Robespierre ainé au Luxembourg.
— Ils viennent de partir 4 l'instant, continua un voisin bien
informé.
— Gra-and-and merci, ci-ci-citoyen. Fais place & un pau-pau-
ue vieillard. La paix, la tran-an-an-quillité et la concorde dans les
a-a-a-a...
— Tiens, Fidéle Bailli! s’écriérent deux hommes en se retournant.
Viens avec nous : Nicolas et Chatelet; tu nous reconnais bien? Viens,
hous arriverons encore rue de Tournon, au Luxembourg, avant les
148 THERMIDOR.
_voitures, qui vont lentement, comme si-elles avaient envie qu’on les
enléve..
—— Dans les fa- e-amilles, ci-c+toyens, ‘dit le vieilard en_ s’éloi-
gnant, aprés avoir fait une révérence au fou musicien, qui glissait
dans la foule comme une anguille, et qui, chaque fois qu'on le
bousculait, se retournait et disait d’un ton lugubre ::
— N'oubliez pas, citoyens, que la premiére décade de thermidor
an Il est dédiée au malheur.
Ii arriva au centre d’un groupe nombreux, se hissa sur une ’ calsse,
ef cria de toutes'ses forces :
—— Y a-t-il ici le citoyen Aristobule des Piques ? Pai des choses
lui dire de la part de I’Enfant. Il aimerait mieux mourir que de ne
pas les apprendre.
— Aristobule, Aristobule des Piques, criérent vingt voix. Tln’y a
pas d’Aristobule. = as
Et avant que Victorien pdt arriver prés de lui, le fou disparut
dans la direction du Carrousel, ot Descluziers et Heurfevent se ha-
térent @’arriver. :
lls y eurent bientét rejoint Batz. Hi leur fit un signe de téte qui
n'indiquait pas grand espoir. ‘Ils s’élbignérent de lui pour ne pas
trop atlirer l’attention, et se mirent vainement : la recherche du
fou musicien.
Iis avaient bien compris la signification du signe que leur avait
fait le chef des aristocrates. En effet, Batz et les quelques cochers,
serruriers, armuriers et imprimeurs, qui formaient sa petite troupe
de gentilshommes et de grands seigneurs, — car c’élait dans ces
quatre . professions. surtout que les -aristocrates $'étaient réfugiés
pendant la Terreur; -— Batz, disons-nous, n’avait pas tardé @ se
sentir comme noyé au milieu de la place du Carrousel. Si dans-le
Jardin National l’on discutait vivement le pour et le contre, si sur
la place de Gréve l’on ne parlait qu’en faveur de la Commune, sur
la place du Carrousel on se taisait; on atlendait avec curiosité et
inquiétude, mais avec la conviction évidente du triomphe de la '
Commune, ét avec une non moins évidente hostilité contre la Con-
vention.
Tout se résumait en une solace. qui élait, 4 cette heure, le mot de
la badauderie parisienne. C’était le citoyen La-Tour-la-Montagne qui
l'avait dite, cette phrase, et elle s’était trouvée immédiatement sar
toules les lévres bourgeoises : « Je crois que la Convention veut
nous tromper. » De la section des Arcis & celle des Tuileries, c était:
donc 1a je mot de opinion, comme de la section Mont-Marat a celles
de Montreuil et de l' Indivisibilité, c’est-a-dire depuis la Maison-Com-
mune jusqu'a la barriére du Tréne-Renversé, l’opinion se résumait
THERMIDOR, 149
dans cette autre formule, qui était, non plus bourgeoise, mais ou-
vriére : « Je crois que la Commune va nous sauver. »
Cétait surtout au fond de la place du Carrousel, le long des an-
ciennes rues Saint-Nicaise, des Orties et de Chartres, et & droite,
sur le chemin menant aux Jacobins par les rues du Carrousel et
Saint-Louis, que la Commune était en faveur. Batz remarqua qu en
avancant vers fa cour des Tuileries, les eaux populaires prenaient
des teintes moins rouges. ,
Dans cette cour, la foule était aussi grande. Mais on y remarquait
quelques muscadins ventant du Jardin, un assez grand nombre
d’employés des bureaux et conimissions de la Convention, et enfin
une grande quantité de sectionnaires a‘ demi ou complétement
armés, nofamment beaucoup de gardes nationaux de la section des
Tuileries, qui étaient venus individuellement et assez (rmidement,
mais avec ‘une arriére-pensée prudemment favorable 4 la Con-
vention. '
Le chef de bataillon Lefévre, de la section Bonne-Nouvelle, qui
commande cent hommes de garde au Palais, a rangé sa petite troupe
autour du pavillon de l’Horloge, ot, nous le répétons, est le siége
de la Convention, et braqué ses deux canons dans la direction de la
place du Carrousel. Il a laissé la garde des deux autres pavillons (oc-
cupés par les deux Comités de gouvernement) aux gendarmes des
fribunaux, et notamment 4 quelques hommes de la 29° division, qui
ne paraissent pas fort solides.
Lefévre se proméne soucieusement de long en large. ll serre 1a
main a un collégue qui sort du Comité de Salut public. Batz recon-
nait le nouveau venu. C’est Juliot, commandant en chef de la section
de la Fontaine-de-Grenelle, et ami de l’abbé de Dampierre, homme
brave, mais clairvoyant et prudent.
— Bonjour, citdyen Boulanger, dit Juliot gravement, a quelles
nouvelles?
— C’est & vous que j’en demande, commandant, répondit Batz;
nous ne sommes que des soldats, nous, et nous n’ avons pas les Se-
crets de I’Olympe.
Juliot lé tira 4 quartier et, comme répondant 4 ses pensées, il dit
a mi-voix :
— Sans doute, les gens du Comité, les Billaud, les Collot, les
Cambon, les Carnot, les Lindet, sont des gens de tact, et bien ca-
pables de lutter de mesures révolutionnaires avec ces vils coquins
et ces dnes bavards de Ia Commune. Mais ils tiennent 4 leur ty-
rannie avec une fureur inexprimable. Je crois parfois que Billaud
aime mieux étre vaincu et tué que de ne plus régner en maitre sur
la Convention. C'est toute la question actuellement, car cette prédc-
120 THERMIDOR,
cupation paralyse tout; ils ne prennent que des demi-mesures, et
lassent les meilleurs amis de |’ Assemblée.
. — Il faudra bien qu’ils se décident, et alors...
— Alors nous, nous aiderons,.et nous pourrons espérer que le
ciel nous aidera. Adieu, au revoir! 4 bientét, j'espére. Je vais tacher
d’enlever ma section et de I’amener ici. Mais malheur aux lyrans
des Comités, s’ils ne s’unissent de ceeur 4 la ponNennon et surtout
‘malheur a nous!
— Hum! dit Batz, en rejoignant le cocher-chanoine, les plus -
énergiques amis de la Convention ne sont guére consolants. Voyons
ce qu’en dit le commandant Lefévre.
Celui-ci était un vieux soldat grognon, brusque, et que son
franc parler mettait sans cesse 4 deux doigts de la guillotine.
— Qu’est-ce que vous voulez que je vous conte? dit-il avec un
regard farouche. Je me ferai tuer, j’en tuerai bien deux ou trois.
Qu’est-ce que vous voulez de plus? Vous voulez savoir si mes hom-
mes tiendront? Ce sont de braves gens, et pas trop capons pour de
la milice. Mais ol avez-vous vu, depuis la Révolution, une troupe de
gardes nationaux qui tient contre une autre troupe de gardes natio-
naux qui!’ altaque? Vous étes encore bon 1a, vous! Dites, )’avez-vous
vu? Alors qu’est-ce que vous demandez? Il parait que c'est contraire
aux principes et a la fraternité. Déslors, 4 moins d’étre une béte,
on voit l’affaire : si nous attaquons les premiers, nous serons vain-
queurs; si on nous altaque, Nous serons vaincus. Voila fout. C’est
clair ceci, que le diable m’emporte!
H s’éloigna en grommelant et en aiguisant la pointe de son sabre
sur la terre.
— Ma foi! mes amis, dit Batz, avec un tranquille sourire, a cing
ou six de ses compagnons qui se tenaient 4 V’écart, je crois qu il
nous reste une seule chose 4 faire en ce moment.
— Et quoi donc? demanda le brigadier général de Dion, l’ou-
wrier serrurier que nous avons présenté précédemment au lecteur.
fl venait de quitter pour un instant les tribunes de la Convention,
ou on gardait sa place, en alfendant la réouverture de la séance, in-
terrompue a cing heures pour recommencer a huit heures.
— C’est de demander Yabsolution 4 notre aumdnier-cocher, car
il parait que nous ayons encore 4 tuer deux ou trois démocrates, el
puis c’est tout.
— C’est peu, dit le jeune ouvrier imprimeur qui accompagnait
M. de Dion, et était le chevalier de Sabrevois. — Et celui-la, ous
l'avons aussi présenté au lecteur, 4 l’auberge du Garde-Frangaise.
-— N’oubliez pas, citoyens, c’est une voix lugubre dans le voisi-
mage, que la premiére décade de thermidor est vouée au malheur.
THERMIDOR. (24
Citoyens, continua la voix, connaissez-vous Aristobule des Piques?
jesuis envoyé auprés de lui par Enfant.
Batz courut a lui, et lui dit & mi-voix :
— Tu le trouveras 4 la place de Gréve, a gauche de la grande
porte. Tu lui diras que tout va assez mal ici, mais iu ‘il tienne bon,
etsoit solide au poste.
Dominique de Merville traversait la cour, se rendant en courant
du pavillon du Sud au pavillon.du Nord, c’est-a-dire du Comité de
Salut public au Comité de Sireté générale. Ii s'approcha de Batz :
— Voila, dit-il, les derniers arrétés des comités réunis. Je vous
les aural tous. Ayez soin qu'il y ait toujours quelqu'un ici, qui vous
les fasse parvenir ou vous serez.
— Et ce malheureux Anglais que l’on vous a envoyé?
— Hest retenu prisonnier, et je ne puis rien pour lui. Eh bien,
qa’y a-t-1l dans le bas, au bout de la place du Carrousel ? la foule se
précipite. Allez-y, vous; moi, je vais au Comité et je reviens.
Nos amis coururent. C’était un proclamateur de la Commune, qui
venait publier les arrétés de la Commune. On avait choisi notre
ancienne connaissance, le chanteur Brochet, 4 cause de sa voix for-
midable.
— Vertuchou, citoyen cocher, dit Batz, voila la-bas un gaillard
qui vaut son pesant d’or en temps d’émeute; avec une voix comme
celle-la, je me chargerais de faire faire & la démocratie toutes les
sottises et méme toutes les belles choses du monde. .
— Je crgis, Boulanger, répondit le chanoine-cocher, que nous
avons 1a sous la main, dans la personne de ce jeune imprimeur — et
i montrait le chevalier de Sabrevois — un timbre de voix qui pour-
rait lutter non-seulement avec le ton de ce gaillard la-bas, mais avec
un bourdon de ci-devant cathédrale.
— Vraiment, dil vivement Batz, nous allons voir.
Brochet continuait ses annonces dans le voisinage de la rue
Saint-Nicaise.
— Voila le moment, dit Batz, lisez un des arrétés du Comité,
jeune imprimeur.
Et le chevalier, d’une voix puissante qui domina bientot le bruit,
annonga, en suivant exactement la formule imprimée :
REPUBLIQUE FRANGAISE, UNE ET LNDIVISIBLE,
ACTIVITE, PURETE, SURVEILLANCE.
Comité de salut public, ce nonidi thermidor an IT.
«Les Comités de Salut public et de Sdreté générale réunis,
arrétent :
122 THERMIDOR.
« Les citoyens Chapelle et Fournereau, membres de la commis-
sion populaire, lesquels allaient au faubourg Antoine, pour soulever
le peuple, en disant que ‘la République’ est perdue, puisque la
Convention arréte trois membres du Comité de salut public, seront
arrélés.. » ee ce |
Cette voix formidable:et vet atte de vigueur‘saisirent niamiaita:
nément la foule, qui fit quelque silence. Maisy 2 l’autre/bout de ta
place, Brochet reprit d'une voix qui avait quelque oo i ae :
Comnriuene de Paris, le 9 thermidor de Pan u dle la République. fran-
caise, une et indivisible.
« La Commune révolutionnaire du 9 thermidor, ‘destinge’ par le
_ peuple et pour le peuple 4 sauver la patrie et la Convention nalio-
nale, altaquées par d’indignes conspirateurs,
« Aridte que les nommés Collot-d’Herbois, Amar, Léonard Boisr-
don, Dubarran, Fréron, Tallien, Panis, Carnot, Dubois-Crancé, Va-
dier, Javogue, Fouché, Granet, Moyse Bayle, seront arrélés, pour
délivrer la Convention de Poppression ov ils la tiennent.
« Le conseil déclare qu’il donnera une couronne civique aux
généreux citoyens qui arréleront ces ennemis du peuple.
« Déclare que les mémes hommes qui ont renversé le tyran et la
faction Brissot, anéantiront tous les scélérats désignés, qui ont osé
plus que Louis XVI lui-méme, puisqu’ils ont mis en état, d'arresta-
tion les meilleurs citoyens. »
— Ah! ah! ‘cria Ja foule. La Commune est plus forte. Le Comité
arréte Fournereau ; 1a Commune arréte Collot, Amar, Vadier, et tous
les autres. Vive la Commune!
— C'est vrai, murmura Batz, le peuple a raison, la Commune est
plus vigoureuse.
Il tomba en réflexions, tout en regagnant, suivi des siens, la cour
des Tuileries.
— Ah! dit-il bientét en relevant le front, voila les députés qui
arrivent en masse pour la séance du soir, ‘allez et tenez-nous au
courant de ce qui se passera a la séance.
M. de Rion s‘inclina et disparut dans les groupes de députés qui
arrivaient, en effet. Il était huit heures du soir.
— Eh bien, chevalier, reprit Batz & mi-voix, vous avez une voix
d’une rare puissance. Si Ja Convention veut étre ferme, je ne dés-
espére pas que vous ne remportiez la victoire, 4 vous seul, sur la
Commune. C’est une idée qui me vient en Vesprit. Mais éloignez-
vous, je vous prie, dit-il vivement. )
THERMADOR. 7 133
Nl s’avanga vers un personnage qui traversait fa cour presqu'en
courant. Il lui frappa sur l’'épaule.
— Citoyen Dulac, dit-il & cet ex-gentilhomme (que nous avons
montré au coin de la rue Notre-Dame-des-Champs, agent important
du Comité de Salut Public), je crains qu’on ne veuille recommencer '
les massacres de Septembre. Cela m ‘inquitte, car j ’al des amis 4 La °
Force, qui est mal gardéc.
— Au-diable! Qu’y faire! fa gendartherie est ‘fout entiére livrée
a0x passions politiques et ellene vaut pas mieux que les assassins.
Je n’ai sous fa main que les ‘bandes de Héron: Ah! ce serait un
moyen de Jes empécher de tourner 4 la Commune.
li s’éloigna précipitamment, médiocrement retenu par Batz, qui
fil un mouvement de surprise. '
—Patrie! patrie! patrie! criait un individu dans son voisinage.
— Salut! salut! salut! répondit-il & tout hasard.
— Petit-Val ! dit l'individu en approchant.
— Parle. Pourquoi pas Aristobule?
— Parti 4 La Force, ott se passent des horreurs.
Batz fronca le sourcil.
— Que veut Petit- Val?
— I] m’envoie vous avertir qu'une troupe part de la rue de la Ver-
rerie pour venir délivrer-Hanriot, lequel,:- comme vous le savez, a
éé arrété et enfermé 14, dans le. pavillon occupé par le Comité de
Sireté générale. ;
— C’est~bon. Dites 4 Petit-Val que c’est bon.
Il s'avanca vivement vers Lefévre, et il lui dit & voix basse :
— On m‘apprend que des troupes quittent la place de Gréve, par
larue de la Verrerie, pour venir délivrer Hanriot. Si vous mettiez
votre tactique en pratique, et si nous allions les attaquer en chemin?
Ce serait un fameux.coup.
— Qui! & nous deux si vous voulez, je venx bien ; vous m’avez
lair d'un bon drille. Mais avec ca, continua-t-il en montrant de la
pointe de l’épée les sectionnaires, fort occupés 4 étancher la sueur:
qui leur coulait du front! D’ailleurs, qu’ils délivrent Hanriot. fl est
ivre comme une soupe. Il ne pourra que leur nuire. Toutefois, si
les scélérats veulent passer le seuil du pavillon de l’Horloge, ce ne
sera sans passer sur le corps de Lefévre. Restez la, nous en démoli-
rons quelques-uns.
Le vieux soldat, chagrin comme tous ceux de ses pareils qui
eurent jamais 4 commander une milice bourgeoise, fut interrompu
par une clameur immense bientét suivie d'un silence émouvant. La
foule s’ouvrit, comme un rideau, et laissa voir un spectacle qui ne
manquait pas de mouvement et d’entrain. |
124 THERMIDOR.
Trois cents hommes, armés de fusils et de piques, moitié gardes
nationaux en tricorne, avec leurs buffleteries croisées qui dansaient
sur leurs longs habits, moitié sans-culottes en bonnet rouge ou en
chapeau 4 larges bords comme les forts de la halle, en carmagnoles
ou en manches de chemises, accouraient au grand trot, escortés
d’une quarantaine de gendarmes 4 cheval et suivis de douze piéces de
canon, trainées 4 dos d’hommes.
Toutes les figures étaient violentes, énergiques, exaltées. C était
la créme de l’armée de la Commune. En téte couraient, le sabre en
main, Coffinhal, vice-président du tribunal révolutionnaire ; Lumiére,
juré au méme tribunal, membre du conseil général de la Commune,
et une certaine quantité des amis plus particuliers d’Hanriot, les-
quels nommés et acclamés par la foule, agitaient leurs armes avec
des hourrahs frénétiques : — Bravo! Damour, le brave officier de
paix de la section des Arcis! Hola! hé! vive Félix, le meilleur char-
ron de la section des Sans-Culottes! Ah! ah! le voila enfin! Vive
Pourvoyeur | Mange-les, brave limier, hurlait la foule.
Mais celui-ci, débraillé, presque nu, hideux, les yeux rouges
comme s'ils distillaient du sang, s'avancait sombre, muet, le pistolet
d'une main, le sabre de l'autre.
La troupe passa comme un tourbillon et se dirigea vers le Comilé
de Surveillance générale. Les canonniers, qui étaient en grande
partie de la section de Mucius Scevola, s’arrétérent au milieu de la
place, sur l’ordre de Cosne Pionnier, adjudant instructeur de I'ar-
tillerie parisienne. Les caissons furent ouverts, les grils 4 rougir les
boulets mis en place, les lances allumées. Une moilié des piéces, sous
les ordres de Monvoisin, capilaine, et de Cahier, lieutenant de la
compagnie des Scevola, fut tournée contre le Comité de Sureté
générale, l'autre moilié, sous Jes ordres de Brizard, adjudant, fut
dirigée contre Je pavillon occupé par la Convention.
Le peuple s’écarta avec un mélange de curiosité et de frayeur,
mais en criant désespérément : « Vive la Commune! » qui représen-
tait en ce moment la force et le succés.
La masse des miliciens de garde s’éparpilla. Lefévre les foudroya
du regard. |
— Qu’est-ce que je disais! murmura-t-il.
Une certaine quantité des plus vaillants vinreul se ranger autour
de lui.
— Mes amis, dit Balzen souriant a sa petite troupe, je crois que
ce que nous avons de inieux a faire, c'est de rester avec ces braves
gens.
La scéne n’était pas sans grandeur. La foule s’était Lue, comme si
elle evil cru que la bataille engagée entre la France ct les jacobins
THERMIDOR. 125
se décidait en ce moment. Les sectionnaires communaux entouraient
le Comité, les canonniers attendaient des ordres. Il était évident que
la petite troupe campée fiérement en avant du pavillon de l'Horloge
irritait les nerfs de ces canonniers, et Cosne Pionnier, homme hardi
et irritable, s’agitait avec fureur. Le chanoine-cocher se détacha
silencieusement du groupe et, rasant les murailles, se dirigea vers
les batteries d’artillerie.
Un homme sortit du Pavillon du Comité de Salut public. Il regarda
la scéne et s’avanga sans trop de hate vers Batz. C’était d’Antrai-
gues. Il se pencha 4 l’oreille du baron:
— Je commence a croire, dit-il, que vous pouvez tre vainqueurs.
— Sarpedienne, dit celui-ci, vous choisissez bien votre moment
pour railler.
— Je ne raille pas. Je conviens que‘vous pouvez subir une canon-
nade, mais tous les boulets ne touchent pas. Je veux dire que l’en-
vahissement du Comité a vaincu toutes les arriére-pensées de Bil-
laud et de ses complices. Ils ne voient plus de, salut que dans la
Convention.
En ce moment, M. de Dion bondissait hors du Pavillon de l'Hor-
loge.
= Citoyens, cria-t-il, je viens d'assister 4 un grand spectacle.
Collot-d’Herbois, président, vient d’entrer dans la salle des séances,
suivi de tous les membres des Comités. Il avait l’air ému. Il s’est
couvert en signe de détresse, et rien gue ce mouvement a déja fait
tressaillir l’Assemblée et les tribunes d’une émotion extréme. Puis
ila prononcé d'une voix lugubre, au milieu d’un silence de mort,
ces paroles que tout le monde a entendues en frémissant : « Citoyens,
voici l’instant de mourir 4 notre poste. Des hommes armés ont
investi le Comité de Suireté générale et s’en sont emparés. Jurons
de mourir sur nos chaises curules. »
— Et qu’a fait cette assemblée d’ hommes de loi qui a été si lAche
depuis quelque temps? demanda une voix que Batz crut reconnattre
pour celle de Descluziers.
— Ellea crié, toute d’une voix, reprit M. de Dion: « Nous jurons
de mourir sans lacheté. » Et tous les spectateurs électrisés se sont
écriés : « Allons au-devant des scélérats! »
En effet, une grande masse bruyante se répandit en un clin d'ceil
autour du pavillon de ’Horloge. Pendant ce temps, Hanriot, délivré,
arrivait escorté de ses aides de camp, 4 cheval comme lui, entouré
par Coffinhal, Lumiére, Pourvoyeur. Il était suivi par une partic de
la {troupe communale. L’autre s'avancait vers Ja place en criant:
«Ne tirez pas! » On venait d’apprendre, en effet, que Cosne, de plus
en plus furieux, avait fait charger un canon 4 mitraille et allait en-
126 THERMIDOR.
voyer la charge sur le groupe obstiné. Le chanoine-cocher s’était
précipité sur le canon, et en avait bouché la lumiére avec la main
jusqu’a ce qu'un artilleur, Levasseur fils, lui eut passé un mouchoir
mouillé.
_ Hanriot avait été accueilli avec des huées. Mais'l’ivresse ne lui
avait fait rien perdre de sa faconde, et ilse mit A faire une procla-
mation emphatique dans laquelle il annongait qu’il avait été calom-
nié, et qu'il venail de se blanchir au Comité. Alors, par un de ces
brusques revirements dont l’imbécillité des foules nous a donné tant
d’exemples, l’on se mit a plaindre, 4 bénir le brave Hanriot, et 4
honnir ses ennemis.
Pendant ce temps, Coffinhal le tirait & soi et lui montrait- le lieu
des séances de l’Assemblée en lui disant :
— Marche donc, imbécile, la victoire est 4 nous. Entourons au
moins ces laches députés, nous les tiendrons 1a tremblants sous
notre main.
— Non, je te dis, cest contraire au plan arrété, tu sais bien. Il
faut se réunir ici & la pointe du jour, a la téte du peuple. C’est ce
_ quia été décidé. Si nous faisons autrement, ils seront jaloux de
nous ]a-bas, 4 la Commune; ils nous accuseront de viser a la dicta-
ture populaire, et jamais Robespierre ne nous le pardonnera.
— Ivrogne maudit, nous nous passerons de leur lfaveur.
Pourvoyeur, l’ceil enflammé de férocité, montrait aussi de la pointe
. du sabre la Convention, et tirait Hanriot pour l’y mener, en faisant
entendre des sons rauques et épouvantables : il n’avait pas encore
retrouvé sa voix.
' — Toi, maudit fou, si tu me tourmentes, cria Hanriot, je te fais
larder par mes canonniers.
Coffinhal se répandil en malédictions et en blasphémes, tandis que
Pourvoyeur rugissait en montrant toujours de la pointe du sabre le
pavillon de |’Horloge. Hanriot avait repris son discours, tendant 4
prouver que tous les patriotes devaient se réunir sur la place de la
Maison Commune.
En ce moment, Dominique de Merville s’écria :
— N’écoutez pas Hanriot, il n’a pas le commandement.
Batz et ses amis appuyérent, mais la masse était évidemment pour .
le commandant, qui parlait si bien et avec tant de bonhomie.
Un homme jeune, a la face énergique et ealme, pavers vive-
ment:
— Je suis Féraud, des Hautes-Pyrénées, cria-t-il.
— Mort, mort au conventionnel! hurlérent quelques soldats.
_ — Citoyens, reprit alors Féraud avec autorité, je vous annonce que
Hanriot vient d'élre mis hors la loi.
THERMIDOR. 127
Ces terribles mots éclatérent comme un coup de foudre. Hanriot
bondit comme s'il était frappé, et tout brusquement il s’enfuit, suivi
de toute la troupe. -Pourvoyeur seul demeura un instant et regarda
autour de soi. Il découvrit Batz et poussa un rugissement de béte
fanve. Il s’élanca vers lui, et déja son sabre touchait la poitrine du
royaliste surpris, lorsque le chevalier s'écria de sa voix retentis-
sante :
— Le prends-tu donc pour ton fils !
Pourvoyeur recula en oscillant comme un homme ivre, puis il se
sauva, rejoignant ses compagnons. Hanriot s’était retourné et s’était
mis 4 crier :
— Aux armes! aux armes! réunion a la Commune. Tous les patrio-
tes place de Gréve, sous peine d’étre traités comme ennemis du
uple!
les soldats répétérent avec lui, dans un concert formidable :
— Aux armes! aux armes! & la Commune!
_Et par un miracle révolutionnaire qui n’a pas encore été expli-
qué, la foule se précipita vers la Gréve, 4 la suite de cet homme
qu'elle venait de voir fuir épouvanté par la mise hors la loi.
Bientét la place fut presque déserte. Une grande partie de la
troupe méme de Lefévre avait suivi le mouvement.
Mais un spectacle nouveau attirait l’attention. La section armée
de la Fontaine-de-Grenelle entrait parla gauche, sous la conduite
de Juliot, tandis que le hataillon de la rue Meslay entrait par la
droite, sous le commandement de Lecointre. Un petit homme mar-
chait d’un pas délibéré & c6té de celui-ci. Mais comme s'il n’edt eu
dautre mission que d’amener du secours & la-Convention, il s’éloi-
gna d’un pas rapide quand il eut vu la troupe installée prés du palais.
— Tiens, c'est Piqueprune! dit Heurtevent.
— Et moi, dit d’Antraigues, je jurerais que cette ombre qui court
la-bas, dans ‘le crépuscule, c’est celle de notre Anglais, qu’on aura
sans doute délivré en méme temps que Hanriot.
— Vive la Convention! mes amis, dit Féraud aux sectionnaires
gui arrivaient. Maintenant Ja liberté est sauvée.
— Pour trois heures, dit ironiquement le diplomate. La mer com-
munale recule un instant pour mieux précipiter ses. flots irrésisti-
bles.
— Oui, dit Batz, la position est toujours mauvaise. Mais la Con-
vention vient d’échapper 4 une mort certaine, et trois heures, c est
beaucoup... Ciloyen législateur, je vous demande en grace de nous
avoir le plus tét possible chacun des arrélés que la Convention va
prendre. Citoyen serrurier, vous les remettrez au citoyen coc!.cr,
128 ' THERMIDOR.
qui se chargera de les envoyer place de Grave, ov nous allons. nans
‘rendre. ‘Veuillez ‘me suivre, chevalier, conclut-il & mi-voix...J’ ima-
' gine que' c'est vous qui'allez sauver la Convention. . i a be
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IV
Cap eee ett PA LA GREED
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: # la fin du dix-huitiéme sidcle, la place de Gréve ne commencait
qu’a’ la hauteur de l’arcade Saint-Jean, et elle ne mesurait guére
‘que trois cents pas ‘de long sur cent quatre-vingts, dans Ja-plus
evande largeur. La Maison Commune — ou Hotel de Ville - oceu-
“pait's peu 'prés les deux tiers de la partie orientale decatte place, et
“avait’a sa droite le Saint-Esprit, batiment composé de. quatre corps
usyant pignon sur re, et caché depuis 1790 par un long hangar ser-
‘tyamt dé caserne’ de cavalerie & I’état-major de la garde nationale. A
i'caiche, cette Maison Commune se reliait au quai ef au port-au. blé
“par arcade Saint-Jean et par deux bitiments, l’'arsenalide Ja ville et
‘Pancienne chiapelle des Haudrietfes, ste te
La place; de Pautre cété, ‘et justement en face de la grande :potte
d’entrée de I’Hotel de Ville, s’enfongait en entonnoir yers-lesirues
Jean-dd-Lépine et dé la Vannerie; A la rencontre de ges deux rues,
‘ane’ maison’ s’avanicait 4 angle aigu et formait le fond de cet enton-
noir. Cette maison, qui regardait — nous prions le lecteur de ne pas
‘oublier — Penti'ée ve 1a Maison Commune, et. qui dominait.4, droite
-\gourme & gauche uné partie dela place, cette maison était zelle de
-Coulongeon. Ml Vavait mise, on s’en souvient, en, gage aux mains des
‘royalistes, comme garantie de sa fidélité. Cest la que, fortala hate,
on avait transporté la pauvre Rose, 14 que les défenseuys. da ‘la 'Con-
‘vention étaient venus se fortifier au centre méme de tqute ls: pusis-
ssuncedesesénnemis. tw
‘La place de Gréve était en effet la vérilable, place d’armtes de la
Coimmiune,! eri mérie temps que sa place d’école. On y rassembblait
fes troupes et l'on y ense¢ignait les bons principes; et-fontes les epi-
‘tions,’ pour peu qu’elles fussent contraires & celles. du: maitre, en
Staient impitoyablemént exclues. = i. ale oS aw
_ Vulmer, Petit-Val, Sagamore, L’Union Gosse,et Iqurg amis wavaicnt
‘ pay tardé 4 ‘le constafer. Hs se yirent bhigntdy condamnts au silence,
‘quelque précaution qu’ils cussent prise pour émettre,quelqiias iddes
“favornbles & 13 Convention. Ils enragenient ;, car il ftail, fanile dere-
t Ipe ——:
: ‘ ait t : “1 1” ry vi. i ‘ % ‘1 toe dtas bt. ms
| ee j Ios ‘ ' »
wel a1 ie it
THERMIDOR. 429
marquer que ce qui dominait dans cette foule, c’étail l'ignorance.
On ne savait a la place de Gréve ricn de ce qui se passait récllement
en dehors du quartier, et une bonne portion des spectateurs, au dé-
but de cette soirée du 9 thermidor, semblaient avoir recu ou s‘étre
donné la mission de n’y rien laisser arriver qui pdt contrarier les
vues de la Commune.
La besogne, du reste, n’élait pas difficile. La place avait été sillon-
née tout d’abord par Ja populace du voisinage, qui formait une clien-
téle fanatiquement dévouée 4 la Maison Commune.
Ceux qui vinrent ensuite se joindre 4 cette premiére couche po-
polaire, c’étaient évidemment les plus dévoués communalistes. La
masse parisienne ignorait encore, nous l’avons dit, la gravité du
mouvement. Hanriot et ses aides de camp n‘avaient pas traversé tou-.
tes‘les rues, il s’en faut; les cris de: « Aux armes! » n’avaient pas
frappé toutes les oreilles. On avait bien, dans chaque section, con-
voqué 4 son de caisse les officiers municipaux, pour qu’ils se ren-
issent 4 i’Hdtel de Ville; mais tous ces bruits, tous ces cris, étaient
comme partie intégran{e de la vie journaliére. Paris ne s'inquiétait
pas extrémement jusqu’a ce qu’on entendit la générale, Je tocsin, ou
que l’on vit les barriéres fermées. Oh! alors, tout se levait ou se ca-
chait, et c’était comme la goutte d’egu chaude que l'on verse dans
lenid des guépes.
Les premiers accourus sur la place de Grave étaient donc les bas
officiers ordinaires de l’émeute, les amis particuliers des chefs, ou
les gobe-mouches révolutionnaires les plus tétus.
L'adjudant général Fontaine avait convoque les quarante-huit com-
pagnies de canonniers et les gendarmes, les deux corps sur lesquels
Hanriot croyait pouvoir compter. Un certain nombre s’était haté de
venir, ainsi que quelques compagnies de cinquanle sectionnaires
qui élaient accourus des quartiers les plus révolutionnaires.
Entre six et sept heures du soir, la foule commenca a ¢étre aussi
nombreuse qu’enragée, et nos amis durent se taire complétement.
— Ii n’y arien 4 faire en ce moment, avait dit Sagamore 4 mi-
voix. Nous avons autour de nous la plus fanatique, la plus hestiale
partie de la population parisienne. Nulle pensée raisonnable ct hu-
maine ne saurait pénétrer dans ces cerveaux étroils, dans ces Ames
basses, obscurcies et avilies encore par les plus folles et les plus
odieuses théorics du jacobinisme.
— Et, continua Gosse, ce n’est pas quand on a la téte dans la
gueule du loup, qu'il faut l’exciter 4 Ja fermer. Tenons-nous donc
tranquilles jusqu’au tantdt, jusqu’a ce que cette canaille soit un peu
rafraichie par l’arrivée des vrais Parisiens.
— D’autant plus que si je connais encore mon peuple de Paris, dit
10 Avan 1873. 9
450 THERNIDOR.
Petit-Val, il va se:‘monter la téte jusqu’é Pexalfation, et t pendintiee
temps il n'y a pas 4 songer 4 discuter. Mais.si les meneurs ne-sa-
vent pas utiliser son activifé pendant céite période ascendante d’en-
thousiasme, la fiévre diminuera peu pen, et vous verrez comme
il sait entendre-Ja raison quand il est en voie de se dégriser, comme
il voit clair quand i] retire les besicles que les déclamateurs lui po-
sent si ais¢ment sur le mez.
—~ Réservons-nous donc, observons, ‘tenons-nous donc aux aguets
pour saisir les occasions. Maintenant, taisons-nous et séparons-
nous. |
Nos amis se pantech: Vulmer et Petit-Val rogagnérent les.
abords de Phopital du Saint-Esprit.
I] commencgait 4 se faire un grand mouvement de va-et-vient entre
l’intérieur de I'Hotel et la place: Le Conseil général était entré en
séance 4 cing heures et demie de relevée, et tout aussitét l’Agent
national avait requis que deux mémbres se rendissent sur la place
pour inviter les citoyens « 4.s'unir & ses mapistrats pour saurer'la
patrie et la liberté. »
Ces deux membres, auxquels s’était joint le trés-zété Dorat-Cubié-
res, ci-devant chevalier de Cubiéres, et secrétaire-gériéral-adjdint,
étaient descendus et péroraient de groupe en groupe. Ils étaient re-
connaissables &-leurs cordons tricolores, signes distinctifS dé leur
‘dignité, et aux acclamations qui les suivaient. De plus, il s’était ‘éta-
‘bli une sorte de-courant électrique entre la saile du conseil et sa
place d’armes : & chaque instant, quelque membre des tribumes ‘des-
cendait, rendait compte de )’état de la discussion, citait les décréts
qui venaient d'étre rendus, et qui; circulant fidrement de bouche en
bouche, arrivaient jusqu’aux rues voisines revétus d'adjonctions
bouffonnes et escoriéy par Venthousiasme ‘révolutionnaire.’ Nous I’a-
vons dit, et il faut le vépéter pour-faire bier’ comprendre les événe-
ments qui vont suivre, ces décrets, qui parlaient seuls, et qui par-
laient fort, étaient naivement,' logiquement, nécessairement, ‘consi-
dérés par ce peuple comme autant de vérilés incontestables, ‘autant
le vicloires, autanit de preuves ‘d’tme: puissance irrésistible. Les
chefs du mouvement le savaient bien, ét ¢’est pour cela que leur plus
grand svin, 4 ce début'de !émeute, fut d'entretenir le peuple dans
ignorance, en-arrétunt: tous les émissaireés du portéurs d‘ordres de la
Convention, les agents secrets comme les agents autorisés:'
. Les premiers ards’ du consdil'qui descendireht ‘des tribanes et
urrivérent aux oreilles de Lozembrune lui firent hocher la léte; atl
dit’ mi-voix ‘A son compagwon Peli Val: be Te -
— Ce ne sont pas des décrets, ce sont des coups.
Il est toujours bon de porter: los -premiers,' ot cdla fait i.
TUBRMIDOR. 434
quand ona des éires grossicrs pour jugas du camp. Seulement, il
faut continuer et ne plugs arréter.
— Le Conseil général arrdte, cridrent quelques voix, que le com-
mandant de la section des Droits-de-l'Ilomme, qui a refusé d’obtir
au maire Fleuriot-Lescot et de laisser sorlir ses canons, sous les or-
dres du citoyen Eudes, capitaine, sera arrété sur-le-champ,
— Ah! bravo! bravo! hurla Ja foule. Eudes est un brave citeyen!
Lescélérat de commandant! A-t-on Jamais vu un commandant oser
désobéir au maire?
— Mais, tonnerre des cing cents diables! le maire ose bien dés-
obéir & la Convention! cria une Voix.
—Amort! a mort, le traitre, le scélérat, laristocrate! C’est un
Bourdon, & mort.! Ou est-il? A-l’eau!
Mais comme noire ami Gosse, qui n’avait pu retanir sa langue, se
mii a crier : «A mort! » plus haut que taus, 4 chercher avec emporte-
ment derridre tous ses voisins ou sétait caché l’aristocrate, et 4 gour-
mer quelques faces patibulaires qui partageaient leur amour. entre
les poches des bourgeois et les arréts de la Commune, on ne décop-
vit pas le traitre, le seélérat, le Bourdon. Seul, Je vieux madré Nes-
tor, qui, par prudence, se taisait, fut suspecté de tiédeur et as-
sommeé.
Vulmer ne prétait plus qu’une oreille inattentive & tout ce qui se
passait. IL poussait ca et.l4, distraitement, une clameur pour expli-
quer sa présence sur la place, et il sentait que, malgré ses efforts,
son coeur et sa pensée ne youlaient pas quitter cette rue da Roi-de-
Sicile o, sa chére. Marie-Thérése était emprisonnée.
— Eh! aitqyen, ga va bien, tu entends le décret? lui dit Latour-
la-Montagne.
— Le Conseil. général, burlérent dix voix, sur la proposition de
plusieurs membres,. one qua, pe cnene: les banriéres seront
fermées.. 2. .
Un hoyrrah formidable s’éleva vers le ciel, Les barriéres. fecaisas,
CAlait Ja déclaration que; la patric. parisienne était en.danger; c’é-
tait Ia;.mise-en état de. guerre, c c’était Paris.sommé d’aveir:au plus
Vile, 4 eu finin avec.s¢s ennemis, sous. peine de mourir de faim,.d’é-
ire privé.de tout, .et, d'etre, comme un’ epreux, séquesiré du reste
‘de, Lhyraanité} la Commune og pining le gant &.Ja face de
Yennemi.,.j:j°0 3. - | .
Ka ca meen, Yulmer se sti ier par un n-des gardes de Saga:
“MOF@*S) cb osafo nd! doeoit gb cia ies My
—Ilya la-bas un dréle davhaladia qui. demand Le. eitoyen: Avis
lobule. ee tty ead Hynes oe taape ho Me ces
i Wulmerthendit hers .ds: gerole. |: ss at, ad t : tg yf
134 ‘SIERADON.
"Patout-ta-Moniagts, done” eee lait bxcitéd! ‘ef qui crdyait
avoir reconnu son hommé, sujvit Vulmer, qui se ditigeait vers l'ex-
tréme gauche de pee ogee en te
‘Mais notre héros fut'retardé' par sa‘précipitation'méme, et'il avait
di s’arréter pour échanger quelques bourrades avec des citoyen$
qu'il avait bousculés. Latour-la-Montagne, qui Vavait vu prendre’ sa
course vers Ye fond de ‘la’ place, y‘arriva avant lui, et il se mit'&
faire quelques révérences ct politesses 4 des citoyennes déguenillées,
puantes, et puissantes sur l’opinion. ae |
_— Aristobule! Avislobule des ‘Piques! criait le fou, qui avait
adapté 4 scs appels une modulation harmonieuse. ° + | ;
_ — Qu'est-ce que tu Tui véux, citoyen? dit Latour. Le citoyen Aris:
tohule me sult, et c’est’mon ami. Tu’peux me dite...’ ©
— Citoyen, répondit le fou, n’oubliez pas que !a premidre décadé
de thermidor est consacrée au Malheur." 6 8
Le bourgeois jacobin recula effrayé, comme’ s‘il edt été persott-
nellement mous ls cou de quelqué épouvantable catastrophe, et, par
un reste d‘habitude, il ébaucha le signe delacrdix. © 5
- Le fou's' était this a chante’ 6
° hase al
> eles. . . "West dangle gol de noyeaveur a
hore os Quengit Pesprit de pasiamottras,; ate at Qh
Iis enterraient sous leurs tonneaux . —
Le noir chagrin de voir des maitres.
han Tard Quart ious Vain det la; gale bs
Se ear AR BONE py oie vst
tho 1! ‘ | ty dpaphaaia tay n osait parade, fy toe 8 4 ts f old
; a
* a’
a sh . i] ge
is dans le sol il est resté ee
| | ‘Et cet esprit {ter}, Mest du'salpétre; tt rt)
a) ea a PO | a ed aa ee a ee Oe eee
“Volmer attivart! eb, tenjours: sulvi dé Latdurla-Montagte, yi il
w’osait aloignér'—“ear, ‘edsdyer! de sb’ débarrasser' d'un: importen;
Plait 8’ exposer' souvent 4 dive suspect dt ‘eniprisonng — iltfrd & part
ie chariteur, qu'il! imterropgea’ ‘Mais 'le' fou avait 'son propramime, dont
il ‘rie Sortuit pis. If radonta nettement} Teritement, ‘en ‘ldissant tomber
chaque thot sand infletion : cohtine ut’ dutomale,- coment f Enfant
aristocraté,''We-pardé Ble porte de'La Fotcé, Pavait onvoyé'a' la re2
cherche d’Aristotiute uux Fiileries; d ha place ‘dw Carrdusel, puis 2 It
Gréve} en chantarit dais lés foules uv eouplét de sa‘chiatison dw Sul
petre.: ra vers a 8 ae ae teteb ge eae tee bh santiae fe pe a ee ry) |
- Mais pourquol! faire? Hate-tor,' mon ‘ami! bese di yea ohh wad)
122 A ma dit? reptit’ le fou del s& mete ‘Voix ‘eae; itnpassile?
righetone, én baidsant tajolrs tes’ ydux} coininie ‘pour Cviter toul
distractfor eY pécher facilement tHoctn de ‘seg: mot¥ lad? fond de sa
THERA, OR. 133
maémoire ;. 4 Tu ne.diras pas comment nous; avons ey, Ja lettre, pour
ne pas corppromelire | le gardion de La Force, » Dor,
— Oh! ofi! dit Latour, il s’agit de La Force! ,
77 Une lettre, malheureux! Mais donne-la-moj donc!, Donne vile,
vite! a ao
‘Le. fou resta mn instant muet, les yeux fermés cette fois, nt regar-
ail au forid .de son souvenir. sil ne as pag quelque phrase ou-
bliée. Tout étaut vide, et nul mot de J’Enfant ne se cachant derriére
lamas considérable de vers, de nofes et de souBlets dont la mé-
moire du foy était pleine, celui-ci fit adroilement sortir de sa gui-
tare un affreux papier 2 chandelle que Vulmer ne put's ’ernpécher de
porter passionnément a ses Isvres,, et qui en. méme temps lui fira les
larmes des. yeux : il avait reconna le mot Aristobale, écrit dune
main si chére, si mignonne, et Si persécutée |. Il ouvrit le papier. La-
lour-la-Montagne, au nom du. droit revolutionnaire, y avait mis le
nezen méme lemps que jul...
. Yulmer prince s dems; mais il fallait élre patient:
—Citoyén, dit-il, eat. écrit au crayon, et d'une écriture difficile.
Laisse-moi lire, je ne suis pas un malin lisewr; j Je te dirai ce qu’il y
a la dedans.
Il langa au bourgeois jacabin un regard.qui, malgré lui, démren-
tait la bonhomie de ses hina i’ eapien reoula en observant la
figure de Vulmer. “' a:
oot
°
| oO
a:
« Autour de moi, dans ja prison, disait-la lettre, tout le monde
s’arme de ce qu'il peut trouver. On a choisi les meubles qu'on pour-
rait briser pour s’en faire des armes, on remplit ses poches de cen-
dres, pour les jeter aux, yeux des assassins et essayer de fuir. On
attend de minute en minute les massacreurs. On dit que la porte de
la, prison est eacombrée de ceux qui ont égorgé nos, parents .ct-nos
amis en. seplambre. 1792. Adéle de B., dont vous connaissez le cou-
rage, disajt tout 4 l’heure.a.tsebelle,. que j'ai. retrouvée ici avec un
petit entant trés-colére ef irés-bon ; «Je me, demande.si nous avons
fous en..ce moment, quatre-vingts.ou quatre-vingt-dix. ans. » Elle
sa.défendra hiea,, et Isabelle défendra bien son.enfant: Moi, je n’ai
dgutre arme que voug. Si yous étes en.danger ef, que vous atlendiez
prochinement Ja mort, Jaissea-moi, moury', pour, que nous nous re-
joigmens. bientat la-haut, ou. NOUS SELONS si heureux. Si vqus pouves
me défendre et si vous devez vivre, défendez-moi et défendez cette
chére Adéle, qui s’est djyou¢e. pour. mot, ef. cattle, papvre Isabelle,
ens Si.honne moére..Je sais, que je dexmpis; égrire, ce dillet-ck bien
bridyement; Mais je. ne puis. Je suis 8} heurcuse de vous écrire, que
Je chenche cg.que.ie pourrais-hign: yous dire. encore, Nous sommes
134 | THERNIDOR.
si prés de mourir, que je puis. bien vous appeler mon mari. Je ne
maudis pas trop cette Révolution : si nous vivons, je crois qu'elle '
nous permetira de nous aimer plus quc nous ne P’eussions fait sans
cela. Avez-vous remarqué que les'maris ef les femmes '‘n’avaidnt pas
le droit de s aimer beaucoup? C’était de mauvais: ton. Si jé meurs,
n’oubliez pas que je meurs votre femme; at quoitue ce soit mal de
le, penser, ilume semble que je serais bien veuve dans le'ciél, si vous
n’étes pas un mari fidéle & son veuvage sur la terre, Vulmér, Vul-
mer, mon mari! » | ; - |
Vulmer bandit, renversant tout, Jes citoyens sans gilet comme les
citoyennes en bonnet rouge, ct il courut, poursuivi de cent malédic-
tions, dans la direction de Ja rue du Roi-de-Sicile. M. de Pelit-Val, .
qui le vit dé loin, fronga les sourcils : pour le vieux ‘soldat, c'était |
une sorte de désertion. Le fou musicien alla écouter quelques-uns
de scs collégues gn musique foraine; car les chanteurs et'les ora-
teurs faisaient rage en ce jour solennel:’
Quant 4 Latour-la-Montagne, il se dit qu'il avait lé temps d'arriver
4 La Force, et, sans ombre d’hésilation, ils’en alla ati Conseil général
dénoncer le gedlier de La Force comme le principal agent d'un com-
plot dont Ie but était de délivrer et d’armer les prisonniers, de les _
diriger vers le Temple, de couronner Séance tenante Ye jeune Capet,
et de revenir assassiner la Commune. La dénonviatiot produisit
beaucoup d’effet, et, dans le courant de la svirée,; te Conseil penérdl
lanca deux décrets qui ne furent pas sans grande influencé suf le
sort de nos amis, et qui décidaient, l’un, qu’on apporterait les clefs"
de La Force sur Je bureau du Conseil général, l'autre, qi’ortarrétt-
rait le, gedlier en chef de ladite prison, “(°° 1 8 8
Quand Vulmer arriva rue du Roi-de-Sicile, il crul' un instant que’
les jambes allaient lui manquer, Qui, c’étaient bien 1a tous lés pe
paratils du massacre des prisons : les terribles charretfes couvertes,
et qui laissaient passcr' de Ja paillé par les trots dont elfés étaient -
pleines; un baril de ouate pour empécher les cri§ des, victimes; en
tas contre les muruilles de 1a’ prison, de 1a chaux vive; 'dés, balais”
de houx, des jarres’pleines ‘de vinaigre, et ces’ tpouvan{ables, in-+
struments qui avaient tant travaillé a l’Abbaye, ces lourds assoni-—
moirs, gisaient dans le ruisseau, au milieu de la fie. Oe de
Grépin, administrateur dé la policé, & Ia téte d’uné cingi antaitie
d’hommes ivres, hurlant, blasphémant, criant, dés ‘changoris obscé-"
nes, des menaces horribles, ajtendait 4 la porte de la prison, Une
vingtaine de mégéres portant dés sacs et des couteayx dé bbuchers
sommeillaient dans Pombre, ot se‘ dachaitht quelqués ‘coqhing plus |
ignobiés que les autreg, ét qui- paradaient sous deg chasubles én:
loques, sous des étoles tachées de plaques noires. Ceux-ci étaibiit!’
THERMIDOR. 135 °
les vélerans. du massacre, et ils avajent revétu pour cette nouvelle
féle les. vétements ecclésiastiques qu’ils avaient arrachés ou volés a
leurs précédentes victimes. [ls criaient souvent: « Brestois'! Bres-
tois! » et ils attendajont dviderament'ayec impatience. a
Quelques-yns se précipitérent 4 la rencontre de Vulmer, qui arri-
vait le sabre en main et le.pistolet au poing. iin
— Est-ee le Brestois qui. t’envoie? demandérent-ils. Pourquoi ne
se dépéche-t-i} pas de donner le signal? Hl n’y.a.pas que La Force, et
si nous pouvions faire deux prisons aujourd'hui, ¢a serait autant de_
gagné. 4 ' Suse
~— Scélérats, pourquoi avez-vous enchainé le eamarade? dit Vul-
mer en. montrant Monbayard,.qu’on avait couché par terre A cété de
Enfant aristocrate,. tous deux liés avec Ja méme corde qui leur at-
tachail les bras autour ducorps. ... ee
— Ce n’est pas. que nous ne voyions pas deux camarades de plus;.
il ya place pour tout le monde, ef pour toi aussi. Mais ils sont, tom-
bés sur nous.,.Noys attendgns Je Brestois, qui.ne veut .pas qu’on
commence sans lui; ef nouscommencerons, quand il sera arrivé,
par faire leur affaiwe & ces demx imbéciles. , ss,
— Le Brestais, yous.le sayes, bien, est occupé 4 la:barriére de
lObservatoire, et xdus allez délier ces deux citoyens. a)
~ Alars tu es un ami du Brestois? dit Grépin 4 Vulmer, qui, de
son.sabre,, coupait lacorde.; .-. 00 to. es
-Monbayard, aussalOt gu’il fut libre, bondit yers I’amas_d’assom-
moirs, et, apres ep, avoir saisi un, il vint se placer 4 cété de Vulmer,
quis était mis devant, la porte..L,’Enfant, sans rien, dire, se eampa
délibérément devant eux en agifant. Je poignard qu'il avait enlevé Ja
Yelle an capitaine Front, Monbayard interrogea d’un gesta Vulmer,
qui Jui répondit par yn signe d'indécision., 5),
Mie sayait que. faire, en effet. Il était. accoyru, plein d’une an-
goisse folle, sangeant, qu'il frquverait le massacre commencé, et
nayant dautre, plan. que ide a¢, jeter An milieu des égorgeurs pour
sanver Marie-Thérése. et s’en{uir avec elle. Il co aprenait mainfenant
qu. raat mienx.ruser,,gagner du temps, éloigner ces misérables
affe mics paroles. Mais il ne trouvait rien, & jeur dire; sa’ verve
endiablée l’avait quite.) ire ee ee eh gt
Hg faiselt plas asseg clair pour qu'on, pit distinguer les physig-
homies; Je crépyscule.s assombrissait, rapidement, mais leur hésj-
lahion Stayt éyi eel i br th tag lise acter ab
74849 dls, Gropin, cr tune des,tyries, que ce ne sont pas des
patmotes. Cast des aristocrates qui viennent pour armer les.prison-
niers, les, senforcer ef nous teurmenter dans nos,devoirs civiqués. A
| : an
TOE his iy-f09) ey tote Ponti, Ofer big t beey oaty te as
156 TBERAADOR-
— A mort! reprit la, bande, ({uez-les,1 ils. me sanLengore thud deux
ef nous enfoncerons'les portes. Au diable ce acélérat de Bresteis. quan
nous fait perdre nulre,temps,;., enter: Pee
'— Yous avez rdison, .cria Grépint Yois, raves défenseurs de-la
patrie, il est inutile de risquer. votre vie, précieuse pour la-républi-
que, cohtre. de vils scélérats comme ceuy-la, meee wns) iat. ba
4 coup de fusil.
Avant que le mouvement fut exéculé, un grand: corps btrangement
vétu parul, sur le lien dela’ scéne, .poussant dewnint lui,: a:cemps-de
pied, un gamin qui hurlait., G'était Samyel Vaughan qui-avait: sais
ce gamjn, et qui |'obligeait, a force.de ¢ CAUPS, 4 dat indiquer le che»
min de La Force. L’Anglais s¢ précipifa syx,ya dee septembriseurs, .
lui arracha brusquement, sey, frsil, Le gamin se. réefagia am milieu.
de la troupe eu hurlant: « A:mort]’aristaerate | n Samuel, en agitant
triomphalement son, fusil, poussa, un hourrah coogi ef vint se.
ranger a coté de Vulmer,... ., ae
_ En joue, feu sur les brigands,|.cria ou: Rei ay Oe
, Mais des cris s'élev érent,, poussés, par leg -derniers dada troupe:
— Arrétez! arrétez! nous sommes surpris, eaieumes,: Voita une!
nouvelle bande qui nous, prend par, Merrigre, (00 cate ube >
Coulongeon,., courant deason mieux, arrivait.alaAdle dane troupe
d'une irentaine de sacripants Aen, armés, Il aa LOTABD, oto:
la hande deGrépin,, «| ee ee
aT Camarades, sécriact-il,’. $@5 hommes, laisserans+ecus, pes: fais
— profiter de, toutes les bonnes aubaines, quand. noms, qua
es de brayes soldats,. (et; qui travaillons, jour: et: nuit .pour tla
ublique, nous verrjons fot noys.passerdenantJebae?s. 1!
er applaudissement formidahle Jui, mentra.:qubh. oonnsdssait,
comme i} ]'a, dit plus tard, le coeur hymain,.ptdes: nouveaux: venus
firent recyler,les gens du Brestois,a,coups Mecrosse; stile
— Par Je sang de Marat! continua Coulongeon, oa nb-sera pas. Le.
Comité de Salut ‘public. a eu confiance.en nous ;novs daaténitans. Hd.
nous,,a, chargés de, difandve La. Foroe,| nous, la: défendrdnss Nows: ja:
défendrons contre, les auires,. saprit, viyement Vhabale dréle; mous:
la défendrons, jnnaw’d ce que ‘la. moment poll venil.de na plus :lardés,:
fendre. Et sila Commune victorieuse ordonne qu’on netloie-1é¢ gear;
ries de}axisiogratig, ch bien, je.dis,qu il: vant mieux qe ca soil nous
qui ramassions la paille.que.cep fainéantsrla,,,...--. se etn ae!
Une nonrelle pooner dul, maontra, ae aw pouygiticompter, ‘BUD SPS
hommes. Soe a PO aT FR)
Tonia. coup un son aigu traversa: lair, mun son, miguy Nil, Iugubed..
Un grand silence se fit. Puis. ua cri immense sélavadic cs 6k die
ure, focsia 1 Je tegsin.!: le ,tagsini!,. Mitty Sed uid aul a -—
THERUIDUR, 431
on bas tocsiw? sb'dit Vulmer en pilissatt t ef j'zi-qiitls ‘nies com-
pamnents-d'titeried Po te tees ee
— Le tocsin! cria Grépin. Camarades, braves patrioles, lalssons
os voleurs-senorgueillir de leurs! crimes. Aux Carmes! aux Car-
mes! .C’esé lia qu’ona'transporté, hier ‘du Luxembourg, les’ plus ri-
ches. pyisbnniers et prisonniéres; ils ont caché des montres plein leurs
hottes et des chaines d’or sous leurs jupons. eae
~ Aux Garmes! hurla ka bande en disparaissanf.' | |
— Main tenant, dilCoulongeon ad voix basse a Vulmer, i] faut que vous
vous deignies. Je‘vous‘ le répéfe, ‘c'est la-bas qu'il faut étre ‘victo-
rizux pour sauver les prisons! Si la Convention est vaincue, ma foi!
je vous jure que vos femmes, je les sauverai. Yous avez ma maison),
ma femme et mes enfants engage. Maintenant, allez-vous-en. |
Vulmer prit Savtuel par le'‘bras et s‘Gloigna en toute hate. \}'cher-
cha.de Yoeil Monbayard -et PErifant ;'-mais it faisait de moins én
moins clair. Le capitaine et son brave petit compagnon avaienit ¥e-
pris leur poste d’observation aux environs de la porte dela prison, et
pour qu'on ne-ley inquidiat pas, ils s’élaient étendus sur la terre, et
feigmaient de dormir. °° 7 Be ne
Nos deux amis gagnérent la rue Cloche-Perché, ‘comme on disait’
alors, ta place Baur ér et la rue de fa Thxéranderie. Ils ne son-
peaient guére'a se par ev.:Le tocsin, qui avait comméncé 4 la Maison,
Commune, avait gagné les sections voisines. Des sons pergants pardis-
saicht appeler toute ta cilé ata guerre civile avec une hate imipatiente,
pois colére, ipuis furieuse,-et toujours Sépulcrale. ¢ | mans
Bientot le ‘bruit sourd et effrayant'de la générale vint rouler sur,
la terre, comme-lds'appels lugubres de ia ctotlié se précipitaient dans’
lair: One grande partie des maisons ‘s’étaient hermétiquement clo-
se89 quelques '¢ircs muets et pressés gaghaient terraii eri serrant les
murailles. De petits growpes échangeaient quelques paroles, a ‘voix’
inguiéte; ser‘le seuil d’ytre maisoti, et Von ertendait dats le Tointain,
dés.cris indistinets; des proclamations qui arrivaierit d'une maricre’
confess: Le:loird'roulément'des candns, qui grondaient comme Je’
tonnerrej eduvtait toul de-son murmare meriacant: Puts seul; bi'ds-
quément, an‘ cavalier passait! a-grand trdt, en hettunt comme: ‘ati!
ce) Oo rT rc ‘|
-wor Amol, negs amis! {qui mf aime mo sive! AuX-armes! on égorge’
les citoyens. On assassing!le‘dileyen Robespierrel © °° 0 SY
‘Das ion: proord, uty grotipe sb formait, bruyant et furieux, pour
écouter une proclamation dela Commune. Quelques pas plus Toft; Te
Silence fdindbre vepronait: Un-autre cavalier’ de Véldt-amajor traver-
sait la rue en agitant-éson sabrect' ef criunt's! I nes
— Une faction veut opprimer lés‘patriétes! duiceurdge!Lé point
to
438 THERNMIDOR.
de réunior est la Commune. Le brave Hanriot exécute ses ordres :
vous ne devez obéir qu’a lui seul.
Au milieu de la rue de la Tixéranderie, nos deux compagnons ren-
contrérent le fou musicien, qui, dansant, fredonnant et jouant de la
guitare, regagnait son poste auprés de son petit ami. La, le silence
lugubre était rompu; le grand bruit de la place arrivait presque
Joyeux, et quand ils débouchérent par la rue du Mouton, le premier
individu qu’ils reconnurent élait notre bourgeois [atour-la-Montagne
faisant satiler gon/chapeau, en-criant:
— Le pére du peuple, fe citoyen Robespierre, le venérable: Cou-
thon et les autres protecteurs de la patrie sont délivrés! Ils sont sous
la sauvegarde du peuple. Le citoyém Robespiérre ést 4 la Mairie, en-
tre les mainsdes administrateurs de police, tous patriotes. Les scélé-
rats de conventionnels comptaient l’envoyer a La Force pour le faire
torturer 4 coups de ciseaux par Jes femmes aristocrates qui sont la
prétes a se révolter et 4 venir égorger la Commune.
Vulmer rejoignit nes le vieux soldat Pavait saa avec des
parolesiaustéres: «=. Best SG "he ae yr ay ges
— Feu volre pére, qué btalt un vaillant honiear vous aurait dit
comment on nomme les gens qui quiltent leur pobté devant lien-
nemi. Croyez-vous dozic que je n'ai ‘pas, moi aussi, laipsé en danger
ma femme et mes filles? Le soldat ne connail que $a consigne ; .quind
le péril vient, il n’est plus un homme, il est un copps, it est la pdtrence
il est Vhonneur- Lé trou qu'il fait en.s'éloignant tivre passage 2 V’en-
nemi. Savez-yous ce:qui, arrive? Les ¢ompagnons ‘de L'Union Gosse
commencent 4 perdre la téte aa! milieu de touted ces folies. atrores
mélées:de grandes et nobles vérités, et ils diseht quesi: vdus ols eA
allez, ils peuvent:bien partir aussi. Je vous te déclare; ‘si yous quyttez |
encore le poste d’honneur et de péril; je répéterab devant tous les
gentilhommes‘de France quele vicomte me oeeuprone aericburagé
les l&¢hes eb les désertiohs; .-:.° OSE KY seit
Et laissant Valmer confus et. humilié,: le ‘inix ‘soldat's' dloigna
en grommelant. 0 © set re lb tp teri ote
Cs p’ Hénicautr."'
: i ; “ttrypeyte to. eke fe ee | eto
rot ao EEE. - A are ( ite
PR ER AA. I ER eee ak SO RAN is : re
rare sid aa 7 : “a
‘La fin an prochain: numéro.” |
i bre ar ' ae pe, Dy bots Mods a Vieltya oy |
ae oe a ae i ae aa wee a
er es een - dee Ne we a4 Wyo parry tify af atu ae
Ell Gea. alk Baakas orp al beets
Shp Lag uel eh tact =
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Sittetys
Peres rt
Dans. 3 LEVANT, EN 1872 | i,
eS Maer ty fs an a Sere js it, s' QJ a an ' Fota t er a fet
‘y rt et ae ere were ee rag, Mee. Jed
la deuxiameé division de notre escadre cuirassée. @’évolations.
vient, apeés: trois: nreas:d’absenco,;: de reniser &: Toulon: +- Conmposée-
de trois batiments biindés, fa Gaudoise, le Thétis; la. Reine-Blanche,
et d'um avian rapide, le. Desair, cette force navale avast: recu ka mis: -
sin de paresurir le: ittopal: dela Méditerranée, tout em continuant
Pigsiruction de- ses-équipages. Ces beaut .navires ont biévus dang |
les- eaux. de. ja. Tunisie,:. delMigypte,-de la Syne, de l’ Arehipel,: de
Smyrme, dela’ Gréde -atide.|iltelie. .Partont, paami ces pepuiations:. :
qui, ston giemps, ant été Frangaises de cceur, :Us.ont appara comme .
un symbole de nésurpaction ; partout, 4-leus. aspect, nes nationaux
ont tepnis aspéranee: eb courage, ivertus: qui: pyanmaut leur: sduree |
dans le sentiment demos propres fogcas. ts
Celte,, Jahericwe etn drudiuense:. cimpague .s:est termine: SATIS
qu’'aucun accident en ait troublé le cours ; natve ministre des affai-
res, ¢rahgéras, aussi diver: quia ineluk de bai marine, deivent.: a: 1of-
ficier général qui |'a dirigée, les mémes félicitations, Ja;andAme ree :.
COMMAISSANGE., , qn A.)
Depuis nos revers et nos derniéres luttes, Je. pays.a appris | A, $'in-
leresser aux choses de la marine, il a vu ce que pouvaient a la guerre
un petit nombre de coeurs bien trempés; peut-tre trouvera-t-il
quelque ulilité 4 savoir de quelle fagon les mémes hommes sont
appelés 4 servir la patrie pendant les loisirs de la paix. Puisse cet
exemple le détourner des disputes stériles, et contribuer & lui
lspirer la ferme yolonté de suivre la seule ligne de conduite qui,
avec Paide de Dieu, puisse nous guider vers le salut : travail et
discipline !
140 L'ESCAURE ERANGAISE
vm, otto:
"TL est “ailficile d’admeltre qu’ en donpant | a Mh. i cone ail |
Huguefeau de Chailli¢ ordre de. conduire.. woe -escadre frangaise
dans le Levant, le gouvernement Wait, sougé.qua faire. appliquer |
pdr la marine , de nouvelles, régles. dinstructian - 4@R rapport avec —
celles yécemment inaugurées autour de Paris par.notre, armée. Sans —
quilter notre littoral, ou, tout au moins, ce. bassin. qu’encadnend la
Provance, la Corse et V’Algérig, nos armées ‘de, mex,.omt, sous la
main, des champs de .mancnvre op d’exercrqc, depuis tanglemps
labourés en tous sens par la, quille de.nos Naipseaalx.,, des. espaces
assez vastes et assez varies pour que nos chefs, d’escadre puissent y
appliquer : 4 leur aise- toutes Jes ,combinaisons tactiques ayxquelles
Sc prétent les flottes modérnes.. Si.danc,..malgré la. pawvreté,-du
budget, ’on s'est décidé a agrandir, le cerele.ordinaixe de nes év0-
lutions navales, d autres raisons ont.da le conseiler... |
Nul n’ignore, ef, France, a, quel, degr¢é mous axong été. absisnés,
mais beaucoup ne savent pas quel jugement l’étranger porte sur
nous, sur nos désastres, qu il /Gragére encores, loin de des amoin-
drir. En Orient surtout, pays ot,]’on ne,cagit, guére que ‘ce que.l’en.
Voil, et ou. les hommes d’ Etat qui connaissent.la-vérité, simaginent
souvent avoir inlérét a ne, pas. la divulgyer,, noire influence plus
que séculaire a subi Jes plus rudes atteintes.. Audaciensement nice
par les uns, elle resfait enfonie comme .yn..lojniain souvenir ..au
coeur des autres. Nos représentants et nos consuls. receyaldnt, car
que jour, la douloureuse confession, de leurs, plaintes et: de.dours
angaisses. C'est par cux que le gouvernement fut.cappake au, souci
dé nos intéréls en danger. Fidéle 4..son devoir,. jl, comprit. qu'il fale
lait a fout prix, par ung manifestation .aapesante ,..prouver que
notre puissance survivait, 4 notre naufrage, et rasgurer. des alaxmes,
en constatant, par une démonstration, que nalre politique: tradi-
tionnelle en ‘Orient serait. énergiquement - smaintenve. (L'envoi
d’uné cscadre fut résolu.. Cette expédition .pacifique..a. pu mpliver
certaines défiances;, des ennamis.au de maladroits amis pauwrons
chercher a la présenter comme, une yéritableexeprsion diplomyalice~
militaire; il est des gens qui yoient. des, missions.secrétes pantout.
Celle de Vamiral Hugueteau, de Chailljé échapparaatella 4 cp dbep-
témie 4 la mode? Les raisans d’ordre ee qni genles l'ont mo-
tivée permettent de V'espérer. oe panne Sareea tadliiosas, ce
_Conformément aux ordres ministériels, ‘Lescadra :.d'évolaens
‘paXs vb revanr? | iu
sppareillait le 4 octobre 1872 de Toulon. A peine hors des passes,
les deux divisions qui la composent se séparaient, la premiére se
dirigeait vers Ajaccio, et la seconde, prenant désormais le nom d’es-
cadre cuirassée dans Je Levant, faisait route pour Tunis, ov elle
arrivait le 10 octobre aprés avoir, en passant, camplété 4 Bone son
approvisibtiwertdnt'de-chatbon: ©
Depuis plas de'quatre ahs, aucune eScadre francaise h’avait mon-
(réson pavitlon sur:la cdte de‘Turlisie: Cette longue abécrice, rap-
prochdée ' dis#-Appiriflons f'dqtientes'de'batiments de gueire anglais,
iulioné, itrieHiehs, était’ fort corimentdd ‘dans ‘Ie pays, L’on, ‘en
coriclunié woldtitiét's que’ hos ‘désastres ayaiént'atteint jusqu’a nog
forces mai@imes!! et! le ‘bey ‘se felicilait' d’avoir sollicité dé la Porte
une'sauens:-que'laFrance Settbiait-n'étre plus enh'mesure de lui,
ssuver désorrdiaie. Tit ‘surprise fot’ extrémed forsque, passant par:
dessus: la (Goulette, le votfe et! Id' ville de Tunis, la puissante voix
des vanéns dd! Jb -Godotse' snnonca jusqu’au Birdo Tarrivée d'une
floite'fratiesisé| De-'tulites ‘patis,; les plus dpathiques accouraient,
pour vetir Pos ‘idveava tits: N'ataient-dlles - pds dee fah{omes: cés mons-,
ueuses masses 'tdites:) bardécs'‘Weé''fer, ' a’ Vuispéct imposant - ét
sombre? © Spectitté bien fait ' pobr tipper ‘Tes’ imaginations grien-,
tables 1] Posthbs t | Pe Se 4 Se als aes 7
Gelus qui wa Jamais quite sh'putrie ne'conndlt pas Pémiotion du
Wrage? 8°14 Wee; Wii ‘We tellds ‘circonstancés, di pavillon’‘de son
eS. le joie, d’espérance et d'amour.
Voit Ie @rutied, ie'la Frande’l's*écriafent nos’ compatrioltes, et le
phatsiv dente Britatt! feut’ vecaid ; assutdince nouvelle ‘de leur. dé-,
morcie; atest Died! que! Tes stares dé réspect'ét dé sympathie qu’ils’
remeididnt leit passage’, ‘trahissaignt assez la portée d’un tel’
erondarein t!9 La-elobier frotcatsd! ‘tant’ 4''la Goulétte ‘qu’é Tunis, est
Penvinon ‘Apaie edits fariittes ;’ie' nombre ‘de nos protégés, tant,
mesulintin’ yiitigvadlitas: ut beaerere plos eonsidérablé. Tous cps ,
copprs) ba tteibnd 4 12Hisdon' et traditisaient. leur'joié d’une fagon.
hica'teieharta? Bat léut’ demande! is‘farent présentés successive
ment! et? ipa! beupes's Pamiral' et atx élats-majors réunis. En ré-,
porisey al ewpressibit'He létir'redonnaissance et dé leurs voeux, il fut.
dit -Augus!d Aye fo? Gdn Ballte at patience }' Ta France n’oublie pas,
S08 CLARA MES, “408 off Hest tevjouts’ juvert; et son’ bras encore vigouy
rows) Pda peiddHtd Mest! hous, ‘travaillons; 'heure, prochaine |
est Digi: egsaperts12<'Tvocasions ‘4u‘Dieu' ‘da Prophéte, sermenis ,
Cambuy et Ae fitelinaeindigiagées de confiance dtérnelle, rien ne,
mutha aux ldomdtistititidhd ‘enthoasiastes des Arabes. ‘Le succés ,
colossal de notre emprunt les .avait. frappés’Féblouissement ; thais,
a-died whey betes letatante’pteirte ‘deinéire Wtdite renaissante avait
442 VESQADRE FRANGAISE
pewl-dtre moins émo- leurs intelligences qaeheppdres mititaire i
venbit d’étre' déployé devant leurs ' yeux: :
Le bey lukmbme tint 4 hormeur de recevoir' Pawiral nrsnduls et
ses officiers.' A cette ovcasion, il manifesta pabliquement 'lés plus
vives 'sympethies pour la France ct pour M. Thiers, « le‘digtie chef
de son gouvernement. » a La grandeur de la Frahve, dit+th, est né-
cessaire & la paix'du monde et surtout & cefle'de Y Orient,» parole
profondénient -vraie qui, dans la houche de ce viel allib de notre
‘nation, avait l’accent dela sincérité.
‘La régence dé Tunis n’est pas florissante, le campogwe: se dé-
peuple, la misére et la ruine-ert chassent pew A peu les habitants,
malgréi (ous les efforts faits pour les retewir. Les procédés, simon
les mtentions: da: gouvernement prétent, paraft-il, & bien des cri-
.tiques, la menace dela banqueroute apparait déja, mbis& qui peut-
on :s’en prendre.et ‘quel' est le reméde? Il est certain que la popu-
lation de cette cont#ée:offre ce caractére particulier; qu'elle semble
n’avoir jamais considéré le sol qu’elle habite ét . qu'elle -cultive
comme sa patrie: Se sentirait-elle, delle :méme,: inférieure & sa ta-
che? Nulle. part, mieux que: chez elle, il‘n’est plas facile:de constater
la frappante immobilité a laquette: toutes les'races Tnestiloune pa-
raissent ‘avoir été fatalement condamnées. rg
Les alenicurs‘de: ‘Tunis sont parseniés ‘dlentiques décombres. La
chapelle de Saint-Louis domine les ‘vestiges de Carthage; dans son
cadre de verdune, elle se dresse' devant le : inegard et: la pansée
comme une protestation contre Jes ruines qui Penvirorinent. ba
statue. du rot:eheblien est tournée vers I’Orient, 'corame pour indi-
quer 4 la'Feance que:ia route de son avenir est la ‘méme! que celle
de son passé gloticun. Quel peuplé viendra; pursson travail, fe-
eonder ce sol fertile:?quetles flottes‘sortiront in ‘jour de ices porls
si merveilleusement situés? Carthage renaitra, le temps: est iprovhe,
pout-dire. De! toutes parts, ‘cette ' betle ‘proie egt' eonveitée. : Ele doit
nous échoir, ear ele est-encare la tetre d’Algévie..
. «L'effet: ordinaire des cblonios, a dit Montesquieu, & moins qu'elles
meient iréspeu ‘d’éendud, est idteffzrilobin de ipays‘d’od ‘on tes ie
sans peupler ceux etron les:anvoieis 6 © is ote
Sans manquer @égorde’ ‘Villustre' penseur, it est cane de
ereire qu aujouod’hui, enface del Amérique, des! Indes et de Y’Aus-
tralit, sans parler: ’dutves exémples moins: gravidiosesy il 11’ hésite-
‘Tait pas a rerier: sa: thése. Il avoverait' hte 'ltaffaiblissament en
homoves;. Si tantvest’ qu'tiioxiste) ‘est plus kuecompdnse: par l'ac-
‘croissement de la face en'inflience > — evait,' cae edleb suntdi-
‘ghessde son-grand esprit; tds! belted aves dcribes seri notre leplonie
Afrique, - par": Provdst-Poradoly ‘desthunent ‘polit qtud' wa cour vral-
DANS .LE L@YANT. 145
ment frangajs. ..4gataires de.gette: féconde inspiration, naguére en-
core la plupart des organes de la presse francaise annoncaientiavec
deuleur qu’yne. émigration déja4 nombreuse d’Allemands chercthait
a s'dlablir en Tanisie. Cette nouvelle était purement imaginaire.
les dispositions de ‘ce pays manifestement:- défavorables 4 la Prusse,
le traitement infligé pendant la derniére guerre 4 certains agents
suspectés d’avoir.voulu pénétrer en Algérie par la frontidre,.et enfin
le peu de sympathie proyoqué & Tunis par la récente visite du
prince Frédéric-Charles, écartent momentanément de nous ee: dan-
ger. Cependant, née cessons pas d’étre.vigilants, le devoir de notre
politique est d'écarter 4 jamais. de l’Algérie un pareil veisinage: —
Quand s’éeroulera: la. derniére pierre de: l'édifice- vermoulu, sau-
rons-nows, ka .relever pour. en faire les assises de notre grandeir
feture? Que Ja: saint. roi porte 4 Dieu notre patriotique invoeation,
qu’tl le supplie de fermer nos plaies encore ouvertes, de guérir nos
douleurs tavjours cuisaates, et de rétablir la axance en: sa forge et
en sa, splondeur !
Avant de songer a: conquérir lé sol, il est permis ‘de Sessler a
se conoilier les cceurs. (eat. A cette. tache: que le personnel dé notre
escadre employa: les loisirs.de son trop court séjour sur la mde de
la Goulette. A bord de nos hatimients, furent admises towtes les fa-
miles qui exprimérent' le désir de les visiter. La bonne tehue,
lerdre, la diseipline, la politessa de..nos marins, aussi bien: que
leur habileté Ada mariouxre, leur. valurent les: plus gracieux ‘suf-
frages.. De: ewricdté, ils surent exprimer combien ils:.étaient tou-
chés de cette: prodigalité de témorgnages 'syrnpathiques: Quand vint
le jour, de: 'appareillage, -ils partizent. gaiement, emporlant .l’assu-
rance.qua, derriéze end, ils Jaissaient ks meilleurs souvenirs, ‘et
que leur vVisiie avait tavive = bien a beur a pure omme at
patmoatisme. jit i:
Pesdant Ine :quelyves:; pare de: mer. qui hpaiant Tuhis de Pont.
Said, les équipagesi:acbavérent de se préparer aux travaux de l'sn-
speclion générale annualld{ Gelte mépeblion,. passée: ordinairement
par le chef mémme de)l’escadre,:est:pour teus.un événement considé-
rable. Dés longtemps on sen préoccupe \ |’émulation enflamme jus-
qu’a dernier mousse, et: le dési de poerter.son navire ‘au premier
rang, désar -ohadue jjour surexcité | par les-commiandants, conduit
fire! des! messeibles: Dans une ekeadre, diun batiment d-un-autre, la
differance 'dat jdimais bien grande. ‘Nos. raglements maritimessont
si kagement.eancus,e¢ -at: ‘Scrupulensement ; enégoutés} d’autire part,
les qualites i notre. personnel.d’afficiers, sont si analegues. ct: si
compl tes, quelouti.2, bord, bras. el inlelligences, semble maroker
CONDE. URE; satin ih ana méglde,.Gependan, et:celn est
145 VESCADRE FRANCAISE
facile 4 constater aprés une longue campagne, Io caractére du com-
mandant donne toujours 4 son équipage une empreinte qui consti-
tue son originalité. L’ceil de 'homme du métier ne s’y frompc pas ;
leg matelots eux-mémes le ressentent fort bien. Lorsqu’ils ont com-
pris que leurs services, leur zéle sont appréciés, que Jeur chef les
aime, lés instruit, les dirige habilement, adoucit le plus possible les
rigueurs inhérentes au métier, se garde a la fois de trop de dou-
ceur et de trop de sévérité, ils se donnent entiérement a lui, s ANIEO:
dent 4 sa personne, & sa destinée.
Heureux-le chef ainsi favorisé! Tout, dés lors, lui devient facile,
et, sans effort, par le simple effet de ce contrat de dévouement ré-
ciproque, il arrive & commander une force mililaire formidable
parvenue 4 son plus grand développement d’intelligence et d’acti-
vité. A son bord, tout homme est comme Ie héros de Tacile, cours-
geux pour obéir, ferme dans l’action, modeste aprés le triomphe,
digne de conquérir la gloire sans exciler l’envie. C’est 14, suivant
énergique expression des Anglais, le vrai man of war, le batiment
de guerre fail homme.
Le navire qui fait campagne soit isolément, soit en escadre, cha-
que jour doit étre prét au combat, chaque jour doit faire un progrés
de plus en vue du combat. C'est vers ce mot, ce seul mol, ou plutdét
vers toutes les pensées qu’il condense, qu’est dirigé cet effort si in-
tense et si multiple qui caractérise la vie du bord. Les détails d’exé-
eution sont extramement variés, c’est 1A qu'il est relativement aisé
de surprendre le secret des moyens ou Ja supériorité des résultats.
Le travail des inspecteurs généraux doit étre assez approfondi pour
que l’4me du navire leur apparaisse dans son imposante unilé aussi
bien que dans la diversité de ses manifestations et de ses facultés.
Aussi ne néglige-t-on rien lorsqu’on s’appréte & recevoir leur vi-
site toujours redoutée. Mais, disons-le 4 )’honneur de tous, si tel
équipage l’emporte sur quelque point sur ses voisins, il-est vaincu
d’autre cété, de telle sorte qu’en moyenne, le niveau d’instruction
atteint partout la méme hauteur. Triompher sur toute la ligne est
bien rare; jusqu’aux jours de |’épreuve définitive , chacun peut ce-
pendant l’espérer, et tout chef habile a le devoir d’entretenir dans
tous les cceurs cetle confiance. Est-il plus noble occupation pour
Vhomme que de travailler ainsi 4 Pélévation de son pays?
C’est dans ces labeurs incessants que s’écoula, pour notre escadre,
la traversée de Tunis en Egypte. Aprés avoir reconnu Ie phare de
Damiette, elle alla jeter l’ancre devant Port-Said, et le jour méme
la Thétis, la Reine-Blanche et le Desaix cutraient dans le port pour
y renouveler leur combustible; seule, /a Gauloise, retenue par sa
grandeur loin du rivage, restait ‘mouillée en dehor's des jelées.
: _., DANS LE LEVANT. 445
Tout a élé dit sur l'Egypte, sur cette méve créatrica do 1a civilisa-
tion, terre féconde én prodiges et qui, mieux que toute autre, A coté
de sa propre grandeur a su, sans en redouter la rivalité, exalter la
grandeur de I’homme. Nul voyage au monde n'est d’un plus éloquent
enseionement que celui de Port-Said, 4 Ismailia par. le'canal, d'Is-
‘mailia au Caire par le chemin de fer, du Caireau Nil ef aux Pyrami-
des. Le Nil, meryeille des fleuves, bjenfaiteur obstiné qui, depuis
tant de siécles, obéissant au mot d’ordre mystérieux regu du Créateur,
verse & pleins bords la fécondité jusqu’a vingt lieues de ses rivages ;
les Pyramides,- monuments impérissables aux pieds desquelass’agi-
teront, tant que vivra le monde, les sables du désert.et Jes révolu-
tions des hommes; Ie canal de Suez,,.triomphe éclatant de. Hesprit
sur la matiére, affirmation sans égale de Ja puissance de Ia civilisa-
tion moderne; fel est le cadre grandiose du plus magnifique tableau
qu'il soit donné, au veyageur de contespler..Si la féte. est pour les
veux, elle est aussi, et surtout, pour J’intelligence. Dans ce par-
_ cours rapide, les souvenirs de tous les ages la pressent en foule,
Passaillent jusqu’é donner le vertige. Tous les peuples défilent a
envi, avec leur cortége de laheurs et de douleurs, de hauts fuits et
d’errcurs, ils naissent, grandissent.ct s'effacent: vision émourante
toujours dominée par ce ciel, sjlencieux ,-.¢blouissant, sans‘nuage,
miroir de l’éternité, au dela duquel apparait la face de Dieu.
LEgypte est, a Ja fois uhe nécropole.de grandeurs déchues et-un
berceau de graridecuys nouvelles. Son histoire, déja longue, n‘a-pas
dit son dernicr mot ; au passé le plus. pradigieux succéde un pré-
sent plein de promesses, Ses. souvenirs pourront passer tomme ont
passé fant d’autres, de soudaines selipses pourront entraver' les ef-
forts de son travail; mais Ja terre restera, avee son incomparable
fertilit8, avec sa situation merveilleuse, au milieu de trois. éonti-
nents. TOf ou tard, Je commerce du globe s’y-donnera rendez-vous,
el ce sera, sans doule, l’arrét de.mort ou l’émancipation tardive
mais éclatante de sa popylation si laboriguse :et: si:patiente. Qualle
que soit, vers ces temps, la*fortune de la. France, son souvenir vivra
impérissable en ce pays du souvenir, car c'est elle qui, par Ja con-
ception et ’exécytion du canal. de jonction-des deux. mers,:aura la
gloire d’avoir préparé tant. de prospérité © 3 et
LEgypte d’alors ne ressemblera guére.a:l’oneienne. Deéjx, le tou- .
nste va en voiture (6 profanation !) du Caire aux 'Pyramides ;'déja un
pont audacteux mesure. la .Jargeur.:du .Nily.le désert lui-méme est
dompté‘ par la vapeuy,, lea qités. sortent de teree comm pas’ enchan-
lement. Port-Said , et. tout.est, Kceuvre de I’homma,. acquiert: une
importance considérable, gage, de’ pragnés. plas: grants-éneore, eha-
10 Avan oD Wee sp te pee A
146 L'ESCADRE FRANCAISE 4
que jour ses eaux sont sillonnées par de nombreux navires. L’ceuvre
est née vivante, elle vivra.
La présence de l’escadre devant l’embouchure du canal a permis
‘a tous nos officiers et morins de se rendre compte par eux-mémes
du gigantesque travail accompli et des proportions trés-sérieuses
4u courant commercial déja établi. Du méme coup, soit par des
epéralions de sondage, soit par le fait méme de lentrée de Jeurs
navires dans le chenal, ils ont pu se convaincre qu’une surveillance
‘iacessante et toujours active assure 4 l’entreprise des conditions
permanentes de sécurité et de succés. La, comme 4 Tunis, les nom-
breux résidents francais ont salué leur bienvenue par l’accueil le
plus cordialenment reconnarssant, et partout, en Egypte, on a com-
pris que, n’oubliant pas son ceuvré, la France reprenait d’une main
ferme son influence un instant obscurcie.
En terminant les opérations de son inspection générale, l'amiral
ne put résister au plaisir de remercier les équipages, non-seulement
du trés-remarquable degré d’instruction auquel ils étaient parvenus,
mais aussi de |@ collaboration efficace qu'ils apportaient 4 l’accom-
plissement de sa mission par leur conduite et leur dignité. Ce fut le
signal du départ. L'escadre avait séjourné quinze jours devant Port-
Said. Gontinuant gon heureuse campagne, elle appareilla pour la céte
de Syrie, toucha Je lendemain au mouillage du Mont-Carmel, et vint .
soudainement arborer ses couleurs devant Beyrouth. Beaucoup de
projets de pélerinage en Palestine avaient été faits, fl fallut (bien a
regret, mais le temps pressait), les renvoyer 4 plus faverable oc-
vasion. } :
Il
* ; t '
Les montagnes du Liban sont habitées par une population dont les
sympathies pour la France sont de vicille date. Pour les Maroniles,
vous n’avons jamais cessé d’étre la nation généreuse et chrétienne
‘par excellence; toutes leurs aspirations, toutes leurs espérances
sont encore tournées ‘vers tious. Nulle part, a'Pétranger, nos défai-
tes’ n'ont trouvé un plus douloureux écho, nos blessures n'ont été
s plus ressétities: A ‘tort'on a raison, tls’ consid@rent la France comme
leur champion dots les luttes de l'avenir; tous leurs révés ont cru
somisrer dans le naufrage de notre fortune. L’instinct de la justice
les a'netil gardés d’an'complet découragement en leur, dévoilant que
Dieu ne pouvait: permettre notre anéantissement total; un tel
malhour leur ett semble comme ta décapitalion du genre humain,
&
DANS LE LEVANT. 447
et pieusement, au fond de leurs coéurs, ils ont gardé en notre étoile
une foi inébranlable. = a 8
L'arrivée de notre escadre, venant inopinément donner un corps
4 leurs secrets espoirs, les remplit de joie. De bouche en bouche se
répandit Ja bonne nouvelle, ce fut dans taute la contrée comme un
immense tressaillement.
Outre le souvenir de nombreux bienfaits, une grande similitude
dans la tournure de lesprit, dans les gouts , et méme dans les pas-
sions, rapproche les Maroanites des I’rancais. — Lahorieux, écono-
mes, actifs, fanatiques pour leur pays et leur religion , ardents et
génereux, faciles peut-étre 4 illusion, ils ne manquent. ni de cou-
rage ni de générosité chevaleresque. L’histoire-de leur race est celle
d’une lutte perpétuelle pour l'indépendance. Grace 4 leurs infatiga-
bles efforts, ils ont pu conquérir une sorte d’autonomie ; le reste,
réve encore peu défini, leur sera procuré par surcroit, par le déve-
loppement 1égulier de leur force. En attendant cette lointaine
échéance qu’ils appellent de tous leurs voeux et. qui coincidera, sans
doute, avec la transformation compléte de l’Orient, ils sont aujour-
d’hui assez sages pour comprendre que la patience, le travail et la
modération sont Jeurs meilleurs alliés. Facilement inflammables ,
ils n'ont pas oublié Joseph Karam, héros déja légendaire; mais ils
savent quenotre siécle favorise la force plus que le droit, et, réfugiés
dans une attente recueillie, ils trouventien leur Ame: plus de solli-
citude pour la France que.pour eux-mémes. 4
En ce pays, la’religion seule est souveraine, c’est dans cette vérité
trop peu connue que réside le secret de notre influence prépondé-
rante; tout chrétien est un Franc. Si l’on demande & un paysan ma-
ronite : Aimez-vous les Francais? il répond : Je suis catholique,
donc je suis Francais. Aveu touchant et bien fait pour susciter chez
"certains de nos soi-disant hommes d’Etat de. salutaires réflexions.
Grace a Dieu, Je draneaw durcathalicisme est.engore debout em france,
ef c'est en.se tournant yers lui que tant de coeurs se donnent.a nous.
S’il venait 4 Alre renyersé, notre belle, mission. dans le. monde per-
drait sa, raison d'élre ; ,avec, Ini,s’écraoulerait ce, qui nous..reste de
grandeur. Dans le calme,de la réflexion, calfe.qroyance s’impose &
tout esprit. que n'égarent, ni ambition ni la.passion; puisse-t-elle
surnager par-dessus le trouble et les tanébres des discussions poli-
liques ef des dissensiong intestines ! Jusqu’d ce jour, il ast juste de
le conslater, malgré la, diversité des. gouyernements qui,'depuis un
siécle, ant dicigé |’action de la France,:elle n’a- jamais cessé d’in-
oS inofre politique dans Je Lihan;. gardons-en la précieuse tra-
ition,“
Notre intervention en 1862 a laissé derriére elle un grand bien-
148 Ly ESCADNE a
fait, I’établissemant d'un’ gouverncur chreticn. Celle conquéte. ne
porte malheureusement pas fous ses. fruits. Franco-Pacha’, indor.
lent et inerte, fait aujourd'hui regretter. son prédécesseur, dont linn
telligente et. fécande administration ne tardera pas, il est permis de
l'eapérer, atrouver pn digne hérilier. Cependant, malgré tquies. les
entraves, la prospérité s’accroit de jour en jour, la terre se défriche,
la vigne et le murser gravissent toutes les pentas.de. Beyrauth, a Da-
mas, la montagne se.parséme d inoportantes et forissantes filatures ;
Beyrouth. méme se peuple et s'agrandit. visiblement... L’élement
chrétien.y prédemine par le travail el par le nombre. Beyroush -est
te vraie capitate du Liban. Deans ses murs, comme au dehars, il est
difficile de retrouver des traces de, Vantagonisme sanglant.gui a divysé
naguére les Druses et les Marqnites. Au surplus, la vérilé sur les
massacres de Syrie.est aujourd’hui connye; nul n’ignore que, dans
ce drame affroyable, les Druses n'ont pas élé les principaux. coupe:
bles. Une haine commune pourra peut-étre es reunir.un. sane laurs
victimes contre le méme oppresseur détesté, . ..
Au premier. abord, Beyrouth semble étre une colonie Bancaise:
on -y ‘pasle couramment, noize langua,:.Ge. résultat, bien fait. pour
nous pizire, est, dia BOs, Mssinnnaies, a leurs écoles, et. surtout a
ces femmes de.ccaur ot de, dévauement qui se. sent vouces & | éduca-
lion de Yenfance, pax scaurs dela. Charite?, ‘Laur. éfablissement. de
Beyrouth,. 4 Jui seul, contient.un millien diéléves. Jalouses.d’un. tel
succés, dss diapanesses. venues d Adlamagne ont dabla yaa concur-
rence qui menace ide devenin radquiablp..La.lulte-est engagée- Le
gant a. cté wzlevd par lea: dames ie Nazarath,: ngs, ailiges, qui, pour
fixer définitivement la victoire, se sont résolues, auy-sacgifices, Jes
plas dispendienx.. Dans, getta noble taghe, nog-encausagemcnig ne
deivent pas leay:. manqner. Les: Irois. cent ‘mille Maronises. qui -per-
plent.le Laban congtituent: wn neyau.compacte, plain da; séve,el d’a-
venir, dentile développement intallactyel ast, pour, ails dire, ,gnize
nos, Mains ; al dont-y xasler. PO Sn SH oan ea bap tinued
C’esi dans. be. Sens qu: été panigut jalerprétie. ka; présence de
Vesgeadre, Elle, a. domane an wegain de. <onfinnce- et, da courage.| teus
nos-amis,:quivenaient en, ifoyle ia, visiter; Des derniprs.. HAPS APS
managnes:' las: pedrea ctincendal snk queqn'% eld] cerAmME 4h PAIC-
ramagess [owe ec suh rb otgegime P alanet Saoniots brat
‘Nos: navires ne ipérdient ‘PRS, bebe yuside pres. Louis proportions
harmonieuses quoique sévéres, les canons da gres qalbra, dapt js
sons: oe ache URE eS dps; obaaltis, frappens eb goduisent le
matore Poe este Goo tA otieatened hob eluate zhis 298
' Depuis yue cov iii ot is Qcsites,'varido-Plvchia edt anorty etn aatd tr Une
maladie qui cepuis longtemps |’empéchait de s’occuper de son gouvernement.
DANS LE LEVANT. 149
regard. Ce spectacle militaire, rehaussé encore par les salves nom-
breuses dues aux visilds officiellés, inspirait & tous-une sorte de 'fierté
naive qui, mienx qu’aucun discours, exprimait combien ils pre+
naient part & la résurrection de nos forces. « Votre venue, nous
disait-on, nous assure pour longtemps le’ calme et la sécurité. Désor-
mais nous saurons répondre 4 ceux qui nous diront que la France
n'est plus ; mais, pour notre bien, revener souvent. »
Invitations superflues! il est impossible lorsqu’on a vu de prés ces
nobles ccears, de n’avoir pas le désir de les revoir: Leur pays lui-
méme est rempli de séductions. A cété des splendeurs de la nature,
le voyageur y rencontre les traces les plus intéressantes du travail
des hommes. I! est peu de paysages surpassant la beauté de‘la vallée
du Crey, peu de ruines plus grandioses que celles de Balbeck. Damas,
Beyrouth méme pittoresquement disséminée dans la verdure, au
bord des eaux, réjouissent les yeux. N’est-il pas surprenant qu’une
ville aussi importante, déja peuplée d' environ quatre-vingt mille Ames,
ne posséde méme pas un port capable d’abriter la barque d'un pé-
cheur? Les pachas gouverneurs seraient-ils encore élevés 4 l’école de
celui de Ptolémais, qui faisait combler son port pour n’y plus voir
les escadres ottomanes? L'administation turque, souvent bien inten-
tionnée, rarement génante, s'aecommode fort bien d’une grande li-
herté; mais il est impossible de méconnaitre que son imdifférence
est parfois bien coupable. A Beyrouth, la mer est souvent houleuse,
le moindre vent du nord interdit l’accés de la cote. Le souvenir da
doufoureux événement qui, en 1867, causa la mort de deux mate-
lots et d'un jeune officier de marine francais, est resté dans toutes
les mémoires, I] serait temps d’aviser 4 empécher le retour.de sem-
blables désastres. :
Fidéle a son pacte avec le bonheur, notre escadre put garder
jusqu’au dernier jour, d’incessantes communications avec la terre,
sans avoir aucun accident 4 déplorer. Quand elle partit pour Smyrne,
eseorfée de vesux uganimes, un soleil radieux éelairait sa marche,
faveur qui, 4 cette époque avancée de la saison, avait bien son. prix.
Chemin faisant, elle: alla jeter.un pied d’ancre devant Limasol,
en terre de Chypre, Cette ile aux souvenirs i}ustres, aujourd'hui
hien dépeuplée , n'est & trai dire qu'une grande colonie grecque
maintenue dans l’obéissance par une garnison turque. Dans sa popu-
lation, élément féminin Vemporte du double sur l’autre sexe.
Faat-il attribuer cette étrange disproportion 4 l’émigration conti-
nuelle des'‘jeunes hommes?: |
‘ De Chypreaa.canal de Rhodes, l’horizon est ‘toujours dominé par
les hauts sommets de la Karamanie. A Rhodes commence |’Archipel.
Dans ces parages la navigation n’est pas une fatigue, c’est une pro-
130 L'ESCADKE, FRANCAISE
menade aux émotigns charmantes, A .chague detour apparait me
terre nouvelle, avec sa couronne de Jégendes ; chaque rayin,.chaque.,
sommet, chaqpe plage a son nom chanté par.les postes : ici les’pla- ,
tanes d’Eschine, plus loin Ja patrie, d’Hippocrate,. & gauche:le. ber- |
ceau d’Homére ; & droite, dans un lointain mirage, Ja ville de Diane’,
et de sain{ Jean. Enfin, voila le, grand: golfe de Smyme, et, dans:le -
fond, la ville antique, couchée au pied des. montagnes d’Anatolie.-.
Pour de tels spectacles les jours sont.courls. | he ae ae
Smyrne a été mainte fois assiégée, prise, reprise, saccagée, re- .
construite, dévastée par le feu et la peste ; sa,fortune-a joujeurs sur-
vécu a ces désasires., Elle compte avjourd’hui deyx. cent mille -ha-
bilants ,, dont cent mille Européens ,ou' Grecs.; Je reste, composé -
d'Arméniensg, de juifs, de Persans et de musplmans de.toute origine, -
forme un assemblage bizarre, bariglé, aussi .réjquissant 4. vpir-qu'in-'.
téressant A cludier. Dans, toute, la ville ségne pne;activaté pitteresque:
et bruyante que.la guerre france-prussienne ayait-un: peu ralentia,
my~s,.gui.reprend désormais toul;son- essor, Smayrne, est, la. centee -
commercial Je, plus important de toute PAsie Mineure ;,d’innom)rar
bles caavangs (lg chameaux cixculent dang ses,ruas étroites, appar -
tant aux pavires marchands qui, peupientja rade, jas, produits les.
plus Jomtains,, Des quajs magnifiques, enpora ean..consiruction| en
feront bigniol une des plus belles ¢ites dy, lidtonal-magditerrancen..
Les gensid:aflaixes, sont, .en général, gems: pratiques,|Sauf Jes jails |
qui,. faat, digne, de remarque, a ont. pas cegsé, Ma seud jour de naus
rester publiquement, fidéles, teul.ce monde de commercants jadia si
favovable Ja Franca, n.a.phus de sourires que pourjngsiyainqueurs, -
IL ne nays Kendra, sa, confiance et,sx sympathie, que lorsque: nous au, ,
rong nettement, affirmé la résurrection, d¢.nobre antique puissancer
Sans, trop nous, plaindre, dune desertion qui, dj}, nose plug s@mat j
nifester ay grand, jour, npus,.devans y a YR eMCourAgeMmenE .
eflicars a hater nbtre:travad, P-TECONSHUCHON cree for i cot Ob
L'appi wee ide notre escadre, n'a. pa nize, & celte, cpuvre, sainte, ;-
Par, t ase Moyers. en, sgn, pourgir. elle s.est effarcée defaire-eamn:
pren ae oe ne Se.ralenticalt, plus, désqrmals..[,
Au contact de, at, af en foyer de ipplriqtsme, dans; toutes. les. far,
tmilles grecques,s ASl, réyeillé le souvenir encpre,xiyacs deg. dultes de, .
Vindipen ange, Nos cio. if. PU, popgtaler.axpq; Emotion que Hin,
gratitude, Wavalt: pas eANeKAR AS BR grep ovgilis, toujrd'ac
bord asses frpidement, ils Nat. pas. S.A Greee AM. caprant Ae,
sympathigye, seduction qui, sur, ja, fp. de, lens, s6jque, aval rament.,|
vars ayx toute la société, élégante- ct, poliche,.Ge fut.ay milien. de, l'6-.
clat. des fetes, nombrquses données en son. honneur que Neseadre:,
parlit pour le Pirée, qui deyait Cire, sa dermiere GIADA ui) tn ons cet]
DANS LE LEVANT. 134
LMymette, le-Pentélique; le Parnis et le Daphné encadrent un
vasie-cercle: fermeé pat 1a met de Salamine; au centre s’éléve 1’Acro-
pole.,Majestueax dans leur isolement, les restes du Parthénon domi-
nentila plaine, Athénes-et le Pirée; ils apparaissent comme Pimage-
deta France; donl les ruines '‘cornmandent aussi le respect du monde.
Che!-f'oeuvre dtiarmonie dins les proportions, Ie temple de Minerve:
détis te.pénie des archilectes modernes; gardons l’espoir que, plus
heureux, nous saurons relever dans son intégrité I'édifice de notre
graiidevr purssent les inspirations de la déesse de la sagesse nous
alder % cette restaurationf — aan ae. |
Lorsque les carions dé la Gauloise saluérent le pavillon grec, toutes
lesvHres du Pirée én furent ébranlées ; en un instant, fa ville entiére
envsigbra les quais, prauvant, par $a surprise, qu’on ne nous alten
dait pas.\Parmi e¢ette foule eurieuse, baltait plus d’un coeur’ ami
Beayeoup d’enfants ‘de 14 Gréce ‘ont pris parl & nos ‘malheurs autre+
ment que par ides veut : dla nouvelle de nos premiers désastres, de
nombreux volontaires sont parlis, lé fusil sur'Vépaule, ef ont vouta
coniiaitve dans-riés rangs ; Varmée grectue a’ complé plus d'une dé=
seflion ‘nrotivée' pat''¢e noble ‘enirainemait. Is n’ont pu, hélas! et.
nows sdvony ‘pourquoi; Tédssiy: selon leur courage; mais’ ils savent
que lewn dévoviemeiit ré sdiva pas bublid, et qu’uné fois de plus, le
sang a'soeHé Mamitiéides deux nations. Aussi; désirent-ils voir cesseit
promplemient la’querellé & four sens‘ inivinpestive du Laurium. |
‘Simple diffréwé fitancier entte'le gouvernénicnt cree et une cont-
pegnie-frandovitetionne,’ av début, ce -dilférend' pba vait-it ne ‘pas de-
vetirinternaliowdl? Lemabest fait, etil est pentistre ius prand qu’on -
ne-penise! Er recherthant la suhition:- de celté: questidn; le ministre
d’Ralie-d'idhenes sénibleavoir''tn trop: grand sbucj dé son renem
d'idthideté!4 lI ‘tnmistre de Prarice! qui'se Sait’ dans'son: droit, in’y yout
gidretya une distraction diplomatique ay sujet de laquelle t{ deplore,
du reste, un réel savoirildire: Le tot’ Gebries'taisse agit” keds minis-
treyiiyrahht’ st peuple’athétiien) dijburd’har entore, fl 4pporte dans
Vafttire sitar Pllusions yhe hagierd We! 'rancuties (‘It danger est
dan 'tactiqttt'du! cabinet grec. M, Deligcotels, ‘premier ministre,
estan hortitie jeahe, atdett! ‘pldin-d‘suddct! plier corps et
adre 8 Piticiery parti'de Hindépendayice, & ce parti quiréve Vartnexjon ©
de TE pite GeHe 1 PHessatie! Porte au ‘poirvoit maleré ‘Té ‘rol, #' ree
chérehé Sh iedlit Tkppai du peirplé’Lé itive dieLaatiym seinble bitte
vénit &' Bortit por gett levi doshoinls. tT ekploité tort habi-
lemon pratique It niaxitné du dian poritife Scuevdla, qi dishit qu’
éhit ideassitite ue'td pduple ipndrat beadcoup de choses vraies, et
en CHK beatitoup' de 'fausses, Jaissé'l'‘presse Hellénique égarer bes
passions, et couvrtid’ uid appatence’ Ge pittiotismie sitddte dés pro-
152 LESCAGAS FRAN GASB
jets plus, dangereux:. que. grandiosas...' Toutes. dés ehbsesnse dasent -
sous le manteau, nul ng pourrait, 41) beure présente, osen-les: affiry ::
mer publigacment, fate, de preuyey, :et.peut-dtre-n‘omtelles aueyn:
fondement scrieux, Les retards apporlés sang cesse h.wn drrangesient -
says .cesse imminept,..le, parti pris de fermer. Horeitarauk -conseus:
des gouvrernements étpangers, ip refua d’acoepter toul arbitrage, ne
peuvyentils s expliquer, que, paxide tals soupgons? La laniiére ne.tar-
dera pas, a se faice.; il.est a,souhaider qu'elle :mette en: ples jour
une loyauté,sans deufe: miconnua, et qu'elle n’éclaite pas ame :nou-4
velle,révoluion. oi. A ab Od peas
Encore, & son. bergeau, l’agglomération heHéaique a besoin, pourbe
dévelapper, de ¢ealme et .de sécarité. Son jeane roi, soucieux: de ses
deyoirs constitutionnels, lui apporte plus de garanties que d-entraves,;
il gait qu'un .pouxoir fort n'est jamais excessif; et: ne donne pds ‘a
craindre que jamais, sous prétexte d’établir l'osdre, il cherehe:a im-
poser une servilude. plus ou moins durable. Devoue a sa: nentelle
patmie, jl, en, favorise. dignsment Jes. progrés, Athéries sagrandit, um
chemin de fer fait du Pirée.un faubourg; :te bien-tire avgmente, le
brigandage est expirant, et le commerce local, un instant déconte
nhancé; par nos, dernidres lois de protection, ne.tarderapas, @-repnen+
dre.san activilé, Er échange da-(uls bientatts|, gu'apponteraill unave-
nix plein d’inconmy ? ee Pa ec eeet povities tatite we
Les . négociations.pendantes pfousaient:fnine: créintre' que Vareivte:
d'yne,espadre francaise-ne: fat cansidérée comme-unelsonte depres -
sion motivée!; om nient pas de:pbiae & démiontyer ques a resssionjavait
un autre but; elle recut partout, aussi bien gu’auprés du roi, Yacr
cueil. je, plug. empaassé. Dans, 4 petit -port du iPinge, afl¢ se! tous
serrés.de pris pat de nombreux batintenisdo diversesmari nes: élsa ne :
girps...Co, vaisinage- dui donna.ta satisfaction! dd prouver):devanb te:6: .
ces témoins intéressés, ce que valait encore le catitdd la Htades;!qt .
combien nolne. polléque: était dhoignéede siégliger sbsiiniiedts en
Orient. Nos ¢quipeged parbotien! -outrecdustaten, nonisansorgueil}
que squad aucun: rapper, ils i éhaiemtia-dessdas do leurs rivauxi;(ib:..!
n’avaieut: pos eapéré: une. plug dowes écom penser A! d6tésde ses va |.
sings, notre escadre pe'sentait uneaisembib eamppacte,-harmombuxy ||
sapsigganl par nepal {ar ggen wii ane tc mene meanest: |
vres. Toutes ces qualités, mises en relief par la comparaison, eursnt: |
un autre saérate queid’exalter bn nos marins le sentiment de leur va-
leur personnelle, elles les encouragérent & en rechercher les causes,
étude féconde en enseignements.
Tout en faisant la part qui revient et reviendra toujours 4 I'intel-
ligence, 4 l’initiative, au coup d’ceil et 4 l'audace, on peut affirmer
qu’aujourd’hui, plus que jamais, c’est dans l'art que consiste la force
Bene Ce ceed: 1! 433
desarniées-nevalds.“Phérnlstocle, soteab 46 tradi dé Petite; démiiitral "
le prémnienotte vevité-en propurdntsoti triemphe dé Salamitie."Long-' °
temps apres’ Duslius:Nepds, ‘dont Potivinale itventidri; dvant'sa con-"""
sédration. par ‘la Nigloire: ft! sans /dowte souriitd tag marins de Vepo-" '
que, dat 4 Auimdave'croyance lla gloive dé! dauver! Ya‘ pated ; ‘de hos
jours, clie'idet. davénud: an dxivine darthitectlire ‘navare.’ Bepuis ©
irentéanndes.le.vaistéautde guerre subi; sows dette Snspiration, Tes |!
transformations les plus ikottendies) 1} -né litte plus contre Ia’ tner; *
il la donapte + -quelquefois den est, il: estvreil! dévore.-La: vitesse est '*
devenue l’arme de guerre la plus redoutable ; le culte quo Ibi porte
conduira pauit-téte on jour: al le supprestian (day: 6pardgdy ’ eutragses
dontlesiprogeésincessants del’ artillenedémortréntdejayitsefsonce.
Dans cette: sechepche laboriedse du meilleur baltiment de eomiliat, ree
cherehe qui':meben jeu toute la science hurnaine, la marine francaise -!
est resiée,|jusqu’li ce jver, dja hauteur de sa-tache: Elie posstde des '
types de constructions yhi né vedoutent guére de tivalité; ‘mals qui,”
déja: si¢tllis, :queiqala peine nés'd'hier, convient nos ingénieurs ade
honveatre efforts: lean patriotisme: ae Mmanquérd' pis:'a nbtré ‘eor-""
flanebioe ty trcdemtiont Ghood craters ot Gt tet Tod a a.
Coufinnce ,~ aspermnod, tels:étaidnt ied sunlinvents qui animaiert’ ‘
Vescadre: lorsque; des26 débernbrd £892; sous les yeux W'equipages |
anglais, américains, russes ct grecs rassemblés,- elle! manvetivrait'
pour sortit dujPirdey:A: vrai. dine, ces dpa! mots réstitient’ sa mist
io ;:partoash ellosies aisenxts subison phssagey Asile dD’ honiieir ee!
de-fai,:ponitowt elle a) réjoui tes bosuns: fuarcais, btfait paler nos ent" |
Nems, ter wb 20 UP Gegcl teens othodiny da pok oii iba gd oe sit
Batisfdite-eb|ipresqudljaybuse,| dle efieciaw son retony'sany eritom~' -
breymainénax sesrcomteuis dbvant Messiboy ot eatin ; fe 34 decembre, fF
lus fet donnéhda-rayoir, te terre de Pranée:;: elle we pouvait’ redevolt
de!plus betlés; &trensdtes. af gietuio das 1 eee ills cata er
Recahaaissants enyers.le gouvernement qui-.a jst ben utitisé lout ‘
Sertices, NaRIQanins jovissent aujoucd/buljdamg be repos, deld satis- |
factiondndeveimatotuapli-etise tiemsiets préls A méqiter; arde'nod-"
Velies fati gbes) Ob boos isio-enviebde! qi! Jeunia Sté faite Fideles ’&
leurs: traditieds.etopjams dkiconfience dahs)4'avenit) ity résument
toutes desars fpeasdds; dense inc dou re ot vsaimte| perée 1'Didu'et ta
palmieu) nociersqino el iq toler ing eveten AMM eo eeti o
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LA’ POLITIQUE PINANCHERE
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“Le Le payemehnt de'larancott dé Fa _ = 4 guerre de4 870-14
s*nscrira Warts'l histoire gérérdld’ de — les conime Pbpération f-
nanciére In plus 'Eloniante dt Li plus instritetive’ qtli’ ‘Ye’ Boit'eiicore
jamais vue. En trente mois, la France aura tiré de sa richesse #t ‘de
son erédit stk miillatds et démi, ; pout!" Ids verser, ‘sant cainpeiisation,
4 fa trésorerié de empire d’Allemagne: ‘Hiathy qf tive ve ey 7 HU
A l'heure présente, l'étude de cette‘opération a, de plus, poul'tidus
Frangais, un intérét vivant : l’ceuvre n'est exéculée qu’aux trois
quarts ; il nous reste encore plus g’un milliard et demi 4 compter
aux Allemands, et cette derniére partie de l’opération est la plus dé-
licate; elle exige plus que jamais u tact financier + une haute pe
voyartce!” Apres lee larges 'saibhi he . Gace Viet rie odo
—_ subies depuis nae deux’ und 7 Pal Wlkn’ présdré garde! dix
cons quendes’ dd Saibnéd fips, Suit a maniéye: jes ton
nad rad iu el hie hii Nieearnet Ha Fhaiice 96 url _
trouver’ puisée, } rie 'Utisd isnitlaire ef )
merciald des! is dangers a bi hess da quolq it df:
blie, ‘asbet fortdohicdi fou Pelevethdtit A ae
“Cotta. Hal Hastie BIGt ec alate od an var en
doute que notre trésorerie ne p puisse rempli derniers engage-
mietits cbritradtés parla France aide U anbite i a tigers A815, ¢ ¢ Pest
deed th ce het dot. OID esi pig - Ob b Ole
‘ Voir le Corréspondant'déy PS adverts 4843) ob faltten 4 thas poe
LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE, 15%
a-dire verser au Trésor allemand cing cents millions de francs d'ici
au 5 mai prochain, et un milliard enSquatre payements de 250 mil-
lions les 5 juin, 9 juillet, 5 aodt et 5 septembre suivants, plus les
intéréts courants des sommes dues et les frais d’entretien des trou-
pes d’occupation.
Mais la difficulté du probléme financier 4 résoudre, c’est, comme
oro bless -produste P@ffet voulu avec 14 moindrp ‘perte de
fo ‘est ‘de necomprofnettre qhe‘le moins pbssible iés
forces vives du pays.
Il ya deux maniéres de tirér d'un sob riche d’abondantes récoltes :
par l'une, le bon pére de famille ménage l’avenir, et, tout en en-
caissant de bons revenus, il conserve 4 ses enfants un domaine fé-
cond; par l'autre, le mauvais fermier, aux derniéres années de son
bail, épuise le sol, pratiquant la devise : « Aprés moi le déluge!
aprés moi fa distal» . . . .....
Ayons souci de l'avenir, c ‘est--dire de l'époque qui suivra le
payement total de notre colossale rancon, afin que l'heure de la li-
bération du territoire eihie marque ayssi J’heure salutaire d'une
renaissance nationale /. Pane r ike dub thi ail! grace aux capitaux
suffisants que nous aurons su réserver a la production de notre agri-
calupe, de,notre, commerce, .de nos indusiries..\Qua le gouyerne-
ment, reese 8 6¢,.8Fand. were davenir, comme il.siest appliqué.
TST 9 iMberation, eb i-apra deux, fois. bien, — de la.
MB ge-adoig se ob Sub emg oad al. ‘
heseaize cg problame, éconpmique? I oepirienge meme
des faits qui se sont produits depuis dane gag naus éclairera. powr te
STAHOR oy ula 5h ob Moth: ae Hy, SONG hehe! alee op oe A |
cei 7h “Up mitre ia irs |S ir AG ae ae Sg
phyqion & iaigb go bretiline as fpeuty vie stewt a bk ay
‘aya sf t-9 noitsdqo'l ab vilteq esitris ollos to enn et LE ans
dvons, 9 149 Vjoetyib aia oon eq agizy olin oy”
Ja te apa) sha 3 sant été Jes exizencds naling i vain.
My Yon, Barish.,f) Jeoderored airrredy
O48, if At a 3.2 Ni dn, 26, i Ati ine
26 wg iy A t ome Gy and dl ")
Pites a ne sus i tas mit les, requisitions
gus ra ‘ ep es tee pyants, pendant
, méme apr Me ApS eA RRR sail
na pclae 7 oe PIS 54 6} teflen des troupes o pseu
he Iatntsh. ol ous ‘i c aigyoeinn optus } iG!
CFF i ll en i
espace ale tenis ans,.en damier terme le 2B iéyrierd 87a... i.
156 LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE. '
' Les départements occupés devaient étre'évacués A mestire'des pdye-
ments de la rancon : ainsi, aprés le versement du premier demi-
milliard, abandon des forts de la rive droite de la Seine et des dé-
partement(s voisins de Paris; aprés le payement des deux premiérs
milliards, retraite des troupes allemandes dans six départéments de
Est : Marne, Ardennes, Haute-Marne, Meurthe, Meuse et Vosges,
et dans Je territoire et la forteresse de Belfort; cette derniére région
devant servir de gage pour les trois derniers milliards. ‘
Tels étaient les préliminaires de paix, signés 4 Versailles par les
représentants du gouvernement francais et:de l’empereur d’Alle-
magne.
M. Thiers, investi du pouvoir exécutif par l' Assemblée nationale,
envoie des plénipotentiaires auprés de l’empereur Guillaume et de
M. de Bismark, pour formuler le fraité qui doit consacrer ces préli-
minaires. On négocie chez le vainqueur, 4 Francfort.
La Commune survient : et cette insurrection formidable affuiblit
plus encore l'autorité diplomatique de nos négociateurs, qui duraient
dui comprendre cette situation facheuse, et attendre, pour signer le
traité avec l’Allemagne, que la crise intérieure de la France fat pas-
sée. Ils n’atlendirent pas; et leur maladroite impatience fat habile-
ment exploitée par M. de Bismark.
On était arrivé au mois de mai: depuis sept semaines, la Com-
mune dominait Paris ; et, par la résistance de sa domination, encore
faiblement combattue par l’armée de Versailles qui s organisait, elle
avait acquis sur quelques régions de ‘la province une ‘influence qui
venait de se manifester dans les élections municipales. M. de Bis-
mark fit observer au négociateur francais, M. Poayer-Quertier, que le
gouvernement de Versailles semblait peut-tre exister plus de droit
que de fait; que c’était lui procurer une force morale dont il avait
grand besoin que de le reconnaitre encore capable de traiter au nom
de toute la France avec l'empereur d’Allemagne, alors qu’une partie
de la France paraissait incliner aux idées et ala domination de la
Commune de Paris; que l’empereur Guillaume daignerait bien con-
sentir a traiter avec le gouvernement de Versailles; mais qu’en
échange de cette concession, il devait, en bonne justice, reccvoir
quelque chose, un avantage nouveau a ajouter aux conditions des
préliminaires de paix. : “
Si M. Pouyer-Querticr avait eu le sens politique d’un' homme
d’Etat, et le tact d'un vrai diplomate, il aurait pu se sauver dé ces
nouvelles exigences tout en conservant le bénéfice moral que M. de
Bismark lui faisait si hautement valoir : il lui edt saffi, sans discuter
_les insinuations cruelics de son adversaire, il lui edt sufti de ne-pas
LA, POLITIQUE FISANCIBRE EN RANCE. 437
se presser,.de lemporiser, méme sous avelque préterte diplomatique,
par quelque incident.de forme, toujours si facile & un négociateur
doigné de Ja, résidence de son gouvernement ; il n’avait qu’a se ser-
vir de l'éternelle rubrigne : « I} faut que j’en référe 4 mon gouver-
Mement..m, .° .
Il avrait gagné ainsi us peu de tempa, quinze | a vingt jours ; et
trois semajnes: aprés, }’'armde de Versailles. ayant dispersé Ja Com-
mune, il serail yenu dire,a M. de Bismark ; Je suis le représenlant
du gouvernement national incontesté de Ia France reprenons les
pralinainaires de, la paix.enire la Krance,et Allemagne, Et le chan-
celier de l’empire germanique, changeant le ton de son langage, tui
aurait répondu ce qu’il a dit un peu plus tard au Reichstag, et ce qui
eat panfaitemant le fond de sa pensée depuis le rétablissement -de
lautorité en Frange,.comme nous venons de le vérifier | par le trailé
do 45_mars,1873,: ¢:Mou Diew! je ne tiens spas a nuire’a la France
au dela de ce que, peut.exiger Vintéret de l’Allemagne; je voudrais
méme lui-venir en.aide dans la mesure nécessaire pour ‘Sauvegarder
notre erégnce. »
Mais, M,, Lone etrQuertier rut. ‘faire merveille, en signaiit précipi:
peat sh Je,40, mai 1871,.e1 4 tout prix, le traité.da Francforf,
c'esh-a-dix mas a traile, qu wwe, seqonde capitulation, \
Par ce Balle x trailé de Francfor}, Ja Fran ce obligcait a
verser, pux.Allemands,, en, 1974, non plus pin, smulliard , mais jun
nilliard, ef Ait et A ogster pune | da ale précipe. ef assez ne
prochpe,,.,au, 4° > mL 4872. par le een A fle cing gents ini
lions, bes, Map RFeMIATS ABUiands de plus, eb.¢ clait Ja une humi-
bg gurayal .4e5 BEM naires, de parr ance se sdumet fait
; cansision Jéonine, qui: syhosdqanait l'éyacuation des départe-
nlsidle la 7ésion,cenrole. non. pips seulement au. payement exact
tuner rms, de Lindempilé, pais, ay hon vpuloir ¢ du \ fainquent,
ne fe aBismark 7 «he een fe des 4 ee rfempents
iy pave Oise, ae Seing.et-Marne, gine, aingi
Ba a oe Techy 48) ssildt gua, Je socom tl
nab dH Fa. |e. matah Hi ria, fa fapt.en, F fn nls conlegetés
Paris, ani, pour psureH are i sp aaa gnis,contractés
Pane ini AOS ETB N, He B ASTD Ar SS sai Si
r ) rez votr n¢o ans els’ cf tels
aa etee ea qui a Ray (ahd a ce el thous, ‘en Te-
a CTARPATODS: OUTS territpixe quand Fer S7 tis ey nous
7 : Tove82 92 uq tiewes Hi otsmolgib jew noth tend olde doit
oh WM oun Isto sotlsgad of haa eae fe Jao} 2 ay eytbaas
1 HEY 2 Hs PGHS 4 RING, ALES CP nahi eal hai. ii
janet Tmanagy RES RSL Suse HR gas, ged Oey
158 LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE.
cent vingt-cing millions, avait pu devancer le premier terme de
payement, verser les quinze cents millions exigibles le 54 décem-
bre 4874, et faire ainsi appel 4 opinion de Europe en montrant
que Vordre était assez bien rétabli, 4 Paris et dans le reste de la
France, pour assurer l’cxécution de nos engagements, pour dler
toute raison, tout prétexte sérieux 4 la persistance de nos garnisaires
au coeur du pays. Les forts de Paris et vingt départements furent
éyacues.
M. Thiers songea 4 profiter de ce alivandent de notre crédit poli-
{ique en Europe pour avancer plus encore fa libération, sans toute-
fois empirer par de nouveaux payements trop précipités la crise
monétaire qui venait de se produire a la suite des premiers verse-
ments a }’Allemagne. II trouva les éléments d’une nouvelle conven-
tion dans une question douaniére qui intéressait l’industrie et }c
commerce de l’Alsace-Lorraine et de PAllemagne du Sud, et que
notre négociateur n’avait ‘pas su mener a fin & Francfort ‘avant le
traité du 10 mai 1871.
Le chef de nofre gouvernement traifa directement l'affaire & Ver-
sailles avec l’ambassadeur d’Allemagne ; et toutes. choses régises, ct
agréées par }’Assemblée nationale, il envaya a Berlin. M. Pouyer-
Quertier signer un trailé nouvean qui procurait une. cerlaine satis-
faction aux intéréts el méme aux sentiments, de.la France.
Le trailé de Berlin du 12 octobre 1871 portait ;.que-six autres .dé-
partements seraient évacués sans délai, qu’il.ne reaterait:plus que
six départements occupés, et que l’armée, d’qcoupation. y: serait. ré-
duite 4 cinquante mille hommes; que les.450.milliens.d’intéréts:dus
par la France Ie 1° mars 1872, et Jes.500. millions:.a dchoir je
1 mai 1872, total 650 millions, seraiant, payables, par terades de: 30
et 90 millions de quizaine en, quinzaine,, a partir.du 4° janvier 1872;
que les six départements évacués en vertu da.ce.traité demeureraient
neutres au point de vue militaire jusqu’au,splda. de, toute J:indeao-
nité; et que la France accorderait pour quelqnes mess cetlainas-fe-
cilités douaniéreg, sollicitées: comme régime, da.trangilion par kes: i in-
dustriels et les commergants de 1’ Alsace-Lorraine, et profitables ainsi
4 nos regrettés compatriots:
Tout compensé, cette convention ‘de Berlin ninéliorkit iin’ peu
notre triste situblion; mais elle nous laissait toujours 4 la merci du
vainqueur ; nous avions encore eh perspective de payer & la Prusse,
avant le 1 mai 4874, les trois derniers milliards, sans ay certains
d’obtenir, & mesure de nos' payements, d’atitre réduction du terri-
toire occupé que ce-qu’il plairait & l’occupant. Cetté échéance du
a ee ee ee
LA POLITIQUE. FINANGIERE EN FRANCE. 459
4" maid874 semblait alors bien courte pour Ventier payement de
noire nangen, surtout en considérant la crise monétaire qu’avait
produite pendant l’hiver de.1874-72 l’exportation des premiers mil-
liards versés al Allemagne. . . -- :
De la Ja convention de Versailles du 29 juin 1872, qui fut un acte
heureux pour, nous; car la France obtenait la des avantages certains,
quelle que fat Ja fartune; bonne on mauvaise, de sa politique inté-
rieure, quel que fut le résultat, facile ou laborieux, de ses derniéres
opérations financiéres pour la libération.
Ladernier déjaipour.l'enfier payemenot de notre.rancon fut reculé
jusqu'au mois de mai 4875 ; ce qui donnait plus de latitude 4 notre
gouvernement pour manier la politique intérieure. La France pou-
vait échelonner ses versements depuis le mois de septembre 1872
jusqu’au mois de.maai, 1875, at obtenir:que le territoire serait pro-
gressivement évacué & mesure des payements. Si le solde de indem-
mlé étaat effectué, avant 4875, l'évacuation compléte devait suivre
sans retard la quittance finale,
Un mois aprés cefle convention de Versailles, un emprunt de
3 milttards 500 millions’, largement souscrit, et pour plus de moitié
par les banquiers étrangers, ouvre 4 notre trésorerie d’Etat des res-
sources irés-suffidantes pour hater les payements & l’Allemagne,
cest-a-dire'pour profiter de la convention nouvelle en vue de J’af-
franchissernent' progréssif et rapide du territoire francais. Et d’autre
part, Pordre politique raffermi donne a penser 4 M: Thiers qu’il n’a
pas besoin’ de retarder Jusqti’en ‘1875 ta crise politique qui semble
sétre ajowrnée avi fendemain de 1a hbération ; le gouvernement se
croiten état de'deminer toute agitation intérieure : muni d’argent
pour solder l’Allemagné,- muni dé force pour tenir sous sa main le
pays, it avancera'!le jour ‘de la tibévation et de-la crise. Ef M. de
Bismark, pressé''d’en ‘finir avec “nous de ce colossal réglement de
compte, howreur d'ailleurs de pouvorr se donner tout entier, au soin
de sestaboriewses-affaires intérienres, souscrira bientét: volontiers
‘tne houyelle bt'derniére converition, le traité du 45 mars 1873.
on aelyty: ED 1, . TEP he ce és
+
wa 7a bd
Au moment du traité de Versailles, le 29 juin 1872, nous avions
payé 4 l Allemagne 2-miltiards sur les 5 milliards de Vindemnité.
Ging cents milligns furent versés aussitdt. aprés. la ‘ratitication du
trailé; et, par suite, dés que l'on ent construit des: baraquements des-
lings sloger, A part des babifants, les. 50,000. hommes de l'arméed’oc-
cupation, deux, des six départements.encore occupés.furent évacer’s.
- Gnguanfe maillions, furent encore versés dans les derniers mois
160 LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE.
de 1872, et 500 millions, plus les intéréts échus, dans les premiers
mois de cette année.
D’aprés le traité de Versailles, du 29 juin 1872, le quatriéme
milliard devait amener I’évacuation des départements des Ardennes
et des Vosges; et la libération compléte du territoire, c’est-a-dire
\’évacuation des départements de la Meuse, et de Meurthe-Moselle,
et du territoire de Belfort, devait étre obtenue soit par le versement
réel du dernier milliard, soit par des garanties financiéres, accep-
tes par l’Allemagne pour le payement de ce dernier milliard.
Au commencement du mois de mars 4873, il nous restait & payer
1 milliard 4/2.
Par le traité du 145 mars 4873, la France déclare qu’elle est en
mesure de profiter de la faculté d’anticipation que lui ménageait le
Lraité de Versailles; et sur cette déclaration, ]’Allemagne régle d'a-
vance la retraite successive de ses troupes, en accordant quelques
peliles modifications de détail, comme un créancier satisfait de tou-
cher son argent sans difticulté, sans mécompte, et un peu plus tot
qu'il ne l’espérait. |
Cing cents millions, complétant le quatriéme milliard, seront ver-
sés d'ici au 15 mai prochain; et le cinquiéme et dernier milliard se
soldera en quatre payements égaux, les 5 juin, 5 juillet, 5 aout et
2 septembre.
En retour, Pempereur d’Allemagne s’engage 4 faire évacuer
dans le courant de juillet prochain les quatre départements des Vos-
ges, des Ardennes, de la Meuse et Meurthe-et-Moselle, ainsi que la
place et l’arrondissement de Belfort. Au moment de cette évacua-
lion, presque totale, nous aurons payé 4 milliards 1/2; et pour gage
des deux derniers payements, de 250 millions chacun, plus les
intéréts et frais d’occupation, la place de Verdun restera seule
occupée, et par 6,000 hommes seulement, jusqu’au 5 septembre
Mi te ou doit étre effectué le solde, et ol sera donnée la qujltance
inale,
Cette espérance d'une libération prochaine et précise fait grand
bien & tout cceur francais. Mais n’oublions pas que la tache n’est
pas encore remplie, et que le plus difficile est 4 faire. En vingt
mois, de juillet 1874 & mars 1873, nous avons livré 4 l'Allemagne
3,900,000,000 de francs (trois milliards cing cents millions), sans
parler des intéréts et des frais d’occupation. Aujourd’hui, en six
mois, d’avril 4 septembre 1873, nous allons compter a |’ Allemagne
1,500,000,000 de francs (un milliard et demi). N’est-il pas sage de
préyoir qu’un déplacement de fonds aussi considérable, et en si peu
La Pou Prrobe wileaNciehe BN Planck! ib
de fortips, pres! tant dw mifitards dé passts en Allemagne dépuis
deux ans, ne se fera pas‘sans troubler l’ordre écondmique dé VEi-
fope, sans 'eauser -utie ‘vertaine afiéinie-eh France? gee
Comment atténuert T'ébranlement probable de-telte colossale opé-
ration? comment mémager les! forces ‘de la France, déja tant fatiguée
par l'irrvusion:; ‘par la guerre-civile, et par le drainage des milliards
dor et Wargent Francais livrés a l’Allemagne? Voyons d’abord par
quels procédés''le gouvernement francats. a dpéfé jusqu ici pour
les pretniers milliards, et quels ‘ont été les effets de ces combinai-
sons finanvidres. a Ere ee
sa oe eel
» 4 ] : 7 » ?
Lorsque'aprés'la Conimrune, le gouvernement francais entreprit
la ibécation ‘da territoire ‘parle payement de ta rancon, il put con-
sater en -Earope une situation Ecohomique essentiellement favorable
aux emprunts extragrdinaites que nous allions émettre.
Une grande partie de la France, les deux tiers, restée sauve de
Finvasion, avait-des ‘resdourees abondantes et peu employdes; car
les travaux pubties, lés grandes entreprises’ par association, et
mme les entreprises particuli¢res, étaient restés paralysés depuis
mn an, pendant la guerre ;-et, d’ailleurs, depuis trois ou quatre ans,
les épargned naissant en France se tenafent timides, renfermées dans
les cachettesdes familles ou dans les caves de la Banque. Il y avait
done en France: beaucoup d’argent en réserve et sans emploi.
Mais il y en avait encore plus a Londrés, dans ce réservoir uni-
wersel, ou les capitaux da monde entier vont prendre asile et cher-
cher emploi. Par le fait de la guerre des deux plus grandes puis-
sances dat continent européen, fe commerce de I'Europe, et méme
des dewx morides, fut alangui; en méme temps, les capitalistes
du comtinent, ‘effrayés de la guerre, réalisaient leur fortune pour
aller la mettre en sdreté dans la cité de Londres; ainsi !’argent
aflluait 4 Londres, et s’y amassait abondant, sans emploi- possible.
Cestee que dénotait ‘le taux de l’escompte, abaissé & 2 pour 100
a la Banque’ d’Angleferre, et jusqu’a 4 41/2 pour 100 sur-le marché
libre; ‘du Stock-Ekchange, les avances sur consolidés n’étaient
mone’ pluis-qa’a4 pour 400.
Cette simpfe'obsérvation du marché des capitaux devait donc nous:
engaper &'puiser’4‘Londres ‘aussi largement que possible pour nos
empranis, afin de: laisser 4‘la France les capitaux dont elle allait
avoir si grand besoin pour réparer ses ruines, solder ses dépenses:
de la guerre, ‘et reprendre sa production. .
10 Avan, 1875. 41
462 LA POLITIQUE FINANGIERE EN FRANCE.
Malheureusement, le ministre des finances élait po8sédé d'une
idée fixe : dénoncer les traités de commerce de 4860; et pour pré-
parer ses fins, il crut habile d’affaiblir plutét que de renforcer les
relations de la France avec l’Angleterre.
L’emprunt du 27 juin 4871 fut donc combimé sous cette précecu-
pation ; 4 cela se joignit le désir de provoquer en France, au lende-
main de la Commune, une sorte de plébiscite par voie de. souscrip-
lion nationale. On en vint ainsi & adopter pour l’emprunt la fa-
meuse devise politique de l'Italie : « Fara da se. » An lieu d’ouvrir
Yemprunt de 2 milliards sur toutes les places du.monde, notam-
ment en Angleterre, on fit, en réalité, appel exclusif aux capitaux
francais. Quelques jours avant l’emprunt, M. Pouyer-Quertier lanca
méme une sorte de déclaration de guerre Geonomique au commerce
anglais. Et le commerce, en Angleterre plus que partout ailleurs, vit
dans une solidarité trés-intime ave¢ la haute banque du pays. L’ef-
fet de cette déclaration fut si marqué, qu’on se crut obligé de le
pallier un peu, en installant 4 Londres une agence de notre trésore-
rie, pour paraitre servir l’emprunt a l’extérieur.
_. Lemprunt, bien que circonscrit ainsi 4 l’intérieur, réussit; et il
devait quand méme réuseir. Les capitalistes frangais, grands et
pelits, étaient suffisamment pourvus d'argent, et d'argent sans em-
ploi; et ils trouvaient un placement de premier ordre, de tout repos,
la rente francaise, offerte en 5 pour 100 4 82 fr. 50, c’est-a-dire,
avec les bonifications, 4 79 fr. 26; soit un placement 4 6 fr. 50. Les
étrangers donnérent méme, malgré le peu de souci qu’on avait pris
d’eux; et ils montrérent ce qu’on aurait pu obtenir de leur concours,
si l’on ayait bien voulu. Les souscriptions s’élevérent.a 4 milliards
800 millions de francs, dont 2,500 millions & Paris, 1,200 millions
en province, et 4,100 millions 4 l’étranger. La somme empruntée
se montant avec les frais 4 2,225 millions, les souscriptions furent
réduites de 55 pour 400.
Etant admis le systéme étroit ob l’on s’était renfermé, il faut
reconnalire que cette opération, la plus considérable qui jamais eut
encore été tentée dans le monde, fut conduite avec cette habileté de
main ou .N. Thiers excelle et se complait, qu'il s’agisse de manier
les finances ou les assemblées politiques. Ce fut 4 la fois une sou-
scription nationale et une négociation en banque, car l’emprunt fut
assuré par de solides garanties, accordées avec empressement par la
haute banque. Ainsi le gouvernement recut 4 la fois un témoignage
solennel de confiance nationale par la souscription publique, et un
témoignage plus intime, mais non moins précieux, de la part des
banquiers, ) juges experts en matiére de crédit d’Ktat. Il aurait pu se
LA POLITIQUE: FINANCIERE EN FRANCE. AG
fortifier plas. largement encore; au point. de vue politique, comme
‘au point de vue fisancier, s'il avait voulu ejouter 4 ces appuis franr
ais les :préteurs étrangers.
Il ne tarda pas & voir les conséquences économiques de sa ‘poli-
tique vraiment trep élroite. Quatre mois aprés, les préteurs étran-
gers, dont les titres n’avaient pas été conslitués en emprunt exté-
recur, formulé de maniére & les maintenir.assez longtemps dans les
portefeuilles étrangers, revendirent leurs rentes frangaises 4 Paris,
en bénéficiant de la prime que le cours offrait alors sur le prix d’é-
mission, et qui fut payée par les preneurs francais; et aimsi les
2,225 millions de cet emprunt furent presque entiérement tirés des
ressources de la France, qui en éprouva une crise monéfaire.
Les deux premiers milliards de notre rancon, déduction faite de
525 millions powr les chemins de fer d’Alsace-Lorraine livrés en
compte & l’Allemagne, et addition faite de 160 millions d’intéréts,
cest-a-dire en réalité 1,855 millions, furent payés en argent ou en
traites, du mois de juin 1871 au mois de février suivant. La monnaie
métallique de la Franee, drainée par cette énorme et brusque sai-
gnée, devient toul 4 coup, vers le:mois de novembre 4874, insuffi-
sante pour les transactions ; et ce phénoméne s'aggrave bientét per
son effet naturel sur l’esprit public : les particuliers resserrent dans
leurs caisses des provisions de monnaie d’or et d'argent : tous ces
petits stocks raréfient tellement nos outils monétaires, que la petite
monnaie manque tout a coup aux petites transactions. Un seul remade
s‘offrait & ce mal : suppliéer la grosse monnaie métallique exportée
en Prusse, et la petite monnaie métallique retenue dans les cassettes,
particulieres, par une émission plus large de billets de banque de
20 et de 400 francs, et par la création de coupures de billets de ban-
que de 4 franc, 2 francs, 5 francs.
Pour les billets de 20 francs et de 100 francs, la Banque de
France pouvait agir avec une certaine puissance : elle avait été au-
torisée par une loi du 12 aodt 1870 & émettre des billets de 25 fr.;
etensuite, par un décret-loi du 12 décembre 1870, des billets de
20 francs 4 la place des billets de 25 fraucs. Et depuis le 4‘ jan-
vier 1871, sa fabrication de billets de 25 francs et de 20 francs avait
dé assez active; elle fut doublée et triplée pour conjurer la crise
monélajre : en seplembre 4871, la Banque de France avait en cir-
culation 457 millions et demi de billets de 25 francs, et 54 millions
et demi de billets de 20 francs; a la fin de l'année, ces billets s’éle-
vaient 4 259 milions de francs pour les billets de 25 francs, et a
166 millions et demi pour ceux de 20 francs.
Ces accroissements de billets de banque, survenant en méme
404 LA POLITIQUE FINANCIERA EN FRANCE
temps que de nouvelles avances de la Banque.aw Trésor; tendaienth
élever la.circulation 4 la limite de‘2 ‘milliards: 400 millions:; cette
limite, par une loi du 34 décembre 1874, dat ‘étre-portée.a: 3 mil-
‘liards:200 milfions.
Mais-pour la monnaie divisionnaire, la Danyeede France, . bien
qu’ayant -résolu |’émission de billets-coupures-de:10 francs et. de
5 francs; ne pouvait: improviser les planches gravées ‘spéciales pour
ees bilfets nouveaux; ‘on sait-que la gravure de‘telles planches exige
plusieurs mois, par le soin qu'on prend de faire,:des billets de. Ban-
que, des couvres d’art dun -fini.4 défier la contréfagon.: D‘ailleurs on
ne peut jamais prévoir comment le public aceveille une émission de
nouvelles monnaies fiduciaires, et il était sage autant que-nécessaire
de laisser & d'autres que la Banque de France le soin de tenter |’opé-
ration. Une société: 'financiére, la Société générale, et. un syndicat
ayant son siége principal au. Comptoir d’escompte ‘de Paris,. furent
donc autorisés 4 émettre 4 leurs risques et périls‘et pour une durée
de six mois, dés bons de-monnaie‘de -4 franc, 2 francs et:5 francs,
en représentation de sommes équivalentes; diment déposées; en gros
billets de la Banque.de France.
~. Avant méme.l’expiration des six mois, la Bangtre de France. avait
pu’ fabriquer’ plus: de’ 45 millions en-billets de 5 francs, qu'elle
substituait peu 4 peu aux bons de-monnaie, retirés peu 4 -peu dela
circulation.
' La crise monétaire était conjurée;: et le-billet de Banque de 5 franes
acclimaté et peut-étre acclimaté pour-toujours.
‘ La Banque ‘de France pouvait dés- lors, pour les- gros -payements
commerciaux & Vintérieur, comme pour les petites transactions;
suppléer nos monnaies métalliques emportées déji, et peut-étre
méme une partie de celles qui pouvaient sortir encore dé France:
Un second emprunt va bientét se faire pour: de-nouveaux paye-
ments 4.1’Allemagne, et-nous allons mettre -un peu -a profit Pexpé-
rience de la premiére ac
Il
Il s’agit cette fois d'une somme lds celossale encore : trois mil-
Hards cinq -cents millions sont émis, le 29 juillet 4872; en-5 p.- 100,
4 un'cours plas élevé que ‘le cours d’émission de. Vemprunt de.déux:
milliards, cest-adire, 4 84 fr. 50 c. avec:les bonifications ; le verse-
ment de garantie sera de 44 fr.' 50:'cz par unité:de.rente, et le reste
Sera -payableen vingt termes-mensuels égaux, dont: le. dernier ‘sera
LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE. 105:
écha le 14 avril 1874. La 'sousoription .est ouverte -largement.sur -
toutes les places financiéres: du monde.
Et cette fois on avite de commettre la fameuse faute du «change
fixe,'» qui-restera dans nos budgets, jusqu’aé la consommation. de. gos
dettes perpétuellus, et éausera une surcharge & peu prés sans,fin dans
lesarrérages de l’emprunt de 1874. M: Pouyer-Quertier, dans son em-
prunt du 27 juin 1874, avait imaginé d'établir que les rentes sauseri- -
lesa Londres seraient payées de leurs arrérages au change fixe de .
25.30. On .sait que'le pair du change de Paris sur ‘Londres est.
25.20; tout financier sait-aussi qu’en temps normal le cammerce
anglais est presque loujours débiteur du commerce francais ; autre-
ment dit, le change ‘en fernps ‘porindl ‘est ‘presque ‘toujours en fa- ‘
veur de la France, soit 4 25.47 en moyenne. En 1874, et depuis nos
malheurs, le change est au contrdire én’ faveur de’ l*Angleterre, soit
au-dessus de 25.20 : au moment de l’emprunt, M. Pouyer-Querticr
voyait le change 4 25.68, et il cruf faire un excellent marché en ré-,
glant- que les arrérages payables 4 Londres seraient calculés sur le
change de 25.30. ll ne'réfléchit pas, ou ne‘compfit pas, “que nous
fraversions une période tout anormale, et que le jour ot: nous rentre-
rions:‘dans l’ordre, dans-notre- vie ¢conomique-réguliére, le change ©
sur Londres relombera au-dessous du pair de 25.20, et qu’alors son
change fixe, de 25.50 sera pour le Trésor francais une charge perpé-
luellede 4 p.-400 peut-ttre.
Mieux avisé que'ses prédécesseurs, M. de Goulard laissa le change ,
a son cours naturel, favorable en général au Trésor frangais ; et il ,
ouvrit sa souscription urbi et orbi.
Dans l'emprunt de 1874, la haute Banque avait été appelée a ga-
rantir, moyennant commission, Ja souscription nationale: mais
celle garantie, de bonne prévoyance, n’eut pas 4 intervenir; le pu-
bie'francais, bien pouryu, comme nous l'avons dit, souscrivit de
son bon :argent, effectua-ses.seize versements, échelonnés jusqu‘au
24 novembre 4872; et si bien, qu’en janvier 1873, le Trésor n’avait
de versements,arriérés qu'une somme, relativement minime, .de
8 millions ¢t-demi, sur 2 milliards 225-milliens. Le: classement.des.
wo
litres s*était fait ‘le mieux du monde, au moment méme dela sou- .
scription, qui avait ¢ié réellement.Ja souscription .publique :.ct -na-
ionale.
Vemprunt de.4872. Le‘gouvernement adopta le procédé de M. Fould
Mais;les .choses ‘furent réglées, el se passérent autrement dans ©
en 1864 et:de.M.:Magne en 1868 ; il.conserva tontes les formes ap-
parentes de la souscription aationale; mais il s’arrangea, au fond, ,
pour livrer }’emprant presque tout. entier a la haute banque. Le pre-
cédé est, facile et.connu ;-il suffit que le-minisire des finances per-:
168 LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE.
miette ou tolére des souscriptions dont le premier. versement, au
lieu d’étre fait en or, argent ou billet de banque, soit représenté par
des dépdts de titres, ou par de simples signatures.
Par'ce moyen, l’emprunt de trois milliards ef demi fut couvert
par une offre douze fois et demie plus forte: les souscripteurs offri-
rent 43 milliards 816 millions : réguliérement, ils auraient dd ver-
ser au Trésor, en souscrivant ce chiffre fantastique, un versement
de garantie de prés de 8 milliards: ce qui dépasse toute vraisem-
blance et révéle bien que la souscriplion ne fat publique que de nom.
Ce gui le prouve encore, c’est qu’a Paris 34,524
souscripteurs offrirent......... rer
Sur les places étrangéres, 107,612 souscrip-
teurs offrirent. .. 2... 2 2 ee eee wees ~ 26,050 millions.
Tandis, que dans nos provinces, ou presque
toutes les souscriptions furent réelles et appuyées
de versements effectifs, 792,540 souscripteurs
OUrivent so 46Gb io 5. we a ee Sete ae ee . 4,513 millions.
En tout, le Trésor enregistra 934,277 souscrip-
teurs offrant. . ..... vee ee eo ee © «645,946 millions.
Les souscriptions furent réduites au treiziéme environ du chiffre
offert ; par Ja, les souscripteurs réels n’eurent qu'une part insigni-
fiante ; les banquiers, anciennes et honorables maisons de haute
banque ou syndicats plus ou moins bien accrédités, enlevérent les
gros paquets de titres pour revendre ensuite ces valeurs avec prime
en détail. | : 7
13,252 millions.
Que faut-il penser de ce procédé, au moins peu correct? Il est évi-
dent que le gouvernement avait compris cette fois l’avantage de faire
fonds de son crédit & l’étranger pour payer notre rancon avec les
capitaux du dehors, pour éviter une nouvelle crise monétaire en
France, c’est-d-dire un épuisement plus grave de nos ressources fi-
nanciéres, et prévenir une paralysie de la production frangatse et du
travail national. De plus, par ces faveurs accordées aux banquiers,
le gouvernement payait leur garantie: de Pemprunt sans délier la
bourse du Trésor ; car la prime probable da cours des titres allait
procurer aux marchands en gros un assez beau bénéfice : et.‘cette
prime serait payée par les acheteurs en détail. Enfin, cette livraison
de presque tous les titres de l’emprunt aux banquiers donnait au
gouvernement certaines facilités pour les payements a l’Allemagne
au moyen de traites ou lettres de change.
‘Tout cela s’explique assez bien, nous le reconnaissons volontiers ;
il n’est pas ulilc, dans d’aussi grandes opérations, d'avoir pour colla-
LA POLITIQUES FINANCIBRE EN FRANCE. 407
boratours assurés, e’est-i-dire intéressés, les plus. grands banquiers
de l'Europe ; il est important de payer |’Allemagne avec des capi-
taux étrangers, obtenus par notre crédit d’Etat, plutdt que de souti-
rer a la France son dernier écu. Mais tout cela pouvait se feire sans
faniasmagorie, simplement, par de meilleurs procédés franchement,
et avec de meilleurs résultats.
Puisque les banquiers étrangers avaient demandé 4 notre gouver-
nement de leur laisser prendre les deux tiers de l’emprunt de 3 inil-
liards 500 millions, il fallait constituer leur part voulue, soif 400 mil-
lions de livres sterling, 2 milliards et demi de francs, en un em-
prunt extérieur, dans les formes que nous avons déja indiquées
ici, pour maintenir un assez long temps a l’étranger les rentes sou-
scrites par les capitalistes étrangers. oo
Dés lors, la France n’aurait eu a tirer de son fonds qu'un autre
milliard ; elle aurait pu aisément couvrir cette perte en vendant au
dehors ces nombreux titres étrangers, Italiens, Turcs, Améri-
cains, Russes, Espagnols, Egyptiens, etc., dont nous avons sur
chargé nos portefeuilles, un peu 4 l’aventure, dans des temps plus
heureux of: nous avions la prétention de commanditer de nos épar-
gnes tous les peuples besogneux de l’univers. |
. Mais, hélas! depuis que nous chiffrons par milliards, 4 payer &
notre vainqueur, on dirait que nous ne comptons plus : quelques
centaines de millions de plus au bilan de notre défaite, qu’importe
aprés tout? Les étrangers nous repassent leurs titres d’emprunt avec
bénéfice de trois, quatre, cing francs par unité de rentes ! c'est fort
bien. Les étrangers nous vendent avec bénéfice des traites pour-payer
les Allemands ! mais c’est au mieux. Nous payons les primes, nous
payons les commissions, et sans nous demander si ces primes ne
pouvaient pas étre évitées, et si celte maniére de traites était indis-
peneable, au moins pour une grande partiede notre rancon. |
~~ Mais qu’importe? dira-t-on une fois encore. Voyez plutdt avec
quelle facilité nos capitalistes francais acquittent leurs versements :
En aot et septembre, le Trésor avait encaissé 781 millions.
En octobre. . . . . =. 1 «~~ (369
Ennovembre.. . . . . . . + « 2832
Endéeembre.. . . . . . ..~. £4148
Enjanvier 1873... .... +. =. 255
Ajoutez le premier versement de garantie, 600
et vous constaterez une recette réalisée le 31 <
Janvier 4875 de... . . . «. =~. » ~ © 2,365 millions.
Dans cette somme, les anticipations figurent pour 4,158 millions.
la valeur des termes mensuels est aujourd’hui de 69 miltions par
mois; par les anticipations, on encaisse au moins environ 100 mil-
Pi Idl
168 LA POLITIQUE FINANCIERE EN FRANCE.
lions par mois. Dans un an, en mars 1874, l’emprunt sera ‘tout.
entier libéré. Il s’en faudra donc de peu que les versements del’em-
prunt ne suffisent 4 la libération anticipée du territoire. C’est admi-
rable ;— Oui: mais prévoyons la fin..Déja, ’hiver dernier, une crise
monétaire, cdusée en grande partie par nos payements 4 |’ Allemagne,
~ atroublé la cité de Londres, le taux de l’escompte 4 la Banque d’An-
gleterre a dd -étre porté en novembre jusqu’a 7 0/9; notre change
sur Londres s’est élevé 4 27-70, et la prime de Vor 4.9 et 10 fr. O/g.
La‘crise s’est adoucie dans les premiéres semaines de l’année nowu-
velle, mais non pas sans nous avoir infligé-un surcrott de frais dans
nos opérations financiéres.
-Et voici qu’a cette heure, oi nous préparons la libération pro-.
chaine, une crise nouvelle semble se signaler de tous-cdtés 4 Phori-
zon par des points noirs, par des -hausses de taux .d’escompte. Le
moyen d’écarter ce danger n'est point dans le trafic plus ou moins:
ingénieux, mais trés-onérenx pour nous, des traites : tout au plus:
est-ce 1a un palliatif, qui étend et adoucit-une opération trop con-:
centrée. Le vrai procédé, c’est de classer en Allemagne nos titres
d’emprunts, encore flottants; c'est de passer nos rentes frangaises,
nos titres d’emprunt encore flottants, aux capitalistes allemands,
gorgés et embarrassés de nos premiers milliards, en leur. disant :
Versez-en le prix au Trésor de votre empire.
' ‘Le moyen, c’est de continuer 4 dégager nos portefeuilles des-
valeurs étrangéres, pour ramener du dehors les capitaux que nous.
avons prétés autrefois & l’étranger. es
Le moyen, enfin, .c’est de faire commanditer par les capitaux
étrangers nos travaux publics, et nos principales entreprises parti-
culiéres ; c’est d’aller reprendre en Allemagne par.commandite les
capitaux de notre rancon.
Déja, dit-on, une importante société.de crédit frangaise-se dispose
&-atler établir une succursale 4 Berlin et 4 Francfort ; que d’autres
suivent cet exemple. Que nos compagnies de chemins de fer, nos
villes ef nos grandes industries, aillent aussi la-bas ramener notre
or en y placgant leurs obligations. ae
Et que l’Etat.méme, pour ses travaux publics, qui font de l’Etat
un.véritable gérant de société industrielle, que I'Etat.retire de son
budget les quarante-huit ou cinquante millions de travaux extraordi-
naires, qu’il les transforme en obligations d'une Caisse des Travaux
publics, et qu’il émette et place ces obligations en Allemagne, au
méme titre que les obligations des chemins de fer d’Etat de Russie ou
des travaux hydrauliques dé Boston. Cette Caisse des travaux publics
est peut-étre la meilleure combinaison pour équilibrer le budget de
rEtat 4874,-sans récourir’a des impéts nouveaux bien difficiles, ou
x'un nouvel emprunt-en-renites aujourd’hui impossible.
LA POLITIQUE FINANCIERE ‘EN FRANCE. 169
Depuis deux ans, tous les capitaux flottants en France sont allés
s employer 4 la rente, et par 1a, se perdre en Allemagne. Et malgré
Yabondance de nos récoltes, malgré l’importance des commandes
venues du dehors pour remplir les vides causés par un an et plus de
notre chmage, malgré les économies que la plupart des familles ont
faites en France pendant ces années de troubles publics, malgré la
reprise: de nos-ancienires :épargnes 4 l’étranger par la vente de va-
leurs étrangéres de nos :portefeuilles, nous sentons‘bhien-que le ca-
pital national est gravement réduit; le capital fictif créé par un sur-
croit de quinze cents millions de billets de Banque a pu atténuer
effet de cette réduction en suppléant pour notre commerce intérieur
quinze cents millions de monnaies métalliques déportées en Alle-
magne! Mais ce n’est la qu’un palliatif insuffisant, temporaire et
hasardeux. En réalité, aprés tant de ruines, et tant de milliards tirés
de France en pure perte, i] n’est que trop certain que l’argent en
France est raréfié. Dans les temps les plus prospéres, les économies
de la France employées en: valeurs ‘mobilicres étaient d’environ
quinze cents millions par an. Or, nous ne sommes pas encore reve-
nus aux temps prospéres; si notre commerce extérieur s’est.ranimé
en 4872 jusqu’é dépasser le chiffre le plus fort des exportations
annuelles d’avant la guerre, ‘ces 35,679 millions de marchandises
exportées ont simplement combleé les vides des deux années précé-
dentes, ou les exportations étaient tombées aux bas chiffres de
2,802 millions pour 1870 et 2,865 pour 1871. Quant au commerce
inlérieur, le cri de détresse des patentés, que M. le ministre des
finances loyalement accueillait dans un récent rapport officiel, nous
dit assez que l’impét, grossi de cing cents millions depuis la guerre,
Cest-a-dire accru d'un quarf, ‘affecte la- production, déji paralysée
par la raréfaction de largent. |
Le sentiment public, assez juste souvent, explique fort bien ce
malaise; on entend dire -de tous cétés : Tout le monde place son
argent dans l'emprunt,; tout l’argent va en Prusse, et les commer-
gants ne savent plus of en trouver pour leurs affaires.
l faut donc, ‘sous peine d'une crise commerciale, ramener'‘d’Alle-
magne en France, par la commandite commerciale, notre argent
drainé par les premiers milliards de la'rancon ; et:pour le dernier
milliard & payer, ne plus rien retirer au capital national de la France,
mais faire fond de -notre crédit.d’Etat.en placant en Allemagne nos
litres d’emprunt encore flottants.
. _ A. ve Matarce.
SONNETS CAPRICIEUX’
I
FAUSSE SORTIE.
Je croyais au printemps que j’avais vu renaitre:
Les bois me souriaient, 4 moitié refleuris;
L’hirondelle passait avec de joyeux cris,
Et de son aile amie effleurait ma fenétre.
Voila que tout & coup, sous les cieux assombris,
Je vois du triste hiver le masque reparattre:
Il revient sur ses pas, il fond sous mes lambris,
Qui ne s’atlendaient pas au retour de ce trattre.
L’hiver agit parfois comme ces visiteurs
Dont vous avez subi toutes les pesanteurs :
lis sen vont, a la fin; ils partent, on respire;
On gottte avec bonheur cet affranchissement;
Puis, votre facheux rentre et vous dit brusquement :
« Pardon! j’avais encor quelque chose & vous dire. »
* Sous le titre de Sonnets capricieuz, \a librairie de Michel Lévy est & la veille
de publier un volume de M. J. Autran. Nous sommes heureux de préluder au nou-
veau succés de l’auteur de la Fille d Eschyle, en prenant au hasard quelques-uns
de ces charmants sonnets pour les offrir 4 nos lecteurs.
SONNETS CAPRICIEOX.
II
LE POEME DES SAISONS.
Laquelle aimerons-nous? Pour moi, je n’aime guére
Avril, qui promet tant et qui donne si peu.
Je n’aime pas |’été, qui donne sa poussiére,
Et dévoile son ciel implacablement bleu.
Je redoute l’automne, ouvrant le cimetiére,
Passage alternatif de la glace et du feu.
L’hiver enfin répugne 4 la nature entiére;
fl fait croire partout 4 l’abandon de Dieu.
Voila donc les saisons : sur les quatre, pas une ;
Chacune a son ennui qui la rend importune.
Sil fallait cependant se résigner au choix,
C’est hiver qu’aimerait ma nature fragile ;
C'est Phiver, quand je lis, devant un feu de bois,
Le tableau du printemps dans un vers de Virgile!
ii
MOZART.
Mélodieux chanteur, quelle est ton origine?
D’ott viens-tu? d’ou viens-tu, toi si grand et si doux ;
Toi qui fais soupirer cette flute divine
Dont les sons enchantés arrivent jusqu’a nous,
Dou sors-tu, chantre pur des amours de Rosine,
Ami de Chérubin qui languit 4 genoux,
174%:
SONNETS ‘CAPRICIEUX.
Toi qui, dans la lueur des torches de résine,
Montres au fier don Juan tout l’enfer en courroux?
Tu naquis 4 Salzbourg, me dit-on. Je Je nie.
Tu n’as rien, cher Mozart, de celle Germanie
Ou l’esprit nuageux porte un lourd vétement.
La France avait donné sa clarté, Vitalie
Donna sa grace heureuse et sa mélancolie,
Et rien de tout cela ne fait un Allemand!
TV
LA ,BOULE DU MONDE.
L’enfant tenait: captif au-bout d'une ficelle
Un ballon, et parfois le secouait un peu.
« Ne lache pas le fil, sinon ‘ton infidéle
Parlira,‘mon:ami, pour le vaste ciel.bleu..»
ll lache enfin le fil, et, comme d’un coup d’aile,
Le ballon fuit Penfant, qui regrette son jeu.
« Hélas! il est parti pour la'voule éternelle,
Lui dit sa jeune mére; il est monté vers Dieu. »
A quelque temps de 18, l'enfant, par aventure,
Entre dans‘une église:et voit une peinture,
Religieux tableau du vieux:Jules Ramain. - ©
C'était Enfant Jésus; figure ‘a téte blonde
Qui tient royalement une boule du monde:
« Ah! dit l’enfant, voila mon ballon dans sa main ! ¥
. SONNBIS CAPRICIEDX. its
V
LES. ACTEURS.
Vous avez fait le Cid, si vous étes Corneille.
Du triomphe prochain vous osez vous flatter.
Vous courez au théatre offrir cette merveille,
Et je suppose encor qu'on daigne I’accepter.
Vous cherchez des acteurs pour vous interpréter :
Une voix pour le Cid, male et forte 4 l’oreille;
Des yeux noirs pour Chiméne, une bouche vermeille,
Et pour Gomez, enfin, un homme 4 souffleter.
Déchargé du fardeau qui pése a vos épaules,
Vous avez, comme on dit, distribué les rdéles.
Chiméne alors survient, el vous dit doucement :
« Je trouve que le Cid est trop longtemps en:scéne. »
Le Cid vient 4 son tour, et, quoique son amant,
Yous dit : « Mon cher monsieur, rognez un peu Chiméne! »
VI.
UN DEBUT.
J’eus une vision, l'autre nuit, singuliére.:
— Qu rie s’égare pas, en dormant, la raison? —
Sous des traits inconnus, je révais que Moliére,
Jeune, venait frapper au‘seuil de sa maison.
L'illustre comité's’assemble a sa priére.
dl s’agit d’un travail qu’apporte ce garcon.
{76
SONNBTS'.CAPRICIBUX.
Il aura les foréts, les étangs et la terre,
Plus deux hdtels anciens dans le noble quartier.
Son petit frére Jean, cadet qui fait son stage,
A pourtant un moulin dans ce vaste héritage :
Quatre murs délabrés sans toit et sans ciment.
« Ce moulin, je ’aimais, pense le légataire :
Jallais la, tout erifant, jouer avec mon frére,
Et je l’aurais voulu, rien que par sentiment! »
x
PETITES BOUCHES
Les femmes qu’on aimait vers l’an dix-huit cent-trente
Ne connurent jamais l’attrait des longs repas.
Ces abeilles d’avril, sur la terre odorante,.
Passaient de fleur en fleur et ne-s’y posaient pas.
La race est, aujourd'hui, gloutonne et dévorante.
Je les vois se jeter sur les mets les plus gras,
Ecouter ce qu'on dit d’une Ame indifférente,
Manger a pleine bouche et boire 4 tour de bras.
L’appétit féminia fait vraiment des merveilles :
Aprés tous les gibiers viennent tous les gdteaux ;.
On ne manque au passage aucune des corbeilles.
: : e : ?
On a les gouts pillards-et les instincts brutaux ;
Vous diriez de jolis et charmants louveteaux.
Moi, qui suis:du vieux temps, j'aimais mieux.les abeilles!-
SONNETS CAPRICIEUX. 477
XI
LE PAYS DU TENDRE
Jai voulu te revoir, terre aux douces chiméres,
Ou tant de belles nuits suivaient de si beaux jours,
Ou nos aieux, jadis, courlisant nos grand’méres,
Frélaient de leurs jabots les paniers de velours.
J'ai voulu te revoir, fleuve aux eaux éphéméres,
Dont tant de pleurs charmants avaient grossi le cours,
Toi qui, sous un ciel bleu, mirais dans tes eaux claires
Mille bourgs enchantés nommeés par les amours.
La désolation a passé sur tes rives :
Petits soins, Doux aveux, Tendresses attentives,
Ne sont plus désormais que des toits démolis.
Les saules de tes bords pleurent tous ces ravages,
Et tu ne roules plus, le long de tes rivages,
Que de méchants billets de banque tout salis!
XII
VENISE
On arrive, on descend dans la gondole agile.
Elle part, et l'on va, d’un glissement léger,
Sur l'eau de ce canal qui traverse la ville,
Et dans un réve étrange on sent l’esquif nager.
Le ciel est d'un bleu clair, l’onde rose et tranquille;
On n’ose plus parler, on n’ose plus bouger,
10 Avan 1873, 42
178
SONNETS CAPRICIEUX.
Et l’on voit seulement les palais & la file
Qui semblent de la rive en silence émerger.
J’ai senti ce bonheur, j’ai connu cette extase !
J'ai vu tous ces palais dont l'eau mouille la base,
Ces portiques de marbre aux airs mystérieux!
J’ai vu le vieux lion, le pontynoirci, le déme,
Et devant ce passé qui flotte sous les cieux,
Moi-méme, je croyais n’étre plus qu'un fantéme!
XII
LOMBARDIE
La plaine est magnifique et l’horizon recule.
Il est doux de la voir par le meilleur des mois,
Le soir d’un jour de mai, lorsque le crépuscule
Charge d'un feston d’or chaque rameau des bois.
Partout l’herbe fleurit et partout l’eau circule.
C'est divin. Ce serait le paradis, je crois,
Si, d’étape en étape, un sombre monticule
Ne dominait la plaine avec sa triste croix.
Le soir d'une bataille, aprés un travail rude,
C’est 14 que l’on vous mit, c’est 14 qu’on vous jeta,
Morts de Solférino, Francais de Magenta!
Puis le sol fourmilla, plus vert que d’habitude;
Mais, des vastes moissons que la terre porta,
Pas une n’a poussé mieux que l’ingratitude !
SONNETS CAPRICIEUX. 179
XIV
VEILLEE
Aux rayons de la lampe, aux clartés qu’elle épanche,
La table ronde luit d'un charmant demi-jour,
Et les fronts inégaux, inclinés tout autour,
Recoivent la lumiére 4 la fois rose et blanche.
Le premier, c’est Vaieul, front ridé qui se penche;
La jeune fille réve, elle brode au tambour ;
Puis, tout prés de la mére aux yeux baignés d’amour,
Un écolier qui dort, car c’est demain dimanche.
Le reste du salon fuit dans }’obscurité.
O repos! 6 douceur! charme de la famille,
Est-il un coeur si froid qui ne t'ait pas gouté?
Moi, j'aime le vieillard et la mére et la fille,
Ce cercle de silence et d’immobilité,
Et, sur ce groupe heureux, cette lampe qui brille!
XV
LE LIVRE D’HEURES
Tu sors, aprés vingt ans, de cette armoire obscure,
0 vieux livre sacré, vieux livre qu’ autrefois
La mére de mon pére, humble et pale figure,
Prenait, en commencant par un signe de croix !
Confident de sa foi toujours naive et pure,
Elle te relisait sans cesse & demi-voix,
-SONNETS CAPRICIEUX.
Si bien que le velours de cette reliure
Garde encore aujourd’hui |’empreinte de ses doigts.
Ce fut dans tes feuillets qu’avec un bon sourire,
Aieule patiente, elle m’apprit a lire;
Je répétais par coeur les mots cent fois relus.
J’ai, depuis lors, ouvert tous les livres des sages ;
Mais ces livres fameux, datés de tous les Ages,
Sur la vie et la mort ne m’ont rien dit de plus!
XVI
LA BOUILLOIRE
Au fond de ma petite alcéve solitaire,
Malade et languissant, j’écoufe ta chanson,
Babillarde au long col, qui ne sais pas te taire !
En t’écoutant jaser j’attends ma guérison.
Au dehors, c’est l'hiver qui sévit sur la terre,
C'est la pluie et le vent , la neige et le frisson.
Au dedans, c’est un feu qui luit avec mystére,
Et me jette un reflet de son dernier tison.
Chante! cette voix sourde imite 4 mon oreille
Un bruit confus d’oiseaux que le matin réveille.
Mon esprit se dérobe a la réalité : .
Je suis libre, je vois le grand ciel diaphane,
J’erre dans la campagne au soleil de 1’été...
Et tout cela pourtant n’est qu’un bruit de tisane!
SONNETS CAPRICIEUX.
XVII
LA DOULEUR.
Sila douleur vient, accepte, 6 mon Ame,
Accepte, 6 ma chair, son attouchement.
Tu ne monteras ot Dieu te réclame
Qu’aprés un combat subi vaillamment.
Il faut de l’épreuve endurer Ja flamme,
Afin d’arriver au couronnement.
Ce n'est que lenfant, ce n’est que la femme
Qui demandent grace au premier tourment.
La douleur farouche est le statuaire
Qui défait le bloc pour mieux le refaire,
Cherchant l'idéal sous I’épais manteau.
Heureux mille fois ceux qu'elle torture ;
Car de ce travail l’4me sort plus pure,
Car les dieux se font 4 coups de marteau !
J. AvTRAN.
481
.Y
MELANGES
L’ALLEMAGNE NOUVELLE *
Il faut bien nous l’avouer 4 nous-mémes : en dépit des cruels ensei-
gnements de a défaite, nous ne connaissons pas encore |’Allemagne. Jus-
qu’en 1870, nous ne voulions croire ni 4 ses implacables rancunes contre
la France, ni & ses tendances unitaires, ni surtout a l"hégémonie militaire
de la Prusse. Aujourd’hui, par suite d'une réaction inévitable mais exa-
gérée, nous ne distinguons plus entre l’Allemagne et la Prusse ; nous nous
représentons le nouvel empire allemand comme un Etat centralisé a la
francaise, uniquement épris de la gloire des armes et lié 4 la Prusse non
plus seulement par la haine de |’étranger et parja confraternité militaire,
mais encore par une entiére communauté d'intéréts, d’idées et de senti-
ments.
C’est 14 cependant une erreur profonde, dont la persistance pourrait,
une fois encore, égarer notre politique. Tous ceux qui connaissent l’Allema-
gne afond et de vieille date, savent qu'il a fallu un concours inoui de cir-
constances pour lui faire accepter la prépotence prussienne; ils restent
convaincus que, sous l’apparente union créée par la victoire entre tous
les Etats d’outre-Rhin, se cachent des germes d’hostilité et des ferments
de discorde intérieure, d’autant plus actifs que la crainte de la France
n’est plus 13 pour les étouffer.
Au fond, — et c’est 14 le point que M. Lefébure met le mieux en lu-
miére dans con remarquable ouvrage sur |’Allemagne nouvelle, — au
fond, rien n’est plus dissemblable que le caractére allemand et le carac-
tére prussien. Nous nous sommes trop complu, sur la foi de Schiller, de
Kant et de Geethe, 4 ne voir dans les Allemands que de studieux réveurs
et d'inoffensifs amants d’un nuageux idéal; il est certain que la nature
t L’ Allemagne nouvelle, par M. Lefébure, député de la Seine. — Paris, Douniol, 1872.
Un vol. in-8.
MELANGES. 483
germanique a d'autres aspects, des plus matériels, ot le désintéressement
platonique n’a aucune part, et que la derniére guerre n’a que trop mis en
lumiére; mais il n’en reste pas moins vrai que le gottt des jouissances de
l'esprit, les instincts libéraux et, dans une certaine mesure, les idées paci-
fiques exercent, a l’ouest del’Elbe, une beaucoup plus grande influence que
dans |es domaines héréditaires de la monarchie prussienne. Entre le Rhin,
I'Elbe, la mer du Nord et les Alpes, se trouvel’antique, la véritable Allema-
gne, de pure race germanique, que le catholicisme et le protestantisme se
partagent 4 peu prés également, et qui a pour programme le développe-
ment pacifique de la puissance allemande, la liberté politique, l’indépen-
dance locale. Tout autre est cette vieille Prusse de la Vistule et de l’Oder,
ce rude Brandebourg, cette sauvage Poméranie, qui ont recu, pour des sid-
cles, l’empreinte a la fois autoritaire et belliqueuse du grand-électeur et de
Frédéric 1. On pourrait presque dire des Prussiens ce que M. de Bonald
disait des Turcs : [ls ont beau dominer |’Allemagne, s’y faire accl amer
comme des libérateurs; en dépit des traités qu’ils lui impesent et des
constitutions dont ils la dotent, ils n’ont pas cessé d’y paraitre étrangers,
d'y étre campés plutét qu’établis.
Il n’en saurait étre autrement. Passé, tendances, idées politiques,
croyances religieuses, tout les en sépare; il n’est pas jusqu’a la race qui ne
différe. Il faut ici laisser la parole 4M. Lefébure, qui a tracé, de main de
maitre, ce qu'on pourrait appeler le portrait moral de la Prusse :
«On ne prend pas assez garde généralement, dit-il, & la nature et la
puissance de l'outil que M. de Bismark a eu entre les mains, et qu’il a su
manier, c’est-A-dire que l’on ne tient pas compte des circonstances dans
lesquelles s'est formé et a grandi le génie prussien, ni, en particulier, de
Finfluence exercde par la Marche de Brandebourg sur la Prusse elle-méme
é sur Allemagne tout entiére. Issue d'un mélange de Germains et de
Slaves, la province de Brandebourg a toujours présenté une physionomie
particuliére. La vie de ses habitants, installés sur une terre ingrate, a été
me longue lutte avec le sol, vie laborieuse et dure, dominée par l'amour
da travail et de la famille. Tout entiére aux préoccupations sérieuses,
lagrément en a été absolument banni. Tout ce qui pouvait rendre I'exis-
tence commode, facile, souriante, y est demeuré inconnu, et jusqu’a ces
derniers temps il en a été ainsi dans les vieilles provinces de la Prusse.
« L’éducation est venue développer dans le coeur de cette population
un autre sentiment encore, dans lequel elle a apporté toute la ténacité et
lénergie qui lui sont propres, le sentiment de la grandeur de la patrie,
ou plutét encore de la grandeur de I'Etat, car I'Etat — Staat — est resté
pour le Prussien une sorte d’étre supréme, qui a le droit d’exiger tous les
sacrifices et d’imposer des devoirs absolus. Le bien de !’Etat — Staats-
wohl — doit tout dominer... C’est ce sentiment de la grandeur de l’Etat,
associé 4 une irrésistible tendance 4 dominer au dehors, qui a fait le fond
484 NELANGES,
et aussi l'unité de l'éducation prussienne; (out a été tourné de ce cété. On
y rencontre dans l'enfance déja, comme Jadis 4 Rome, la conscience et
lorgueil d'une certaine supériorité et l’dpre volonté de la faire recon-
naitre.
«ll n’y faut point chercher l'élégance, le charme, la délicatesse du
gout, ni la générosité, mais des natures vigoureuses, le mépris des fati-
sues physiques, des caractéres décidés. Le systéme d’éducation adopté en
Prusse de tout temps, et qui repose sur |’externat, joint a4 l’obligation du
service militaire, devait achever de tremper fortement ces caractéres.
C'est dans l'erternat que le Prussien fait l'apprentissage de la responsa-
bilité, qwil a appris & se conduire lui-méme, en obeissant au sentiment du
devoir, sentiment que lon rencontre ensuite ad un si haut degre dans l'armee,
et qui le suit pendant toute sa vie.
« L’instruction, distribuée 4 profusion par des princes dont elle était le
premier souci, trouvait dans ces esprits appliqués et réfléchis un terrain
tout préparé. :
« La science n’a pas tardé a y étre en honneur; la liberté des univer-
sités, le mouvement des idées Il’ont fait sans cesse progresser; c'est elle,
plus encore que l'instruction populaire, qui a vaincu ad Sadowa en.1866, et
en 1870 dans la campagne contre la France.
« Chose étrange, le Prussien est resté l'homme d'une idée; il s’est tou-
jours cru appelé a une vocation spéciale en Allemagne. C'est bien la l’esprit
que devait lui léguer l’ordre de chevalerie qui l’a formé (i'Ordre teuto-
nique), esprit aventureux, hardi, conquérant, dont le fier et libre essor
s'élait porté de l’Orient, ot il avait pris naissance, 4 travers toute l'Eu-
rope, 8 inspirant en toutes choses des vues les plus audacieuses, ne tenant
aucune entreprise pour impossible, plein de confiance dans la force de ses
armes et dans la mission qu'il croyail remplir. Le Brandebourg, réuni & la
Prusse, est venu discipliner en elle I'humeur conquérante qu'elle devait
4 ces origines, et, selon la remarque d'un publiciste allemand, également
frappé de cette étroite filialion, le Brandebourg a associé a ces audaces
l'esprit pratique qui le caractérise, et il en a fuit le succes. »
Ce portrait est d'une frappante ressemblance. Nous en avons vu, de prés,
loriginal dans le type odieux en qui se personnifie la Prusse, ce type d’of-
ficier savant, froid, inflexible, doublé d’espion et de procureur, qui prend
des otages, ranconne, pille, fusille, incendie méihodiquement, et fait en
méme temps des cours de morale pour la plus grande gloire du roi Guil-
laume, de la patrie allemande et du Dieu des arinées.
Nous l'avons vu a l’ceuvre, et, si nous avons eu lant 4 soulfrir matériel-
lement de ses violences, notre consolation est de penser que, du moins,
Allemagne en a été alteinte bien plus gravement dans son honneur. Elle
s'est jaissé déshonorer par ceux qui se sont portes ses défenseurs, et
létonnement de l'histoire sera grand quand elle racontera comment Ia
MELANGES. 485
patrie de tant de grands hommes et de si nobles.esprits a pu se jeter dans
les bras de ces reitres échappés du.moyen Age. C'est ici qu’apparait la si-
gnifeation véritable et la haute moralité du drame terrible quise déroule en
Europe depuis prés de dix années et auquel nous sommes mélés comme vic-
times, aprés y avoir assisté comme simples spectateurs. Ce qui a rendu pos-
sible. [hegémonie prassienne, c’est invariable tendance de l’Allemagne
vers l'unité politique, qu’elle est, du reste, loin de confondre. avec la cen-
tralisation, et ce qui a rendu si puissante et si vivace l'idée unitaire en Al-
lemagne, c'est, il faut bien l'avouer, le voisinage de la France. En ce sens,.
il est vrai de dire, comme le prétendent les Allemands, que l'unité de 1’Al-
lemagne est notre ceuvre. Elle n'est qu'une réaction tardive, mais formi-
dable, contre la polilique envahissante que Louis XLY¥ et Napoléon I*" ont tour
a our suivie envers l'ancienne Allemagne, exposée, par son morceilement
presque infini, 4 toutes les audaces des conquérants. Les Allemands, qui
ne Manquent ni de mémoire nt de persévérance, et encore moins de ran-
cane, n'ont jamais oublié ces temps de désastres et de hontes nationales :
ils en ont su comprendre les enseignements. Du jour ol-un royaume al-
lemand était placé sous le sceptre d’un.frére de Napoléon; bien plus, du
jour o& Louvois signait l’ordre d’incendie du Palatinat, l’unité germanique
était faite dans le coeur de tous les Allemands. La seule question était de
savoir dans que! sens serait dirigé le mouvement unitaire, sous quelle
forme les voeux séculaires de l'Allemagne recevraient leur réalisation. Cest
la que l'influence du gouvernement francais pouvait s’exercer, d'une ma~
mére décisive, pour le bonheur des deux pays. Il dépendait de lui soit de
relarder pour longtemps, par une.opposition nettement formulée dés le
début, les tentatives du parti centraliste; soit d’encourager et de seconder.
sas arriére-pensée le développement naturel et pacifique de l’unité alle-
mande, tout en écartant l'intervention belliqueuse et dominatrice de la
cour de Berlin. L’une et }’autre politique présentaient de graves inconvé-
nients et de sérieux avantages ; mais, quoi que l'on dut préférer, il fallait
choisir, choisir sans retour, et, si l'on voulait agir, agir vite. Or, on ne sut
ni sedécider, ni agir. On se montra d’abord assez conciliant pour détermi-
ner la Prusse a détruire l’ancienne.confédération; on laissa voir ensuite
trop de mécontentement. et d’intentions .agressives pour.ne pas alarmer
Allemagne et.ne pas la jeter dans les bras de.la Prosse. Pendant plus de
ang.années, le gouvernement impérial ne fit que tergiverser, louvoyer,
hésiter, oubliant que, s'il est dangeteux de suivre une mauvaise politique,
il est plus funeste encore d'en avoir deux a la fois, ou, ce qui revient au
méme; de n’en avoir aucune. Ce sera la, aux yeux de la postérité, en méme
temps que la cause premiére et principale de nos désastres, la faute ca-
pitale du second empire.
M. Lefébure insisle sur ce point avec une rare sdreté de jugement et un
grand bonheur d'expressions. Il n'est pas de ces politiques superficiels et
186 MELANGES.
de ces esprits étroits qui attribuent uniquement la victoire de Sadowa & la
supériorité du fusil 4 aiguille, et qui cherchent, dans les fautes stratégi-
ques de ]’état-major frangais, l’explication compléte de nos désastres de
4870. Les hommes d’Etat qui comprennent ainsi l'histoire contemporaine
lui semblent la rabaisser a leur taille. Pour lui, i! estime qu’il faut chercher
plus haut l’origine des destinées si diverses de la Prusse, de |’ Autriche et
de la France. La situation intérieure des trois puissances, |’état moral et
social de leurs populations rendaient inévitable et en quelque sorte fatale
lissue de la lutte qui s'est engagée entre elles. I] était dans la logique des
événements que l'Autriche hétérogéne succombat sous les coups de la
Prusse unitaire; il était naturel qu'une nation calme, unie et laborieuse,
instruite et disciplinée comme |’Allemagne, l’emportét sur un peuple igno-
rant, présomptueux, épuisé par les révolutions et déchiré par les partis,
comme l'était la France. Depuis bientét cent ans, notre faute capitale,
irremédiable a été de vouloir, 4 chaque génération, refaire la nation
de toutes piéces, sur un plan concu a priori et d'aprés des idées
abstraites, sans tenir compte des circonstances, sans attendre du
temps son indispensable concours. Incapables de patience et d'esprit de
suite, nous avons brisé au lieu de redresser, détruit au lieu d‘améliorer ;
nous avons fait table rase du passé, quand il aurait fallu, a l’exemple de
l’Angleterre, de la Hongrie et de tant d’autres peuples, étayer sur ses for-
tes assises le présent et l'avenir de la nation. Nous avons désagrégé l'an- -
cienne France, sans laisser 4 la nouvelle le temps de se consolider, au
milieu de nos perpétuelles révolutions ; peu 4 peu, nous nous sommes ha-
bitués & prendre la fiction pour la réalité, la phrase pour le fait, 4 douter,
& plaisanter de tout, et, enivrés de mots sonores, dédaignant les principes
sociaux_les plus indispensables, nous avons élevé sur le sable un brillant
mais vacillant édifice, dont la premiére tempéte n’a que trop prouvé la fra-
gilité. Combiés des dons de la Providence, nous avons agi comme un
homme qui, pour guérir une indisposition légére, se condamnerait 4 un
accés de fiévre presque quotidien et qui voudrait ensuite entrer en lutte
avec un adversaire soumis de vieille date 41a plus fortifiante hygiéne.
M. Lefébure insiste, avec beaucoup de force et de justesse, sur cette vé-
rité si fréquemment démontrée, mais plus souvent encore oubliée. Les
pages de son livre qu'il a consacrées.4 cette question vitale méritent d'étre
lues et méditées. Nous en détacherons seulement le passage suivant, ori-
ginal et vrai, sur l’influence politique de l'éducation universitaire dans les
internats :
.. @..... Nous avons conservé le régime de I’internat, ou plutét l'éducation
de caserne imaginée par Napoléon I*', pour faire, selon une juste expres-
sion, de la chair 4 canon.
. « Gest 14 que s’est écoulée l’enfance étiolée des générations nouvelles,
loin du grand air, des salutaires exercices physiques, ignorant l'art de se
MELANGES, 187
gouverner et la pratique de la responsabilité, perdant toute originalité et
toute initiative. La aussi se sont énervés le sentiment de la famille et l’es-
prit religieux ; l'étude est devenue odieuse ; la jeunesse a appris 4 ridiculi-
ser et 4 détester l'autorité pour n’avoir soif que d'indépendance et de
plaisir. Cette peinture, qui peut sembler d’un esprit chagrin, n'est que la
vérilé affaiblie et incompléte. Qui donc pourrait contester que le Frangais
rappelle, durant toute sa vie, dans son attitude vis-4-vis de l’autorité pu-
hlique, les procédés qu'il pratiquait au collége envers ces maitres affublés
da ridicule surnom que tout le monde connait, se laissant conduire aveu-
glément, ou frondant et s insurgeant sans relAche? »
Ce dernier trait est d’une vérité frappante. Depuis longtemps déja, des
voix éloquentes, que Ja mort a prématurément éteintes, avaient signalé les
vices de la claustration universitaire : ilfautsavoir gré4M. Lefébure de les
dénoncer de nouveau. Quand donc serons-nous convaincus de |’urgente né-
ceasité d’y porter reméde? comprendrons-nous enfin l‘importance capitale,
absolue des questions d'éducation? nous préoccuperons-nons enfin de dé-
velopper l'homme dans l’éléve, le chrétien dans |l’écolier, d’exercer la rai-
son plus que la mémoire et le jugement plus que l'imagination? Dans
um ordre d'idées analogue, mais plus élevé encore, saurons-nous stimuler,
per une décentralisation effective et sérieuse, l'esprit W’initiative et le
sens pratique des citoyens? saurons-nous résoudre le grave probléme de
la solution duquel dépend peut-éttre l'avenir de la France en ce siécle: de-
venir novateurs en administration et conservateurs en politique, au lieu
de rester, comme par le passé, d’incorrigibles routiniers en administra-
tiem, et de non moins incorrigibles révolutionnaires en politique?
Il
Revenons 4 l’Allemagne. Grace 4 notre maladie révolutionnaire, grace
aux divisions séculaires de l’empire d’Autriche, la Prusse occupe en ce
moment la premiére place en Europe. On peut lui appliquer ce vers de
Cinna :
fa fortune est bien haut, tu peux ce que tu veux.
Fortement constituée, rassasiée de gloire militaire, guidée par deux hom-
mes d'un mérite supérieur, il semble qu'elle n’ait rien 4 craindre, rien &
respecter. Sa volonté fait loi.
Ne nous laissons pas éblouir, cependant, par cette apparente omnipo-
tence. La prophétie de la statue d'or aux pieds d’argile est de tous les
temsps et de tous les pays; elle s'applique 4 Napoléon I* comme a Nabu-
ehodonosor, au roi Guillanme comme a Louis XIV. Dés aujourd'hui, nous
183 WELANGES.
voyons se manifester en Al‘'emagne des symptémes significatifs : la forma-
tion du parti catholique du centre au Reichstag, et le développement des
associations ouvriéres dans les: grandes villes. M. de Bismark a raison:
deux Internationales le menacent, I’Internationale rouge et celle que, dans
son langage altier et provocant, il qualifie d’Internationale noire. Toutes
deux tendent 4 le renverser, l'une, par ‘application 4 outrance de ses pro-
pres doctrines sur la souveraineté du but et.sur la primauté de la force;
Yautre, par la revendication implacable de la justice et du droit, qu’il foule
aux pieds.
Les lecteurs du Correspondant ont souvent entendu parler de la fraction
du centre au parlement allemand. Peut-étre n’en connaissent-ils bien ni le
programme, nile nombre, ni |'importance relative. M. Lefébure entre, a ce
sujet, dans de trés-intéressants détails. Des cing partis fort inézaux entre
lesquels se partag nt les 5382 membres du parlement allemand, le plus
puissant est, sans contredit, celui des libéraux-nationaux, qui ne comptait
pas moins de 146 adhérents 4 la dermére session. Attaché aux idées par-
lementaires, mais avant tout défenseur de l’unité allemande sous le pro-
tectorat de la Prusse, il représente les tendances de |’immense majorité de
la bourgeoisie de l’Allemagne septentrionale. Il a pour chefs des orateurs
éminents, tels qite MM. Lasker, Bamberger, Miquel, Benningsen, M. Sim-
son, président du parlement, et M. Weber, vice-président.
En face des nationaux-libéraux, et en. nombre égal, mais avec une in-
fluence et un éclat bien moindres, siége.le parti conservateur, grossi de
deux fractions secondaires : le parti de l’empire libéral et le parti-de l'em-
pire allemand. Comme les nationaux-libéraux, les conservateurs soulien-
nent M. de Bismark et demandent la consolidation de l’unité allemande;
mais, fermement attachés aux institutions du passé, ils veulent, avec la Ga-
zette dela Croix, que cette unité repose sur la prépondérance de la cou-
ronne, de la noblesse et de l’armée.
Les progressistes, dont le nom indique assez les tendances démocrati-
ques, et qui prennent pour programme la constitution de 1848, ne disposent
encore que de 45 voix; mais ils gagnent chaque jour du terrain. Enfin les
socialistes n’ont au parlement que cing représentants, parmi lesquels le cé-
lébre agitateur saxon Behel.
C'est au milieu de ces partis rivaux que s’est formé le groupe du centre.
Accru des députés polonais, qui, sans se confondre avec lui, votent pres-
que toujours dans le méme sens, il.se compose exclusivement de catholi-
ques.’ Son'programme n’exclut cependant en aueune maniére les protes-
tants. En voici le résumé, d’aprés M. Lefébure :
- « Justitia. fundamentum: reguorum... La. fraction du centre du parle-
reent allemand impose 4 son activité.les principes suivants :
- « 4° Le caractére fondamental de l’empire comme Etat fédératif (Bundes-
staat) sera conservé. Conformément 4 ce principe, on résistera aux efforts
MELANGES. 489
qui tendent 4 modifier le’ caractére fédératif de la constitution de l'empire
et onne sacrifiera la spontanéité et l’indépendance des Etats partieuliers
dans leurs affaires intérieures que lorsque l’intérét général l’exigera d'une
maniére évidente.
« 2° Le bien-étre moral et matériel des classes populaires doit étre re-
vendiqué énergiquement; la-liberté civile et religieuse de tous les spjets
de l’empire doit &tre réclamée au moyen de garanties constitutionnelles,
et les associations religieuses, en particulier, doivent étre protégées contre
les empiétements de la législation.
« 3° La fraction délibére et prend des résolulions, conforinément & ces
principes, sur tous les objets qui sont soumis a la délibération du parle-
ment, sans que, du reste, il soit défendu 4 des membres isolés de donner,
dans l’'assemblée, un vote contraire aux décisions de la fraction. »
On voit combien, sous sa forme générale et dans son expression modé-
rée, un tel programme est hostile a la politique du prince de Bismark. Ce
seul mot, qui indique si bien le point de départ et le but de la fraction da
centre : Justitia fundamentum regnorum, est la déclaration de guerre la
plus nette et la plus irrévocable qui puisse étre adressée au tout-puissant
chancelier. Affirmer le principe de l’indépendance locale en face de l’au-
tear de l’unité allemande, revendiquer la liberté des associations religieu~
ses contre un des plus fougueux adversaires du catholicisme, réclamer.
pour les classes populaires le bien-étre matériel et moral en présence d'un
homme d’Etat qui, malgré ses avances momentanées a la démocratie, n’a
jamais dépouillé les préjugés et les dédains d'un hobereau de Poméranie :
c'est, 4 coup sur, rompre de la maniére la plus solennelle, et sur tous les
points, avec la politique qui prévaut aujourd'hui en Prusse. C'est ]’ceuvre
quont entreprise, avec autant de talent que de courage, les Reichensper-
ger, les Windthorst, les Keteler et les de Savigny. Il n’en est pas de plus
belle, ni de plus difficile. Dans ce combat de la justice contre la violence,
de la liberté contre le despotisme et dela religion contre le matérialisme,
nous avons wu, par les discussions récentes des lois sur l’inspection des
écoles et sur l’expulsion des jésuites, que ce n'est ni l’énergie ni !’élo-
quence qui font défaut au parti du centre. Ses orateurs ont porté des
coups terribles 4 M. de Bismark; mais, nous ne savons que trop, par
lexpérience de tous les temps, quen Allemagne comme en France,
il ne suffit pas toujours d’étre dans le vrai pour avoir raison. Le centre
ne dispose encore que d’environ 70 voix, 4 peine un cinquiéme du
parlement : il peut donc étre, jusqua nouvel ordre, impunément ba-
foué, calomnié, insulté par les gros bataillons des nationaux-libéraux
et des conservateurs. Cependant, ou nous nous trompons fort, ov
lavenir appartient 4 ce petit groupe d’hommes désintéressés, éloquents
ef courageux, s'ils savent persévérer dans la voie large et droite qu’'ils se
sont tracée. Déja plusieurs élections partielles ont récemment dénoté chez
496 MELANGES.
certaines populations du centre et du midi de l’Allemagne une aversion
marquée pour la politique de M. de Bismark : il suffirait d’un accident ou
d’une maladresse pour transformer en un mouvement général ce qui n'est
guére encore que tendance locale et effort isolé.
Al’autre extrémité de l’horizon politique, on discerne un second point
noir, plus faible jusqu’a présent, mais d'une nature plus alarmante pour
l’Allemagne, aussi bien que pour l'Europe entiére : j'ai nommé le socia-
lisme. Les socialistes allemands sont, sans contredit, les plus violents, les
plus tenaces, les plus dangereux de tous. [ls ne se contenteraient ni d’un
accroissement de salaires, ni de l’extension de leurs droits politiques :
leur doctrine est, purement et simplement, le communisme. Ils entendent,
dés qu'ils le pourront, dépouiller, par la violence, les classes riches et
jouir 4 leur place. C'est 1a toute leur politique. Ils ont des adhérents trés-
nombreux parmi les ouvriers, mal payés et condamnés 4 un labeur inces-
sant, ainsi que parmi les paysans, maintenant dans une condition voisine
da servage. Jusqu’a présent, il est vrai, ils n’ont pas encore donné leur
mesure. Si l’ouvrier allemand se met aisément en gréve, s'il assiste 4 de
fréquents meetings, il est rare qu'il menace ouvertement la société, et
qu’il se laisse aller 4 des actes de violence. Cela tient d’abord a son carac-
tére calme et réfiéchi, 4 son instruction relativement étendue, aux habi-
tudes de discipline qu'il a contractées sous les drapeaux, aux secours de
toute sorte qu'il trouve dans ces immenses associations de crédit, de con-
sommation, de production fondées par M. Schultze-Delitsch, et dont les
membres: se comptent par centaines de milliers, les ressources par cen-
taines de millions ; cela tient surtout aux habitudes modestes et parcimo-
nieuses des classes moyennes, a leur indissoluble union sur le terrain de la
conservation sociale; enfin, 4 la fermeté bien connue du gouvernement.
C’est 1a ce quia, jusqu’é ce jour, préservé }’Allemagne de guerres sociales,
analogues 4 celles qui ont mis Ia France au bord de l'abime ; mais la situa-
tion va probablement changer, avec les conditions de la vie en Allemagne.
Ce n'est pas en vain qu'un peuple se voue tout entier&é une ceuvre de haine,
de violence et de rapine ; ce n’est pas en vain qu’il bat monnaie aux dé
pens du vaincu. Rome et l'Espagne ont appris, 4 leurs dépens, ce qu'il en
cotte; l’'Allemagne, aussi, le saura un jour. Déja on remarque & Berlin et
dans les autres grandes villes de l’Allemagne un accroissement de lure,
de corruption, d’égoisme et de misére, plein de menaces pour |’avenir.
A l’inverse de ce qui se produit en France, les gréves sont aujourd'hui en
Allemagne beaucoup plus fréquentes et plus graves qu'avant la guerre;
I'lnternationale gagne du terrain, et les manifestes de ses adhérents alle-
mands en faveur de la Commune de Paris ont‘excité, au dela du Rhin,
plus d’étonnement que d'indignation. I] faudrait, ce me semble, étre aveu-
gle pour ne pas reconnaitre dans ces faits significatifs le présage de désor-
dres éloignés sans doute, mais dés 4 présent certains.
x
MELANGES. 101
En guerre ouverte avec les catholiques, menacé sourdement par le
socialisme, que fera M. de Bismark? Placé entre l'Autriche et la Russie,
vers laquelle de ces deux puissances inclinera-t-il? S’entendra-t-il avec la
cour de Pétersbourg pour faire subir 4 la monarchie autrichienne le sort
de la Pologne? s'unira-t-il 4 l’Autriche pour barrer 4 la Russie le chemin
de Constantinople, et pour empécher la création d'un grand empire slave?
Questions redoutables, auxquelles l'avenir peut seul répondre, et dont il
serait au moins imprudent de préjuger la solution. Il est permis, cepen-
dant, de discuter les diverses hypotheses auxquelles se trouvent liés la
fortune dé la France et le sort de l'Europe. M. Lefébure pense que M. de
Bismark a définitivement fermé les portes du temple de Janus et que
tous les efforts de I'habile chancelier vont étre désormais consacrés & con-
solider l’édifice qu'il a si rapidement élevé en Allemagne. Ainsi le vou-
draient sans doute la prudence et la sagesse; mais les conquérants, en
général, et M. de Bismark, en particulier, ne nous ont pas accoutumés 4
cette modération. Un empire créé par le glaive ne se soutient que par le
glaive, jusqu’au moment ot il périt par lui: c’est l’enseignement éternel
de l’histoire, c’est aussi la nécessaire vengeance de la justice divine. Plus
d'un grand homme, plus d'un homme de génie s'est engagé autrefois
dans la voie que suivent, en ce moment, l'’empereur Guillaume et son ter-
rible ministre; aucun n'a pu s’y arréter. Il est douteux que M. de Bis-
mark y réussisse. Par sa situation méme vis-a-vis de l'Allemagne et de
l'Europe, il semble, plus qu’'aucun autre conquérant, voué 4 de nouvelles
guerres, condamné 4 de nouvelles conquétes. Un souverain qui régne sur
un peuple parfaitement homogéne et depuis longtemps habitué a son
gouvernement peut, 4 la rigueur, revenir 4 une politique pacifique,
quand il croit l’intégrité de son royaume suffisamment assurée par la vic-
toire: pour l’empereur Guillaume et pour le prince de Bismark, il n’en
est pas ainsi, La domination de la Prusse en Allemagne nest, au
fond, qu'une dictature militaire; née de la crainte et de la haine de la
France, acceptée en vue d’yne guerre dés longiemps méditée, elle est
condamnée, en temps de paix, 4 disparaitre ou 4 se transformer. Dans cette
situation, il n'est guére doutewx que M. de Bismark n’ait, avant peu,
besoin de nouvelles complications extérieures pour raffermir son autorité
ébranlée. Les cherchera-t-il sur Jes bords du Danube ou sur ceux de la
Néva? M. de Bismark est trop versé dans l'art.de Ja dissimulation pour
qu’il soit possible de le discerner dés & présent et de faire sur ce grave
sujet autre chose que des conjectures.
Quoi qu'il arrive, c’est 4 nous tous, 4 la nation comme au gouvernement,
d'avoir sans cesse les yeux fixés sur le péril et de savoir régler notre conduite
et notre altitude d'aprés les exigences de notre douloureuse situation.
Comme le dit si bien M. Lefébure, notre rdle est anjourd’hui d’attendre
avec calme, avec patience, en travaillant sans cesse 4 notre réorganisation
492 MELANGES.
matérielle et 4 notre rénovation morale, le jour éloigné peut-étre, mais
inévitable, od les brigandages de la Prusse recevront leur chAtiment pro-
videntiel. D’ici 14, redevenons en Europe les champions du droit et les
défenseurs des petits Etats ; réclamons'et pratiquons le respect des trai-
tés; efforcons-nous surtout d’étre unis et tranquilles a l’intérieur ; recou-
vrons, sil en est temps encore, la force par une réorganisation sérieuse
de notre armée, la considération par une attitude digne et sage. Ne l'ou-
blions jamais, chacune des séances de |’Assemblée- ou les partis s'insul-
tent et ot le gouvernement se compromet, chacune de ces séances fait la
joie des Berlinois et le désespoir de nos fréres d’Alsace et de Lorraine:
c’en devrait étre assez pour les éviter 4 jamais.
- «Ik semble, dit, a ce sujet, M. Lefébure, il semble qu’aprés d’aussi ter-
ribles infortunes, en présence de la patrie déchirée, appauvrie, discréditée
parmi:jes peuples, il semble qu'il ne saurait plus exister chez tous les
citoyens qu'une pensée, un mobile : travailler 4 rétablir le pays dans son
ancienne grandeur et, pour cela, alter droit, sans hésitation, sans retard,
en écartant tout ce qui'est secondaire, aux réformes nécessaires d’ow dé-
pend.le salut. Les réformes essentielles ne sont pas nombreuses. Veut-on
s’en occuper exclusivement, .l’accord . est. facile. Le malheur de la France,
— et l’étranger en est peut-étre .plus frappé que nous-mémes, — est
qu’elle ne semble pas encore guérie de l'un de ses plus terribles défauts,
défaut qui consiste donner toujours aux questions secondaires le pas sur
les principates. . : )
« Ainsi, la reconstitution du pays pourra étre oubliée pour de misérables
luttes, od les personnes tiendront plus de place encore que les principes;
on discutera a perte de vue sur la forme du gouvernement, sur la méla-
physique constitutionnelle, au lieu de se mettre résoldment a ]’euvre et
de vider les questions essentielles qui se rattachent a la réorganisation de
l’armée, aux ressources budgétaires, et, par-dessus tout le reste, 4 rédu-
cation. Les hommes politiques rempliront le pays du bruit de leurs récri-
minations et de leurs disputes rétrospectives, au lieu de s’unir pour la
grande cuvre commune; ils se diviseront et se discréditeront en s accu
sant réciproquement des fautes passées. On se complaira dans de vaines
querelles faites.au sentiment religieux, ce grand ressort du dévouement ét
du patriotisme, si nécessaire pour les luttes de l'avenir, ce grand instr
ment de la régénération présente, et l’on oubliera qu'il nous reste encore
& relever parmi nous les hautes études scientifiques, 4 créer un gra”
enseignement national, a répandre a-profusion J’instruction dans le pet
ple, 4 réformer dans notre enseignement secondaire ce déplorable sy>
tame d'internat ou de.casernement, qui a exercé une si fatale influenc’
sur la vie sociale et politique de la France. Mais si ce n’est point asc? :
spectacle de nos malheurs, de la présence du vainqueur qui détient en-
core notre territoire, pour ramener les Francais 4 une vue claire de te
MELANGES. 495
situation et des devoirs qu'elle leur impose, pourront-ils, du moins, rester
sourds 4 la voix de ces malheureuses provinces que la conquéte nous a
arrachées, et qui sont notre rangon? N’ont-elles pas le droit de nous dire :
Eh quoi! peut-il exister encore dans vos 4mes une autre préoccupation
que celle de relever l'‘honneur du nom francais? Pouvez-vous détourner
un seul instant vos regards de ce territoire mutilé et amoindri, de cette
srande place vide qui fut jadis celle de Ja France dans les conseils du
monde? Ne sentez-vous pas que c'est notre unique préoccupalion, & nous,
Alsaciens et Lorrains, que l'avenir est notre seul refuge, que nous interro-
geons chaque jour avec anxiélé l'état de la France, suivant d'un ceil in-
quiet la reconstitution de ses forces, tremblant au moindre retard qu'elle
subit, et déplorant chacun des jours que vous consumez dans la discorde,
parce qu'il prolonge notre exil! Et si vous n’étes pas soucieux de mettre
fin aux stériles divisions qui compromettent les forces renaissantes de la
patrie, et qui la donnent en risée 4l'étranger, avez-vous le droit d’oublier
que nous sommes entre les mains du vainqueur, nous, les tristes victimes
de cette lamentable guerre, nous qui avons été associés aux meilleureg
gloires de la France, et qui nous étions donnés 4 elle sans réserve? Vous
faites retentir 4 nos oreilles les mots d’espérance, de réparation, de re-
tour 4 la grande famille. Sont-ce de vains mots? Nous n’avons jamais su
désespérer de la France, et nous avons encore foi dans sa grandeur fu-
ture. Cette foi sera-t-elle trompée ? »
Espérons que Dieu ne le permettra pas. C'est sur ce voeu que nous
aimons 4 terminer le résumé de l’excellent livre de M. Lefébure.
René Lavo...
REVUE DES ASSOCIATIONS CATHOLIQUES
POUR LA CLASSE OUVRIERE !
REVUE POPULAIRE *
La plupart des bonnes ceuvres ont aujourd'hui leurs journaux, ce dont
il faut les louer, d’abord parce que c’est, pour elles, un moyen de s’éclairer
et de s'‘aider réciproquement; puis parce qu elles échappent ainsi 4 l’accu-
sation de travailler dans l’ombre. Seulement ces journaux ne sont pas tous
assez connus et ne font point, par suite, tout le bien qu’ils pourraient.
Aussi, tenons-nous pour un devoir de signaler ceux dont |’existence nous
est successivement révélée.
I! y a quelques mois, nous annoncions I'apparition du Bulletin des cer-
cles catholiques d'ouvriers, modeste et toutefois intéressant moniteur d’une
‘Paris, avenue de Saxe, 58.
* Rue Cassette, 27.
10 Avan. 1873, 19
194 MELANGES,
institution alors 4 sa naissance et qui, sous la direction des deux braves et
religieux officiers qui en ont eu l'inspiration, se développe et s’étend assez
rapidement pour mériter les outrages des feuilles qu'on patronne au palais
de Ja Présidence. Ce journal a aujourd’hui sa place faite; c'est le lien des
réunions chretiennes d’ouvriers qui, 4 l’imitation de celles qu’ont créées
MM. de La Tour du Pin et de Mun, se fondent dans la plupart des grands
centres ot notre armée tient garnison.
Une publication du méme genre mais de date plus ancienne, car elle en
est 4 sa troisiéme année, a droit aussi, de notre part, 4 une mention, et
certes nous ne la lui eussions point fait attendre si nous l’avions connue
plus tét: c'est la Revue des associations catholiques pour la classe ouvriére.
Ces associations catholiques, créées dans l’intérét et avec le concours
des ouvriers, sont plus nombreuses qu’on ne croit. Outre les Cercles dont
nous parlions tout 4 l'heure, et qui sont de date récente, il y a, d'origine
déja ancienne, la Société de Saint-Joseph, la Société de Saint-Francois-
Xavier, les Cercles d'employés, les Patronnages d'apprentis, etc., toutes
ceuvres nées de la méme pensée, dirigées dans le méme esprit et soutenues
par le méme zéle, mais restées trop longtemps isolées et méme incon-
nues l'une a l'autre. Le but de la Revue dont nous parlons nous semble
avoir élé précisément de les rapprocher ou du moins de les mettre en re-
lation, en leur apprenant ce qu’elles font chacune de leur cété pour le
bien et de quelle maniére elles le font. Mais ce n’est pas seulement d’éta-
blir et d’entretenir ces rapports d’ou peuvent naitre tant d’heureuses idées
que s’occupe la Revue des associations catholiques, elle étudie et traite, au
point de vue de l'utilité qu’elles peuvent avoir pour les directeurs ou les
membres des ceuvres, les questions économiques, industrielles et morales
qui tiennent une si grande place, de nos jours, dans les préoccupations
de l’ouvrier et pour Ja solution desquelles son esprit, trop souvent égaré,
accepte des moyens absurdes ou coupables. Il y a 1a, sous des formes
trés-variées et sans le moindre appareil pédagogique, des legons claires,
agréables et pratiques dont travailleurs et patrons peuvent faire leur profit.
La religion y entre juste assez pour en consacrer la doctrine sans leur
donner un faux air de sermon qui leur nuirait plus qu’il ne saurait leur
servir. Cet enseignement, plein de mesure, est, sans préjudice de ses autres
mérites, ce qui recommande le plus, 4 nos yeux, la Revue des associations
catholiques pour la classe ouvriére.
Dans un but tout chrétien aussi, mais A un point de vue un peu diffé-
rent, vient d'étre fondée une autre revue qui nous parait mériter également
une recommandation. Rien de plus modeste que son titre; elle s appelle
tout simplement la Revue populaire. Elle s’adresse 4 ceux qui aiment la
lecture et n'ont ni beaucoup de temps ni beaucoup d'argent a y consacrer.
Elle ne parait que deux fois par mois et ne codte que quelques centimes
MELANGES. 495
par livraison. Occuper d’une maniére saine, attrayante et morale les heures
de loisir; propager et défendre, sans trop paraitre y viser, les idées de
religion, de famille et d’ordre, si généralement attaquées dans le peuple;
combattre enfin par celle du bien, et par des moyens analogues, la pro-
pagande audacieuse du mal, voila ce que se sont proposé les fondateurs de
cette publication pour laquelle nous avons bon espoir et 4 laquelle nous
souhaitons bon succés.
P. Dounatre.
On n’a point oublié les entretiens éloquents par lesquels le P. Matignon
reprit, I'an dernier, le cours des Conférences de Notre-Dame, deux fois
mterrompu par la guerre et par la Commune. La hardiesse évangélique
avec laquelle le prédicateur, laissant de cété tous les préliminaires philo-
sophiques, avait abordé de front l’enseignement chrétien et pris pied
immédiatement dans le dogme en traitant de Jésus-Christ, avait frappé
singuli¢érement son auditoire habitué, par une sorte de tradition, 4 enten-
dre discuter des questions spéculatives. Aussi ces Conférences tout 4 fait
nouvelles furent-elles trés-écoulées et trés-lues. ll se fit de chacune, par
semaine, deux éditions de format différent, mais hatives, peu exactes, peu
correctes et de toute facon, peu dignes de leur auteur et du succés qu’'elles
obtenaient. Elles ne pouvaient rester ainsi. La belle édition qu’en donne
aujourd ‘hui la librairie Jouby et Roger‘, et que le P. Matignon a fevue
avec soin, est donc la seule qui puisse vraiment compter.
icc
La librairie Douniol met en vente le quatriéme et dernier volume d’une
explication des Epitres ct Evangiles des dimanches et des fétes? qui-nous
semble avoir un meérite particulier, celui de répondre directement aux
besoins actuels des esprits. Ces besoins, l’auteur les connait bien;. il sait
tout ce qu'on a semé, dans ces derniers temps, de doutes sur les vérités
de la foi, tout ce qu'on a donné surtout de fausses et perfides interpréta-
ions des faits et des préceptes de |’Evangile; ila suivi dans leurs trans-
formations et leur transplantation de |’Allemagne en France les systémes
de Pexégése rationaliste, et c’est contre tous ces dangers qu'il a cherché a
protéger les Ames simples, auxquelles l’appareil de la fausse science pour-
rat en imposer. Son livre nous parait devoir convenir 4 la fois aux pré-
tres et aux fidéles, offrant aux uns d’excellents thémes d'enseignements,
aux autres de bons sujets de lectures domestiques ou privées.
‘ Paris, 7, rue des Grands-Augustins. 1 vol, in-8.
* Epitres et Evangiles des dimanches et des fétes, avec commentaires et explications,
par M. l‘abbé Besnard. 4 vol. in-8.
QUINZAINE POLITIQUE
9 avril 1873.
Retenue et comme captive dans la série des débats et des événe-
ments qui se succédaient 4 Versailles et a Paris, l’opinion publique,
pendant ces derniéres semaines, n’a guére porté son regard au dela
de notre pays. En des temps ou la France, moins inquiéte d’elle-
méme, aurait le loisir de cette curiosité généreuse qui croit que
dans le monde rien n’est indifférent 4 la patrie ou 4 la vérilé, elle
considérerait avec plus d’empressement ces violences religieuses de
la Suisse, destituant les prétres aprés avoir chassé les évéques, et,
au mépris des lois de I'Kglise, faisant au clergé une constitution ci-
vile; elle suivrait d’un ceil plus attentif cette armée russe qui s’en-
fonce dans les steppes lointaines dont le désert entoure Khiva, et
que |’Angleterre jalouse craint d’y voir fixer ses avant-postes. La
- France, hélas! a trop de ses alarmes personnelles. S’il semble
qu’elle ait quelque avidité des nouvelles d'Espagne, c’est que, dans le
sort de cette république provisoire, ot tout est en péril, ou en guerre,
ou en ruines, la France interroge ses destinées, et qu’elle y croit
apercevoir quelques-uns des maux qu'elle redoute pour elle-méme.
Longtemps sa vaniteuse assurance l’a rendue étrangére 4 l'histoire
des autres nations ; aujourd hui son anxiété la rend, pour ainsi dire,
justement égoiste. Pourquoi, durant ces quinze jours surtout, a-t-elle
concentré tout son intérét dans ses propres affaires et ses propres
discours? Sa situation l’explique. La libération du territoire mainte-
nant réglée, notre politique s’agite dans une sorte d’inconnu : elle
semble devenir plus haletante; la fortune a désormais quelque chose
de plus redoutable dans la force de ses coups imprévus; il y a dans
les esprits plus d’attente, de doute, de frayeur; autour de soi, tout
QUINZAINE POLITIQUE. 197
parait plus temporaire. On observe M. Thiers avec une vigilance plus
soucieuse, comme pour chercher dans ses paroles ou ses actes le se-
cret don ne sait quel dessein maintenant plus libre de se découvrir.
On assiste aux délibérations de l’Assemblée avec une émotion plus
vive, parce que d’heure en heure ses résolutions importent davan-
tage au bien du pays. Dans cet état des dmes et des choses, des faits
facheux sont survenus, de graves questions se sont posées; et c’est
ainsi que, de la candidature de M. de Rémusat a la démission de
M. Grévy, de la mairie centrale de Lyon a4 lindemnité de Paris et
des départements, les raisons n’ont pas manqué a l’opinion publique
pour s'appliquer tout entiére au spectacle de nos meertitudes, de
nos accidents et de nos luttes.
Parmi les derniéres ceuvres de l’Assemblée, 11 en est deux ot elle
afait prévaloir des principes dignes de régner dans les mceurs
comme dans la loi. Elle a repoussé Ja proposition d’allouer 100,000
francs 4 des délégations d’ouvriers qui se rendraient 4 Vienne pour
lExposition universelle. Sans aucun doute, ce voyage aurait son
utilité : il peut insfruire les ouvriers au profit de l'industrie natio-
nale. On a rappelé qu'un voyage de ce genre servit de prétexte et
d’occasion en 1862 pour créer l'Internationale; et l'on comprend
que ce souvenir ait influé sur la décision de I’Assemblée. Mais 4 nos
yeux la raison capitale qu’on avait 4 consulter en cette matiére, c'est
que de tels soins doivent incomber & l’initiative privée. Substituer
toujours a cette initiative le concours de l’Ktat, c’est un acte de socia-
lisme ; c'est favoriser l’indifférence que le citoyen francais montre
trop volontiers pour ses intéréts généraux. Et combien faut-il sur-
tout y songer, 4 une époque ot hommes et choses conspirent a cen-
traliser dans l’Etat tous les ministéres de Ja vie sociale et politique?
Dans une affaire bien différente, l’Assemblée, sous l’inspiration de
Péloquent évéque d’Orléans, a rendu au christianisme un droit
dont la Convention l'avait privé dans les établissements de bienfai-
sance. Mgr Dupanloup a demandé et obtenu que désormais les
ministres de la religion fussent présents dans les conseils de |’assis-
tance publique. Le christianisme a constitué le patrimoine des pau-
vres ; ila créé le capital de la charilé; il a couvert le monde d’hos-
Pices et d’hdpitaux : il était donc injuste d’interdire au prétre toute
part d'administration dans ces maisons hospitaliéres ou il attire les
auménes, ow il fait affluer les dons, ot il envoie les indigents et les
malades. L’article 7 de la loi nouvelle permet de partager les reve-
nus des biens des pauvres et d’en distribuer une large portion en
Secours donnés 4 domicile. Cette innovation nécessitait encore la
présence du prétre dans les bureaux de bienfaisance. Car qui con-
498 QUINZAINE POLITIQUE.
nait mieux gue lui les soupirs qu’on pousse en secret, les peines
qu’on dévore en silence, les miséres qu'une délicate pudeur de
lame. malheureuse dérobe 4 tous les yeux? Le beau discours que
Pévéque d’Orléans a prononcé a ce sujet a ramené dans nos lois un
principe de justice et de tolérance. Félicitons-nous-en : il est bon,
dans notre seciété si divisée, de voir une suspicion de moins et un
motif de concorde de plus.
Lyon est au pouvoir d’une municipalité démagogique, dont la
foree réside surtout dans sa mairie centrale. M. de Meaux en a clai-
rement montré l’abusive puissance dans un rapport et dans un
discours ot les faits eux-mémes servaient d’arguments; avec lui,
M. Antonin Lefévre-Pontalis, M. Bérenger et M. de Goulard en ont
indiqué les excés, contradictoirement a M. Ferrouillat, M. Le Royer
et: M. Edouard Millaud. La situation est grave, bien que devant
Bourbaki |’émeute n’ose lever la téte; et cette gravité, le gouverne-
ment l’avait attestée |ui-méme en déclarant la question urgente. La
mairie centrale, en effet, constitue, 4 Lyon, une sorte de gouver-
nement : elle y forme un Etat dans l’Elat. Sous Je régne de M. Ba-
rodet, le conseil municipal perpétue les docirines et les pratiques
de l'ancien Comité de salut public : vingt-sept de ses membres y
siégeaient et signaient, le 5 mai 18714, le criminel manifeste ou la
Commune de Lyon justifiait Ja rébellion de Paris. Getle mumicipa-
lité résiste aux lois : elle confie Jes actes de l'état civil & des fonc-
tionnaires dépourvus de mandat légal; elle a:protesté contre la loi
méme qui l'instituait, celle du 44 avril; elle oppose 4 la préfecture
une hostilité permanente; elle refuse son obéissance au gouverne-
ment lui-méme, en contestant ses réglements, en ajournant ses
mesures, en dédaignant ses ordres, dans les affaires d’enseignement,
de culte; de bienfaisance publique, de budget et de police. Elle
s'adjuge une somme de vingt-cing mille francs, qui sont ses fonds
secrets; elle disiribue ses emplois 4 des artisans de révolufions,
déja réputés dans les émeutes ou fameux dans les clubs. Elle a
autour d’elle une armée d’associations politiques qu’elle commande
et qui lui commandent tour a tour : aux jours ow Ja paix publique
semble se troubler 4 Versailles dans Jes conseils du gouvernement
et de l’'Assembiée, on la voif, comme au mois de novembre dernier,
rassembler furtivement 4 son hdtel de ville plus d’un millier d’agi-
tateurs dévoués 4 son audace. Fille a sur Lyon une autorité toute
politique, autorité d’autant plus redoutable a I'Etat que sa puis-
sance est exercée par « des hommes ambitieux ou pervertis, » et que,
des faubourgs de Lyon, elle répand son influence sur toute‘la région
du Midi. Elle invoque le droit de la tradition : or sa mairie centrale
QUINZAINE POLITIQUE. 199
n’existe que depuis le 4 septembre 1870. Elle affecte de défendre
les franchises municipales de Lyon : en réalité, elle est ou veut étre
la commune libre, indépendante, souveraine, et par cetle prétention
elle met en péril Punité frangaise.
Ces raisons convaincantes, M. Ferrouillat, M. Le Royer et M. Mil-
laud n’ont pu les réfuter. A les entendre, le ciel se rasséréne de jour
en jour au-dessus de Lyon et de son empereur municipal, M. Bare-
det : tout s’y change en paix et en prospérité. Lyon n’est plus qu'une
« ruche de travailleurs, » douces abeilles dont le joyeux bourdonnme-
ment ne trouble personne, & part M. Cantonnet. Qu’on laisse sewle-
ment M. Barodet libre et tranquille : il a butiné de faute en faute
une expérience suffisante; de grace, qu’on lui permette d’en profi-
ter! M. le préfet, quoique républicain, se trompe : l’ordre est dans les
esprits comme la vertu dans la municipalité; la ville senrichil; que
veut-on de plus? Telle est la pastorale que M. Ferrouillat, avec une
longue et trainante mélodie, a murmurée devant l’Assemblée ; et ses
deux collégues n’ont fait que répéter ces naives protestalions d’in-
nocence. Mais ni )’Assemblée,.ni le gouvernement.ne leur ont préseé
Voreille. Le projet dela commission a été adopté : la mairie centrale
va se diviser en six mairies d'arrondissements, ou les fonctions .mu-
nicipales seront gratuites : l’organisation doit en étre assimilée a
celle de Paris. Les radicaux, ce semble, n’ont guére a se plaindre a
Lyon d’un régime qu’a Paris ils supportent si bien, et dont les com
dilions, aprés tout, sont identiques pour les deux capitales de netre
démocratie. La municipalité lyonnaise annonce sa démission. Suit.
Elle n'empéchera pas que le parti conservateur profile des avantages
acquis. En définitive, le jacobinisme aura subi & Lyon une défaiée
que M. Barodet, confiant dans le gouvernement épistolaire de M. Bar-
thélemy-Saint-Hilaire, jugeait.impossible. Ge premier résultat a’a-t-al
pas son importance?
Gest dans le cours de ces débats qu’a surgi l’incident 4 la sunte
duquel M. Grévy a quitté ses fonctions. Grande querelle de nests
peu parlementaires! tapage de coléres également regrettables!
Mais dans tous ces torts réciproques, M. Grévy a eu le plus grave.
Sa dignité s’est.bien vite offensée, en cette circonstance :.elle avait
été plus lolérante dans ces (umultes of M. Ordinaire et M. Gam-
bella, aprés des injures autrement indignes d’une Assemblée, bre-
vaient avec leurs amis les réprimandes du président. Nows ne news
occuperons pas de reprocher 4. M. Grévy ce qu'il y a eu de hautain
ct d'insolite dans sa démission. La mémoire de ses services et le
respect que nous devons & son honnételé politique nous imposem
la mesure dans le blame. Mais nous ne pouvons pas n'étre port
20 QUINZAINE POLITIQUE.
étonnés que le souci de l’intérét public ait été si faible dans sa
détermination. Ces convenances personnelles qu’on allégue 4 un
moment ow le patriotisme exige de nous tous tant d’abnégation,
n’ont-elles pas été pour l’amour-propre de M. Grévy plus impé-
rieuses qu'il neconvenait @ son austére habitude du devoir? M. Grévy,
onle soupconne, a.eu ses vues particuliéres. Va-t-il devenir républi-
cain militant? saisira-t-il la direction de la gauche? On peut le supposer.
En pareil cas, M. Grévy aura pris position entre M. Thiers et M. Gam-
betta : la république aura ses trois concurrents, et cet antagonisme
peut changer plus d'une des prebabilités de l’heure présente. Quant
4 nous, trois choses nous paraissent avoir élé agréables ou hono-
rables aux conservateurs, dans les suites de cet incident. D’abord,
M. Grévy, malgré les regrets que le pays lui a donnés, n’a pas mis
en péril la fortune de l’Etat en se retirant : il nous platt de con-
stater qu'il y a dans notre république un homme nécessaire et une
providence indispensable de moins. Ensuite, l'Assemblée n'a pas cra
devoir se prosterner devant sa présidence mécontente : elle a mieux
ménagé sa propre considération. Enfin, M. Buffet a remplacé
M. Grévy : son autorité morale, sa science parlementaire et son ferme
libéralisme, son habile entente des affaires, son talent oratoire, sa
sagesse politique, sont des garanties précieuses 4 l’Assemblée et
au pays dans leur situation actuelle. Au demeurant, la démission
de M. Grévy nous laisse un avantage décisif, au lieu d’un inconveé-
nient ou d’un péril. Le vote de la majorité l’engage.
Aprés de graves débats, dont l’opinion publique s’était émue 4
Pavance, l’Assemblée a décidé d’allouer a la ville de Paris une In-
demnité de 140 millions et une autre de 120 millions aux départe-
ments, pour les dommages subis durant la guerre de 1870-74. Ce
n’est pas nous qui nierons que les miséres auxquelles on destine ces
indemnités ne soient dignes de commisération : les pertes ont éte
lamentables, ef on n’a pu les contempler sans attendrissement. Con-
venait-il d’en réclamer & l'Etat la réparation? Maintenant qu on
a satisfait 4 ce qu’on a cru un grand devoir de charité nationale, il
faut qu’on examine cette question, non plus avec l’émotion d'une
miséricorde toute patriotique, mais avec la raison sévére de l'homme
d’Etat et du législateur. Cette question constitue, en effet, la ma-
-liére d'un droit nouveau : qu’elle ne nous surprenne pas, & !’aventr,
sans régles et sans lois! Les plus rigoureux conviendront que les
malheurs dont la guerre accable une population méritent un soula-
gement. Mais lesquels d’entre ces maux? quelle doit élre la propor
tion? quelle part d’assistance I’Ktat s’imposera-t-il dans les secours
prescrits? comment la commune y contribuera-t-elle? quelles re
~
QUINZAINE POLITIQUE. 201
clamations faudra-t-iladmettre parmi celles du particulier? et avant
qu’on détermine ces divers points, ne sera-{-il pas utile de juger si
Yindemnité est un devoir pour !’Etat, un droit pour le citoyen? On
en conviendra encore: |’équité commande de ne pas laisser aux
pays envahis, cest-a-dire aux pays chargés de tout le poids de la
guerre et couvrant les autres, le fardeau de toutes les dépenses faites
et la pene de tous les désastres éprouvés dans cet acte de la défense
rationale. Mais ici encore il y a des doutes et des difficultés. Com-
ment répartir les frais dans la mesure d'une juste solidarité? com-
ment les reconnaitre et les distinguer ? Il est indispensable qu’une
loi réponde 3 ces questions, questions nées de sentiments soudains
et d’opinions nouvelles dans l'histoire de la guerre contemporaine.
Cette loi sera délicate : il importe pourtant d’en prévoir le besoin.
Quoi qu’en pensent les juristes, il nous semble que la politique
etla philosophie, tout & la fois, invilent & ne pas considérer lin-
demnité comme wn principe général et nécessaire. Pour nous,
hous ne voudrions pas qu’une felle notion pénétrat dans l’esprit pu-
blic, et qu’ainsi I’on pat dire: « Moi, particulier, je sais que ma
maison, mon mobilier, mon bétail, ma récolte, l’Etat me rendra, le
lendemain des hostilités, tout ce que j’aurai perdu. — Moi, com-
mune, je sais que toutes mes dépenses de guerre, l’Ktat, la paix une
fois conclue, m’en donnera |’exacte compensation. » — Non, il ne
faudrait pas qu’au jour terrible ot la France aurait 4 reprendre les
armes, chacun de nous eit l’assurance que |’Etat sera le grand ré-
parateur de tous nos dommages : une telle quiétude pourrait étre
pernicieuse & notre pays. — ;
Ce principe de l’indemnité obligatoire, prenez-y garde : il ne sied
qu'aux socialistes de conférer 4 ’Etat le soin charitable des fortunes
privées ; et c'est le propre de tous les peuples qui s'abAtardissent,
comme on en eul l’exemple 4 Rome, que de ne plus voir dans !’Etat
qu’un ministére d’assistance publique. De plus, en décrétant que
Etat a le devoir d'indemniser de la guerre ceux dont elle endom-
mage la propriété, on dte 4 la nation l’énergique souci de son inté-
rét, on la rend moins jalouse de ses affaires, parce qu’on diminue
pour le citoyen le péril des résolutions publiques dont dépend sa
destinée. On le dispose aussi 4 moins bien défendre la communauté
nationale, parce qu'il se sent mieux garanti individuellement : on
amollit donc sa force et sa virilité. Il est dangereux partout que
Etat dispense trop de graces et de bienfaits; car plus on permet de
demander au gouvernement, moins on laisse & faire au citoyen; mais
combien le péril n’est-il pas plus grave dans un pays ot la plupart
des gens considérent PEtat comme une puissance distincte d’eux-
202 QUINZAINE POLITIQUE.
mémes, comme une sorte de personnage abstrait et public, dont ils
peuvent tout attendre ou réclamer? Et ce gouvernement, en lui as-
signant l’effrayant devoir des indemnités, on reporte tout entier sur
lui le bien ou le mal de Ja guerre, on habitue davantage encore les
populations a lui imputer la faute ou le mérite des événements : on
isole et on aggrave sa responsabilité; et ainsi, sous une charge plus
pesante, il se trouve exposé a des catastrophes plus promptes et plus
funestes. Il faut, d’ailleurs, nous le dire courageusement : en émous-
sant l’aiguillon de la souffrance nationale, on émousse dans plus
d’une Ame le ressentiment du patriolisme : qui ne sait pourtant que
les douleurs des peuples leur deviennent des moyens de salut? Nous
n’ajouterons pas que derriére la certitude d’une indemnilé plus
d’une lacheté pourrait s’abriter, en temps de guerre, et plus d'une
spéculation se préparer. Nous comprenons qu’ travers les premiéres
larmes de la pitié publique, on n’ait pas entrevu toutes ces consé-
quences. Puisse-t-on s’oecuper un jour de les prévenir! Ily ala une
question 4 la fois intéressante pour la société et la patrie.
La ville de Paris va changer certains noms de ses rues. On admet
volontiers qu’elle veuille pour désigner ses rues des noms qui sur-
vivent 4 nos régimes provisoires et 4 nos fragiles empires : c'est une
bonne précaution que de choisir des enseignes qu’aux premiéres
heures d’une émeute triomphante on ne soit pas tenté de jeter bas ;
il serait plus sage encore de ne plus faire de révolutions : les noms
du passé n’auraient plus alors rien de génant ou d'odieux. On con-
goit aussi que la municipalité de Paris veuilie éviter les homonymes
el les équivoques ; on ne lui reprochera pas de s’ingénier 4 trouver
des mots faciles 4.la mémoire et aux lévres : toutefois nous doutons
que les noms de Camulogéne et de Vercingétorix soient de ceux-]a.
On lui permettra encore de proscrire les noms des vivants : & ses
heures, la popularité est courtisanesque, et d'autre part,.l’adulation
des courtisans n’est pas toujours populaire : pour ces deux raisons,
effacez donc les noms des vivants, et laissez 4 ’équitable jugement
de Ja mort le choix de ceux qui seront vraiment immortcls. Soit,
supprimez les noms de M. Pereire et de M. Haussmann. Nous accor-
dons enfin qu’aux noms vulgaires, qui ne disent rien ou qui disent
une. bélise, on substitue des noms qui parlent d’un service rendu
ou d'une illustration francaise. Fort bien. Dans une ville qui,
comme Paris, sert 4 la patrie pour y recueillir ses principaux tré-
sors, mettez partoul sous l’ceil du citoyen ou de l'étranger des noms
qui éveillent l’imagination de histoire et qui honorent la France;
nous applaudirons : il y a vraiment avantage 4 remplacer le nom de
la rue du Terrier-aux-Lapins par celui de Didot. Ornez vos rues de
QUINZAINE POLITIQUE. 203
nos grands souvenirs, en les décorant des noms de Lacordaire,
Augustin Thierry, Tocqueville, Foy, Benjamin Constant, de Staél,
Villemain, Vauvenargues , Le Notre, Sauvageot, Foyatier, Duban :
nous vous en louons. Rappelez-nous Belfort, Phalsbourg, Bazeil-
les, Varize, Civry, Chateaudun : vous ne multiplierez pas trop ces
noms qui, dans leur gloire funébre, évoquent la vengeance de la
patrie. Mais gardez-vous d’étre intolérants et partiaux. Vous con-
sentez a2 conserver le nom de la sceur Rosalie. Eh bien, avez-vous
donc peur de tous ces autres noms chrétiens que vous méditez d’a-
bolir? craignez qu’on vous soupconne des délicatesses dont la Com-
mune avait le scrupule pour les vocables de saints. La mémoire de
Santeuil, le chanoine, parait vous déplaire, et vous aimez mieux le
nom de Halle-aux-Cuirs que le nom de cet homme d’esprit dont
on chante encore les hymnes dans vos églises et dont les inscrip-
tions sont encore visibles sur vos fontaines. Saint Antoine, 4 vos
yeux, est damnable : vous voulez qu’on l’oublie pour Latude! Vous
prélendez avoir horreur de toute dénomination politique, et vous
maintenez le nom du Quatre-Septembre, vous adoptez celui de
Charras! Il vous semble aussi que le nom de Marie-Antoinette, celui
d'une viclime qu’il y a honneur a citer par expiation de nos meur-
tres publics, sera bien remplacé par celui d’Antoinelte! Voila des
caprices fort suspects. Mais dit-on vous les pardonner, comment
vous céder tout ce que vous prenez ailleurs sur la gloire de la
France? Quoi! Bayard, Henri IV, Napoléon, ces noms dont le peuple
se souvient et que le monde connait, vous oserez les rayer ! Qubliez-
vous que Bayard au moins sauva Méziéres des Allemands, que
Henri IV prépara l'abaissement de l’Empire, que Napoléon vainquit
a Iéna la Prusse? Vous ordonnez d’enlever les noms de Mazagran,
de Constantine et d’isly, noms glorieux qui rappellent tant de sang
francais héroiquement versé; vous rejetez ceux de Magenta et de
Solferino, comme si, dans vos rues mémes, ils n’avaient pas jadis
passé avec leurs drapeaux, applaudis de Paris entier, admirés de la
France et craints de l'Europe, ces suldats de Magenta et de Solfe-
rino, dont vous allez ainsi violer le souvenir! En vérité, tout cela
semble impie 4 notre patriotisme. La France malheureuse a besoin
plus que jamais de tout son passé pour se consoler et reprendre
courage. Laissez-lui donc, avec toute la variété de son génie et de
sa fortune, la mémoire de toutes ses générations et la richesse de
tout son héritage. République ou monarchie, laissez-lui sa grandeur
tout entiére. On ne défait pas l'histoire avec ces haines; on nen
refait pas les titres 4 volonté. Et puis un grand peuple doit, jusqu au
’ dernier soupir, rester enveloppé de toutes ses gloires.
204 QUINZAINE POLITIQUE.
Grace a Dieu, la France, maleré la gravité de ses préoccupalions
politiques et nationales, garde le gout des plaisirs et des biens lit-
téraires. La réception du duc d’Aumale 4 !’Académie frangaise avait
ce noble et salutaire intérét ; et cet intérét s’augmentait encore de
la nouveauté du spectacle offert 4 la curiosité de notre siécle par ce
fils de roi que Académie admettait dans sa célébrité et son éga-
lité, qui venait 4 ce tilre y trouver quelques-uns des plus beaux
souvenirs dont ses ancétres aient honoré notre histoire, et qui s'y
présentait entouré de M. Guizot et de M. Thiers. Le duc d’Aumale
a justifié par son discours le choix de ses confréres : on y a re-
connu, ici la voix d’un patriote, 1a l’accent d’un orateur ou la pa-
role d’un homme d’esprit; le commencement et la fin de ce dis-
cours ont étonné, charmé, ému : c’est assez pour un académi-
cien que d’avoir excité ce sentiment dans l’illustre compagnie, et
d’avoir obtenu a pareil jour un si difficile succés. M. Cuvillier-
Feury avait la joie de recevoir dans le duc d’Aumale un éléve bien-
aimé et de pouvoir publiquement parler de ses mérites. La sagace et
fine crilique de M. Cuvillier-Fleury a été louangeuse pour M. de
Montalembert. Est-il besoin de dire que pour le Correspondant, tant
de fois enrichi des dons que lui faisait le talent de M. de Montalem-
bert, il y avait dans ces éloges quelque chose de particuliérement
agréable et cher? et avons-nous besoin d’excuses en recomposant
a cette occasion, avec les traits mémes dont se sont servis le duc
d’Aumale et M. Cuvillier-Fleury, l'image d'un homme que les lec-
teurs du Correspondant ont eu tant de raisons d’aimer et d’ad-
mirer ?
M. de Montalembert a dans son génie cet élan chevaleresque d'une
race quin’avait produit que des soldats et des héros : son inquiéte
activité ne sait pas se reposer ; il ira de lutte en lutte, marchant aux
batailles les plus désespérées avec une fiére intrépidité ; prodiguant
sa vie aux déhats les plus nobles de la religion et de la politique ;
portant toujours dans un péril ou dans un autre, a la tribune ou
dans la presse, les armes de.sa parole et de sa plume, et ne les in-
clinant devant aucune des puissances de ce monde, ne les déposant
jamais qu’aux seuls pieds de Dieu; toujours prét 4 l’altaque pour la
défense ; plus jaloux de combattre qu’ambitieux de gouverner ; in-
sensible a la peur, désintéressé, aimant Ja gloire passionnément ; et,
pour tout dire, il est, avec la vertu de ce courage hardi et constant,
grand orateur et grand chrétien. De bonne heure il a préparé son
ceeur et son esprit aux causes qu’il devait si généreusement servir :
4 peine adolescent, il a les pureg et saintes passions de la foi, de la
patrie, de la liberté et de l’amitié (comme l’atteste sa correspondance
QUINZAINE POLITIQUE. 205
avec son vieux camarade M. Michel Cornudet), et il mourra sans que la
vie !'en ait désenchanté. Dés lenfance, il travaille et lit sans cesse; a
lexemple des hommes illustres du parlement anglais, il est lettré, et,
comme eux, avant l’age et l'occasion, il s’instruit de I’histoire de
son temps, il s’exerce 4 l'art de parler ; comme eux, il entre jeune
et d'un bond rapide dans la mélée et dans la réputation. Le voici,
dans les assemblées, parlant avec un visage calme, la voix haute, le
segard limpide ; mais il a dans le discours la force qui remue et en-
léve; il entraine dans le large et vif mouvement de ses idées ; il em-
porte dans le flot abondant de son éloquence, flot agité, clair et tout
brillant d'images. Tribun, s'il l’edt voulu ; improvisateur, quand il
cédait au besoin de l’heure ou de son temp¢érament ; toujours et na-
turellement oraleur, Jusque dans ses entretliens privés et dans tous
ses écrits. Il est plein de pensées, et son savoir ne le laisse manquer
d'aucune richesse : tout 4 coup il a mis sous vos regards des vues
peuves, des horizons lointains, des souvenirs perdus. Sa véhémence
nest jamais déclamatoire, ni sa facililé vulgaire ; il n’imite pas, ila
son style. Ecrivain, il anime ses livres au souffle d’une ame toujours
émue et toujours capable d’émouvoir. Eloquent, il sait railler aussi ;
mais en lui l’esprit sert l’éloquence : il en est la force la plus brus-
que et la plus légére ; ce n’est pas la malignité laborieuse, la mo-
querie apprélée; cest le trait prompt, incisif, pénétrant, qui part
dune main indignée et qui frappe comme un coup d’épée. Ame éga-
lement faite pour la réverie el les sévéres méditalions, il avait le
gout de ce qui est poétique et exact; et son érudition n était pas
pesante 4 son imagination : il était avide de connaitre, mais il
avait le don de voir. Dans l'art, c’était un curieux délicat, surtout
amidu beau dans sa sévérité chrétienne; et jusque dans le culte idéal
de l'art il combattait, en défendant du mépris et de la négligence les
vieux monuments du moyen age. A l’Académie enfin, « confrére af-
fectueux et fidéle, » soucieux de ses devoirs, studieux de la langue,
vérilable académicien. Et quoi qu'il fit, ardent et infaligable, épan-
reba puissante nature dans mille travaux, mille affections, mille
ésirs.
Mais la qualité supréme de Montalembert, ce fut sa juste et tenace
passion de la vérilé. Il était sincere, il préférait le scandale au men-
songe. Sincérement, il voulait dans son pays la liberté et l’égalité,
légalité fiére, laliberté généreuse. Sincérement, il aimait la religion
et le bien, les défendant contre ses amis d’aujourd’hui, les saluant
dans ses ennemis d’hier. Sincérement, il jugeait mort dans le passé
ce qui n’en pouvait revivre, ne songeant pas aux chiméres des régimes
impossibles ou des régimes inconnus. Siacérement, il vantait parmi
206 QUINZAINE POLITIQUE.
les gouvernements celui de la grande et libre Angleterre, sans répu-
dier la nouvelle loi sociale de la Révolution francaise. Sincérement
i] résistait ou se donnait; et jusque dans les changements de son
siécle ou de son opinion, sa sincérité ne changeait pas. Mais & cette
sincérilé, qui était la foi de son coeur, il joignait ce don exquis des
pelles Ames, l’indignation du mal. On |’admirait a le voir si intré-
pide en l’honneur des causes les moins populaires ; incapable de
transiger avec sa conscience ; si indépendant que, voulant n’accorder
de droiis sur lui qu’a la vérité seule, il n’en donna jamais 4 aucun
parti. Hl méritait plus d’admiration encore, cet homme qui ne sov-
tenait pas seulement la vérité envers et contre tous, mais qui souf-
frait si douloureusement des injures faites a la vérité. Dés le com-
mencement de sa vie, il était Yorateur de toutes les libertés trahies
et de toutes les nations malheureuses ; il allait chercher au dela de
sa patrie tous les droits opprimés pour les glorifier devant la France
et Dieu, pour les consoler de ses consolations vengeresses. Gomme
sa pitié frémissait de leurs tourments! comme il sentait leur mar-
tyre! quels cris sur ses lévres, quelles dénonciations envoyées au
monde entier, au ciel et & l’avenir, quand i] apercevait en Irlande,
en Pologne, en Italie, en Amérique, des victimes, des esclaves, des
étres terrassés! Personne n’avait plus détesté les geéliers ou les
bourreaux des peuples vaincus. Et cette horreur de la persécution,
il Péprouvait jusque dans le passé. Il élait parmi nous, avec son élo-
quence, comme « le justicier du droit public, » et il l’était pour son
temps, pour l'immorltelle conscience humaine; il l'était en témoi-
gnage du bien contre le mal; et ce mandat, il l’avait pris dans son
coeur si tendrement chrétien, si vaillamment francais.
Tels sont, d'aprés les portraits qu’en ont tracés le duc d’Aumale
et M. Cuvillier-Fleury, l'dme, le talent, esprit et le caractére de
M. de Montalembert : le personnage qu’ils nous ont montré sous ces
grands traits est assurément, parmi les oraleurs, bien digne des seize
soldats de son sang tués sous le drapeau; et certes i] a mérité une
place parmi les figures les plus originales et les plus nobles de notre
race. On pourra sans doute éludier mieux ou davantage dans M. de
Montalembert I'écrivain, le catholique et ’homme privé : tout lé'reste
de sa gloire est, dés ce moment, consacré dans les deux discours ott il
vient d’étre célébré. Ila bien paru, d'ailleurs, que l’opinion publique
ratifiail ces jugements : la mémoire de M. de Montalembert, au lende-
main de cette solennelle épreuve, a été tout entourée de respect et
d’hommages ; presque tout le monde a été équitable pour lui; ilest en-
tré dans la postérité, dans la renommée définitive. Quelques-uns sesont
plaints qu’il n’eut pas le sens crilique : autant lui reprocher d’avoir
QUINZAINE POLITIQUE. 207
eu l'imagination et la sensibilité, cest-a-dire toute son éloquence.
Quelques-uns ont feint de ne pas apercevoir dans la vie de M. de Mon-
falembert lunité de la pensée et du sentiment : quoi! cette unité
n'est-elle pas visible dans ce constant amour du bien religieux et so-
cial, qu’il n’a jamais voulu servir et défendre qu’avec la liberté?
Quant aux positivistes qui ont souri en remarquant que M. de Mon-
talembert a dévoué son génie a des causes perdues, que leur dirons-
nous? Oui, M. de Montalembert a combattu sans espoir pour des
idées de justice et de charité auxquelles manquait la force des ar-
mées et auxquelles peut-étre manquera toujours la fortune. Mais le
fait n’est pas la loi; Vhistoire a la vérité des événements, Dieu la vé-
rité des principes. Dans le droit et pour le droit, il n’y a pas de
causes perdues : combattre pour le droit, c’est remporter dans les
ames et souvent gagner pour l'avenir les victoires que ne permet pas
le temps présent et que n’a pas permises le passé. Il ne faut pas sou-
rire de ces protestations : elles sont pour l’humanité la voix de sa
conscience ; si on ne les entendait plus, il n’y aurait plus d’avertis-
sements contre les crimes de la violence : les générations désappren-
draient de plus en plus 4 la maudire et a lui résister. Ah! M. de
Montalembert a été admirablement Francais en se faisant ainsi le dé-
fenseur des causes perdues : la France, elle aussi, a eu plus d’une
fois pour les nations ou les idées cette vaillance toute désespérée ;
et M. de Montalembert ne saurait étre renié par personne dans
une patrie qui, méme au temps ou elle n était que la Gaule, faisait
dire de ses enfants 4 un philosophe grec : « Ils ne peuvent suppor-
ter sans indignation le spectacle d'une injustice ! »
Si M. de Montalembert avait assez et trop vécu pour voir |’Alsace
etla Lorraine réduites aux destinées qu'il pleurait chez la Pologne,
l'Irlande et Venise, quels gémissements et quelles coléres auraient
grondé dans son coeur! Mais celte Ame confiante et forte, elle n’au-
rait pas fléchi dans le découragement ; et s'il lui fat arrivé d’enten-
dre a l’'Académie, aprés tant de désastres et d’humiliations, ce cri
poussé par un prince, valeureux petit-fils de Henri IV, ce grand cri
de ralliement : « Espérance! » M. de Montalembert se fit levé pour
applaudir, j’allais dire pour combaltre. Ce cri nous convient bien &
nous autres, Francais malheureux, qui, de tous les peuples, savons
et devons le moins désespérer. Est-ce effet d’une foi secréte, mise par
Dieu au fond du génie audacieux et léger de la France, pour lui ser-
vir d’inspiration ou de consolation? est-ce retour merveilleux d’une
force facilemrent renaissante et d’une richesse qui se renouvelle
d’elle-méme ? est-ce profit des sévéres legons que nous recevons de
lafortune? est-ce vaillance et vanité & la fois? Peu importe. La
208 QUINZAINE POLITIQUE.
France espére, elle espére toujours. Ce sentiment, elle le gardait
obstinément jusque dans les noires journées de la guerre de 1870 :
méme aprés les plus écrasantes défaites, la France croyait aux mi-
racles de l’espoir. Combien de nous, méme devant nos foyers pris
par l’ennemi et d’ott nous chassaient ses soldats, combien de nous
se disaient encore: « La France asouvent paru condamnée 4a dispa-
raitre d’entre les nations : aprés le traité de Verdun, aprés Azincourt,
le lendemain de l’assassinat de Henri Ill, aprés Utrecht, aprés Wa-
terloo, on l'acrue déchue ou prés de périr ; mais blessée et abattue,
elle s'est toujours relevée ; aucun peuple moderne n’a été frappé
de coups plus cruels et plus nombreux, aucun n’a plus tdt re-
dressé ses drapeaux, ressaisi son épée, reconquis ses frontiéres; et
plus d’une fois méme, aprés ses malheurs, la France a su ajouter a
sa vieille gloire, 4 son ancienne puissance. Ce destin, elle laura en-
core. Reprenons donc courage: toute cette histoire nous y convie.
Reprenons courage ; soyons patients, espérons, et en méme temps
qu’a l’espoir, confions au travail le soin de l'avenir! » Ces exhorta-
tions que nous nous adressions alors dans une tristesse si sombre,
notre patrie peut aujourd'hui les répéter avec plus d'assurance
déja. Mais en recueillant ce cri d’espérance, puissent les hommes de
bonne volonté comprendre unanimement que l'espoir d’un peuple
n’est rien, rien qu'une illusion, sans l’effort et la constance, sans le
sacrifice ct l’union !
e
Auc«. te Bovucner.
L'un des Gérants : CHARLES DOUNIOL:
PARIS, — IMP. SIMON RACON EY comP., ACK p’earoars, 1,
MAISON GOUJON-DIARD
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A. SAUTON, LIBRAIRE, 44, RUE DU BAC,
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PREMIERE COMMUNION
Cette Notice est extraite du Catalogue complet de la Maison,
qui est adressé franco sur demande.
Actions de grdces pour la communion, in-48 avec grav., chagrin, tr. dor.
OU POU RE av cae 5 ain wt We 6. ey st Rea a Won Seria, OP) eg tee es we Le
Chagrin poli, ornements dorés sur les plats, tr. dor... .......
Chagrin poli, dentelle sur Jes plats, tr. dor. marb. ........ =
dvis spirituels pour la sanctification des dmes. — Nouveaux avis faisant
suite. — Avis pour les dmes qui aspirent 4 la perfection. 3 vol. in-12,
maroguin rouge ancien, g. moire, dentelle intérieure, tr. dorée marb.,
renfermés dans une boilte.........-..+ 0. a ae ee ae
Bursar (I’Abbé). — Livre de premiére communion et de la persévérance.
In-18 carré, chagrin, tr. semée, dentelle intérieure.. .........
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Maroquin poli, g. moire, dentelle intérieure, tr. dorée.. ....-....
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Manuel des Catéchismes, 4 l usage de Saint-Thomas d’Aquin, Saint-Vincent
de Paul, etc.
Manuel des Catéchiemes, par Mgr Dupanloup.
Pour les différents genres de reliures de ces trois Manuels, voir page 22 du
Catalogue complet.
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LE GENTILHOMME DE 89
Par A. Quixror, auteur d’Aurélia. — 2 forts volumes in-18 jésus, 6 francs,
Cette étude est le récit le plus dramatique qu’on ait encore lu sur la Révolution frangaise.
Ce roman n’est pas une fantaisie de conteur, mais un tableau aussi fidéle que saisissant d'une
époque remplie de larmes et de terreurs. Pas un seul! fait qui ne soit appuyé sur des docu-
ments authentiques. L’auteur jette une vive et irrésistible lumiére sur les évenements fes plus
douloureux et Jes plus enespliques de lorgie révolutionnaire; il ne craint pas de sligmatiser
ceux qui, par leur nom, leur naissance et leur rang, devaient couvrir de leur corps l'auguste
famille de Louis XVI, au lieu de la trahir, aprés l’avoir diffamée. Il montre enfin et surtout,
-avec une irréfutable évivence, que la haine de la religion est a la racine de toutes les satur-
nales révolutionnaires. (Vient de paraitre.)
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Cet ouvrage, déja traduil en Allemagne, en
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* gentea) per . le docteur Reboulleau, médecin
© en chef de Vhdpital civil de Constantine. C'est
«un révulsif des plus énergiques, dont on peut
«‘cependant graduer les effets par la durée plus
* od moins prolongée de son application, qui tient
« lieu de vésicatoire dans les cas graves, ou se
« sobstitue aux simples rubétiants dans les affec-
«Uons légéres. Il est indiqué toutes les fois qu'il
» est nécessaire de produire une irritation artif-
«celle 4 la peau afin de prévenir les progrés
« dune lésion interne.
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« lequel est bientét suivi d’une éruption miliaire
« trés abondante et trés-salutaire. Son action est
« rapide, plus sire gue I'huile de croton, et sou
« emiploi est exempt des nombreux inconvénients
« peprecn aux aulres agents externes.
«
ous avons coulume de le prescrire dans
« beaucoup de cas ob une révulsion est indiquée,
« mais plus particuliérement dans les affections
‘« de poitrine, les rhumatismes, les arthrites, les
« bronchites ; il nous a également rendu service
'« dans les maladies des enfants. »
« (D° A. Massox, Gazette des Hépitaur, 22 mai
1860.) »
Mt le docteur Reboulleau a publié sur la Résine de Thapsia Carganica et sur son emploi en méde-
ne comme agent révulsif sous forme d'empidire une brochure que nous tenons a la disposition de
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TABLE ANALYTIQUE
‘BT ALPHABETIQUE
DU. TOME QUATRE-VINGT-DIXIEME
(CINQUANTE-QUATRIRME DE LA NOUVELLE sfars *)
RNora.— Les noms en capitales grasses sont ceux des collaborateurs du Recuefl dont les travaux ont
pera dans ce volume; Jes autres, ceux des auteurs ou desobjets dont il est question dans ics articles.
Antviations : — C, R., compte rendu; — Art., article.
A la Terre de France. Poésie. Y. Victor
de Laprade. 585.
Agriculture (0) et les classes rurales
dans le pays toulousain, depuis le
miliew du diz-huitiéme siécle, par
MN. Théron de Montaugé. C. R. 806.
Année (I) d'expiation et de grdce, par
Ni. labbé Besson. C. R. 1233.
Apologétique (I°) d’aujourd’hui.V. comte
de Champagny. 174.
ARCELIN (Adrien). La théorie géogé-
nique de la science des anciens, par
M. 'abbé R.-F. Choyer. C. R. 1013.
Armée allemande et armée francaise.
¥. colonel Somerville. 834.
Andiganne(A.). Mémoires d'un ouvrier de
Paris, 1874-1872. 1045.
Becq de Fouquiéres. (Euvres politiques
dAndré Chénier. 389. — Ciuvres de
Frangois de Pange. 391.
BkLamp (Eugéne). La vie chrétienne,
par Mgr Isoard. C. R. 1239.
BERNHARDT (Frédéric de). La gréve
des laboureurs en Angleterre. Art. 5.
gin (cardinal de). V. L. Lescoeur.
9.
Besson (abbé). L’année d’expiation et de
grace. 1235.
BOILEAU (abbé M.-J.). L'année d'ex-
piation et de grdéce, par M. l’abbé Bes-
son. C. R. 4233.
BOUCHER (Auguste). V. Quinzaine po-
litique. — 10 janvier. 191. — 25 jan-
vier. 5396. — 10 février. 607. —
25 février. 813. — 10 mars. 1021. —
25 mars. 1249.
Boucher (Auguste). Récits de l'invasiow
dans ’ Orléanais. 803.
Bourse (la) & Londres et 4 Paris. V.
Edouard Burdet. 4444.
BURDET (Edouard). La Bourse a Lon-
dres et & Paris. 1°" art. 1111.
CAMPENON. Histoire d'un village pen-
dant Ja Révolution. Art. 1179.
CARNE (comte de), de l’Acad. fr. La
commission des Trente. Art. 204.
CRLIERES (Paul). Un feu de joie. Co-
médte en vers. 118.
CHAMPAGNY (comte de), de l’Acad.
fr. L'apologétique d’aujourd’hui. Art.
471. — Théophile Foisset. Art. 825.
Champfleury. Les Enfants. 801.
Chénier (André). QEuvres politiques.
C. R. 389.
Chevalier (Ed.). La marine frangaise et
la marine allemande pendant la guerre
de 1870-1874. 804.
Choyer (abbé R.-F.). La théorie géo—
génique de la science des anciens.
4015.
compre. V. P. de Céliéres, 118..
‘Cettetable et la suivante doivent se joindre au numéro du 25 mars 1873.
2 Mans 1873.
80
1258
Commission (la) des Trente. V. comte de
Carné. 201.
Controverses (Jes derniéres) sur la li-
berté humaine. V. Elie Méric.
Correspondance de madame Swetchine.
V. comte ce Falloux.
COURCY (Alfred de). La derniére pen-
sée du Pére Enfantin. Art. 449.
DANTIER (Alphonse). Machiavel diplo-
mate. 1° art. 617.
Découverte du tombeau des Macchabées,
par M. Victor Guérin. C. R. 810.
DELARC (abbé 0.). Familles royales de
France, par M. Ch. Viollet. C. R.
381. — Mémoires d’un ouvrier de
Paris, 1871-1872, par M. A. Audi-
ganne. C. R. 1015.
Déluge (le) et 'épopée babylonienne. V.
F. Lenormant. 324.
Derniére (la) campagne du maréchal de
Villars, par M. H. de Lacombe. C. R.
4234.
Derniére (la) pensée du P. Enfantin. VY.
Al. de Courcy. 449.
Dictionnaire de la langue frangatse, par
M. Littré. C. R. 1245.
Dictionnaire historique de la France, par
M. Lalanne. C R. 586.
Dieu-Etat (le) en Prusse. V. P. de Haul-
leville. 1139.
Doctrines (les) positivistes en France,
par M. Vabbé Guthlin. C. R. 186.
DOUHAIRE (P.). 25 janvier. — La vé-
rité sur le Masque de fer, par M. lung.
383. — Dictionnatre historique de la
France, par M. Lalanne. 386. —
CEuvres politiques d’André Chénier,
publiées par M. Becq de Fouquiéres.
389. — (QBuvres de Francois de
Pange, publiées par le méme. 391.
— Les invasions anglaises en Anjou
au quatorziéme et au quinziéme sid-
cle, par M. André Joubert. 392. —
Voyage aux pays rouges. 394.
25 février. — La vie de quatre grands
chrétiens francais, par M. Guizot.
7189. — Histoire de la Révolution de
1848, par M. H. Gradis. 7193. — His-
toire de Grégoire VII, par M. Ville-
main. 796. — Essais sur linstruc-
tion publique, par M. Charles Lenor-
mant, 798. — Récits de l'invasion
TABLE ANALYTIQUE
dans ('Orléanais, par M. Aug. Bou-
cher. 803. — Les enfants, par
M. Champfleury. 801. — La marine
francaise et la marine allemande pen-
dant la guerre de 1870-1871, par
M. Ed. Chevalier. 804.
25 mars. — Dictionnaire de la langue
francaise, par M. Littré. 1215. —
Les harmonies providentielles, par
M. Charles Lévéque. 1220. — Le plan
d‘abolition de UEglise grecque-unie.
par le P. Martinov. 1223. — La per-
sécution de ['Eglise en Lithuanie, et
particuliérement dans le diocése de
Vilna, par le P. Lesceur. 1226. —
Etude sur Fouché et sur le commu-
nisme dans la pratique en 1793, par
M. le comte de Martel. 1228. -. La
derniére campagne du maréchal de
Villars, par M. H. de Lacombe. 4234.
Eglise grecque-unie (abolition de [). V.
Martinov. 1223.
Enfantin (le Pére). V. Al. de Courcy.
449.
Enfants (les), par M. Champfleury. C. R.
801.
Etapes (les) de l’opinion. V. L. de Gail-
lard. 777.
Etude sur Fouché et sur le communisme
dans la pratique en 1793, par M. le
comte de Martel. C. R. 1228.
FALLOUX (comte de), de Acad. fr.
Correspondance de madame Swet-
chine. 4° art. 409. — 2° art. 1033.
Familles royales de France, par M. Ch.
Viollet. C. R. 384.
Feu (un) de joie. Comédie en vers. Y.
Paul Céliéres. 118.
Foisset (Théophile). V. comte de Cham-
pagny. 825.
FOURNEL (Victor). Les romans de la
guerre. — Nouvelles amours d'Her-
mann et Dorothée. C. R. 182. — Les
ceuvres et les hommes. Art. 25 fé-
vrier. 749.
France (la) aux quatorziéme et quin-
ziéme siécles. V. Félix Rocquain.
148.
France (la) dans ses colonies. Y. Xavier
Marmier. 308.
GAILLARD (Léopold de). Les étapes de
Yopinion. Art. 777.
DU TOME QUATRE~VINGT-DIXIEME.
Ginouifhac (Mgr). Le sermon sur la mon-
lagne. 378.
GOBINEAU (comte de). L'instruction
primaire en Suéde. Art. 659.
Godefroy (Frédéric). Morceauz choisis
des prosateurs et poétes francais.
1238.
GOURDAULT (Jules). Sully, homme
public et écrivain. Art. 684.
Gradis (H.). Histoire de la révolution
de 1848. 793.
Gree (le) en France. V. H. Hignard.
221.
Gréve (la) des laboureurs en Angle-
terre. V. Frédéric de Bernhardt. 5.
Guérin (Victor). Découverte du tombeau
des Macchabées. 810.
Guizot. Les vies de quatre grands chré-
liens francais. 789.
Guthlin (abbé). Les doctrines positivistes
en France. 186.
Harmonies (les) providentielles,
M. Charles Lévéque. C. R. 1220.
HAULLEVILLE (P. de). Le Dieu-Etat
en Prusse. Art. 1139.
Henley Jervis (le R. W.). Histoire de
PEglise de France. 1048.
Henriette. Nouvelle. 514.
HERICAULT (Ch. d’). Thermidor. Tro#-
neme partie. 10 mars. 888.— 25 mars.
1066.
HIGNARD (H.). La qa du grec en
France. Art. 224.
Histoire de I'Eglise de Franee, par le
R. W. Henley Jervis. C. R. 1048.
Histoire de la révolution de 1848, par
N.H. Gradis. C. R. 793.
Histoire de Grégoire VII, par M. Ville-
main. C. R. 796.
Histoire d’un village pendant la révolu-
tion. ¥. T. Campenon. 1179.
HUGH-DALE. Histoire de I'Eglise de
France, par le K. W. Henley Jervis.
C. Bhs 1018.
INDY (Wilfrid d’). La musique a 'é-
glise et la musique de I Eglise. 2° art.
494.
par
Instruction publique (Essais sur I’), par
Ch. Lenormant. C. R. 798.
Instruction (I) primaire en Suéde. V,
comte de Gobineau. 639.
Invasions (les) anglaises en Anjou au
1259
quatorziéme et au quinziéme siécle,
par M. André Joubert. C. R. 392.
Isoard (Mgr). La vie chrétéenne. 1239.
lung. La vérité sur le Masque de fer.
383.
JARNAC (comte de). Louis XIV et
Henri IV. Art. 78.
Joubert (André). Les invasions an-
glaises en Anjou au quatorziéme et au
quinziéme siécle. 392.
KIRWAN (Ch. de). L’agriculture et
les classes rurales dans le pays tou-
lousain, depuis le milieu du dia-hui-
tséme siécle, par M. Théron de Mon-
taugée. C. R. 806. ©
Lacombe (H. de). La derniére campa-
gne du maréchal de Villars. 1234.
Lalanne. Dictionnaire historique de la
France. 386.
LAPRADE (Victor de), de l’Acad. fr.
A Ja terre de France. Poésie. 583.
LARGENT (Aug.). Le sermon sur la
‘montagne, par Mgr Ginoulhiac. C. R.
578. — Morceaux choisis des prosa-
leurs et poéles francais des dix-sep-
treme, dix-huitiéme ef dix-neuviéme
sidcles, par M. Frédéric Godefroy. C.
R. 1238...
LATOUR (Antoine de). Pélerinage au
pays de Jeanne d’Arc. Poésie. 700.
LEDRAIN (E.). Découverte du tombeau
des Macchabées, par M. Victor Guérin.
C. R. 810.
Lenormant (Charles). Eésais sur l’in-
struction publique. 798.
LENORMANT (Francois). Le déluge et
lépopée baby!onienne. Art. 324.
LESCCUR (L.). La premiére wuvre du
cardinal de Bérulle. Art. 955.
Lescceur (le P.). La persécution de 'E-
glise en Lithuanie, et particuliére-
ment dans le diocése de Vilna. 1226.
Lettre de Mickiewicz & des jeunes gens.
C. R179.
Lévéque (Charles). Les harmonies provi-
dentielles. 1220.
Liberté (la) humaine. V. Elie Méric.
Liberté (la) religieuse et les événements
de Genéve, par M. de Richecour. C. R.
4049.
Littré. Dictionnatre de la langue fran-
¢aise. 1215.
‘1200
TABLE ANALYTIQUE
Louis XIV et Henri IV. V. comte de Jar- | Morceaux choisis des prosateurs et poétes
nac. 78.
LUBOMIRSKI (prince Joseph). Scénes
de la vie militaire en Russie. 2° art.
40 janvier. 42. — 3° art. 25 janvier.
Fin. 250.
Machiavel diplomate. V. Alphonse Dan-
tier. 617.
WALARGE (A. de). La politique finan-
ciére en France depuis 1870. 2° art.
25 janvier. 363. — 3° art. 10 mars.
979.
MANGIN (Arthur). Revue scientifique.
40 mars. 997.
Mariage (le) de Gabriel. Nouvelle.
113
Marie Stuart. V. Louis Régis. 464.
Marine (la) francaise et la marine alle-
mande pendant la guerre 1870-1871,
par M. Ed. Chevalier. C. R. 804.
MARMIER (Xavier), de l’Acad. fr. La
France dans ses colonies. Art. 308.
Martel (comte de). Etude sur Fouché et
sur le communisme dans la pratique
en 1793. 1228.
Martinov (le P.). Le plan d’abolition de
U' Eglise grecque-unie. 1223.
Hélanges. — V. 179. — V. Victor Four-
nel. 182. — V. Elie Méric. 186. —
VY. Aug. Largent. 378. 1238. — V.
l'abbé O. Delarc. 381. 1015. — V.
Ch. de Kirwan. 806. — V. E. Le-
drain. 810. — V. Adrien Arcelin.
1013. — V. Hugh Dale. 1018. —
V. 1019. — V. l'abbé M.-J. Boileau.
4233. — V. Eugéne Bélard. 1239.
Mémoires Cun ouvrier de Paris, 1874-
1872, par M. Audiganne. C. R. 1045.
Mére (une) de famille en 1800. V. Au-
guste Nisard. 936.
M&RIG (Elie). Les doctrines positivistes
en France, par M. V'abbe Guthlin. C.
R. 186. — Les derniéres contro-
verses sur la liberté humaine. 1* art.
25 janvier. 289. — 2° art. 10 mars.
865.
Mickiewicz. Lettre & des jeunes gens.
179.
Montaugé (Théron de). L’agriculture et
les classes rurales dans le pays tou-
.lousatn depuis le milieu du dix-hui-
tidme siécle. 806.
francais des dix-septiéme, diz—hui-
tiéme et dix-neuviéme siécles, par
M. Frédéric Godefroy. C. R. 1236.
Musique (la) 4 l’église et la musique
de I'nglise. V. Wilfrid d'Indy. 494.
NISARD (Auguste). Une mére de famille
en 1800. Art. 936.
Novvetres. V. Henriette. 544. — V. le
mariage de Gabriel. 713.
Nouvelles amours d'Hermann et Doro-
thée. C. R. 182.
(Euvres de Francois de Pange, publiées
par M. Becq de Fouquiéres. C. R.
394.
Guvres (les) et les hommes. V. Victor
Fournel. 745.
CEuvres politiques d’André Chénier, pu-
bliées par M. Becq de Fouquiéres.
C. R. 389.
Pange (QEuvres de Frangois de). C. R.
391.
Pélerinage au pays de Jeanne d’Arc. Poé-
sie. V. A. de Latour. 700.
Persécution (la) de I'Eglise eg Lithua-
nie, et particuliérement dans le dio-
cése de Vilna, par le P. Lesceeur.
Cc. R. 1226.
Plan (le) dabolition de [’Eglise grec-
que-unie, par le P. Martinov. C. R.
4223.
Poksies. Y. Victor de Laprade. 585. —
V. A. de Latour. 700.
Politique (la) financiére, en France,
depuis 1870. V. A. de Malarce.
Pouvoir (le) législatif 4 Lyon en 41870.
V. E. Récamier. 590.
Premicre (la) ceuvre du cardinal de Bé-
rulle. Y. L. Lescoeur. 955.
Prusse (la). V. P. de Haulleville. 1139.
QUESNOY (Pierre du). Stanley. Com-
ment j'ai trouvé Livingstone. Art.
548.
Question (la) du grec en France. V. H. He
gnard. 221.
Qouinzaine poxitique. 10 janvier. — Re-
prise des travaux de l’Assemblée.
191. — Opinion des nations étran-
géres. 193. — Difficultés de prendre
possession d’un gouvernement. 194.
— L'Europe redevenue attentive. —
DU TOME QUATRE-VINGT-DIXIEME.
La démission de M. de Bourgoing.
195. — La politique de Napoléon Ill
en Italie. 196. — Nos devoirs 4 rem—-
plir a Rome. 197. — M. Fournier au
Quirinal. 198. — Les radicaux dans
la question italienne. 199.
25 janvier. — Mert de Napoleon Ill. 396.
— Le 15 juillet 1870. 398. — M. de
Gramont et M. de Beust. 400. —
M. de Corcelle auprés du Saint-Siége.
402. — Rétablissement du _ conseil
supérieur de linstruction publique.
405. — Progression du travail des
Trente. 404. — L’inquiétude de ]"An-
gleterre. 405.
10 féerier. — L'ceuvre de la commis-
sion des Trente. 607. — La confé-
rence du 3 février. 609. — Le gou-
vernement parlementaire et le gou-
vernement personnel. 611. — La
seconde chambre et la loi électorale.
612. — Examen des marchés de la
commune de Lyon, 644.
2 féerier. — Fin du travail des Trente.
813. — Le rapport de M. de Rroglie.
816. — Appréciation du travail des
Trente. 818. — Nécessité de l’union
entre les conservateurs. 820. — Ab-
dication du roi Amédée. 821. — Les
divers partis en Espagne. 822. —
les droits de la conscience violés a
Rome, A Berlin et 4 Genéve. 824.
{0 mars. — Les amendements au pro-
jet des Trente. 1022. — La consé—
cralion du pacte de Bordeaux. 1023.
— M. Haentjens et M. Gambetta.
1024. — M. de Castellane. — Dis-—
cours de MM. Dufaure et Thiers.
1025. ~ La réforme électorale en
Autriche. 1027. — L'accroissement
militaire de la Prusse. 1028. — Les
scandales de vénalité 4 Berlin et aux
Etats-Unis. 1029.
25 mars. — Le grand événement du
15 mars. 1242. — Les résultats an-
ticipés de la convention. 1243. —
Les manifestations, les remercie-
ments a M. Thiers. 1245. — Intérét
et devoir de lunion des conserva-
1261
bill de Puniversité d'Irlande. 1248.
— L'Eglise et I’Etat en Prusse. 1250.
— Les choses d'Espagne. 1254. —
L‘affaire du Laurium. 1253.
RECAMIER (Etienne). Le pouvoir lé-
gislatif 4 Lyon en 1870. Art. 590.
Récits de l'invasion dans I'Orléanais,
par M. A. Boucher. C. R. 803.
Ria (Louis). Marie Stuart. Art.
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Revoe critiqus. V. P. Douhaire.
Revoe scientirique. V. Arthur Mangin.
Richecour (de). La liberté religieuse et
les événements de Genéve. 1019.
Romans (les) de la guerre. Nouvelles
amours d’'Hermann et Dorothée. C. R.
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ROCQUAIN (Félix). La France aux qua-
. torziéme et quinziéme siécles. Art.
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Scénes de la vie militaire en Russie.
V. prince J, Lubomirski.
Sermon (le) sur la montagne, par Mgr Gi-
noulhiac. C. R. 378.
SOMERVILLE (colonel). Armée alle-
mande et armée francaise. Art. 834.
Stanley. Comment; ai trouvé Livingstone.
V. P. du Quesnoy. 548.
Sully, homme public et écrivain. V.
J. Gourdault. 684.
Swetchine (madame). V. comte de Fal-
loux.
Théorie (la) géogénique de la science
des anciens, par M. l'abbé Choyer. C.
R. 1015.
Thermidor. Troisiéme partie. V. Ch. d'Hé-
ricault.
Vérité (la) sur le Masque de fer, par
M. Iung. C. 8. 383.
Vie (la) chrétienne, par Mgr Isoard. C. R.
1239.
Vies (les) de quatre grands chrétiens
francais, par M. Guizot. C. R. 789.
Villars (maréchal de). V. H. de Lacombe.
1251.
Villemain. Histoire de Grégoire VII. C.
R. 796.
Viollet (Ch.). Familles royales de France.
381.
leurs. 1247. — M. Gladstone et le Voyage aux pays rouges. C. R. 594.
VIN DE LA TABLE ANALYTIQUE DU TONE QUATRE=-VINGT-DIXIENE
o
TABLE
DU TOME CINQUANTE-QUATRIEME DE LA NOUVELLE SERIE
(QUATRE-VINGT-DIXIEME DE LA COLLECTION)
4™° LIVRAISON — 10 JANVIER 1873
La gréve des laboureurs en Angleterre, par M. Fréntric pg Bennnanpr. . .
Scénes de la vie militaire en Russie. — Suite, parr M.**, .... . Se
Louis XIV et Henri IV, par M. le comte nk Jannac.. . 2 2. 2. te ee
Un feu de joie, comédie en vers, par M. Pau Céuibres.. . . .. .
La France aux quatorziéme et quinziéme siécles. — Dissolution et réorgani-
sation d'un Etat, par M. Fésrm Rocguaw.. . 2... ee
L’apologétique d’aujourd’hui, par M. le comte pe Cuampscny, de I" Académie
francaise... . ee en: oe i838 a er, sarve
‘Mélanges : Lettre de Hickiewicz a des j jeunes gens. ea ee ea a
— Les romans de la guerre. — Nouvelles amours d’Hermann et
Dorothée, par M. Victron Founngn. . . ......
_— Les doctrines positivistes en France, par M. labbé Guthlin, par
MW. Erie WEniG os 6 eee G&S es ere
Quinzaine politique, par M. Aucustr Boucner.. . . . . 2... ra er
2° LIVRAISON — 25 JANVIER 1875
La commission des Trente, par M. le comte pe Canné, de |l’Académie
fFaNGAlSe sw. 6:46, oe BS eS Oa ay dees BoB oe vs .
La question du grec en France, par M. H. Hionano... Seis Bee ;
Scénes de la vie militaire en Russie. — Fin, par M. le prince Joazpa Lo-
BOMIRSKI.. 2. 1 1 ee , acai ig
Les derniéres controverses sur la liberté humaine, pai par M. ‘fu | Ménic. oe
474
179
182
186
194
201
224
250
289
TABLE DES MATIRRES. a
La France dans ses colonies, par M. Xavier Manmuen, de l’Académie fran-
caise . a ae ee ee a ee ee ° e - ee © ©
Le déluge et I’ Spopée babylonienne, par M. Francots Lanonwanr. aie
La poluqne financiére en France, ie 4870. — UH, i la M. A. vE Ma
LABCE.
* ®° e « e @ s
LANGER 08 -'S. Wee Bi 8S RS a ee et OS
— Familles royales de France, par M. Ch. Viollet, par M. labbé
O: DELIRG oe 66 a Se Bs
Revue critique, par M. P. Dousame
Quinsaine politique, par M. Aucusreg Boucuzer.. ... . bake
3° LIVRAISON — 40 FEVRIER 1873
Correspondance de madame Swetchine, par M. le comte pr Farovx, de
Académie francaise... .. a a oe ae i wan inte? Je
La derniére pensée du Pare Enfantin, par M. ALFRED DE Courcr. :
Mane Stuart, par M. Louis R&cts.. .. . ; : :
la musique & l’église et la musique de V'fglise. a= ff. par M. Wuran
dirs deca ea ae a ae a aye xe
Henriette, parM.***.. 0.0.0.2. : ;
Stanley. — Comment j’ai trouvé Livingstone, par M. Pana DU Quesnoy. .
Ala terre de France. — Poésie, ‘a M. Victron ng Laprapg, de Académie
NANICI S06! 26-3 sek LR ee Oa a ee
Le pouvoir législatif 4 Lyon en 1870, par M. Enennz Récammn. . aie tease
e politique, par M. Avcusre Boucuen. ee ee ee ee
4° LIVRAISON — 95 FEVRIER 1873
Machiavel diplomate. — 1, par M. Aurnonse Danmen. . 2 2... . -
L'instruction primaire en Suéde, par M. le comte pe Gosinzau
Sally homme public et écrivain, par M. JonesGournpautr. . . .. 2...
Palerinage au pays de Jeanne d’Arc. — Poésie, par M. Antoine pe Latour. .
Le mariage de Gabriel, par M. ***.. . .
Les guvres et les hommes. — Courrier du théatre, de la littérature et des
arts, par M. Vicron Fournnen. . . . . . Bret ieh Ge eel dere eo
Les étapes de l'opinion, par M. Ltorotn ne GautarD. . . 2-2. 2. + 2
Revue critique, par M. P. Doomarrsz.. . .. ~~. - ban Te tet" Sasa RL
Mélanges : L'agriculture et les classes rurales dans le pays toulousain, de-
puis le milieu du dix—huitiéme siécle, a M. Théron de Mon-
taugé, par M. Ca. pe Kmwan. . . . ee a
— Découverte du tombeau des Macchabées, par M. ‘Victor Guérin,
par M.E. Lepnan. . 2. 2. eee ew ete wee te te tt eee
Quinzaine politique, par M. Avousrz Boucmen.. . 2+... 20 sees
1265
308
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815
1264 TABLE DES MATIERES.
5* LIVRAISON — 10 MARS 1873
pee Foisset, par M. le comte vg Caampacny, de ]'Académie fran-
cae allemande et armée francaise, par M. le colonel Sonenviiis. oe
Les derniéres controverses sur la liberté humaine. — Il, par M.
MERIC so: 3) oo-8 As er18 oa sae ee ae a ee
Thermidor. — Troisiéme partie, par M. Cz. p'Héaicavtr. Bean eC as
Une mére de famille en 1800, par M. Aucuste Nisasp. . . 2 2 2 2 ee
La premiére ceuvre du cardinal de Bérulle, par M.L. Lescaurn. . . . .
La politique financiére en Allemagne et en France. — If, par M. A. px
Matance.. . 2... ~ 0. aye fat Shs as RY Seo dy “loos ie Teh. es ek ek 1
Revue scientifique, par M. “Anraon Mancmy.. .... ,
Mélanges : La théorie géogénique de la science des anciens, par M. l’'abbé
R.-F. Choyer, par M. Apnizn Anceuin.. . . ¥. arte
— Mémoires d’un ouvrier de Paris, 1874-1872, par M. A. Audi-
ganne, par M. l’'abbé 0. Denanc.. . 2... :
— Histoire de I'Eglise de France, par le R. W. Henley Jervis, par
M: Hucw: Dite.. 6-2 4) 4.4878 8 ae os ee or
— La liberté religieuse et les événements de Genéve, par M. “de
RICNOCOUR. 565. oy se: Sa i de we Sh Ba a tec
Quinzaine politique, par M. Aucusre Bovcnzn.. . gS ere ee a
6° LIVRAISON — 25 MARS 1873
Correspondance de madame Swetchine, par M. le comte pr Fatzoux, de
I'Académie francaise... ...... 2.2. ee ee ee Bidet Aen, te
Thermidor. — Quatriéme partie, par M. Cu. p’Hamicautr.. . . 2...
La Bourse 4 Londres et 4 Paris, par M. Enovarp Boer... ......
Le Dieu-Etat en Prusse, par M. P. nz Hauutgvinz.. . . 2... 2
Histoire d’un village pendantJa Révolution, par M.T. Campgnon.. . . . .
Revue critique, par M. P. Doumamg.. 2 2 2 1 1 ee ee ee eee
Mélanges : L’année d'expiation et de grace, per M. l'abbé -Besson, par
M.Vabbée M.-J.Bomgau. 2... 6 1 ee et ee ee
— Morceaux choisis des prosateurs et poétes frangais, des dix~sep-
tiéme, dix—huitiéme et dix-neuviéme siécles, par M. Frédéric
Godefroy, par M. Auvcustin Lanceynr. . . 1... .--- :
— _ La vie chrétienne, par Mgr Isoard, par M. Evetns Bétanp.
Quinzaine politique, par M. Aucuste Boucner. .....-.---. 2
PARls. — )MP, SIMON NAGON BT CouP., AVE S’cAFuatH, 1.
825
854
865
888
936
955
979
997
1043
1C15
1018
1019
1021
1033
1066
4441
1159
1179
1215
1235
1238
4299
1242
LA QUESTION
DE
MONARCHIE OU DE REPUBLIQUE
DU 9 THERMIDOR AU 18 BRUMAIRE (1794-1792)
ee
PREMIERE PARTIE
DU 9 THERMIDOR AU 45 VENDEMIAIRE
(aout 1794 A OCTOBRE 1795)
Celui qui entreprend d’éludier la révolution francaise, probléme
fondamental, non-seulement de l'histoire moderne, mais de la poli-
tique contemporaine, est presque toujours attiré vers la Constituante
ou vers le début de la Convention. La se concentrent naturellement
toules les recherches des érudits, toutes les observations des publi-
cistes. Dans les histoires générales, quand on franchit le 9 thermi-
dor pour arriver 4 ces années qui se succédent, 4 la fois ternes et
désolées, agitées et vides, jusqu’au 18 brumaire, il semble que |’é-
crivain soit pris de fatigue et de dégoat. Le lecteur lui-méme éprouve
quelque chose de ce qu’on ressentirait en face d’un roman se trai-
nant languissamment aprés la mort des personnages principaux. Il
n'y a plus rien de cette émotion d’abord sympathique, ensuite in-
quidte et attristée, avec laquelle on a suivi le grand mouvement, dé-
butant, plein d’espérance, par les cahiers de 1789, pour aboutir aux
avortements de la constitution de 1791. Ce n’est pas non plus cet
attrait d’épouvante qui faisait assister, haletant et bouleversé, aux
effroyables drames de 1792 et de 1793. Tout est diminué, les évé-
nements et les hommes: C’était déja descendre beaucoup, a de
¥. sm. T. LIV (Xer° DE La CoLLecT.). 2° tiv. 25 Avan 18735.
218 LA QUESTION DE MONARCHIE
passer de Mirabeau, ou méme de Vergniaud, 4 Robespierre et i Danton.
Qu’est-ce a la fin quand la scéne, vidée par la mort, est livrée aux
comparses, quand on est si bas que des Tallien ou des Barras sont
devenus des personnages? L’historien, pour trouver alors quelque
intérét, est tenté de quitter la place publique et de se réfugier dans
les camps. Il néglige la révolution politique qui finit, pour considé-
rer empire militaire qui commence, trop souvent absorbé et ébloui
par cette brillante figure du jeune vainqueur d’Arcole et des Pyra-
mides, lui apparaissant, dans le ciel gris du Directoire, tout illumi-
née du soleil d’Italie et d’Egypte.
Mais quand on cherche surtout dans I’histoire du passé la lecon
du présent, il faut savoir parfois résister 4 certains atlraits et triom-
pher de quelques répugnances. Dans quelle phase de la révolution
rencontre-t-on le plus d’analogie avec la crise actuelle et par suile
le plus d’enseignements utiles a méditer ? Le mal dont nous souf-
frons aujourd’hui, est-ce donc comme au Jendemain de 1789, excés
d'espérance, confiance présomptueuse en soi-méme et dans les évé-
nements, optimisme orgueilleux révant naivement la réforme du
monde entier, emportement d'un élan puissant, mais désordonné,
qui dépasse immédiatement le but? Hélas! ne retrouverait-on pas
plutét quelques traits de notre état présent, dans celte France d’aprés
Thermidor, exténuée de lassitude, usée par la révolution, désen-
chantée des illusions téméraires, mais aussi des aspirations géné-
reuses, n’ayant guére appris 4 celte école de la souffrance, d’ot l’on
peut sorlir meilleur ou plus mauvais, que l’égoisme sceptique et fri-
vole, vivant au jour le jour sans trop oser regarder devant soi, af-
famée avant tout de repos, de quelque prix qu'il faille le payer,
mais n’ayant pas méme l’énergie de vouloir se l’assurer elle-méme,
et attendant du dehors, proie inerte et passive & la merci de toutes
les factions et de tous les aventuriers ?
Ce serait une premiére raison d’étudier de plus prés qu’on ne le
fait ordinairement ces derniers acles du drame révolutionnaire. Il
est une autre raison plus précise encore. La nation était a cetle épo-
queen face d'un probléme constitulionnel, ayant plus d'un rapport
avec celui qui nous est aujourd'hui imposé et que nous paraissons
avoir tant de peine 4 résoudre. Au lendemain de la Terreur, comme
de nos jours au lendemain de la guerre et de la Commune, la France,
rendue & elle-méme, se trouvait en république, plus par l’audace
d’une faction que par la volonté nationale. La république élait sans
doute }’éliquette officielle; mais ce mot n’avait jusqu’alors cou-
vert qu'une dictature, celle des hommes du 410 aott, comme il de-
vait couvrir — sauf les différences qu’il convient de ne pas mécon-
naitre — celle des hommes du 4 septembre. ll fallait donc rempla-
OU DE REPUBLIQUE. 219
cer le régime arbitraire, auquel les événements metlaient fin, par un
gouvernement régulier et durable. Quel serait ce gouvernement?
Serait-ce la république constitutionnelle? Serait-ce la vieille monar-
chie rajeunie par la liberté? Triompherait-on dans un cas des sou-
venirs de Ja Terreur, dans l'autre, de ceux de l’ancien régime ? Fon-
derait-on, pour nous servir des expressions modernes, larépublique
conservatrice ou la monarchie représentative? On sail ce qu'il ad-
vint, Aprés cing années de {atonnements stériles, de dissensions éner-
vantes, de coups d’Etat et de défaillances, la France était 4 ce point
dégoutée du présent, elle désespérait a ce point de rien fonder dans
Vavenir, soit avec la république, soit avec la monarchie, qu’elle accla-
mail comme un sauveur le César de fortune qui violait le parlement,
muselait la presse, et se chargeail 4 lui seul des destinées du pays.
Pourquoi en a-t-il été ainsi? Par quels malheurs ou par quelles
fautes a-t-on été empéché de faire la monarchie ou la république et
réduit 4 se laisser choir dans le césarisme? La réponse a cette ques-
tion a paru avoir ence moment plus qu'un intérét historique. Ce se-
rat, sans doute, une exagération de voir une identilé complete entre
la situation actuelle et celle of |’on se trouvait de 41794 4 1799.
Rien n’est puéril et faux comme ces rapprochements, quand on pré-
tend les pousser trop loin. ll s’agit de raconter Vhistoire sincére et
waie du passé, non de la plier arbitrairement aux nécessilés d'une
argumentation de politique contemporaine. Peut-étre, cependant,
reconnaitra-t-on qu’il y a dans cette étude rélrospective sur un point
trop négligé de nos annales révolutionnaires des enseignements pro-
htables et, j’oserai dire, de graves avertissements pour tous.
o
La chute de Robespierre au 9 thermidor est une sorte de révolu-
tion de sérail, 4 laquelle demeurent étrangers l’opinion du dehors
elles parlis divers, girondin, constitulionnel, ou royaliste. C’est
une querelle intestine survenue dans la bande qui s’était emparée
de la France et la terrifiait depuis deux ans, une « brouillerie de fa-
mille, » dit énergiquement M. de Maistre. A peine la nation ose-
t-elle méme regarder la lutte, se gardant bien de se prononcer, tant
quelle ignore de quel cdté sera la victoire. Les assaillants sont quel-
ques Montagnards amis de Danton ou d’Hlébert, qui, se senlant me-
neacés & leur tour, ont un mouvement d’audace désespérée. Ils ne
songent nullement 4 rélablir un régime de justice ou de liberté.
Pour plusieurs méme, l'un des griefs contre Robespierre est qu'il
220 LA QUESTION DE MONARCHIE
penchait vers |’indulgence et répudiait l’athéisme. Leurs noms évyo-
quent ces souvenirs non moins sinis{res que ceux des vaincus. Ils
en différent seulement parce qu’ils sont plus médiocres et plus ob-
scurs; Mallet du Pan, qui, de l’étranger, observe les événements,
peut écrire : « Ce sont des valets qui ont pris le sceptre de leurs mai-
tres aprés les avoir assassinés. » |
Mais, quand la nation voit le tyran vaincu conduit a l’échafaud,
clle affecte de croire que du méme coup Ia tyrannie a été détruite.
Est-ce un malentendu sincére ou simulé? Quoi qu'il en soit, cette
masse se trompe avec un tel ensemble, que les hommes de thermi-
dor, surpris, se sentent aussitét débordés. C’est un immense soupir
de soulagement poussé par un peuple que la terreur oppressait. On
court aux prisons, on monte sur les toits voisins pour crier : « Ro-
bespierre est mort! » Dans ces gedles, ot le bourreau puisait cha-
que jour, et quicontiennent encore trois cent mille détenus, on s’em-
brasse en pleurant de joie. Bientdét les portes s’ouvrent. Le peuple
— esi-ce le méme qui accompagnait la veille de ses hurlements les
fatales charrettes ? — se précipite sur les prisonniers délivrés pour
les serrer dans ses bras, et s’altendrit 4 la vue des familles retrou-
vant les parents qu’elles croyaient perdus. Les six cent mille sus-
pects, fugitifs et travestis, vivant depuis plusieurs mois dans des
transes continuelles, échappés au bourreau par des ruses qui sem-
blent tenir plus du roman que de I‘histoire, sortent de leurs cachet-
tes, dépouillent leur déguisement. Il semble qu’aprés le silence de
la Terreur, on entende un bruit étrange et nouveau. C’est comme le
hourdonnement d’une nalion qui subitement se reprend 4 vivre.
Quelle joie de pouvoir marcher, causer, se réunir, voyager, sans
craindre une dénonciation. On ne comprendra jamais, si ce n’est en
prenant en quelque sorte sur le vif les témoignages contemporains,
l'intensité de ce sentiment de délivrance, et quelle fut pour tout un
peuple, aprés ces deux années étouffantes, l’impression délicieuse
de cet air vivant et libre’. « On se mit 4 jouir avec une folle ardeur,
1 « C’était un spectacle touchant, écrit Thibaudeau dans ses Mémoires, que cet
empressement des citoyens 4 se rechercher, 4 seraconter leur bonne ou leur mau-
vaise fortune pendant la Terreur, a se féliciter, 4 se consoler... On semblait sortir
du tombeau et renaitre 4 la vie. Tous les liens sociaux brisés, tous les rapports
politiques, se rétablirent... »
Un écrivain royaliste qui, comme plusieurs, avait échappé 4 la mort en se ca-
chant sous I"habit du soldat, Lacretelle, était alors 4 Noyon, et il dépeint ainsi dans
un volume de souvenirs intitulé : Diz années d'épreuves, \'elfet produit dans cette
petite ville par la nouvelle du 9 thermidor (p. 184): «Il arrive enfin, le courrier
tant désiré, et les mots qu'il a jetés sur son passage semblent avoir rendu la pa-
role et la vie & tout un peuple pétrifié. Cette joie universelle est le plus sir temoi-
gnage que Robespierre n'est plus. Le courrier a osé en donner l'assurance; qui
OU DE REPUBLIQUE. 991
dit N. Quinet, du plaisir de n’avoir plus peur.» Au premier mo-
ment, on ne va pas au dela ; on ne pense guére & la politique, surtout
ala question de république ou de monarchie. Tout se résume en ces,
mots : la Terreur est finie.
Bientot on ajoute : « Il faut chasser et chatier les terroristes; il
faut se débarrasser de « la queue de Robespierre. » La presse biil-
lonnée n‘attend pas qu’une loi lui rende sa liberté; elle parle dés
quelle ne se sent plus menacée par la guillotine. Ce n'est pas pour
soulever les questions constitutionnelles, e¢’est pour raconter avec
une colére accumulée depuis longtemps ce que sont les Jacobins, ce
quils ont fait pendant ces heures de silence auxquelles ils ont con-
damné la France. Les journaux sont lus 4 haute voix dans la rue,
aux clameurs indignées de la foule. Le titre seul indique la mission
qu'ils se donnent'. Le chanteur des rues se met de la partie. Tous
les soirs jusqu'd onze heures, devant le portail de Saint-Germain
lAuxerrois, Ange Pitou, narguant la police du milieu de la foule qui
l'écoute avidement et lapplaudit avec fureur, ameutant avec des
chansons et des plaisanteries le ressentiment populaire, débile de sa
vorx mordante des satires contre « les coquins, les septembriseurs,
les filous, les badauds, les espions et toute la bande a Cartouche. »
Les provinces prennent courage ; elles envoient 4 la Convention de
longues pélitions o elles dénoncent les monstrueux forfaits de
ces proconsuls ivres de sang et de débauche, fous de dictature, qui,
sur de plus petils théatres, ont dépassé Robespierre et Saint-Just.
Puis viennent les procés : procés des Nantais, du comité révolution-
naire de Nantes, de Carrier, de Fouquier-Tinville, de Lebon. La
foule se presse au tribunal, pousse des rugissements de colére au
récit judiciairement établi de ces férocilés et de ces rapines. Ces
pourrait en douter? Bientét on voit sortir des diligences et d'un grand nombre de
petites voitures des hommes empressés de faire connaitre avec détail un événement
qu parait la delivrance et la résurrection universelle. La foule s’accroit et l‘ivresse
redouble. Tous ces passants qui la veille s’éloignaient l’un de l'autre, avec tous les
signes d'un effroi réciproque, se reconnaissent et s’apostrophent comme de vieux
amis. On voit que la terreur, une fois sortie des Ames, ne pourra plus y rentrer.
Décourre—t-on quelque vieux jacobin, on lui fait longtemps subir le supplice de
lallégresse commune. »
' L’Observateur des groupes (c’est-a—dire des clubs), l’Observateur des Jacobins.
Et le titre des brochures que I’on crie dans les rues : Coupez les griffes au parli
feroce, le Cri de la vengeance, ou l'Alleluia des honnétes gens, Donnez-nous leurs
les ou prenex les nétres, le Crime des Jacobins, l'Agonie des Jacobins, les Jacobins
sont f...., ef la France est sauvée Je ne suis plus jacobin, et je m’en f...., les Jaco-
bins assassins du peuple, les Jacobins hors la loi, Pendant que la béte est dans le
piége, il faut Cassommer. Quelques-uns de ces titres sont si grossiers que nous n’o-
“ons les citer. Ils montrent que le Pére Duchéne a fait école méme chez ses adver-
saires.
222 LA QUESTION DE MONARCHIE
longs témoignages, qui se succédent pendant plus d'une année, font
parcourir au public épouvanté les cercles de cet enfer encore mal
connu. Les noyades de la Loire se gravent dans l’imagination popu-
laire comme la légende de la Terreur. Tous sentent d’ailleurs que
laccusé n'est pas seulement le personnage subalterne dont on cha-
tie justement les forfaits. L’accusé, c’est le parti tout entier, c'est le
régime révolutionnaire lui-méme. La foule accueille les condamna-
tions aux cris de: « Vive la République! » A chaque moment, c’est
une occasion nouvelle pour le public de manifester l'horreur que
lui inspirent les Jacobins. Un soir, au thédtre Montansier, un spec-
tateur apostrophe son voisin : «Tu es l’assassin de mon frére! » Au
thédtre des Italiens, une jeune fille de dix-sept ans, mademoiselle
de la Tour-du-Pin, s’écrie, dans une subite attaque de nerfs : « Les
Jacobins, ce sont eux qui ont tué mon pére et ma mére. Otez ce
sang! » Le thédtre joue d’ailleurs un réle assez important dans cette
réaction. Il faut se rappeler le succés de certaines comédies satiri-
ques en 1848, pour comprendre l’effet produit par cette pi¢ce venge-
resse, que l'administration essaye parfois d’interdire : Les Aristides
modernes ou lintérieur d'un comité révolutionnaire. Le public recon-
nait les types : Aristide, un voleur de mauvais lieu, que la révolution
a fait sortir de Bicétre, Scevola, le coiffeur, Caton, l’ancien laquais,
appelé naguére Champagne, renvoyé par ses maitres, et qui les a
fait guillotiner. On les voit régner dans leur comité, étaler leur cor-
ruption, leur avidité, leur cruauté et leur ignorance grotesque. Mais
au dernier acte, l’officier municipal, accompagné des gendarmes,
pénétre dans ce tripot et arréte, au nom de la Convention délivrée
par le 9 thermidor, ces fripons et ces assassins. Quels applaudisse-
ments 4 |’entrée des gendarmes! Un sexagénaire, incarcéré pen-
dant la Terreur, loue une loge pour assister 4 toutes les représen-
tations. Il exulte, et s’écrie : « Oh! comme je me venge de tous ces
coquins-la! » Le régne du gendarme et de la loi remplacant celui
des |;rigands et de Varbitraire, voila ce que l'on applaudit au théatre,
ce que l’on demande dans la vie réelle. Mais & cela se bornent les
vues politiques de la réaction.
La « jeunesse dorée » personnifie alors assez bien ce mouvement
d’opinion. Qu’est-elle? d’ou vient-elle? que veut-elle? La nation n’est
pas, a celte époque, tout cntiére 4 l’émotion produite par les souf-
frances des viclimes, 4 !’horreur qu’excite la cruauté des bourreaux ;
il y a aussi chez elle un désir ardent de s’amuser et de s’étourdir.
Cette société, fille du dix-huiliéme siécle, frivole et corrompue, sans
foi déja avant la révolution, et maintenant sans culte et sans prétre,
éprouve le besoin, moins de racheter tant de fautes par la pénitence
et la réforme morale, que de se dédommager des années que la Ter-
OU DE REPUBLIQUE. 223
reur vient de faire perdre pour le plaisir. On comprendrait mal ce
temps si on méconnaissait ce qu'a de complexe cet état des esprits,
ce mélange de deuil et de joic, de ressenfiment et d’oubli, d’exalta-
tion ctde légéreté, de pleurs et de rires. Dans les almanachs de prison
qui sont alors & la mode, aprés les récits les plus pathétiques sui-
vent les !-nuts rimés plaisants, les chansons érotiques, par lesquels
quelque bel esprit a charmé les loisirs de sa détention. A cété du tri-
bunal o& l'on juge Carrier, de la Convention qui s’entre-déchire,
des faubourgs muets et sombres ou le peuple meure de faim, Pa-
ns redevient la ville du plaisir‘. I] n’y a plus de salons; aussi se
presse-t-on 4 des bals publics par abonnement, ot les femmes, pa-
rées, plutét que vétues, de costumes romains ou mythologiques, val-
sentavec le premier venu. Les entrepreneurs de féles se font une con-
currence effrénée; ce ne sont que décors, grottes, feux d’artifice,
pantomimes. Les bals sont installés partout : dans des hdtels, des
couvents, des églises. On danse aux Carmélites du Marais, au couvent
des Carmes, encore tout chaud du sang de septembre, et jusque dans
les cimetiéres. Au-dessus de la vieille inscription qu’on lisait encore
sur la porte de l'ancien cimetiére de Saint-Sulpice : Has ultra me-
las beatam spem exspectantes, requiescunt, un joli transparent rose
annonce : Bal des Zéphirs.
Dans cette société frivole régnent quelques femmes d'une’ beauté
éblouissante et de moeurs faciles : Madame Tallicn, madame Rovere,
madame de Beauharnais; elles encouragent la réaction, félicifent et
récompensent de diverses maniéres les jeunes gens qui se vantent au-
prés d’elles de leurs exploits contre les Jacobins. Lacretelle rapporte
qu'un jour madame Tallien fut si contente d’un de ses articles qu’elle
lui permit de « baiser un bras digne de la Vénus du Capitole. » Mais,
ajoute-t-il, « peu de temps aprés, je vis la méme faveur accordée a un
dépaté montagnard converti, ce qui me fil revenir 4 moi-méme. » La
politique de ces gens est bien simple : ils s’inquiétent peu de la ré-
publique ou de la monarchie; ils ne tiennent qu’a jouir librement: Ils
en yeulent surtout aux Jacobins de prétendre les ramener au régime
du brouet et 4 la livrée du sans-culottisme.
Ace monde du plaisir se rattache la jeunesse dorée, dont on
chercherait vainement l’origine dans un parti, surtout dans le parti
royaliste. C’est madame Tallien qui donne V’idée de l’enrégimenter ;
Cest le journal de Fréron, l’ancien proconsul de Toulon, l’ami de
‘ Le jeune Bonaparte, alors inconnu, en est tout surpris. « Les voitures, écrit-il,
les élégants reparaissent, ou plutét ils ne se souviennent plus que comme d'un
long songe qu’ils aient jamais cessé de briller... Les femmes sont partout... Aussi
les hommes en sont-ils fous, ne pensent-ils qu’a elles, et ne vivent-ils que par et
pour elles. » 7
224 LA QUESTION DE MONARCHIE
Tallien, qui la convoque 4 venir défendre la Convention, et, dés le
soir méme, deux ou trois mille jeunes gens, appartenant au com-
merce, aux letires, aux théatres, aux écoles, aux bureaux des ad-
ministrations, se réunissent au Palais-Royal, armés de batons et
de cannes A épée; ils portent le costume « 4 la victime » : habit carré
et décolleté, cheveux pendant sur les cétés, coupés par derriére ou
retroussés avec des tresses appelées cadeneltes, pour rappeler la te-
nue des condamneés conduits 4 l’échafaud, souvent un crépe au bras.
Presque chaque soir, quand les Jacobins s‘attroupent autour des Tui-
leries pour menaccr les comités de la Convention, les jeunes gens se
réunissent, entonnent le Réveil du Peuple, la « Marseillaise » de la
réaclion, et tombent sur les révolutionnaires le baton a la main. Le
plus souvent, ils sont vainqueurs et reménent grand train leurs ad-
versaires jusque dans les faubourgs, aux applaudissements des bour-
geois se metlant aux fenétres pour rire de la déconfiture de ceux qui
les ont fait si souvent trembler. D’autres fois, ce sont des cxpédi-
tions plus retentissantes. On fait le siége du club des Jacobins : on
défonce les portes; on fouette les tricoteuses et on batonne les sans-
culottes. Un autre jour on brise les bustes de Marat; om brile
son mannequin et on en jette les cendres a l’égout. Le 43 germinal
et le 4* prairial, les muscadins aident, le fouet 4 la main, & expul-
ser de la Convention la populace qui l’a envahie.
Mais c’est toujours aux cris de: Vive la République! vive la Con-
vention! Ces jeunes gens s‘offensent d’étre traités de royalistes, el
disent dans une proclamation adressée aux habitants des faubourgs :
« Vous vous rappelez que nous enlevames ensemble la Bastille et le
repaire du tyran. Vous retrouverez en nous vos fréres d’armes du
14 juillet et du 10 aout. Ne laissons pas luire le moindre espoir pour
la vigilante aristocralie. » Tel est, du reste, le langage général a celte
époque. Les sections de Paris, celles qui donneront quelques mois
plus tard, au 13 vendémiaire, le signal de l’insurrection, protes-
tent, tout en demandant des mesures terribles contre les Jacobins,
de « leur exécration pour la royauté et ses vils partisans. » Elles ju-
rent « de vivre et de mourir pour la république une, indivisible et
démocralique. »
Il est permis de croire que ces jeunes gens, ces bourgeois des sec-
tions parisiennes, ne sont pas au fond de bien chauds républicains,
et u’ont pas si grand enthousiasme pour le 10 aout. Ils croient, en
parlant ainsi, arriver plus facilement au seul but qui leur tienne au
ceeur, chatier et expulser les jacobins. Ils aiment peu la Convention,
mais ils se servent d’elle; ils la méprisent aussi bien & cause de sa
docililé présente que de sa violence passée, mais leur dessein est de
la dominer, non de la détruire. De méme pour Ja république; il ne
OU DE REPUBLIQUE. 5
leur parait pas qu'il soit question ni qu'il y ait possibililé de la ren-
verser; ils n’ont pas l’esprit assez libre pour réfléchir & ses chances
de durée; ils lui demandent seulement de faire l’ceuvre de réparation
el d'épuration qu'ils désirent. Fort indifférents, en réalité, a toutes
ees questions de forme constitutionnelle , leur reconnaissance et
leur affection est acquise au régime qui satlisfera leurs sentiments de
justice et d'indignation. A la république de profiler, si elle le peut
et le veut, de cette disposition des esprits.
C'est en lout temps une erreur trop fréquente chez ceux qui vivent
dans ce qu’on appelle le monde polilique, de croire tous les individus
rigoureusement classés dans un de nos partis monarchique ou ré-
publicain. La masse, le plus souvent, n’appartient 4 aucun. Plus que
jamais il en était ainsi ala fin de 1794 et au commencement de 1795.
Les grandes déceptions rejcttent encore davantage dans |’empirisme.
Que restait-il d’ailleurs.des rarlis eux-mdmes au lendemain de
celle Terreur qui les avait tous disloqués, proscrits, décimés?
Les opinions s'usent, les caractéres se briscnt au frottement et au
choc des révolulions. C’était bien de celte société que l'on pouvait
dire ce qu’écrivait Hoffmann dans son petit journal satirique le
Menteur, l'un de ceux qui, sous le Directoire, feront la guerre Ja
plus vive aux vieux révolutionnaires : « Un bonhomme disait : Je
n'aime pas le Menteur, parce que je ne sais pas quelle est son opi-
nion. Oh! bonhomme, tu ne le sauras jamais. Une opinion? Est-ce
qu'on peut en avoir? Es-tu bien sur toi-méme d’en avoir unc? »
Il
Est-ce a dire qu’en dehors de la Vendée ou de l’émigration il n’y
ait plus alors aucun royaliste? Ce serait une erreur. Seulement, a
cerlaines heures, au lendemain de grandes fautes ou de persé-
cutions terribles, les partis, humiliés ou intimidés, tout en ayant
conservé leurs adhérents, ont perdu confiance en eux-mémes, et
n’osent plus se montrer. Les royalistes sont dans l'un de ces cas
aprés thermidor. Ils sont eucore « la classe sous le couteau. » Plu-
sieurs des leurs sont enrdlés dans la jeunesse doréc, mais en qualité
d’adversaires des Jacobins, non comme royalistes. Les concessions
qu’ils se croient obligés de faire 4 l’esprit du moment les condui-
sent souvent fort loin. Un écrivain qui, aprés le 15 vendémiaire,
sera condamné 4 mort par contumace sur accusation de conspiration
monarchique, le futur rédacteur de la Quotidienne, M. Michaud,
226 LA QUESTION DE MONARCHIE
insérait en 1795 dans l’Almanach des Muses, une piéce de vers qui se
terminait ainsi :
Oh! si jamais des rois et de la tyrannie
Mon front républicain subit le joug impie,
La tombe me rendra mes droits, ma liberté.
Ducis, qui, au fond, était royaliste, sacrifiait sans plus de scrupule
ala muse républicaine.
Tous les témoignages confirment le désarroi et le découragement
complet des partisans de Ja monarchie. Ce ne sont pas seulement les
républicains modérés qui constatent avec Thibaudeau « le discrédit
extréme du royalisme. » Un agent de l’émigration, M. de Montgail-
lard, déclare dans les premiers mois de 1795 que « la situation des
royalistes est pitoyable. » A la méme époque, le plus clairvoyant
des écrivains monarchiques, Mallet du Pan, admet qu’un tiers de la
France voudrait le rétablissement de la royaulé; mais, ajoute-t-il,
« les royalistes purs ne sont pas encore revenus de la terreur qui a
frappé le royaume entier de léthargie; ils sont, en général, dans
une impuissance totale d’action et méme de volonté. Nul person-
nage pour les rallier et les conduire. » Quant aux royalistes consti-
tutionnels qui comprennent encore « une grande partie des bourgeois
et des propriétaires de la campagne, » leur parti, privé de ses chefs
est, toujours selon Mallet du Pan, « aussi dispersé et presque aussi
insignifiant que celui des aristocrates. » Tous les partisans de la
royauté lui paraissent donc encore dans la triste situation qu'il dé-
peignait ainsi quelques mois auparayant :
a Cette masse si nombreuse est abattue par l’effroi, par ses défaites, par
le plus profond découragement ; loin d’étre en état de rien oser, elle n'a
pas méme la pensée d’une résistance possible. Sa douleur est inerte et
passive, elle appréhende de montrer ses souffrances ; elle ressemble aux
négres quis ‘étranglent avec leur langue plutdét que de se plaindre, et la
plupart cherchent leur sdreté dans la dissimulation ou affectent le tivisme
le plus outré... L'idée, l'image, l’habitude de la royauté s'effacent en rai-
son de l’intervalle qui s’écoule depuis la destruction du tréne, et en raison
de la consistance que prend la république. On s'accoutume & regarder le
retour d'un roi comme un chateau en Espagne ; et de ce sentiment a une
tendance naturelle vers le premier ordre de choses qui prometira paix et
securité, la distance n'est rien. »
Cette derniére idée préoccupe vivement Mallet du Pan et souvent
il y revient ; on lit dans une lettre adressée par lui, le 1° novembre
4794, a Pabbé de Pradt :
OU DE REPUBLIQUE. 997
« La masse commence a oublier qu'il y ait jamais eu un roi, et une fois
la paix faite au dehors et un régime doux au dedans, le peuple n'aura plus
dinterét a deésirer un autre ordre de choses. Ceux qui y aspirent, étant
sauvés des cachots et des guillotines, se contenteront d’une mauvaise au-
berge, sans faire un pas pour atteindre un chateau oi ils seraient beaucoup
mieux loges. »
Les royalistes peuvent-ils au moins compter sur les campagnes?
Mallet écrit, en juillet 1795, dans une note destinée 4 Louis XVIII :
« Ecrasées sous Robespierre, les campagnes respirent aujourd’hui, elles
s'enrichissent de la misére des villes, elles font des gains fabuleux; un sac
de blé paye au fermier le prix du bail d'une terre. Les paysans aisés sont
devenus calculateurs, agioteurs, achétent des meubles recherchés, se dis-
putent les ventes des biens d’émigrés, n’acquittent aucune imposition, se
felicitent journellement de l’abolitign de la dime et des droits féodaux, et
seront jusqu’au changement de cette prospérité, jusqu’au retour d’une
nouvelle oppression, assez contents de leur sort pour recevoir la républi-
que sans murmures. »
Toutefois , Mallet du Pan ajoute avec une finesse d’observation
dont l’expérience présente permet de sentir tout le prix : « Is rece-
vront la république sans y croire, car tout en aimant le régime
aclucl, ils pensent toujours qu’on reviendra un jour & un roi quel-
conque. »
Parmi les hommes modérés, sympathiques par origine et par
gout a la monarchie constitulionnelle, presque tous ceux qui étaient
mélés activement 4 la vie politique se déclaraient pour la républi-
que. L’un des représentants arrétés au 31 mai et qui passait géné-
ralement pour monarchiste, Lesage, le jour méme ou i] reprenait
possession de son siége, déclarait en son nom et au nom des autres
proscrits « qu’ils feraient 4 la patrie le sacrifice des maux qu’ils
avaient soufferts et qu’ils combattraient également le royalisme et
le terrorisme. » Jugeant la monarchie impossible, ces dépulés se
résignaient 4 la république pourvu que celle-ci devint plus juste et
moins violente. On comptait plusieurs de ces convertis ou de ces
résignés sous condition dans la commission chargée de préparer la
coustifution républicaine de |’an lil ; c’étaient avec ce méme Lesage,
Boissy d’Anglas, Lanjuinais. Ils travaillaient de bonne foi 4 créer,
sous le nom de république, un régime viable. Boissy d’Anglas élait
choisi comme rapporteur, et dans son rapport il allait jusqu’a dé-
clarer que le 10 aout était « le principe de nos vicloires au dehors. »
Dans une autre occasion, il s’écriait 4 1a tribune : « La royauté! ah!
qu'ils sont coupables ceux qui voudraient persuader au peuple
qu'elle pourrait diminuer ses peines et qu’il serait possible de con-
228 LA QUESTION DE NONARCHIE
server avec elle quelque apparence de liberté!... Je necrains pasle
royalisme ; s'il se montre, il sera anéanti... Guerre aux traitres qui
voudraient ressusciter le terrorisme, la royauté ou le despotisme. »
Cétait parler selon le godt du temps; il vaudrait mieux pour
l’honneur de Boissy d’Anglas qu’il n’y cut pas si largement sacrifié.
Mais qu’un tel homme ait cru nécessaire et prudent de faire ces sacri-
tices, n’esl-ce pas un signe que le courant général, méme parmi
les modérés, n’était pas alors opposé a la république?
Les royalistes constitulionnels demcurés en dehors des assemblées,
et par suite moins compromis dans les événements de la révolution,
nes engageaient pas aulant; toutefois ils considéraient sans mauvais
youloir ct sans parti pris les conventionnels modérés qui travail-
laient 4 organiser le mieux possible les institutions républicaines.
L’un de ces royalistes, Lacretelle, en rend témoignage. Ses amis et
lui n‘avaient pas sans doute grande confiance dans la fondation dé-
finilive de la république, mais ils laissaicnt faire, dans l’impossibi-
lite ot ils Gtaient de faire eux-mémes autre chose; ils comptaient
que la nouvelle constitution aurait au moins cet avanlage, de les
débarrasser de la bande qui avait trop longtemps opprimé et désho-
noré la France.
Quelques-uns méme de ces anciens constitutionnels, plus con-
vaincus de limpossibilité, ou en tout cas des périls d’une restaura-
tion, se ralliaient neltement 4 la république. Madame de Stael était du
nombre. Au début de la Révolution, elle ne s’était jamais montrée
républicaine ; bienl6t méme, au spectacle des événements, elle avait
paru perdre ses illusions sur la constitution de 4794. Elle s’élait
ofierle, en 1792, a aider la fuitede la famille royale. Retirée en Suisse
aprés le 10 aout, vivant dans un pelit groupe d’émigrés, clle avait
écrit une défense de la reine. Le 9 thermidor lui ayant ouvert les
portes de Paris, elle y rentrait républicaine. La premiére, elle te-
nait salon chaque décade. On rencontrait chez elle des royalistcs
comme Lacretelle, des modérés comme Boissy d’Anglas, des conven-
tionnels comme Chénier. Benjamin Constant, venu 4 Paris en 1795,
jeunc, mais déja au fond trés-désabusé, était l’un des habiltués de ces
réunions, Il se proclamait & celte époque « Tallieniste. » « Le salon
de madame de Stael, raconte-t-il plus tard, se trouvait alors peuplé
de quatre a cinq iribus différentes ; des membres du gouvernement
présent, dont elle cherchait 4 conquérir la confiance ; de quelques
échappés du gouvernement passé, dont l’aspect déplaisait & leurs
successeurs ; de tous les nobles rentrés qu’elle était 4 la fois flaltce
et fachée de recevoir; des écrivains qui depuis le 9 thermidor avaient
repris de l’influence, et du corps diplomatique qui élaitaux pieds du
Comité de salut public en conspirant contre lui. » Madame de Stael
OU DE REPUBLIQUE. 329
employait sa merveilleuse éloquence et son prestige de femme célébre
i tenter de réunir toutes ces « tribus » diverses sur le terrain d’une
république modérée dont les Daunou, les Boissy d’Anglas, et les
Lanjuinais seraient les maitres. Benjamin Constant saisissait 1l’oc-
casion d’une attaque dirigée par quelque feuille jacobine, pour
publier une lettre ot il « donnait sa parole d’honneur que madame
de Stael était républicaine. » C’était 4 ce groupe de néo-républi-
cains qu’on pouvait rattacher Roederer, ancien constituant, devenu
en 1794 et 1795 rédacteur d’une feuille importante, le Journal de
Paris. Il combattait vivement les Jacobins, et soutenait la jeunesse
dorée. Mais ce qu'il réclamail de la Convention c’était « un gouver-
nement énergique, républicain sans populacité , un gouvernement
qui ramendt tous les royalistes de bonne fot, ceux qui ne voulaient
gue la sreté des personnes et des « propriétés. »
Pouvait-on prévoir que la France, délivrée au 9 thermidor, ne
ferait pas plus mauvais accueil a la république ! Rappelez-vous com-
ment celle république, dont l'idée méme était absolument ¢tran-
gére au mouvement national de 1789, a été imposée par la violence
et ’audace d’une faction. Rappelez-vous comment, baptisée dans
le sang de septembre, sacrée sur |’échafaud du 21 janvier, elle n’a
été, suivant |’énergique expression d’un contemporain, qu’une a ser-
vitude agitée. » Rewbell, l'un des futurs auleurs du 48 fructidor,
n’avouait-il pas 4la tribune de la Convention que les Jacobins
« avaient rendu le régime républicain si odieux, qu’un esclave
courbé sous le poids de ses fers edt refusé d’y vivre? » Le pre-
mier mouvement de la réaction, quand elle peut librement écla-
ler, ne va-t-il donc pas étre d’emporter le régime au nom duquel
tous les forfaits ont été accomplis et auquel semble associée la fac-
tion dont on ne veut plus! Voici qu'au contraire la réaction 4 ses
débuts ne s’en prend pas 4 la république. On l’accepte ou, tout au
moins, on s’y résigne ; on y voit un moyen, le seul méme qui sem-
ble alors 4 la portée de l’opinion, de combaltre le terrorisme en
quelque sorte sur son propre terrain. On est disposé, sinon par sym-
pathie et confiance, du moins par nécessité ou par timidité, 4 laisser
le temps 4 cette république de prouver qu'elle peut étre un gou-
vernement sans désordre et sans arbilraire. Cette preuve faite
n’eut peut-étre pas suffi pour fonder 4 tout jamais la République en
France. Mais elle eit sauvé son honneur, et désormais son nom
net pas été uniquement associé dans l esprit des générations futu-
res au souvenir de régimes révolutionnaires ayant passé stériles et
destructeurs comme la tempéte.
A ces dispositions de |’esprit public vraiment inespérées, on pour-
rait dire si peu méritées, comment vont répondre les hommes qui
sont encore maitres du pouvoir et qui se disent « les républicains? »
LA QUESTION DE MONARCHIE
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La surprise est grande chez les terroristes unis au 9 thermidor
pour renverser Robespierre, de voir éclater la réaction, conséquence
inattendue pour eux de leur victoire. En face de cette réaction, ils
se divisent. Quelques-uns qui vont conserver le nom de Monta-
gnards n’admettent pas qu'il puisse étre seulement question de
renoncer 4 la Terreur. Ils veulent réprimer ce mouvement d’opinion
comme Robespierre l’aurait fait. Ce sont les plus forcenés ou les
plus compromis, ceux qui sont liés au régime de sang par tempé-
rament ou par crainte des comptes qu'il leur faudrait rendre : Collot
d’Herbois, Billaud Varennes, Lebon, Carrier, Barrére sont les plus
connus. Ils paraissent d’abord ne s étre méme pas rendu compte de
la révolution qui s ‘est accomplie dans l’esprit public. Ils continuent,
non sans.une sorte de naivelé, 4 parler le langage, hier officiel,
devenu odieux aujourd hui. A ceux qui demandent la clémence, ils
croient fermer la bouche en invoquant l’autorité du « profond et
judicieux Marat. » Ils répétent la vieille formule « la terreur 4 l’or-
dre du jour; » on les interrompt et on leur crie : « !a justice! » Ils
s’arrétent ébahis comme si on leur répondait dans une langue morte
dont ils auraient perdu le sens. Ils ne peuvent pas davantage enlen-
dre parler de liberlé, surtout de liberté de la presse. « Il serail
insensé, disent-ils, de la demander pour les aristocrales. Quant aux
patriotes, ils n’en ont pas besoin puisquils ont l’imprescriplible
droit de crier aux armes contre les tyrans, et qu’ils seront toujours
assez forts pour ne pas se laisser imposer silence par les aristocra-
les. » Cependant, la réaction grandit toujours. Les fidéles du terro-
risme sont réduils 4 la défensive. Ils ne reculent que pas 4 pas.
C’est avec une stupéfaction indignée qu’ils voient les prisons s’onvrir,
la législation de 1793 entamée, et surtout les poursuites commen-
cées contre quelques-uns des leurs. « La révolution n’inspirera
plus de confiance, s’écrie Collot; ce qui était bien l'année dernicre
sera un crime aujourd hui. » Acculés, forcés, en quelque sorte dans
leurs taniéres, les anciens Jacobins apparaissent tout troublés par la
rage et par la peur. Madame de Stael qui les a vus nous les dépeint
« lisant leurs plaidoyers avec une figure pale et nerveuse, allant d’un
colé 4 Vautre de la tribune de la Convention comme un animal
féroce dans sa cage. Etaient-ils assis, ils se balancaient sans se
lever ni changer de place avec une sorte d’agitation slationnaire qui
semblait indiquer seulement l'impossibilité du repos. » Enfin avant
de succomber, ils veulent tenter un dernier retour offensif. « Le lion
OU DE REPUBLIQUE. 331
va se réveiller, a dit Billaud Varennes avec un cri de béte fauve,
déchirer ceux qui ont osé le braver, broyer leurs membres et nager
dans leur sang. » Mais les émeutes de germinal et de prairial avor-
tent et n’aboutissent qu’a la proscription des principaux Montagnards
qui sont emprisonnés, déportés ou guillotinés. C’est un parti qui
disparait.
Parmi les vainqueurs de thermidor, a cété des fanatiques qui pré-
tendent résister de front a la réaction, sont les habiles qui au pre-
mier moment croient pouvoir, en lui faisant sa part, l’exploiter 4 leur
profit. On les a appelés les Thermidoriens : Fréron, Legendre, Ché-
nier l’ainé, Merlin de Thionv:lle, Lecointre, Barras, Bourdon de
V’Oise, et le chef, le vrai type de cette bande, Tallien, ancien clerc
de procureur, septembriseur, proconsul non moins impitoyable a
Bordeaux que Collot 4 Lyon, incapable et vil, ayant toules les cor-
ruptions, mais ni idées, ni principes, féroce souvent, mais trop vicieux
pour étre fanatique, plus cynique que passionné, altéré moins
encore de sang que de pouvoir et surtout de jouissance et d'argent,
joignant 4 une cruauté insouciante une sorte de facilité 4 jouer
homme sensible qui lui donne parfois les apparences de |’ humanité;
tel est le personnage dont la popularité et la prépondérance vont
étre pendant quelques mois le signe le plus humiliant de la déca-
dence de cette époque. Pas plus que les Montagnards, les Thermido-
riens ne s’atlendaient 4 la réaction ni ne la désiraient. Mais ils ont
appris de Danton, dont ils sont presque tous les disciples, une sorte
d’aisance sans vergogne 4 se plier aux circonstances e! 4 tourner
avec le vent. Ils n’ont pas plus d’embarras 4 délivrer les prisonniers
aprés thermidor qu’ils navaient eu de scrupule en septembre & les
égorger. Le passé ne les géne ni ne leur pése. Ils nen ont aucun
repentir, et presqu’aucun souvenir. Ils s’étonneraient que d’aulres
eussent meilleure mémoire.
Ils se séparent donc des Jacobins obstinés pour appuyer la réac-
tion et, avant tout, s’appuyer sur elle. Ils croient pouvoir la satisfaire
par des concessions qui ne les diminueront pas eux-mémes; ils
espérent y trouver au contraire une force pour dominer leurs
rivaux de la Montagne et régner sans partage. Ils descendent des
hauteurs de la gauche pour s’asseoir en pleine droite. La rhétorique
de la sensibilité remplace chez ces déclamateurs celle du terrorisme.
On entend le boucher Legendre lui-méme s’écrier 4 la tribune de
la Convention : « Si je possédais des biens qui eussent appartenu a
l'une de ces victimes, jamais Je ne pourrais trouver de repos. Le
soir en me promenant dans un jardin solitaire, je croirais voir dans
chaque goulte de rosée les pleurs de l’orphelin dont j’occuperais
Vhéritage. » C’est d'ailleurs pour ces anciens Cordeliers, pour ces
232 LA QUESTION DE MONARCHIE
blasés de la démagogie, une sensation nouvelle de se voir une sorte
de popularité dans le monde des honnétes gens, de mériter les encou-
ragements caressants des belles aristocrates qu’ils rencontrent le soir
dans quelque bal et d’étre qualifiés pompeusement dans les chants
de la jeunesse dorée de a législateurs humains, » dont on célébre
« la contenance auguste. » Ils se félicitent d’avoir si habilement sau-
vegardé leurs intéréts et leurs personnes dans cette redoutable
liquidation du passé, et d’étre, dans le partage qui se fait au sein
méme de la Convention, du cété des juges, quand il y avait si peu de
raison pour les distinguer des accusés.
Ils trouvent bien que celte réaction va plus vite qu ils nes’y alten-
daient. Aprés le 9 thermidor, ils ont fait transporter solennelle-
ment la dépouille de Marat au Panthéon, ont proclamé que la
proscription des Girondins avait sauvé la France, tant ils se dou-
taient peu que quelques semaines plus tard, l’opinion les oblige-
rait 4 se démentir, a4 découronner Marat et a flétrir le 31 mat.
Fermeture des Jacobins, désaveu de la constitution de 1793,
poursuites contre les Montagnards, rappel des Girondins proscrits,
toutes ces décisions ne sont prises qu’aprés de longues résistances
des Thermidoriens. Mais ceux-ci cédent quand la poussée devient
trop forte, et méme ils prennent alors Vinitiative de la mesure
qu‘ils ont commencé par combaltre, atin de s’en faire honneur vis-
a-vis de Popinion. Etrange et piteux spectacle que celui de cette
assemblée qu’on se plait souvent 4 entourer d'un prestige de gran-
deur terrible !;Aprés avoir été contrainte par la peur 4 se décimer,
la voici réduite, toujours par la peur, & se renier elle-méme. Epou-
vantée de voir se dresser contre elle les spectres de ses crimes et
de ses hontes, tous ces revenants sanglants, — égorgés de septem-
bre, guillotinés du tribunal révolutionnaire, noyés de Nantes, mi-
traillés de Lyon, — elle désavoue son passé, se confesse lache pour
diminuer sa responsabililé au prix de son honneur, flétrit comme
des jours d’ignominie les dates sinistres qu'elle élevait naguére au
rang des fétes nationales, et croit apaiser la conscience publique en
iinmolant elle-méme quelques-uns des siens dont elle voudrait faire
des boues émissaires. Efforts impuissants, humiliation inutile! La
Convention ne cesse de se faire craindre que pour se faire mépri-
ser. Elle est sifflée au thédtre. « On discute moins a4 présent les
crimes de chaque députe, écrit, le 43 mars 1795, une Anglaise sé-
journant alors en France, que l’insignifiance de tout l’assemblage,
et les épithétes de tarés, usés, corrompus, ont presque remplacé celles
de coquins et de scélérals'. »
1 Un séjour en France de 1792 & 1795, traduction de M. Taine.
OU DE REPUBLIQUE. 233
I] fallait le cynisme des Thermidoriens pour se mouvoir & I'aise
et porter la téte haute au milieu de toutes ces palinodies. Sans prin-
cipes et sans convictions, ils ne pensent qu’d eux, 4 leur convoitise
et a leur sécurité. Tant que la réaction ne parait menacer ni l'une ni
l’autre, ils ne brisent pas avec elle. Ils veulent bien que le régime soit
changé 4 condition que le pouvoir reste entre leurs mains. Ils ne se
font pas scrupule ‘de passer des Jacobins aux muscadins, pour-
vu que ceux-ci leur assurent la continuation des avantages qu’ils de-
vaient a ceux-la. Ils se résignent a laisser donner un coup de balai
sur la vieille ordure révolutionnaire, sion leur garantit, pour nous
servir d'une expression connue et cynique, qu’ils seront« du cété du
manche ». Mais bientdt ils semblent s’arréter, inquiets. Que s’est-il
donc passé? C'est qu’ils ont vu se mettre en avant, dans la Conven-
tion, des hommes moins compromis, moins usés. Ils redoutent que
ces hommes ne paraissent naturellement désignés pour étre les
chefs et les représentants du régime nouveau, de la république
modérée.
Les députés de la Plaine n’avaient eu aucune initiative au 9 ther-
midor : ils avaient seulement prété leur concours aux assaillants,
quand la victoire leur avait paru certaine. C’étaient bien ces hom-
mes au ceur pusillanime qui, interrogés sur ce qu’ils avaient fait
pendant la Terreur, répondaient comme Sieyés : « j’ai vécu, » ne
comprenant pas que leur honte était de n’avoir pas mérilé de mou-
rir. La chute de Robespierre clle-méme ne leur a pas rendu tout
de suite le courage. Pendant plusieurs mois, ils sont restés timi-
dement el obscurément en seconde ligne derriére les Thermido-
riens. Leur silence et leur humble réserve semblent reconnailre que
le gouvernement, méme devenu clément, appartient toujours de
droit a loligarchie révolutionnaire. Cependant, avec le temps, ils
s enhardissent. L’impression est vive le jour of Siéyés reparait 4 la
tribune. Thibaudeau, Cambacérés, Durand-Maillane, Boissy-d’An-
glas, suivent son exemple. Les Thermidoriens y voient des rivaux.
Mais en voici de plus redoutables encore. Ce sont les cent et quel-
ques survivants des Girondins et autres modérés proscrits aprés le
34 mai, auxquels on permet enfin de venir réoccuper leurs places.
Les Tallienistes, qui sentaicnt le péril, avaient longtemps reculé de-
vant cette mesure. Un sang plus énergique et plus pur est ainsi
infusé dans la majorité de la Convention. Ces nouveaux venus sup-
plantent les Thermidoriens dans la faveur du public. Celui-ci com-
prend d’instinct que les Lanjuinais, les Daunou, les Pontécoulant,
les Lariviére, ont plus qualité que Tallien ou Chénier pour réprouver
la Terreur, dont ils ont été Jes victimes, non les complices. Leur
autorité s'accroit chaque jour, et les révolutionnaires peuvent avec
23 Avan 1873. 16
235% LA QUESTION DE MONARCHIE
jalousie et inquiétude en mesurer I’étendue, quand ils voient ces
hommes, unis aux meilleurs esprits de la Plaine, composer la majo-
rité de la commission chargée de rédiger la constitution, et se trou-
ver ainsi désignés pour en diriger plus tard la mise en pratique.
Les Thermidoriens se demandent d’ailleurs s’ils ne sont pas me-
nacés dans leur sécurité autant que dans leur pouvoir. Ils sont
troublés, en reconnaissant que leur passé n'est pas aussi oublié
qu’ils l'imaginent. En effet, & mesure que lopinion voit grandir
dans la Convention des représentants moins compromis, a qui elle
peut remettre avec plus de confiance le soin de continuer }’cenvre
entreprise aprés thermidor, la mémoire lui revient sur les antécé-
dents de ces terroristes déguisés en champions de la justice et de Ja
clémence; et avec la mémoire, un sentiment chaque jour plus vif
de dégout et d’éloignement. Ces hommes s’en apercoivent, alors
méme qu'on ne leur fait encore aucun reproche direct. Ils sentent
comme une réprobation vengeresse, invisible et muette, qui monte
autour d’eux et les enveloppe. Ils essayent d’impudentes justifica-
tions. Madame de Stael, toule disposée qu’elle est alors 4 l’indul-
gence, en est indignée, et elle déclare que « ces apologies sont la
plus incroyable école de sophisme 4 laquelle on puisse assister'. »
Yainement les conventionnels, oubliant qu’ils sont accusés et non
4 Qn pourrait faire un recueil de ces aphorismes et de ces métaphores avec les-
quels les révolutionnaires prétendaient échapper a la responsabilité de leurs actes :
« Un peuple qui a fait une révolution ne doit jamais regarder en arriére. » (Le-
gendre.) — « Lorsque le vaisseau est 4 flot, on ne demande point par quelles ma-
neeuvres le pilote l’'a sauvé. » (Clauzel.) — « L'architecte, en achevant son monu-
ment, ne brise pas ses instruments, ses ouvriers. » (Lindet.) — « Une révolution
est un combat 4 mort... Les morts laissés sur le champ de bataille avaient-ils mé-
rité de perdre la vie? A quelque parti qu'ils appartiennent, ils sont confondus et
enterrés péle-méle. Tel est le sort de la guerre. » (Raffron.)
Mais le sophisme le plus curieux est peut-étre celui de Carnot. C’est toute une
théorie du mandat imperatif qui doit étre recommandée 4 nos démocrates moder-
nes. D’aprés Carnot, les représentan{s doivent, non pas imposer leur maniére de
voir, mais énoncer la volonté du peuple, quand méme ils seraient convaincus que
le peuple se trompe. Or « le peuple peut se tromper, mais il n'est jamais coupable,
car il agit sur lui-méme. » La Convention, en faisant sous la Terreur des lois mau-
vaises, et qu’elle savait mauvaises, n'a fait que son devoir, parce que le peuple
avait manifesté vouloir ces lois. Puis, le peuple éclairé a reconnu les vices de ces
lois: la Convention, en les rapportant, a encore fait son devoir. « Tel est, dit Car-
not, le principe irréfragable de la démocratie représentative. »
Ces sophismes, d'ailleurs, ont encore cours aujourd’hui, et les jacobins moder-
nes entendent également innocenter — et innocenter au nom de la république —
les hommes de la Terreur. Voici ce que, dans son dernier ouvrage sur le Directoire.
écrit M. Michelet a l'occasion précisément des terroristes poursuivis aprés le
9 thermidor . « Que le monde crie contre eux, ce n’est pas a la république de pu-
nir Camour féroce, éperdu, qu'ils eurent pour elle. Collot ne se reprochait rien. 11
pouvait étre accusé par les royalistes sans doute, non par les républicains. »
OU DE REPUBLIQUE. 935
juges, prétendent-ils s’accorder eux-mémes un pardon que leur re-
fuse la conscience publique. « Ne nous reprochons ni nos malheurs
ni nos fautes, dit Lindet, que nous est-il arrivé qui n’arrive 4 tous
les hommes jetés 4 une distance infinie du cours ordinaire de la
“vie! » — « Votons l’oubli, » s’écrie un autre conventionnel '. L’opi-
nion ne ratifie pas ce vote et persiste 4 ne pas oublier.
Ainsi ébranlés dans leur popularité présente, menacés pour leurs
crimes passés, les Thermidoriens abandonnent peu & peu leur pre-
miére taclique. Ce n’est pas un revirement brusque et opéré avec
ensemble. Les uns changent plus tét, les autres plus tard : ils sont
déroutés et troublés. Il ne leur est plus possible, d’ailleurs, de re-
venir brutalement au terrorisme, l’élan est perdu et l’opinion, de
son cété, a trop marché. Toutefois, 4 travers ces tdtonnements, il
est facile de voir, au bout de quelque temps, que Tallien et ses amis
s’éloignent définitivement de l’opinion modérée et qu’ils se rappro-
chent des Montagnards.
Ils cherchent 4 dissimuler le vrai motif de leur changement, ils
parient de république ef de royalisme. Cela n’est pas sincére. Le
royalisme, — on l'a vu, — n’est pas en cause dans cette premictre
réaction aprés la chute de Robespterre. Les représentants mo-
dérés, dont lautorité grandissante alarme tant Jes Thermidoriens,
n’en veulent pas 4 la république; ils le déclarent formellement.
{Is travaillent sincérement a faire la constitution républicaine.
Bien plus, quand il s’agit des émigrés ou des prétres, ils s’asso-
cient, avec une triste condescendance, 4 toutes les violences révo-
lutionnaires. His ont tellement peur d’étre soupgonnés de roya-
lisme, qu’aucun d’eux n’a le courage de faire entendre quelques
paroles d’humanité en faveur de Louis XVII, cet enfant infortuné,
qu’on laisse en ce moment méme mourir de consomption et de
mauvais traitements dans la prison du Temple. D’ailleurs, comme
pour mieux montrer que c’est 4 la république modérée que les
Thermidoriens en veulent sous le nom de royalisme, ils iront bien-
{Ot jusqu’a expulser de Paris madame de Stael, au moment méme
ot: celle-ci se brouille avec plusieurs de ses anciens amis, & cause
de la trop grande ardeur de son néo-républicanisme.
Au fond, les Thermidoriens se soucient peu des insfitutions républi-
4 « Depuis deux ans, disait, non sans une sorte de naiveté sincére, un député ob-
scur, nous adorons le lendemain ce que nous avons brisé Ja veille ; nous briserons
demain ce que nous adorons aujourd'hui... Si nous voulions rechercher nos délits
politiques, lequel de nous n’aurait pas 4 trembler?... Youlez-vous exercer unc jus-
tice inflexible, alors h4tons-nous d’appeler des successeurs; car ces murs, qu'on
fatigue de clameurs impolitiques et antisociales, ne renfermeront plus que des ac-
cusés, des accusateurs et des juges. »
23 LA QUESTION DE NONARCHIE
caincs ou, du moins, ils y tiennent seulement en tant qu’elles garan-
tissent leurs inléréts personnels. Aucun d’eux n’aurait songé& se sa-
crifier pour sauver la république, el tous auraient sacrifié volontiers la
république pour se sauvcr. lls le montreront plus tard, au 48 bru-
maire. Déja, cette époque, s’il faut en croire Mallet du Pan, qui est
en situation d’étre bien informé, Tallien et Barras sont en négo-
cialions el en intrigues avec les royalistes, et keur premiére con-
dition est toujours quon ne les recherche pas pour leur passé,
et qu’o: leur garantisse leur fortune’. « Les Thermidoriens dont
Tallien est le chef, dit plus tard Mallet,.dans une nole rédigée
pour l’empereur d‘Allemagne, sont des hommes perdus, indiffé-
rents 4 lout systéme de gouvernement républicain ou monarchique,
faisant de la révolution un trafic, et cherchant a tout prix leur do-
mination et leur fortune. »
Le seul dessein que ces hommes poursuivent alors en sc rappro-
chant des Montagnards, est d’opposer aux modérés l’union étroite
et désormais permanente de tous les personnages compromis dans
la révolution. Leur cri de ralliement c'est le meurtre du 21 janvier.
Se sentant par 14 éternellement mis au ban des régimes honnéles,
ils s’allient pour empécher de les établir. Ils reviennent sans cesse
a cette date fatale, ils en sont comme obsédés. C’est, et ce sera,
jusgu’au 18 brumaire, le grand argument de ceux qui veulent
les rassembler dans une action commune, les détourner d'une
concession, les déterminer & quelque acte de violence contre I'o-
pinion. Déja, peu de mois aprés la chute de Robespierre, un
Thermidorien inquiet de la réaction, Thuriot, disait : « Oui, ci-
toyens, en yotant la mort du tyran, nous avons consenti 4 tout
risquer, tandis que ceux qui n’ont pas coopéré 4 ce grand acte
nont rien hasardé. » Quelques mois plus tard, un Montagnard,
Dubois Crancé, fait écho & Thuriot : « Citoyens, s’écrie-t-il, il est
une classe d’‘hommes en France pour qui vous éles tous des terro-
ristes ; car tous, vous avez déclaré le roi coupable de haute trahison. »
La préoccupation maladive et inquiéle de ces régicides éclale jusque
dans l’affectation qu’ils mettent 4 faire célébrer & grand fracas,
avec accompagnement de discours, de poésies, de serments de hai-
nes, de manifestations théatrales, l’anniversaire du 24 janvier’; ils
‘ Mémoires et correspondance, II, 120-121.
* La célebration de cet anniversaire sera l'une des grandes préoccupations du
Directoire. A laderniére fate de ce genre qui aura lieu en 1799, le ‘poéte Lebrun,
en fort mauvais vers, exprimait assez naivement le sentiment d’inquiétude qui était
au fond de toutes ces réjouissances :
La voix d'un peuple entier n'est jamais criminelle,
Et nous le sommes tous, si Louis ne l'est pas.
OU DE REPUBLIQUE. 257
simaginent étendre ainsi sur la nation cette tache de sang que,
comme lady Macbeth, ils ne peuvent effacer de leurs mains. Ils sur-
veillent le public d'un ceil anxieux pour bien s’assurer qu’il devient
leur complice par ses réjouissances. Rien n'est étrange comme la
susceptibilité de ces esprils troublés. Les artistes du Conservatoire
avaient été appelés, suivant l’usage, le 24 janvier 4795, 4 se faire
entendre dans Ia salle de ta Convention. IIs jouaient un morceau d’un
caraclére grave et recueilli. Des représentants interrompent, indi-
gnés : « Les musiciens, s‘écrient-ils, ont-ils donc l’intention de dé-
plorer la mort du tyran? » Gossec, le directeur du Conservatoire,
s excuse de son mieux : «Il avait seulement voulu, dit-il, exprimer
les douces émotions qu’inspire aux dmes sensibles Je bonheur d’étre
délivrées d’un tyran. »
On posséde maintenant tout le fond dela politique du parti répu-
blicain pendant les années qui vont suivre, le secret de la lutte
acharnée que cette aristocratie du régicide soutiendra contre 1’opi-
nion. Peu importe que la souveraineté nationale manifeste des vo-
lontés opposées; peu importe que l’inlérét de la république elle-
méme exige que le pouvoir passe en des mains moins compromises.
Pour ces démocrates et pour ces républicains, le pays et la républi-
que ne sont rien ; mais, pour ces hommes a conscience trop chargée,
le pouvoir est une place de sdreté qui les garantit contre la justice
humaine. A l’opinion qui, au lendemain de fa Terreur, consentait a
oublier l’origine et le passé de la république, et se montrait préte &
l'accepter pourvu qu'elle se séparat de la tradition et du personnel
révolutionnaires, Jes hommes au pouvoir répondent que cette sépa-
ration est impossible et que la seule république est celle qui se
fait un blason d’un nouveau genre avec l’échafaud du 24 janvier.
Avais-je tort de dire que tout est abaissé 4 cette époque? En 1789
et dans les années qui ont suivi, il y avait sans doute, chez les révo-
Julionnaires bien des erreurs, des idées fausses, des passions coupa-
bles; mais au moins, dans cette terrible offensive contre la société
ancienne, on voit un but poursuivi, des idées jetées en avant, la
préteution de renouveler tout un monde. Aprés thermidor, les révo-
lutionnaires n’ont plus de ces projets ni de ces réves. Ce sont des
gens pratiques et désabusés qui n’ont qu'une préoccupation : rester
au pouvoir malgré l’opinion, et y rester non pour y appliquer telles
doctrines, pas méme pour y opérer tel bouleversement, mais unt-
quement pour jouir et pour étre en sidreté. Voila le dernier mot de
cette orgueilleuse génération. De Voffensive, elle s'est réduite 4 la
défensive, et quelle défensive! celle des parvenus qui ne veulent pas
lacher le bien mal acquis, celle des fripons et des assassins qui ont
peur du gendarme et du juge.
238 LA QUESTION DE MONARCHIE
IV
Le revirement des Thermidoriens ne pouvait intimider ni arréter
une réaction devenue, depuis quelques mois, beaucoup plus _puis-
sante et hardie. Il l’irrite au contraire et la provoque 4 porter plus
loin et plus haut ses coups. L’opinion, combattue dans ses plus lé-
gitimes réclamations par les républicains et au nom de la républi-
que, n’élait-elle pas poussée, contrainte en quelque sorte a s'alta-
quer a cette république elle-méme? On n’est donc pas surpris de
discerner au printemps de 1795, sept ou huit mois aprés la chule
de Robespierre, les premiers symptémes d’un ferment royaliste
qu’on aurait vainement cherché jusqu’alors. Ces symptémes appa-
raissent avec des caractéres divers 4 Rouen, & Lyon, dans le Midi. On
voit se méler au mouvement parisien et y prendre une part de jour
en jour plus active et plus importante, des hommes dont le noma
une signification nettement royaliste : Pastoret, Vaublanc, Delalot,
Quatremére de Quincy. Dans la presse, ce n’est plus comme au
lendemain du 9 thermidor, |’Orateur du peuple, de Fréron le Ther-
midorien, qui donne le ton 4 !’opinion. Cette feuille est dépassée,
éclipsée par des journaux nombreux, brillants, souvent passionnés,
dans lesquels écrivent des monarchistes de la valeur de Fontanes, La
Harpe, Martinville, Bertin de Vaux, Bertin d’Antilly, Lacretellc jeune,
Michaud, Richer de Serisy, Hoffmann, Fiévée. Quelques-uns des mus-
cadins de la jeunesse dorée se mettent 4 porter, non plus seulement
Vhabit « a la victime » qui était une protestation contre l’échafaud,
mais|’habit gris 4 revers avec collet vert ou noir, qui est l’uniforme
des chouans et semble une protestation contre la république. Au
mois d’avril, le bruit, alors inexact, se répand que la Convention
va se dissoudre. Les passants se saluent dans les rues par ces mots :
« Nous voila quittes; ils s’en vont les brigands! » — « Les gens,
écrit 4 cette époque un témoin, sautillaient et caracolaient comme
incapables de contenir leur satisfaction. On ne parlait de rien que
du a petit » (le jeune Louis XVII) et des nouvelles élections; j’obser-
vai avec plaisir que toul le monde était d'accord pour exclure tous
les députés actuels'. » Un rapport de police constale « que le
42 juillet, au Thédtre des Arts, le passage de Ja tragédie de Phédre,
ot il est fait allusion aux princes malheureux qui ont été punis in-
justement, a été applaudi trois fois de suite et a produit un effet
1 Un séjour en France de 1792 4 1795, p. 274.
OU DE REPUBLIQUE. 239
étonnant. » Dés le mois de mars, Rewbell exprimait 4 la tribune ses
inquicludes : « Nl faut, disait-il que la Convention connaisse }’état
actuel de l’opinion 4 Paris. On dit beaucoup que le cri de : Vive la
république! est entendu avec indifférence dans nos thédtres. En
méme temps, dans les rassemblements qui se forment chaque jour
ala porte des bouchers et des boulangers, on insinue que cet élat
de disette durera ‘tant que nous n’aurons pas la constitution de
1791. » En effet, ce n'est pas seulement dans la bourgeoisie que ce
mouvement se produit, et au moment des insurrections de prairial
et de germinal on a entendu sorlir du milieu méme du peuple ré-
volutionnaire, ce cri étrange : « ponner nous un roi et un morceau
de pain. »
Toutefois, en constatant ces symptomes d’un réveil royaliste, il
faut se garder de les exagérer. Le sentiment dominant est toujours le
besoin de se débarrasser des Jacobins. On a plus l’horreur du régime
révolutionnaire que !e désir de rétablir le roi. « Les monarchistes
eux-mémes, écrit Mallet du Pan, en aodt 1795, se défendent en ce
moment centre Ja Convention pour échapper 4 la tyrannie beaucoup
plus que pour refaire la royauté. » Les sections de Paris protestent
toujours contre l’accusation de royalisme ; elles le font, il est vrai,
avec moins de netteté que quelques mois auparavant. Elles se eroient
encore obligées de parler une sorte de jargon révolutionnaire, de rap-
peler « les baionnetles des despotes, brisées au 14 juillet. » Aprés
le massacre des émigrés de Quiberon, elle§ félicitent la Convention.
« Le récit de ce triomphe, tlisent-elles, a électrisé nos dmes. »
Quand elles attaquent les Jacobins, c’est, 4 les entendre, parce que
ces Jacobins, « par un autre chemin, tendent aussi a l’anéantisse-
ment de la république. »
Quelle est, dans ce langage, la part de la tactique et celle de la
sincérité? Dans quelle mesure !’opinion modérée se partage-t-elle
entre le monarchisme feuillant ou le républicanisme girondin? A-t-
elle méme un parti bien arrété? Peut-étre, s'il lui élait possible de
choisir sans effort, préférerait-elle la monarchie ; mais, fatiguée par
tant d’entreprises, désenchantée par tant de déceptions, elle n’a pas
assez de confiance dans les remédes constitutionnels pour acheter
aucun d’eux au prix d’une crise. C’est l’état que Mallet détinira si
bien quelques mois plus tard : « On préférerait généralement la
royauté, si on pouvait, 4 son réveil, la trouver rétablie sans secous-
ses etsans dangers; mais la crainte de ces dangers et de ces secousses
est mille fois plus forte que le désir de la royauté. » Aussi, en juillet
1795, le méme écrivain met-il en garde Louis XVIII contre les illu-
sions. Il ’avertit qu’il n’existe « aucun parti royaliste. » Sil y a du
royalisme dans l’esprit public, c’est « un royalisme vague et incer-
240 LA QUESTION DE NONARCHIE
tain, sans énergie aucune; » il y a « éloignement pour toute insur-
rection dans le sens monarchique; on est au désespoir, mais ce
désespoir n’inspire aucun projet. »
Cet état de esprit public que constatait du dehors Mallet du Pan,
ne devait pas échapper dans Paris aux esprits clairvoyants du
parti royaliste et devait leur prouver combien il serait imprudent
d’arborer ouverlement leur drapeau. Des journalistes, au fond pres-
que tous monarchistes, qui, aprés thermidor, avaient entrepris la
guerre contre les révolutionnaires, et dont l’influence croissait cha-
que jour, avaient l’habitude de se réunir dans une sorte de comité
pour concerter leurs efforts. On trouvait saus doute dans cette réu-
nion quelques-uns de ces esprits étroits et courts, voués aux opi-
nions extrémes, « ressource, comme l’écrit finement madame de
Stael 4 Mallet du Pan, de ceux qui ne peuvent embrasser qu’une
idée 4 la fois; » prenant pour du courage en face de leurs adver-
saires, des violences provocantes et des témérités fanfaronnes qui
n’étaient trop souvent au fond qu’une faiblesse intéressée et complai-
sante pour les passions de leurs lecteurs, plus occupés de.se faire un
pelit renom de coterie en flattant ces passions que de ne pas com-
promettre les intéréts de leur cause, d’autant moins embarrassés du
reste de leurs théses absolues, que, se bornant a écrire, ils ignoraient
cette responsabilité de l’action qui fait comprendre la nécessité des
tempéraments, et souvent méme oblige 4 transiger. Mais, a cdté
d’eux, il y avait des esprits plus sages, plus politiques. Leur senti-
ment l’emportait, 4 cette époque, dans la réunion des journalistes.
« Pour agir dans un concert parfait, rapporte Pun d’cux, Lacre-
telle, on avait pris la résolution de se borner 4 une ligue défensive
contre la tyrannie perpétuée de la Convention. On ne produisait
aucun projet politique. On évilait de s’expliquer sur la forme du
gouvernement qu’il conviendrait d’adopter. » Les modérés persis-
taient dans cette sage tactique, malgré les imprudences des ardents.
a Réclamer contre toutes Jes horreurs qui déshonoraient la Révolu-
tion, écrivait alors Lacretelle dans son journal, atlaquer toutes les
lois qui portent le caractére de l'injuslice et de la barbarie, voila
mes principes contre-révolutionnaires ; faire des voeux pour une au-
torité forte et sagement balancée, détester l’arbitraire, me soumet-
tre aux lois, n’attendre que du temps leur perfection, voila mon
royalisme. »
La préférence trés-décidée de ces écrivains était sans doute pour
la monarchie, mais, i] ne leur avait pas semblé possible, au premier
moment, de renverser Ja république. Jls se bornaient 4 poursuivre
un redressement ct une épuration de la législation, qui, dans leur
pensée devaient toujours diminuer un peu la distance qui séparait
OU DE REPUBLIQUE. 244
de la constitution monarchique. Plus tard, en voyant les révolution-
naires se refuser a satisfaire opinion, se cramponner au pouvoir
et identifier la république 4 la tradition Jacobine, ils comprennent
que leurs adversaires rendent & la royauté quelque espérance d’a-
venir : mais ils voient aussi avec quels ménagements il faut agir,
quel serait auprés de l’opinion le tort de ceux qui parailraient pro-
voquer une crise, ct comment, si la république peut étre tuée, elle
ne peut l’étre que peu 4 peu et par les républicains eux-mémes.
Toutefois, plus on va, plus, grace 4 ces républicains, 4 Virritation
croissante qu’ils provoquent dans l’opinion par leur égoiste résis-
tance, les chances d'abord si douteuses et si lointaines de la royauté,
paraissent se fixer el se rapprocher. On se laisse aller 4 la monar-
chie, moins pour ses mérites propres, dont on ne parle guére, que
par dégoul et fatigue des républicains, dont on parle beaucoup. Ce
mouvement devient méme 4 un moment si rapide, que les esprits
les moins porlés aux illusions dans le camp monarchique, croient
presque toucher au ttiomphe. Mallet du Pan, qu’on a vu si déses-
péré il y a peu de mois, a, dans le cours de]'été de 1795, quelques
jours de confiance, comme il n’en a pas encore conny et nen con-
naitra plus. Lacretelle, recueillant ses souvenirs, dit « qu’avec de
la patience et de la circonspection, on serait arrivé certainement
4 la monarchie. » — Qui donc va arréter cette ceuvre des républi-
cains travaillant avec tant de succés, 4 rétablir une royaulé jugée
tout a I’heure impossible? Ce sont des royalistes.
V
Souvent déja le témoignage de Mallet du Pan a été invoqué dans
le cours de cette élude. Il va l’étre plus encore et en matiére par-
ticulicrement délicate. N'importe-t-il pas dés lors de se deman-
der le degré de confiance que mérite ce témoin? Mallet du Pan a été
trop longtemps laissé dans l'ombre, et, quand il y a vingt ans, ona
publié ses Mémoires et sa Correspondance, ils n’ont pas eu du pre-
mier coup le retentissement et autorité qu'ils méritaient. Aujour-
d’hui, on en comprend mieux la valeur. On voit, non sans sur-
prise, sous le feu des événements, heure par heure, ce journaliste
porter sur la révolution des jugements fermes et sensés, qui sont
souvent les nétres aujourd'hui, mais auxquels nous ne sommes ar-
rivés qu’en passant par des alternatives d’imprécations aveugles ou
d’exaltations béates, et, qu’aprés plus d’un demi-siécle d’expérience
révolutionnaire, bien chérement achetée. L’intérét de cette lec-
242 LA QUESTION DE MONARCHIE
ture est d’autant plus vif et plus poignant, que les conseils adressés
par Mallet aux parlis de cette époque, l'analyse sagace et doulou-
reuse faite par luidu mal social d’alors, semblent s appliquer a notre
temps. Nous nous reconnaissons, hélas | et, l’on dirait que ces écrits
vieux de qualre-vingts ans sont un livre de politique contempo-
raine. | e -
Génevois de naissance, Mallet du Pan ctait venu en 1785 a Paris;
il y rédigeait la partie politique du Mercure. En 1789, et dans les an-
nées qui suivent, demeuré journaliste, il combat a cOté de ses amis
du parti constitutionnel, Mounier, Malouet. Cet étranger, plus dé-
voué que bien des Francais, ne quitte son poste périlleux qu’a la
derniére extrémilé, la veilledu 10 aout, et parce que la confiance de
Louis XVI, l’a chargé d'une mission secréle auprés des cabinets
européens. Retiré d'abord en Suisse, pourchassé plus tard par Je gou-
vernement francais et ne trouvant d’asile qu’en Angleterre, il tra-
vaille et luite toujours, observant les événements, entretenant une
vaste correspondance, publiant des brochurts, des journaux, écri-
vant des notes pour les princes francais ou les souverains étrangers,
cruellement éprouvé par les échecs de sa cause, plus encore par les
contradictions et les fautes de ceux dont il défend les intéréts, mais
jamais vaincu par la mauvaise fortune; en 1800, il meurt d’épuise-
ment, ne cessant d’écrire que quand la plume lui tombe des mains.
« Monsieur, qui vous a lu, vous estime, » lui écrivait, sans jamais
avoir vu, M. de Maistre. En effet, la droiture de Mallet éclate dans
tous ses écrils, comme dans sa vie entiére. On aime a le voir relever
le role que lui ont donné les événements par ce haut respect de soi-
méme, cette dignité modeste, mais ferme, celte indépendance si
noblement susceptible. Il disait son avis tout haut, sans demander
la permission & personne. C’est avec une sorte de fierté, parfois
méme de brusquerie bourgeoise et démocratique, qu'il servait la
cause de l’aristocralie et des princes. « Autant que j’ai pu vous
connailre en vous lisant, lui écrivait encore M. de Maistre, vous
aimez & faire justice. » Se taire sur ce qu’il voyail, sur ce qu'il
croyail vrai et utile, lui était insupportable; c’est ce qu’il appelait
Je tourment du silence. Son indépendance était garantie par son
désin|éressement. Jamais il n’avait regu de ces pensions dont étaient
souvent graliti¢s alors les hommes de lettres. « Louis XVI, a-t-ii pu
dire, m’honora de sa confiance, sans m’honorer jamais de ses bien-
faits. » En France, il passait presque tout son temps dans sa famille,
fréquentant peu les salons. Dans l’émigration, il vécut pauvre. Quand
il mourut & Londres, ses amis durent se coliser pour faire face aux
frais de ses funérailles, et il fallut que le gouvernement anglais vint
en aide & sa famille qu’il avait laissée sans ressources.
OU DE REPUBLIQUE, 243
Mallet n’est pas un philosophe, comme il y en avait tant alors,
pliant les faits 4 des théories préconcues ; ce n’est pas a la facon de
M. de Maistre, un de ces voyants et de ces prophétes pénétrant dans
les desseins providentiels plus avant que dans les faits de ce monde ;
ce n’est pas un de ces maudisseurs emportés de ]’école de Burke ;
. e’est un observateur positif, sincére, clairvoyant et prévoyant : il re-
cueille les fails et les juge au jour le jour. Formé a la vie publique
au milieu des agitations de Ja démocratie génevoise, il joint au bon
sens lucide et vaillant, qui est dans sa nature, une expérience des
révolutions qui manque complétement 4 la génération francaise de
cette époque. Il demeure toujours maitre de lui-méme en un temps
ou presque tous les tempéraments ont comme des crises nerveuscs,
ou tant d’‘hommes, méme éminents et braves, perdent la téte et sen-
tent leur coeur défaillir. Au milieu des illusions de 1789, il ne se
laisse pas étourdir, il voit le péril et dénonce le stérile orgueil de ces
éléves de Rousseau qui répudient l'histoire, méprisent les faits, et pré-
tendent renouveler le monde, quand ils ne savent méme pas réformer
le gouvernement de leur pays. Dans |’épouvante et ’horreur de 1792
et de 1793, il ne déraisonne pas comme tant d’autres, et observe
avec sang-froid. Aprés thermidor, i] suit, d’un regard non trouble,
les phases et les chances de la maladie, voit ce qui est, non
ce qu'il désire, et dit ce qu’il voit sans s’inquiéler si cela plait ou
non. Du premier au dernier jour, sans faiblesse comme sans empor-
tement, il mérite vraiment qu’on lui applique cette devise qu'il a
inscrite sur un de ses ouvrages : nec temere, nec timide.
Tel est homme : qui pourrait dés lors contester l’autorité de son
témoignage, surtout quand il s’agit, comme on est amené mainte-
nant a le faire, de juger les royalistes ! Si quelqu’un en était tenlé,
1 suffirait de lui rappeler ce que Mallet répondait lui-méme,
avec une fierté émue et spirituelle, un jour ot quelques émigrés
avaient voulu le récuser et le désavouer. « Au prix de quatre ans
écoulés sans que je fusse assuré en me couchant de me réveiller li-
bre ou vivant le lendemain, au prix de trois décrets de prise de
corps, de cent et quinze dénonciations, de deux scellés, de quatre
assauts civiques dans ma maison, et de la confiscation de toutes mes
propriétés en France, j'ai acquis les droits d’un royaliste, et comme
ace titre, il ne me reste plus 4 gagner que la guillotine, je pense
que personne ne sera tenté de me le disputer. »
O16 LA QUESTION DE MONARCHIE
VI
Le royalisme qu’on a vu pendant l’été de 1795, faire tout 4 coup
des progrés si rapides dans l’opinion parisienne et qui semble pres-
que toucher au succés, n’a aucune ressemblance, aucun lien avec
celui de l’émigration ou de la Vendée. Par un sentiment de patrio-
tisme qu’exalfent encore plusieurs années de guerre glorieuse, il
repousse foute complicilé avec |’étranger. Par désir du repos, il re-
doute la guerre civile. Mais, avant tout, il ne veut pas de l’ancien
régime. En se détachant de la rspublique, il reste attaché a la
révolution. L’ancien régime a laissé un souvenir tel que Ja Terreur
elle-méme n’a pu I'effacer. J] a en outre contre lui la coalition in-
vincible des intéréts nouveaux créés par la révolution : intéréts des
vassaux émancipés, des débiteurs libérés, des acquéreurs de biens na-
tionaux, des soldats devenus officiers. Qu’on yjoigne la susceptibilité
inquicte de tous ceux qui se sentent, fit-ce seulement par leur adhé-
sion silencieuse et inerte, une part de responsabilité dans les événe-
ments accomplis depuis cing ans, et l’on comprendra que la France
pourra abandonner la république, renoncer 4 Ja liberté, mais
qu'elle ne retournera jamais 4 l’ancien régime, qu'elle repoussera
absolument tous ceux qui voudront ou seulement parailront vouloir
Py ramener.
Mallet du Pan l'a compris dés le premicr jour. «11 est aussi
impossible, disait-il de refaire Vancien régime, que de batir
Saint-Pierre de Rome avec la poussiére des chemins. » Au lende-
main du 9 thermidor, quand il n’y avait encore aucun mou-
vement monarchique, il constatait que le royalisme pur, était
sans force aucune 4 !’intérieur et que si un jour il y avait lieu d’agir
contre la république, ce serail seulement par le royalisme con-
stitutionnel, « placé comme intermédiaire entre les aristocrates
et les républicains, servant de dépét 4 toutes les conversions » et
complant encore, malgré tant de perséculions, de trés-nombreux
partisans. « Les racines cachées sous une grande surface, disait
Mallet, repousseront de toules parts au moment ou la tyrannie ré-
publicaine s’affaiblira.» C’est en effet ce qui se produisait quelques
mois plus tard, et le perspicace observateur définissait exactement
alors le véritable caractére du royalisme parisien :
La majorité de la garde nationale est 89 (Lettre du 9 juillet.) — Les
quatre-vingt-neuvistes dominent de plus en plus dans les sections. (Lettre
OU DE REPUBLIQUE. 245
du 16 aout.) — Les papiers publics vous peignent l’esprit qui anime les
sections. Ce sont les patriotes de 1789, les amis des constitutionnels ral-
liés aux royalistes qui ont le bon sens de se serrer 4 eux et les républi-
cains dégoités qui ont produit et dirigé cette impulsion... Rappelez-vous
ce que je vous ai dit 4 Schaffouse de l'infaillible influence qu’allaient
recouvrer les constitutionnels. (Lettre de septembre 1795.)
Tous les temoignages contemporains confirment celui de Mallet.
Lacretelle et ses amis n’admettaient pas que la royaulé put se réta-
blir autrement que par une « impulsion del’inlérieur. » — « Le nou-
veau sentiment était spontané, dil-il plus tard, en rappelant les
événements de cette époque, aucune intrigue de |’étranger ne I’a-
vait fait naitre. Rien ne se liait méme aux projets des royalistes de
l'Anjou, du Poitou et de laBretagne. Le royalisme n‘était pas 4 Paris
comme en province une condamnalion absolue de tous les principes
de la révolution. » Mathieu Dumas, l’ancien membre de la droite a
la Législative, activement mélé au mouvement des sections, affirme
dans ses Souvenirs que «1'esprit général de la population parisienne
était le retour 4 la constitution de 1791.» Avec un tempérament
foutefois : l’expérience avait profité et on voulait corriger les défauts
reconnus de cette constitution. C’est encore ce que constatait Mallet
du Pan :
Les constitutionnels convaincus de la nécessité de réformer la constitu-
tion qui les a perdus institueraient aujourd hui une monarchie limitée mais
non écrasée, comme en 1794, par le pouvoir du peupleou de ses délégués.
(Note écrite en janvier 1795. ) — La plupart penchent pour la constitution
de 1794 avec une augmentation de pouvoirs pour le roi. (Lettre du 19
avril.) — Les constitutionnels qui abandonnent l’acte de 1791 considérent
sous cent rapports différents la maniére de le refondre ; mais les points
fondamentaux de l’opinion générale sont l’affaiblissement des prérogatives
populaires, le renoncement au fatras des droits de I"homme, la puissance
royale considérablement augmentée, et la représentation publique réservée
aux seuls propriétaires. (Note pour Louis XVIII, 5 juillet.)
Lacretelle rappelle de son célé la sagesse de ce royalisme qui n’é-
tait un retour ni a l’ancien régime, ni aux erreurs de 17914 :
Comme il y avait moins de présomption dans les systémes, il y régnait
plus de bon sens. On commencait a s‘entendre sur le mot de liberté...
D’un autre cété, la nécessité d'une autorité forte, émanée du principe de
la légitimité, était profondément sentie. Les opinions de MM. Malouet,
Mounier, Lally, Clermont Tonnerre, opinions auxquelles Mirabeau et Bar-
nave élaient revenus vers la fin de leur carriére, et que léloquence de
Cazalés avait souvent développées, survivaient seules 4 tant de vagues hypo-
théses, 4 tant d’essais aveutureux. Les écrivains royalistes qui dominaient
a celte époque les avaient embrassées avec zéle.
246 : LA QUESTION DE MONARCHIE
Rien de plus heureux que de telles dispositions; mais pour que ce
mouvement put sc développer et aboulir, il y avait une condition
premiére, c'est qu’il ne fat pas découragé, compromis, contrarié
par la royauté elle-méme.
Tant que Louis XVII fut le réprésentant du droit royal, le ré-
tablissement'de la monarchie apparaissait comme un acte de
politique intérieure. Le fils de Louis XVI pouvait, du Temple
passer aux Tuileries, sans intervention des étrangers, sans ra-
mener avec lui aucun entourage d’ancien régime. On reprenait
Phistoire en 4792, non en 4788. Le nouveau roi n‘était-il pas
d’ailleurs mineur encore pour plusieurs années? De 1a la _ per-
spective d’une régence qui serait confiée aux royalistes constitu-
tionnels, auteurs de la restauration. Mallet du Pan nous apprend
que tout un plan de ce genre avait été préparé, que des répu-
blicains y avaient été gagnés, ef qu’on devait rédiger dans cette vue,
la nouvelle constitution. Mais, pendant ce temps, le royal enfant,
dont la vie n’était plus, depuis deux ans, qu’un supplice atroce et
une longue agonie, s’éteignait peu 4 peu. Sa mort, survenue le
8 juin 1795, n’était pas seulement l'un des épisodes les plus na-
vrants de histoire révolutionnaire, c’était un événement politique
considérable, qui bouleversait bien des projets, et portait une af-
teinte grave, irréparable aux espérances royalistes. Mallet du Pan,
avec sa perspicacité habituelle, le comprenait tout de suite, et il
écrivail, dés le 17 juin, au maréchal de Castries : « Paris et les mo-
narchistes sont consternés ; tousles rapports et toutes les réflexions
me font craindre que cette perte inopinée ne consacre la République. »
Un mois plus tard, il montrait les royalistes modérés, se rapprochant
des républicains, et il indiquait comme cause de ce rapprochement,
« la mort du jeune foi, qui livrait les constitutionnels 4 la merci
des émigrés. »
Du coup, en effet, la royauté sortait de France. Un prince émigré,
Monsieur, devenu Louis XVIII, succédait aux droils de sun neveu,
l’émigration n’était plus seulement une fraction du parti monar-
chique, fraction compromettante, dont Louis XVI et Marie-Antoinette
s’étaient souvent plaints avec amertume; elle devenail le siége
méme du pouvoir royal.
I] convient de ne pas se rendre complice des injustices dont les
émigrés ont été souvent victimes. Est-ce ici que l’on voudrait ou-
blier ce qui doit étre dit pour excuser leur départ de France, mé-
connaitre ce qu'il y a eu de chevaleresque dans leurs erreurs,
d’esprit de sacrifice dans leur obstination et leur aveuglement, ce
que |’on retrouve souvent de patriotisme dans ces cceurs demcurés
francais sous l'uniforme étranger? Qui ne compaticait aux soul-
OU DE REPUBLIQUE. 247
frances de ces exilés, quand on les voit, reculant, chaque jour
plus loin, devant les progrés des armées républicaines, chassés de
ville en ville par des bourguemestres intimidés, errant, dénués
de ressources, le long de ces routes d’Allemagne, ow ils peuvent
lire, gravé sur des écriteaux: « Défense aux émigrés francais
et aux juifs de s'arréler en ce lieu plus de vingt-quatre heures. »
Laissons aux esprits, 4 la fois mesquins et passionnés, le triste et fa-
cile plaisir de railler cette petite cour nomade de Vérone, de Blan-
kenbourg et de Miltau, of le prétendant, & la merci des caprices
@un prince allemand ou russe, fait observer cependant la vicille
étiquette, parle le vieux langage, et voit, par la douloureuse, mais
inévitable loi des faiblesses humaines, se perpétuer autour de lui les
vieilles rivalités, les vieilles intrigues, le vieux favoritisme; pour
les eeurs plus hauts et plus justes, ce n’est pas un spectacle vul-
gaire et sans grandeur que cette conscience de la race et du rang,
par laquelle le roi se sent aussi roi dans les miséres de J’exil que
dans les splendeurs de Versailles, cette dignité, toujours impertur-
bable, et paraissant a l'aise 14 ot d’autres seraient humiliés, cette
confiance inaltérable dans Je droit, qui refuserait d’acheter un adou-
cissement ou méme le succés au prix d’une transaction. Peut-on
oublier d’ailleurs combien 11 est difticile aux exilés de connaitre et
de comprendre leur pays? « Cette peine de l’exil, dit M. de Tocque-
ville, a cela de cruel, qu’elle fait beaucoup souffrir et n’apprend
rien. Elle immobilise l’esprit de ceux qui |’endurent, le détient
a jamais dans les idées qu'il avait concues, ou dans celles qui
avaient cours au moment ot il a commencé... C’est comme l’aiguille
quireste fixée sur l'heure & laquelle on l’a arrétée, quel que soit dés-
ormais le cours du temps. On dit que c’est leffet d’un travers par-
liculier 4 esprit de certains exilés. Je crois que c'est le mal com-
mun de l’exil; peu y échappent. »
Cependant il ne s’agit pas de chercher dans quelle mesure la con-
duite de l’émigration peut étre excusée, par quels cOtés elle doit
inspirer le respect ou la compassion; il s’agit, avec la sincérité de
l'histoire, d’en préciser la-portée et les conséquences politiques. Or,
lest certain que la royauté, désormais associée 4 cette émigration,
est, surle but et les moyens, en contradiction avec l’opinion de I’in-
lerieur. Et n’est-ce pas cette opinion seule qui peut amener une
restauration ?
Aussitét aprés Ja mort de Venfant infortuné, aux droits duquel il
a succédé, Louis XVIII publie 4 Vérone une « Déclaration. » C’est un
document solennel et qui peut étre décisif. L’ancien comte de Pro-
vence est un esprit libre, sceptique, nullement passionné, imbu des
idées du dix-huitiéme siécle, suspect aux « purs » en 1789. Son
248 LA QUESTION DE MONARCHIE
intention est évidemment conciliante ; il croit, en rédigeant sa Décla-
ration, faire de grandes concessions, dissiper les malentendus ct ra-
mener les esprils. Cela méme fait ressortir davantage combien cette
France du dehors, dont le document royal exprime les idées les plus
modérées, est loin de la France du dedans, 4 laquelle on s'imagine
ainsi parlcr un langage agréable ou seulement intelligible. L’opinion,
— et il faut entendre par 1a, non-seulement les républicains, mais
aussi les monarchistes, — n'est pas, a tort ou a raison, en disposition
de gouler cette affirmation du droit supérieur de la royauté, qui
daigne pardonner a des sujets coupables et repentants, mais qui re-
pousse absolument toute idée de transaction avec la nation; elle ne
goute pas davantage cette résolution de tenir pour non avenue, tout ce
qui s’est fait depuis 1789, et de revenir a ce qu’on appelle la vicille
constitulion francaise, sauf, aprés que le roi aura élé d‘ubord réta
bli dans la plénitude de ses droits, a voir s'il ya leu de réformer
quelques abus. Et, malgré le soin habile avec lequel tous les termes
de la Déclaration ont été mesurés, que d'expressions froissantes, ne
serail-ce que la phrase sur « les succés si funestes » des armées
francaises ! En voyant a quel point le séjour 4 l’étranger a fait perdre
de vue, 4 un prince trés-fin, l'état réel de l’opinion, on se rappelle
la phrase, trop vraie, hélas! de M. de Tocqueville, sur ce mal de
l’exil qui « n’apprend rien et qui immobilise J’esprit. »
Mallet du Pan comprend la faute et en gémit :
La Déclaration n'a servi qu'a diviser, qu'd irriter, qu'a indigner, qu’a
refroidir. Les Doulcet, les Bourdon, les Legendre, les Tallien disaient au
peuple : « Voila ce que le roi vous apporte! et le roi répond : Cela est vrai
et je le signe. Combien sont criminels ceux qui ont dicté ce manifeste et
qui conduisent les affaires a Vérone! Vous savez que le maréchal de Cas-
tries est de retour a Eisenach, il ne m’a pas écrit une ligne; ce silence et
celui de Vérone sont une réprobation formelle : Je m'en console; mais
comment se consoler du délire des mesures? — On parle de clémence,
de pardon! Henri 1V vainqueur dans Paris et pardonnant 4 des sujets
désarmés, faisait grace en effet, puisqu’il était le maitre de punir;
Mais en conscience en sommes-nous 14?... Jamais celte majorité im-
mense de monarchistes de toutes couleurs et de révolutionnaires en rési-
piscence me se rendra a discretion; si l'on s’écarte de cette vérité de
fait on se prépare un abime de calamités. Tous voudront des garanties,
des conditions, et ils les chercheront dans la forme du gouvernement. Au
reste le sujet est épuisé, je n'y reviendrai plus ; je vois un systéme opi-
nidtre de perséverer dans ligne ot l'on s'est mis depuis 1789. — La plura-
lité des Francais ayant participé a la révolution ne se rendra jamais 4 dis-
crétion a l’ancienne autorité.— Les royalistes de l'intérieur sont au désespoir
de cette conduite du roi et des émigrés. J'ai recu de la part de personnes
du plus grand nom et les plus dignes de considération des reproches
OU DE REPUBLIQUE. 240
amers Ace sujet, elles se plaignent que les émigrés jouent aux dés la téte
de leurs parents et de leurs amis ; qu’ils ne se forment aucune idée de ce
guest devenue la France, et que leurs discours et leurs projets sont un
ordre de martyre pour tout ce qui leur appartient dans l’intérieur... Ona
fait au dehors tout ce qui était nécessaire pour éteindre les semences de la
royauté. (Lettres des 16 ee 16 septembre, 28 octobre 1795; Note a
Lowis XVIII.)
Les observations ne sont pas du reste bien recucs 4 Vérone. Le ma-
réchal de Castries répond briévement a Mallet « qu’il voit comme lui,
mais que des avis contraires combattent sa facon de voir et de ju-
ger. » Mounier est moins bien traité encore. Le prince de Poix est
disgracié : « Vous voyez, écrit & ce propos Mallet, qu’on s’est haté
d'appliquer les principes de la Déclaration... Il n’est pas un révo-
lutionnaire, dit-il dans une autre lettre, qui ne doive rester tel en
apprenant de quelle indigne maniére sont traités ceux qui ont dé-
fendu avec le plus de constance et de courage les intéréts de la mai-
son de Bourbon. » Et il ajoute : « Je ne puis plus étre bon a rien
dans le syst@me que !’on poursuit ef qui peut-étre aménera bientot
des regrets superflus. » Lally-Tollendal écrit de son cdté qu’ll ya
«trop de duperie, méme trop de niaiserie 4 parler des bonnes in-
tentions d’un régne qui débute ainsi. »
Ce qui est plus facheux encore que le langage du roi, ce sont les
commentaires qui y sont donnés par le prince de Condé, le comte
d'Artois, et surtout par les écrivains ou les beaux parleurs de |’ émi-
gration. Mallet du Pan ne se lasse pas de montrer le mal que font
cles propos de nombre de gens de l’armée de Condé qui, 4 table
@héte, 4 Bale, viennent journellement promettre la roue 4 quicon-
quen’a pas pensé comme eux, » et les « cent brochures journaliéres »
ou «cette profession de foi est manifestée. » Jl écrit dans une note
destinée 4 Louis XVII:
L’opinion générale se représente les princes et les émigrés comme des
einemis implacables et irréconciliables, de qui il n'y a pas plus a attendre
de liberté, de traité, de sireté, de merci que de Robespierre. Les écrits —
journellement publiés au dehors ont rendu ce préjugé aussi fort qu'il peut
dre... Il faudrait le désaveu le plus éclatant de tous ces brochuriers
incendiaires, de tous ces frénétiques massacrants qui parlent a l’armée de
Condé, dans les cabarets, dans les cercles, comme Gengis-Khan ne parlait
pas 4 la téte de deux cent mille Tartares.
Parmi ces publicistes de l’émigration plusieurs déclarent d’ailleurs
bien haut qu’ils en veulent surtout et réservent, pour le jour du
triomphe royal, leurs plus terribles chatiments , non pas aux Jaco-
bins, mais & ces monarchistes constitutionnels, dont Je concours
- B Avan 1875, 47
250 LA QUESTION DE MQNARGHIE
était cependant indispensable a toute entreprise sérieuse. C’est le ca-
ractére constané des opinions extrdmes de hair plus les modérés qui
les touchent, que les adversaires. placés a l’extréme opposé. Ceux-ci
le savent du reste et dirigent d’ordmaire contre ces infortunés modé-
rés, ainsi pris entre deux feux, leurs assauts les plus rudes. « Vain-
queurs, dit un émigré, nous balayerons Tes immondices consti-
tutionnelles. » On met couramment « Lafayette 4 coté de Jourdan
Coupe-Téte, Cazalés au niveau de Talleyrand, Malouet. au-dessous
de Robespierre, Mallet du Pan plus bas que Gorsas, Carra qu Bris-
sot. » Un écrivain grave, qui sera plus tard ministre de Louis, XVIII,
M. Ferrand, écrit que « M. Malouet mérite d'dtre pendu, bien
quil soit honnéte homme, attendu qu'il est essenliel de faire dans
celte classe un exemple de fa punition due aux opimions dangereu-
ses. » Mallet parle. d'une brochure intitulce : Revélations impor-
tantes, oi l’on « se vante d’avoir pravoqué tous les excés des Jaco-
bins pour déjouer les constitutionnels et les manarchiens, pour
pousser la révolutton aux extrémes et armer les puissances. »
D’ailleurs, le prince de Condé ne répond-il pas 4 ceux qui le pres-
sent de seconder plus. activement Pichegru : « Encore six mois de
guillotine et de misére; le peuple en a. besoin; cela aplanira bien
des difficultés‘? » C'est toujours cette criminelle et falle chimére
du bien devant sortir de lexeés.du mal, qui a fait commettre tant
de fautes au début de la révolution, maladie tenace que les événe-
ments n’ont pu guérir, et dont les désolants symptomes ont reparu
depuis, 4 chaque crise, dans quelques esprits faibles et troublés.
L’un des plus extravagants parmi ces brochuriers royalistes est
M.d’Entraigues, qui doit jouer plus tard un réle,au moins fort louche,
dans la saisie des papiers de l’aflaire Pichegru. Il jouit malheureuse-
ment alors d’un grand crédit a la petite cour de Vérone. Il écrit et fait
répandre a Paris des factums ow il place sur le méme rang les Consti-
tuants et les Mortlagnards, déclare les auteurs du serment du Jeu de
Paume « régicides au premier chef, plus coupables que les Jacobins
et indignes de pardon. » Mallet rapporte de lui ce propos : « Mont-
. losier me trouve implacable, if a raison; je serai le Marat de la
contre-révolution, je ferai tomber cent mille tétes et la sienne Ia
premiére. »
Toutes les violences des écrivains royalistes étaient aussilét repra-
duites par les journaux révolutionnaires et cilées & Ia tribune de la
, Convention. Mallet en est désespéré :
« Je vous laisse 4 penser I'impression que ces horreurs ont faite a
Paris, chacun y alu sa destinde, chacun, s’est dit: Entre des ennemis si
& Montgaillard, Mémoire. concernant la truhiton de. Pichegue:
OU DE REPUBLIQUE. 954
implacables et les républicains qui nous tendent kes bras, il n’y a pas a
hésiter. Un royaliste exalté dans ses prin¢ipes purs, mais sage dans sa
conduite et observateur sensé, me mande du 5 de ce mois : « Ona aliéné
«tous les royalistes constitutionnels et tous ceux ‘qui le moins du monde
« ont participé a Ja révolution de 1789... »—Ge qui fait pleurer, c'est que
lécrivain (M. d’Entraigues) parle, agisse au nom du roi et paraisse avoir
era une grande part 4 sa confiance. (Lettres du 9 et du 16 juil-
1793.)
Qu’importe d’ailleurs aux émigrés? Is n’espérent, ne désirent
rien de l’intérieur. Ils comptent sur les armes de |’étranger. C'est
parmi leurs fautes l'une de celles qui froissent le plus encore aujour-
dhui le sentiment national. Toutefois , st Pon veut faire cuvre
@historien, non d’homme de parti, il faut se reporter aux idées du
temps. Autrefois, non-seulement pendant Pépoque féodale, mais
aussi sous l’ancien régime, le patriotisme semblait, surtout pour les
classes nobles, étre attaché 4 la famille royale plus encore peut-étre
qu’au sol. En outre, les liens de parenté entre les maisons souve-
raines ct entre les aristocraties des divers pays rendaient beaucoup
plus fréquent et plus naturel qu’aujourd’hui le service politique
et militaire 4 l’étranger. De 1a a faire intervenir cet étranger dans
une guerre civile, il n’y avait qu’un pas, et il ne faut pas remon-
ter plus haut que Condé et Turenne pour voir ce que les mceurs du
lemps toléraient. Ainsi on explique comment ces gentilhommes si
francais par le coeur combattaient sans scrupules 4 cété des Autri-
chiens ou des Russes contre la Convention qui avait tué leur roi,
comment Louis XVIII, qui devail, en 1844, montrer une susceptibilité
patriotique si viveet si digne, pouvait écrire,en 1795, qu'il « demandait
sontrdne» aux ministres anglais, et ajouter : « Je travaille 4 prolonger
la guerre extérieure, que je regarde comme un mal nécessaire. »
Graces 4 Dieu, un grand progrés s’est accompli depuis lors, et on ne
peut accuser les royalistes d’étre demeurés en arriére. Pendant:
que « l’internationalisme » démagogique cherche 4 détruire dans
le peuple toute notion de patrie, et que « l’internationalisme »
de l'industrie et de la finance I’affaiblit trop souvent dans une par-
tie de la bourgeoisie, on a vu il y a trois ans, dans les rangs d’une
armée républicaine, comment les fils d’émigrés entendent le pa-
triotisme.
La grande faute des royalistes de l’émigration sur ce point, comme
sur tous les autres, est d’étre demeurés obstinément et aveuglé-
ment stationnaires pendant que Yopinion du dedans a marché. Ils
en sont toujours au patriotisme d’ancien régime, et ils ne voient pas
que depuis 1789 un sentiment national nouveau, aussi susceptible
que profond, s’est emparé de toutes les Ames. [ls ne se doutent pas
959 LA QUESTION DE MONARCHIE
de la répulsion qu’ils provoquent, de l’abime ainsi creusé entre leur
royaulé et cette France nouvelle, que l’éloignement ou l’aveuglement
semblent leur cacher. Mallet du Pan s’en rend compte :
La ressource de la guerre étrangére est usée maintenant dans le fait et
dans l’opinion. Rien n’égale le mépris qu’on porte en France aux armes et
& la politique des alliés, si ce n'est la haine non moins générale qu’ils ont
inspirée. Ces sentiments sont aussi prononcés chez les monarchistes que
chez les républicains. Tout le royaume, sans distinction de parti, se ral-
liera éternellement contre les étrangers considérés comme ennemis de la
France et non comme ennemis de la révolution. (Note a Louis XVIII,
guillet 1795.) — Que l'Europe reconnaisse ou non le roi, cela ne vaut pas
six liards; c'est de la France et non d’étrangers battus, conspués, hais,
que le roi doit se faire adopter. (Lettre du 16 aout.)
Bientét, cependant, les victoires des armées républicaines ne per-
mettent plus guére de compter sur le succés de la coalition. Alors on
reporte toutes les espérances sur des intrigues, sur des conspira-
tions ridicules tramées par des agents subalternes. A cette époque,
ces agents se multiplient 4 l’infini, la plupart payés grassement sur
les fonds anglais : les uns honnétes, mais sans jugement; les autres,
peut-étre aussi liés avec la police frangaise qu’avec les princes qu’ ils
disent servir. Louis XVIII leur adresse de volumineuses instructions,
bientét aux mains du gouvernement révolutionnaire, qui s’em-
presse de les publier. Le comte d’Artois, qui se croit homme d’ac-
tion, mais qui s’agite plus qu’il n’agit, en a un grand nombre a ses
ordres. Le prince de Condé, 4 lui seul, en commissionne plus de
cing cents. Du reste, tous ces agents nobtiennent 4 grands frais
d’autres résultats que d'entretenir les illusions des émigrés ou de
compromettre les princes et les monarchistes. On retrouve aussi
leur main dans cette triste et stérile intrigue du général Pichegru,
ou un commandant d’armée frangaise livre aux Autrichiens ses
plans de campagne, combine avec l’ennemi la défaite de ses troupes
et écrit ensuite : « I} me faut de l’argent pour mes soldats, car la
royauté est pour eux au fond d’une bouteille de vin. »
Les royalistes constitutionnels sentent bien le tort que leur font ces
agents, et Mallet du Pan, dans une note 4 Louis XVIII, indique parmi
les mesures urgentes :
Faire disparattre cette nuée d'émissaires , de ministres ambulants, de
cerveaux timbrés, de légats qui affluent partout, les uns avec des brevets
de Sa Majesté, les autres avec les patentes de M. le prince de Condé, les
troisiémes avec des commissions britanniques, se croisant en tous sens,
racontant leurs missions aux tables d'hdte et jetant sur la cause royale
une défaveur, une confusion, un mépris qui écartent absolument toutes
les personnes raisonnables.
OU DE REPUBLIQUE. 253
Un autre moyen encore plus funeste, auquel les royalistes de
I’émigration recourent alors pour rétablir la royauté sont ces expé-
ditions désastreuses comme celle de Quiberon, impuissantes comme
celle de l’ile d’Yeu. On fait ainsi périr de braves gens, sans autre
profit que de compromettre irremédiablensent du méme coup tout
ce qui se fait 4 l'intérieur pour Ja royauté, Lacretelle rapporte la
« consternation » stupéfaile et indignée des royaise®S de Paris en
apprenant la folie de Quiberon. Mallet du Pan ne tarit p75 SUF ce
sujet :
Renon¢ons pour jamais 4 toutes ces expéditions chevaleresques qui n'ont
pas le sens commun et qui brident toutes les ressources intérieures. Nous
wila recules peut-étre de plusieurs années, au moment oi, avec de la pru-
dence, de l'art, dela conduite on fat arrivé au port. On a rouvert les cachots,
les échafauds et réduit les royalistes de l’intérieur & la plus déplorable si-
tuation. (Lettre du 2 aot 1795.) — Qui que ce soit ne pouvait ni n’osait par-
ler de royauté lorsque les émigrés, coalisés avec les Anglais, en parlaient
en Bretagne les armes 4 la main... Les monarchistes ne redoutent rien
lant que nos grandes mesures, nos grandes armées, nos grands projets
dont nous avons vu de si grands résultats. (Lettre du 16 aout.) — Mon
Yeu constant est de plus fort qu’on renonce, une fois pous toutes, 4 ces
expéditions d’aventuriers, et qu’on veuille se persuader que le meilleur
service 4 faire est de ne rien faire du tout. Mettez-vous bien dans l’esprit
que toutes les fois, et partout o vous vous présentez les armes a Ja main,
vous devenez les alliés de la république et que vous ne servez & autre chose
qua perpétuer le pouvoir de la Convention , qu’é paralyser les royalistes,
qu’a faire leur désespoir,-qu'a leur créer mille dangers et qu’a rallumer la
haine dont le systéme émigré est l'objet... Encore un coup, posez votre ton-
nerre imputssant : c'est une partie d échecs, et non une tambourinade que
vous aves ad jouer. (Lettre du 23 septembre.)
Ce qui frappe le plus dans la conduite des princes et de l’émigra-
ion, c’est absence compléte d’entente avec ces royalistes modérés
demeurés en France, qui, seuls cependant, pouvaient fournir 4 la
monarchie quelque chance de retour. Vainement Mallet du Pan se fa-
liguait& répéter : « Ce n’est pas 4 nous 4 diriger l’intérieur, c’est lui
quidoit nous diriger... I] faut écouter l’intérieur si l'on veut entrepren-
dre quelque chose de solide. » On agissait comme si ce mouvement
de l'intérieur n’existait pas. On parlait comme si I’on ne se souciait
aucunement de Je seconder ou méme seulement de le ménager. Les
agents n’avaient aucun lien avec les directeurs de ce mouvement.
Les expéditions étaient lancées sans les consulter, sans les préve-
hir, et précisément 4 ’heure ot les monarchistes parisiens voyaient
lopinion revenir 4 eux, pensaient toucher presque au succes et
avaient le plus besoin qu’aucune témérité du dehors ne vint effarou-
24 LM QUESTION DE MONARCHIE
roucher l’esprit public en voie de conversion. Il semblait que ce
fussent deux causes distinctes et presque ennemies ; seulement ce
qui aggravait le mal, c’est que par Ja mort de Louis XVI la royauté
était désormais de l'un des deux cdtés, et du mauvais.
Toute l’émigration approuvait-elle donc ces folies et en &tait-elle
r esponsable ? Sans doute, & coté des cerveaux britlés qui parlaient
et s'agitarent I plus, il y avait autour des princes quelques esprits
sages CO™ me le maréchal de Castries, M. de Saint-Priest, M. de
Sa" te-Aldegonde, qui, au fond pensaient & peu prés, sinon sur les
‘principes, du moins sur la ligne de conduite, comme Mallet, Mou-
nier, Malouet, Lally-Tollendal, Montlosier; mais ils étaient peu
nombreux. Ils estimaient que leur alfachement leur interdisail une
contradiction trop publique. Quand ils avaient fait secrétement leurs
ebservations, leur conscience était en repos, et mélancoliquement
' résignés, ils demeuraient d'autant plus fidéles & cette cause quads
la voyaient plus désespérée par l’effet mémede tant de fautes. Quant
4 la grande masse de ces gentilshommes dévoués et intrépides qui
ne se piquaient pas de faire de Ja politique, mais de se battre pour
leur roi et pour leur Dieu par conviction ou par honneur, n’étant
pas dirigés et éclairés, ils suivaient naturellement les plus bruyants.
Leur earactére les portait 4 se méfier des modérés. Cette facon pro-
vocante d’arborer son drapeau flaltait leur courage. Ces espérances
de revanche compléte leur souriaient comme un dédommagement
de leur misére présente. D’ailleurs absolument ignorants de l esprit
public, dont ils n’avaient méme pas su se rendre compte quand ils
vivaient en France, Yopinion se limitait pour eux aux bavardeges
de quelques salons ou aux propos de bivouac de l’armée de Condé.
Que pouvaient donc les efforts de Mallet? Avertissements, suppli-
cations, objurgations, menaces, rien n’était écouté. C’est un spec-
tacle émouvant et poignant que celui de ce droit esprit qui apercoit
le péril, le montre, et cependant ne peut empécher ses amis de s’y
précipiter. Il voit le pauvre vieux navire, déji si battu des vents,
mais qui tient encore la mer, courir aux écueils par la maladresse
et la folie de l’équipage ; il crie : Garde 4 vous! indique de quel cété
i] faut diriger le gouvernail; on le repousse comme un importun.
I) ne songe pas cependant & quitler ce navire sur lequel il s’est
embarqué passager volontaire. Il y reste, lors méme qu'il le sent
sombrer. On ne sait quoi plus admirer, de sa sagacité ou de son
dévouement, de son indépendance ou de sa fidélité. On entend ses
cris de désespoir contenus, et d’autant plus navrants. Mais, parfois
aussi, on est tenté avec lui de perdre patience. « Si le roi pense
autrement, s’écrie-t-il, il finira comme le roi de Sidon par étre jar-
dinier... La monarchie rétablie ne le sera pas pour vous; vous serez
00 BE REPUBLIQUE. ii]
repoussés par ceux qui l’acront refatte comme par ceux qui Pont
détroite, et Sa Majesté trainera avec vous enoore de longnues ‘années
dans l’exil... Je vous dirais des cheses exécrables 4 ce sujet, tout
mon sang en.est soulevé. » Pnfin, il laisse échapper, danssa douleur
irritée, cette prédiclion qui ne devayt que trop se réaliser :-« Stul-
torum magister est eventus. ‘Ces ‘messieurs peuvent ¢tre aujourd hui
fort tranquilles sar ta qualité de la monarchie qui s‘établira en
France, caer H n'y aura point de monarchie au teut. ‘Les derniers
Stuarts raisonnérent et se conéuisirent comme on ratsonne et comme
on se condum au dehors; ‘on finira comme ‘eux. »
Vi
Ainsi repeussée par Ja royauté ‘vers taquelle elle tait disposée &
s¢laisser glisser, l'opmion va-t-elle donc prendre son parti de de-
meurer en république? Aussi bien , ume orcasion se présente de ‘se
débarrasser sans violence de ce qui tui déptait et Tinquitte Ye plus
dans cette république, ‘des républicains. La constitution nouvelle
est fimie ; ceuvre imparfaite mats sérievse Pesprits modérés, elle
est, par certains cétés, plus conservatrice que toutes celles ‘qui ont
été délibérées depuis 1789; elle établit deax chambres, limite le suf-
frege universel, organise les élections 4 deux degrés. D’ailleurs quels
qu’en soient les défauts, c’est enfin un gotrvernement régulier et
legal, aprés trots années d’arbitraire révolationnaire, et trois années
quiomt paru trois siécles. La Convention n’a plus qu’é se séparer.
Bans quetques jours, en fera ces élections libératrices, auxquelles
aspire depuis si tongtemps ta nation oppriméc.
Lsuffit de consrdérer l'état de Vesprit public pour savoir ce que
Ton pourrait atlendre d’un scrutin libre et sincére. Tout te vieux
personnel révolutionmmaire, thermidorien ou montagnard, ‘serait st-
rement Gliminé. Les royslistes purs, partisans de la politique de
lémigration, n’ont pas plus de chance d’étre élus. L’opinion parait
disposée 4 nommer des répubficains modérés et non compromis, ou
des monarchistes constitutionnels qui, surtout aprés la Béclaration
royale et aprés Quiberon, ne refuseraient pas 4 tne répablique dé-
gagée da régime révolutionnaire, au moins le temps de faite ses
pPreuves. Ne sont-ce pas, en effet, des candidats de ces muances di-
verses qu’on verra thoisir dans la partie des élections qui sera ‘ats-
ste libre? Et, quand le nation sera contrainte de nommer des con-
Veationnels, ne fere-t-elle pas eux rares membres de la vieille
Assemblée qui peuvemt passer pour se rattacher 4 ces opinions mo-
236 LA QUESTION DE MONARCHIE
dérées un succés plus significatif encore? Lanjuinais sera désigné
par 75 départements, Boissy d’Anglas par 72, Pelet de la Lozére
par 74, Pontécoulant par 33, Thibaudeau par 32, Daunou par 25.
Qu’on laisse donc les électeurs librement choisir, qu’on remette
4 des modérés et 4 des hommes nouveaux le soin d’appliquer la
constitution, qu'on prenne parmi eux les membres d’un Directoire
qui sera en accord avec la majorité des Conseils et avec celle du
pays, et, la république aura la meilleure chance, sinon de se
fonder, du moins de vivre avec quelque durée et quelque honneur.
Mais la faction qui s’était emparée de la France au 10 aoit n’en-
tend pas la rendre 4 elle-méme. Assurer ainsi l'avenir de la répu-
blique importe peu 4 ces républicains. Ils ont trop de convoitise,
ils craignent trop les comples qu'il Jeur faudraitrendre, pour ne
pas vouloir rester quand méme au pouvoir. Ils sentent que les
élections leur seront contraires, ils cherchent alors 4 les supprimer.
Plus que jamais, les Thermidoriens font cause commune avec les
Montagnards. C’est ensemble, et avec la complicité d’une partie de
l’ancienne Plaine, qu’ils soutiennent et font voter ces fameux dé-
crets de fructidor, la manifestation la plus audacieuse, avant le coup
d’tat de 1797, du cynisme avec lequel ces hommes sont résolus,
en dépit de la volonté nationale, 4 se cramponner au pouvoir. IIs at-
tribuent de leur propre autorité aux membres de la Convention les
deux tiers des places dans les nouveaux Conseils. Ils font, il est vrai,
ratificr cette sorte d’usurpation posthume par le peuple; grace 4 la
province, qui n’a aucune initiative, et peut-étre aussi 4 la maniére
complaisante dont on fait le dépouillement des voix, on réunit, tant
bien que mal, une majorilé. C’est, avec le vote de Ja constitution
montagnarde en 1793, l’inauguralion du régime plébiscitaire, sur
la valeur duquel on n’a plus aujourd’hui d’illusion. Seulement, il
n’est pas inutile de le remarquer en passant, ces plébiscites, viola-
tions dissimulées de la volonté nationale— non moins que les coups
d’Etat militaires qui en sont la violation brutale — ont été introduits
par les républicains dans les procédés de notre démocratie contem-
poraine avant d’étre employés par les césariens.
Les décrets des « deux tiers » soulévent une clameur de dégout
et d'indignation dans tout ce qui pense et parle librement, non-seu-
lement chez les royalistes, mais aussi chez ceux qui s‘étaient le plus
nettement ralliés 4 la république. Madame de Staél rapporte que
« ces décrets produisirent une sensation terrible et rompirent tout
a fait le traité tacitement signé entre la Convention et les honnétes
gens‘. » Parmi les modérés, 4 Paris surtout, la colére et Je scandale
‘ Benjamin Constant attaqua ces décrets dans un journal; cela ne l’empécha
pas, il est vrai, quelques jours plus tard, de composer pour Louvet un discours en
OU DE REPUBLIQUE. 2517
sont grands. Rien n’est mieux fait pour redonner de !’élan au mou-
vement monarchique, si déconcerté quelques jours auparavant par
laconduite du roi et de l’émigration.
Mais une fois de plus — et ce n'est pas la derniére — les roya-
listes viennent au secours des républicains révolutionnaires. Au lieu
de compter sur le mouvement grandissant de l’opinion, la seule
force qui soit 4 leur disposition et qui, par les élections, désormais
annuelles, assure aux modérés un triomphe prochain, ils préten-
dent brusquer la crise, et, & la grande joie de la faction jacobine,
relévent le défi que leur a jeté la Convention. Ce n’est plus seule-
ment la faute de l’émigration, mais aussi celle des monarchistes de
Pintérieur, qui cédent 4 leur irritation, d’ailleurs trés-naturelle, et
se laissent entrainer par les plus ardents de leur bord, notamment
par quelques écrivains.
La part considérable de la presse dans la réaction éclatée aprés
thermidor a déja été signalée. Plus la Convention s’est discréditée en
s‘identifiant aux intéréts révolutionnaires, plus la direction de I’opi-
nion est tombée exclusivement aux mains des journalistes. Une telle
situation est toujours facheuse. Les journalistes parlant sans étre
obligés d'agir sont facilement poussés, ne serait-ce que par l'empor-
tement de la polémique et Je besoin de faire du bruit, aux exagéra-
tions et aux témérités. Quand ils sont livrés 4 eux seuls, sans entente
avec des hommes politiques mélés aux affaires, bientdt les plus vio-
lents d’entre eux donnent le ton et ménent les autres. C’est ce qui
est arrivé en septembre 1795. Lacretelle raconte que dans cette sorte
de conciliabule d’écrivains, dont il a été déja parlé, les prudents ont
fini par étre débordés. Sans doute, on n’ose pas encore arborer le
drapeau royaliste: on ne serait pas suivi. « Je n’ai rien vu, rien en-
tendu, dit Mathieu Dumas dans ses Souvenirs, qui ait dd me faire
penser que Ja nation pit étre 4 cette époque entrainée jusqu’a une
restauration. » Mais on entreprend une campagne de renversement
sans arréter ce que l'on fera aprés.
On est, d’ailleurs, loin d’étre d’accord sur-le lendemain, méme
entre royalistes. Lacretelle, qui apparfenait & ce que ’on pourrait
appeler la droite modérée, rapporte une conversation qu’il eut alors
avec Richer de Serisy, rédacteur de I’ Accusateur public, type curieux de
journaliste d’extréme droite, qui, au début de la révolution, avait
até & la fois collaborateur du journal satirique des royalistes, les
Actes des apdtres et ami de Camille Desmoulins, léger et absolu, cou-
sens opposé. Il assistait 4 Ja récitation de son ceuvre oratoire, et il avait le désap-
pointement — c'est lui-méme qui le raconte — d’entendre dire 4 tout le monde
que jamais Louvet n’avait si mal parlé.
O88 LA QUESTION DE NONARCHIE
rageux et ‘hableur, flattant les passions, mais compromettant les in-
téréts de son parti; il était de ta famille de ces écrivains qui se sen-
tent plus habiles 4 attaquer qu’a défendre, qui gottent fort Poppo~
sition sans ménagement d’uwe mmorité sans espoir et le sans-zéne
d'une politique irresponsabte ; leur conduite fait soncer 4 ces bohé-
miens qui s'installent au milteu dun édifice en ruine, y allument
leur feu, et se disent peut-¢tre qu'ils seratent bien moins 4 leur aise
si l’édifice, au lieu @étre délabré, était encore un palais. Voici cette
conversation, piquante par plus d’un cdté, telle que la rapporte La-
cretelle ‘.
« Eh bien Lacretelle, me dit Serisy, vous apprétez-vous 4 combattre?
— Sans doute. — Comptez-vous sur la victoire? — Paut-étre. — J'aime-
rais mieux un ton plus affirmatif... Occupons-nous, i en est temps du ré-
sultat de la victoire. Ne voyez-vous pas que c’est le rétablissement des
Bourbons ? — Si la nation le veut ; mais elle ne les appellera que condi-
tionnellement. — Je vous entends, vous étes un feuillant encrovité. — Ce
que je puis vous assurer, c’est que les sections de Paris ne marchent pas
sous l’étendard du drapeau blanc, et qa’eltes ne veulent pas avoir traversé
une révolution peur rentrer sous un régime qui tenvbait de vétasté, et que
nos armées veulent un autre fruit de leurs victoires. — Que voulez-voes
donc ? — La constitution actuelle qu’on fertifiera par degrés et qu’on ap-
prochera le plus possible des formes mottarchiques. — C’est-a-dire que
tout l'effort de notre génie est d'appliquer sur nos maux un emplatre con-
stitutionnel et mame républicain. Je le juge mieux, et Je ne vois peur les
guérir qu'un reméde héroique. — Sans disputer sur le mot, je ne veux
pas, du moins encore, d'un reméde que le malade repousserait avec em-
portement. — Ainsi, les constitutionnels s’engagent dans un terrible tom-
bat pour rester A peu prés au poste ot ils se trouvent — Mais en se met-
tant 4 l’abri des lois révolutiormaires et de ta dictatare conventiomnelte.
— Je reconnais dans ce programme, permettez-moi de voes le dire, un pea
de la niaiserie feuiliantine... Nous he sommes donc unis, que pour quatre
ou cing jours. — Du moins nous ne serons pas politiquement unis plus long-
temps suivant toute apparence. »
Cette division jusque dans le sein du petit groupe royaliste montre
le péril de la lutte ouverte dans Jaquelle on se jetait téte baissée.
Madame de Staél cherchait 4 en détourner les modérés. Vers cette
époque, elle réunissait les principaux d’entre eux dans un diner et
leur faisait, avec cette éloquence qui devait souvent lui faire re-
gretter de ne pouvoir monter & une tribune, une sorte de discours
dont un des auditeurs a conservé l’analyse.
« Averz-vous affaire, disait-elle, entre autres choses, 4 des hommes préts
4 vous céder la place! Ces disciples.de Danton, ces vieux cordeliers ne
1 Lacretelle, Diz années d'épreuve, p. 254.
OU DE REPUBLIQUE. a9
roient-ils pas qu’‘ils s’agit ici pour eox de vie ou de mort? Ils vous com-
battront avec an pouvoir absola qu’fs gardent encore, et avec des armes
qe tous ne connaisser pas, celles des révolutionnaires. Vous étes bien
nents 4 parler souverainetd du peuple; vous bégayer une langue qu’ils
commssent mieux que vous, et qu’ils ont fabriquée pour leur usage... C'est
wn débat qui ne pourra se terminer que par les armes... Ne voyez-vous pas
ces régunenis qui bordent vos murs?... Je ne vois que du sang, et le sang
de mes amis inutilement versé! Tout a l"heure, M. de Laharpe ne doutait
pas de Ja victoire, parce que l’opinion publique est de votre cdté; mais
gardez-vous bien de la compromettre avec la force matérielle. Les sectictns
de Paris ont, aprés la victoire du 4 prairial, rendu leurs canons a la Con-
vention nationale... Ges canons vont étre tournés contre vous; je demande
4M. de Laharpe de quel calibre sont les canons de l’opinion publique.
Eh, messieurs, gardez et ménagez cet ascendant de l’opinion publique;
cest elle qui renversera, mais par degrés, Jes Icisrévolutionnaires. »
Madame de Staél ajoutait que Daunou, Lanjuinais, Boissy d’Anglas,
allaient étre probablement nommés directeurs, mais que si l’on
risquait la lutte et si l’on était battu, les vainqueurs profiteraient
de l'occasion pour choisir des « hommes d’une énergie révolution-
naire prononcée qui péserait tout enti¢re sur les modérés. » D’ail-
leurs, elle redoutait autant la victoire que la défaite : elle avait peur
des royalistes extrémes, et cherchait a mettre en garde contre eux
les constitutionnels modérés'‘.
Mallet du Pan, lui aussi, voyait avec regret l’imprudence com-
mise. Ii se plaignait de cette « impétuosité nationale qui ne sail rien
altendre, » et qui se jette dans une insurrection « convoilée par leg
conventionnels. » Il attribuait méme cette faute aux émigrés, « aux
brilots qui ont été lancés de Suisse, de Londres, de Mulheim. »
lally-Tollendal ne gémissait pas moins de voir « s’égarer » un « mou-
verment si pur. »
Mass la parole n'est plus 4 la prudence ; les évyénements se précipi-
lent. Les sections reprennent, au service d’une cause plus honnéte,
quelques-uns des procédés, quelques-unes des théories du Paris ré-
Yolutionnaire *. On se lance sur une pente qui méne droit a la lutte
armée ; mais on s’y lance en aveugie, sans avoir rien préparé, rien
concerté. Tout s'improvise au jour le jour, au hasard des délibéra~
lions des sections, sans direction centrale. Parler de conspiration
royaliste ou autre, ce seraif faire grand honneur aux meneurs. Les
souvenirs, ou plutét les aveux contrits de tous ceux qui ont pris
‘ Lacretelle, Dix anndes d’éprenve, p. 254.
* Sur ce point, je me permets de renvoyer 4 ce que j'ai dit dans une étude sur
Paris capitale pendant la révolution francaise (Correspondant du 10 novembre
1872, p. 500 4 503),
260 LA QUESTION DE MONARCHIE
la part la plus active & ce mouvement, de Lacretelle, de Fiévée, de
Morellet, sont concordants. Depuis le jour ot Lacretelle avait causé
avec Serizy, rien n’avait été davantage précisé et convenu sur ce que
l’on ferait le jour et le lendemain. Quant aux conventionnels, ils dé-
sirent « une journée: » ils ont fait venir des troupes, ont armé ce
qui restait de Jacobins, et se réjouissent fort de l'occasion qui leur
est offerte de redonner, par une sorte de coup d’Etat légal, un peu
de vigueur a leur pouvoir usé.
- Enfin, le 13 vendémiaire, la lutte éclate. Les témoignages des
' contemporains, de Thibaudeau, de Lacretelle, de Réal, portent a
croire que ce sont les conventionnels qui ont tiré les premiers coups
de feu; ils avaient, en tout cas, empéché les accommodements tentés
par quelques modérés. On sait le résultat : le canon de la Con-
vention a facilement raison de ces bandes de gardes nationaux mal
commandés militairement, non dirigés politiquement. La défaite est
compléte , et les conventionnels peuvent, sans plus d’opposition,
s’‘emparer des deux tiers des places dans les nouveaux Conseils.
Mais, dés le lendemain, les nouvelles qui arrivent des opérations
électorales montrent aux vainqueurs a quel point |’opinion leur est
partout hostile. L’alarme est grande 4 la Convention. « Avant trois
mois, s’écrie Tallien avec une colére inquiéte qui n’était pas sans
quelque naiveté, la contre-révolution sera faite constitutionnelle-
ment. » Il demande des mesures de « salut public, » autrement dit
que I’on sauve la révolution et surtout les révolutionnaires inconstitu-
ttonnellement. Les heures de la Convention sont comptées. Le 5 bru-
maire, dans quelques jours, les nouveaux pouvoirs créés par la
constitution doivent entrer en fonctions. Les Thermidoriens et les
Montagnards, avec une sorte d’agitation fébrile, s’efforcent d’em-
ployer le peu de temps qui leur reste pour ressusciter ce qu’ils peu-
vent du régime terroriste, se fortifier contre les modérés dans le
poste qu’ils ont usurpé par les décrets de fructidor, et regagner, par
Ja force momentanée que leur donne la victoire de vendémiaire, un
peu du terrain que leurs adversaires leur ont enlevé par I'opinion.
Bien plus, Tallien et Barras concoivent ]’audacieux dessein de casser
les opérations électorales, de retarder la mise & exécution de la
constitution nouvelle, et de prolonger la dictature de la Convention.
Iis se croient sdrs d’entrainer l’Assemblée, intimidée et ahurie. C'est
effort supréme de la faction du 10 aot. Mais Thibaudeau 8’y op-
pose; sa fermelé rend quelque courage aux modérés de la Plaine,
qui repoussent cet attentat par trop éhonté contre la souverainelé
nationale. Ce n’est, du reste, que partie remise pour les républi-
cains ; ils sauront bien imposer au 48 fructidor ce qu’on leur re
fuse aujourd’hui. En altendant, ils se contentent d’arracher & la ma-
OU DE REPUBLIQUE. 261
jorité, pendant les quelques heures qui restent, l’odieuse loi de
brumaire; ils créent ainsi des catégories entiéres de proscrits,
incapables de toutes les fonctions, livrés 4 la discrétion du gou-
vernement; et ils déterminent ces catégories d’une facon assez
vague et assez large pour exclure de la vie politique une grande
partie de ces modérés, dont la popularilé croissante les alarme :
loi d'arbitraire, d’exclusion, de défiance contre l’esprit public, qui
couronne dignement I'ceuvre de la Convention !
Enfin le 4 brumaire, 4 deux heures et demie de l’aprés-midi, le
président déclare que la Convention nationale a terminé sa mission,
et qu’en conséquence la session est close. « Quelle heure est-il? »
demande un député. — Une voix répond : « L’heure de la justice. »
Arrivé au terme du premier acte, dans ce triste drame qui se ©
traine du 9 thermidor au 48 brumaire, il est naturel des'arréter un
moment pour se demander : Ou en est-on, aprés ces quatorze mois,
de la question posée & la France au sortir de la Terreur, république
ou monarchie?
La monarchie a eu son heure de grande espérance. I] semblait
que la nation s’y trouvait ramenée naturellement. Les républicains
avaient, en quelque sorte, forcé la réaction provoquée par la Ter-
teur a s’altaquer 4 la république elle-méme. Mais, 4 l’époque ot
lon est parvenu, aprés la Déclaration de Louis XVIII, aprés le
désastre de Quiberon, aprés la rude défaile du 13 vendémiaire,
la cause royale parait perdue 4 ses partisans les plus dévoués et
les plus perspicaces. « Nous voila retombés dans un abime sans
fond, écrit Mallet du Pan le 28 octobre 1795, en apprenant l’échec
des sections parisiennes. II] n’y a que ceux qui savent par combien
defforts, de patience, d’écrits, de leviers, de fautes de la part de la
Convention, on avait tiré Paris de sa léthargie, qui puissent juger
combien il sera difficile de ramener de telles conjonctures. » Puis,
il revient sur cette malheureuse Déclaration qui a peut-étre plus
fait encore que le‘canon de vendémiaire pour la ruine des espéran-
ces royalistes, et sans laquelle le roi « serait devenu le chef et le di-
recteur du mouvement sectionnaire. » Quelques jours plus tard, le
4 novembre, il reprend encore son triste refrain : « Nous voila re-
tombés dans un abime dont je ne puis mesurer ni le diamétre ni la
profondeur. » Enfin il écrit en janvier 1796 ? « Depuis le 15 vendé-
miaire, le découragement est général...; personne ne peut parler
du roisans se faire rire au nez. » Il est vrai que les émigrés ne par-
lagent pas sa tristesse. Un de leurs journaux, le Courrier, rédigé
par l'abbé de Calonne, « doutait, » dans la crise qui a précédé
le 13 vendémiaire, « pour quel parti il fallait fixe des veux, » ct il
aoutait que « Jes sections ce Paris étaicnt trcp républicaines pour
462 LA QUESTION DE MONARCHIE
qu’on ne restat pas indifférent & cette querelle. » — « Nos émigrés,
écrit Mallet, sont généralement trés-contents de cette catastrophe (le
43 vendémiaire), parce que nombre de constitutionnels étaient mé-
lés 4 ce mouvement, parce qu'on n’y prenait pas tout de suite la li-
vrée de l’ancien régime, et que le rayalisme de ses auteurs ne parais-
sait pas généralement avoir ses seize quarliers. » Aussi esl-ce sous
le coup de ces événements et de ces impressions que, quelques mois
plus tard, Mallet du Pan écrira cette prophétie d'une précision si re-
doutable : « Nous approchons de l’agonie... Les princes se sont per-
dus et se perdent. On ne recouvrera la monarchie que sur des mon-
ceaux de cvendres et de cadavres, et apres avoir vu un usurpaleur en
saisir et en conserver les rénes peut-étre fort longtemps. »
La république a-t-elle au moins gagné ce qu’a perdu la royauté?
Ceux qui ne se payent pas de mots et d’apparence ne peuvent avoir
cette illusion. La victoire est plus mortelle encore pour les vain-
queurs que pour les vaincus. La seule chance de vie et d'honneur
pour la république était d’étre délivrée des mains de cette faction
impure et criminelle dont le pays avait dégodt et horreur, et
d’étre remise aux mains de représentanfs nouveaux, non com-
promis , librement et complétement élus. Par une sorte de coup
d’Etat parlementaire, et par un coup de force dans les rues de
Paris, la faction a réussi définitivement 4 l’emporter sur la volonté
nationale; elle garde la république comme sa prisonniére, ou,
pis encore, elle la fait apparaitre comme sa complice. Le pays
désespére donc de trouver, sous cette forme de gouvernement,
le régime transformé, régulier, réparateur dont il a un si vil et
si profond besvin. Ce n’est plus & ses yeux que la révolution con-
tinuée, la révolution dont il est las et dont il ne veut plus. De li
entre l’opinion et cette bande d’usurpateurs, un germe de conilils
dont on peut ne pas prévoir dés lors tous les incidents, mais dont
issue sera nécessairement fatale & la république.
D’ailleurs, le 13 vendémiaire ne met-il pas en méme temps sous
nos yeux l’'instrument par lequel la république sera tuée? Tous les
publicistes l’ont reconnu, et, entre tous, M. de Tocqueville : l’un des
caractéres de cette journée est l’avénement du militarisme, le soldat
substitué au peuple pour les ceuvres violentes de la politique inté-
rieure! C’est la un phénoméne nouveau et grave dans Vhistoire,dela
révolution. En 1789, l'armée ne se montre un moment que pour s¢
débander devant l’insurrection. Puis, elle disparait de la [place
publique. Elle en est tenue jalousement éloignée ; elle est surveillé,
dominée, parfois méme terrifiée par les représentants en mission.
On ne l’apergoit plus qu’au loin, sur la frontiére. Elle s’y aguerti
et devient un corps pendant que la nation s’énerve et se dissout,
elle s’illustre pendant que les partis se déshonorent, elle grandit
OU DE REPUBLIQUE. 263
4 mesure que tout s abaisse. Et voici qu’au 13 vendémiaire, ce sont
les républicains révolutionnaires eux-mémes, qui n’ayant plus aucun
appui dans l’opinion, mais ne voulant pas lacher le pouvoir, vont
chercher cetle armée pour les défendre, la sollicitent de prendre
parti, la font voter avec fracas, invitent ses généraux a devenir des
hommes politiques, la flattent, l’exaltent, la prennent en quelque
sorte par la anain pour lut faire franchir cette frontiére idéale de la
liberté civile, ce Rubicon qui, comme dans ka république remaine,
retenail les légions loin du sénat, et enfin l’introduisent l’arme au
poing dans le Forum. Une fois dedans, elle n’en sortira plus. Pro-
tectrice du gouvernement aujourd’hui, elle en sera Ja maitresse
demain. En Je défendant, elle a dd apprendre 4 le mépriser. Elle
sest instruite d’ailleurs de sa force, et aussi de la faiblesse de ce
peuple fatigué par la révolution; elle s’est rendu compte de la faci-
lité de certaines victoires. Les conventionnels, dans leur imprévoyant
égoisme, se refusent 4 écouter les avertissements de Lacretelle, leur
rappelant au nom des Parisiens alarmés « combien le despotisme
militaire est 4 craindre dans les républiques et que Rome y trouva
letombeau de sa liberté, lorsqu’elle était encore défendue par la
vertu de Caton et l’éloquence de Cicéron. » Ils se rassurent er enten-
dant le soldat crier : « Vive la république! » et en le voyant partager
leur haine révolutionnaire contre le royaltsme. Qu’ils regardent
donc 2 la téte de 'armée dans cette campagne d'un nouveau genre,
disposant avec sang-froid ses canons pour mitrailler Ja garde natio-
nale, ce jeune officier de petite taille, au visage maigre et pale qui
semble consumé par un feu intérieur, aw parler bref, au regard
pénétrant et impérieux, au profil césarien. Son nom, encore peu
connu, se prononcait alors 4 l’itahtenne : Buona-parte }
La royauté rendue pour le moment mmpossible en grande partie
par les fautes de ceux qui se eroient seuls royalistes, la république
frappée de mort par les crimes de ceux qui se disent seuls républi-
cains, le militarisme introduit dans nos discordes civiles et y ayant
éprouvé sa force, Bonaparte nommé général de }’ «armée de Yin-
térieor, » voila ce qui apparait au lendemain du 43 vendémiaire.
Toutefois le dénodment qui, dés cette époque, semble fatal, se fera
attendre quatre années. Pendant ce temps le mal se développera
avee des caractéres nouveaux qu'il importe d’examiner ; pendant
ce temps aussi, avant d’échouer définitivement au 48 brumarre,
sur les bas-fonds du césarisme, il ¥ aura encore d’honnétes efforts
pour aborder au port de la monarchie libérale, ou pour faire relache
dans celui de la république modérée. Ce sont ces derniéres et dou-
loureuses vicissitudes qu'il convient maintenant d'étudier.
Pau. Taureau-Danein.
La suite prochainement.
UN LIVRE POSTHUME
DE LAMARTINE’
Ce livre est du plus grand intérét pour l'histoire littéraire. Remer-
cions la main pieuse qui l’a recueilli: elle a préparé des éléments
indispensables au portrait du plus beau génie de notre temps. Rien
ne manquerait sans donte 4 la gloire du maitre si ces fragments
étaient restés inconnus; mais il manquerait beaucoup 4 I’instruction
des critiques et beaucoup 4 nos jouissances.
Outre des nouveautés charmantes, nous trouvons dans ces pages
inédites l’abrégé le plus exact de la grande ceuvre que nous connais-
sions: Le poéte s’y montre sous ses faces les plus diverses, et ce
recueil suffirait pour nous révéler la nature de son esprit et pour
marquer sa place.
Le volume s’ouvre par deux tragédies écrites en 1813, pendant
la premiére jeunssse de l'auteur. C’est un tribut payé au gout du
temps. Le génie le plus original ne peut soustraire aux influences
régnantes ses premiers coups d’aile; mais son essor l'emporte bien
vite au-dessus des courants inférieurs.
La Médée de Lamartine, oubliée de lui et retrouvée par hasard,
vaut certainement comme conception la foule des Médées qu’on a
mises au thédtre. Comme style et comme langue poétique, elle révéle
déja l’écrivain supérieur. Tandis que les tragiques du premier
empire copient et affadissent les vers déja si prosaiques et si déco-
lorés des piéces de Voltaire, le noble instinct du jeune débutant le
porte vers un meilleur modéle. Destiné, quand il aura trouvé sa
‘ La librairie Hachette doit publier le mois prochain un volume de poésies pos-
thumes de Lamartine. Notre ami et collaborateur M. de Laprade jugel’ceuvre et is
présente au public dans les pages remarquables qu'il veut bien nous communi-
quer.
UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE. 265
voie, 4 devenir par l'incomparable mélodie de son style l’heureux
rival de Racine, il s’attache & lui dés ses premiers pas. C’est 14 sur-
tout ce qui nous frappe et nous instruit dans la Médée.
Zoraide, sujet d’invention et dont nous n’avons que deux actes
écrits 2 la méme époque, nous parait inférieure. Quelques souve-
nirs de Zaire et de Mahomet qu’écartait un sujet grec comme Médée
se font sentir dans les idées et dans le style de Zoraide ; la piéce n’y
gagne en aucune fagon.
L'admirable fragment de l’épopée du Chevalier qui resplendit &
cité de ces essais de tragédie, nous montre ce que devient le génie
du poéte quand il a trouvé sa sphére propre, et qu’il s'y déploie
librement. La vigueur, l’originalité, la belle couleur de ce morceau,
ne tiennent pas seulement a la virilité d’un esprit plus mir, A la
justesse, 4 l’élévation supérieure de ses points de vue; elles tiennent
aussi beaucoup au genre de poésie plus approprié a sa vocation,
dans lequel il se meut sans entrave et sans guide, comme le souve-
ram créateur des régions qu’il va parcourir.
Lamartine n’est pas un poéte dramatique, il est quelque chose de
plus. |
Lanature d’esprit, les qualités d’ame nécessaires pour imaginer
un ensemble de poémes comme les Visions excluent le génie du
thédtre. L’épopée telle qu’on la concevait jadis, celle d'Homére et de
Virgile, du Tasse et du Camoéns, l’épopée historique et guerriére
suppose des intelligences plus vastes que la tragédie ; le génie épique
a besoin de plus d’espace pour déployer ses larges ailes. Que sera-
donc quand le poéte passe du domaine de l’histoire 4 celui des con-
ceptions religieuses, et des faits politiques 4 ceux de la cosmogonie
morale ; alors que le poéme se déroule, non pas seulement a travers
une partie de notre globe, mais dans les régions infinies que par-
courent les ames et dans le sein méme de I'Kternel ?
Lamartine, ce poéte des nobles amours, que l’en a voulu confiner
dans |'étroit vallon de l’élégie, et dont on essaye de faire un mélan-
colique entre Millevoye et Musset, Lamarline est par-dessus tout un
poéte religieux, un philosophe, un mage de la nature, le poéte de
l'universel et du divin. Pas une Ame, que je sache, dans toutes les
littératures, n’a eu plus profondément que la sienne le sentiment,
lintuition de Vinfini; pas un poéle n’a réussi comme lui 4 nous
faire voir l’invisible, & nous faire toucher l’immensité, & nous eni-
wrer de l’omniprésence de Dieu.
Dante a fait l’épopée de la théologie scholastique, du patriotisme
italien, des haines et des perfidies florentines, et enfin de ce césa-
Tisme qui depuis tant de siécles est le réve de l’Italie aprés avoir
élé la honte de ’humanité. On ne saurait admirer avec trop de pzs-
25 Avan, 1873, ; 18
266 UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE.
sion, éludier avec trop de patience l’incomparable style de Dante ;
chacun. de ses-vers est un bas-relief d’airain. On a écrit des milliers
de volumes 4 son éloge, et l’on n’a rien dit de trop. Mais nous ose-
rons affirmer que, malgré le sujet de son poéme, la sincérité de sa
foi catholique, son profond savoir en théologie, Dante est un poéle
aussi peu religieux que tous les autres poétes italiens. C'est avant
tout, comme'la plupart des grands hommes de son pays, un politi-
que ; son épopée de la théologie chrétienne est l’épopée de la colére.
Malgré les splendeurs de son Paradis, c’est & juste titre que son
Enfer seul est resté populaire. Le théologien catholique est dominé
chez lui par le politique florentin, le poéte religieux par l‘homme
de parti. Aprés nous avoir montré l'enfer comme la base du monde
moral, sa haine le pousse en dehors de toute justice et de tout sens
commun dans la peinture de‘Salan, de celui qui selon la théolocie
dantesque porte au fond de l’abime tout le poids de la création.
Dussé-je ¢tre seul et contre tous, je déclare que dans aucune poésie,
méme dans les épopées panthéistes de l’Orient ot fourmillent les
monstres 4 mille tétes et les divinités insensées, je ne connais rien
de grotesque, d’impie et de révoltant comme ce diable a trois bou-
ches qui remdche pendant toute l’éternité les nobles Ames de Brutus
et de Cassius avec celle de Judas.
Certes, la politique n’est pas absente du poéme de Milton; la révo-
lution d’Angleterre y laisse des traces incontestables; l'enfer y tient
aussi une trés-large place. Mais, aprés tout, cet Anglais révolution-
naire et protestant se montre plus religieux, plus humain, plus
chrétien que l’autoritaire ct le catholique Dante. A cété de Milton, je
me sens.plus loin de la théologie du moyen age, cela est sir; mais
je me sens plus prés des véritables régions divines et plus en plein
dans le monde moral. Comme écrivain, comme artiste et sculpteur
de la parole, l'Anglais Milton est naturellement trés-inférieur a !'Ita-
lien Alighieri, le plus étonnant par le style de tous les poé{es moder-
nos, mais sa foi chrétienne est aussi vive ; et, malgré son dpreté
puritaine, sa religion est moins terrifiante que celle de la Divine
Coméddie.
La terreur disparait entiérement de l'épopée de Lamartine. A tra-
vers les épreuves nécessaires pour nous rendre capables de |’éter-
nelle béalitude, l’d4me humaine se donne carriére dans ces poémes
avec toute la sécurité de la foi, de l’espérance et de l’amour. Cet
esprit pacifique, cette incapacité de hair, cette indulgence univer-
selle qu’on a reprochée 4 Lamartine historien et politique, et qui
sont, en effet, trés-discutables chez un homme d’Etat, deviennent
chez le penseur et le poéte les plus hautes qualités; elles forment
Vélément essentiel de esprit religieux. C'est l’immensité de ]’amour
UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE. 267
et des aspirations vers l’infini, c’est la certitude dans l’attente du
bien, c’est la perpétuelle adoration de la bonté de Dieu, qui nous
frappent surtout dans fa conception épique de Lamartine. Voila
pourquoi nous disons hardiment qu’elle est la plus religieuse entre
toutes celles qui nous soient parvenues. C’est aussi la plus vaste,
car elle n’embrasse pas seulement une époque, fut-ce la période
cosmogonique et }’dge de Eden, mais toute la durée de notre monde,
depuis V’apparition de lame sur la terre jusqu’A son retour dans le
sein de Dieu. C’est la plus spiritualiste, car le drame s’accomplit
tout entier dans l’ame elle-méme et dans l’ordre moral. Il ne s’agit
pas des destinées d’un empire, de la prise d’une ville, de la fondation
d'une dynastie ; il s’agit des destinées éternelles de l'homme, de
Pétre intelligent et libre, de ce qu’il y a de plus grand dans l’uni-
ters aprés Dieu lui-méme.
Sur ces dix Visions, qui devaient embrasser tout le cycle du déve-
loppement humain, nous n’avons que deux poémes complétement
achevés : Jocelyn et la Chute @un ange. Mais le plan subsiste ; il est
reproduit dans ce volume avec des fragments inédits. Ce plan suffit
pour nous faire connaitre )idée-mére, la philosophie de cette con-
ception, et Jocelyn, ce chef-d’ceuvre de notre poésic, nous montre
comment l’ceuvre edt été exécutée, si l’auteur avait pu se consacrer
lout entier 4 ce monument.
Chacune de ces dix Visions marque & la fois une des grandes épo-
ques de l’histoire et un des degrés par ot |’dme tombée se reléve en
expiant ses fautes. L’homme regoit dans chacune de ces phases de son
existence une iniliation supérieure, se rapprochant par chaque vic-
toire sur lui-méme de la vie bienheureuse 4 laquelle Dieu I’a des-
tiné. L’idée d’une chute primitive, la douleur considérée comme le
chitiment de cette chute, comme l’instrument de l'expiation et le
grand ressort du progrés moral, telle est l’idée parfaitement ortho-
doxe qui domine tous ces poémes. Cette idée s'impose 4 toutes les
philosophies dignes de ce nom. L’éternelle présence de la douleur
sur ce globe ne permet 4 l’esprit de concevoir aucun drame sérieux
ou elle n’apparaisse. Il s’agit de la montrer dans sa véritable es-
sence, ’expiation, et dans son but, la réhabilitation et le progrés.
Ceux qui prétendent expliquer la destinée humaine sans J 'idée de la
douleur, ceux qui en nient la nécessité et n’en voient pas le but,
ceux qui prétendent la supprimer ici-bas par la science, ne sont
méme pas des enfants! | | |
Mais la douleur deyenue nécessaire par la faute primitive, le mal
créé par la chute, n’ont pas, aux yeux de l’auteur des Visions, une
telle prépondérance dans l’univers, que le poéte soit entrainé par
une imagination terrifiante, comme celle des chantres de l’enfer, A
268 UN LIVRE POSTHUME DE LANARTINE.
faire du mal un principe indestructible, et a proclamer son éter-
nité. Les Visions finissent par une victoire complete du bien, par la
véhabilitation de l’4me tombée, et par son immortelle glorification.
Le fragment de la huiticme Vision, inconnu jusqu’a ce jour, et in-
titulé le Chevalier, est un morceau trés-important et d'une exécu-
tion achevée. Il a du moins recu toute la perfection sans minutie
que Lamartine, ce merveilleux improvisateur, donnait a ses vers Si
faciles et si abondants. Lamartine est dans notre liltérature, dans
toutes peut-étre, le trouveur par excellence; aucun poéte n’abonde
comme lui en vers qui semblent étre sortis de l'dme de |’auteur, et
de la langue qu’il parle, comme une fleur sort de la séve et du ra-
meau.
Ce simple épisode, ou les personnages ont 4 peine le temps d’in-
diquer leur caractére, a la plus grande valeur comme peinture ; c’est
un vrai type de la description et du génie pittoresque dans Lamar-
tine. Le talent du poéte comme paysagiste est reconnu; mais sa su-
périorité en ce genre et les allures de son pinceau ne sont peut-étre
pas bien comprises. L’art de peindre le monde extérieur par la pa-
role a été poussé trés-loin de nos jours ; certains poétes savent nous
faire voir et toucher les objets matériels, de telle sorte que leurs
tableaux émeuvent nos sens et nos nerfs presque autant que la réa-
lité; il ne s’agit pas pour eux d’interpréfer poétiquement la nature,
mais de la reproduire presque mécaniquement. Les peintures de
Lamartine, si vives qu’elles soient de couleur, et surtout ses paysa-
ges, ont une tout autre portée. Ils expriment la vie, l’esprit, l’éme
des choses, mieux encore qu’ils n’en reproduisent la forme sensible.
Je ne dirai pas que Lamartine idéalise la nature dans le sens de cor-
riger et d’embellir, mais il l’anime et la spiritualise, il en fait jaillir
tout ce qu’elle renferme de moral et de divin. La nature devient
sous son pinceau, non-seulement un portrait de lame humaine, |
mais comme une esquisse de la Divinité; linfini s’y refléte, l'intelli- —
gence ef l’amour s’en exhalent de toutes parts. Lamartine peint toute
chose d’une facon tellement fluide, transparente, intellectuelle, que
les formes prenneut des ailes sous son pinceau; toute la création |
semble vivre de la vie de l’esprit et s’envoler dans une perpétuelle
ascension vers l’intelligence et l’amour supréme dont elle émane.
D’autres poétes abaissent et matérialisent l’expression des choses les
plus élevées, comme pour mettre les objels en contact avec nos
sens el leur soustraire, au profit du relief et de la couleur, tout ce
qu’ils expriment du monde moral. Ces peintres épaississent, alour-
dissent la physionomie de toute chose et Jusqu’aux paysages les plus
éthérés. Dans les tableaux de Lamartine, la a semble vivre
comme les acteurs; la nature entoure les personnages comme une
UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE. 269
substance vive et sympathique en perpétuelle communion avec leur
ame; le paysage se développe, ondule et flotte autour des héros du
drame comme, dans une symphonie de maitre, l’accompagnement
se déroule autour de la mélodie.
L’épisode inédit du poéme du Chevalier nous montre ces qualités
du paysage et des descriptions de Lamartine 4 un degré aussi élevé
que Jocelyn lui-méme. Le génie tout particulier que ce maitre apporte
a peindre le monde extérieur fait de lui, par excellence, le poéte de
la nature; d'autres n’en sont que les imagiers et les photogra-
phes.
Les piéces lyriques qui complétent le volume datent des époques
les plus diverses de la vie de Lamartine. Quelques-unes sont d’une
grande beauté. Les stances 4 César Alfieri, écrites du temps des Mé-
dilations, et omises, on ne sait pourquoi, dans ce recueil, sc termi-
nent par de nobles vers qu’on dirait pensés par Corneille, ct qui pos-
sédent de plus que les siens la musique et l’accent propre au poéte
lyrique.
Aux bords:de Ia Seine ou du Tibre,
Sous un consul ou sous un roi,
Sois vertueux, tu seras libre,
Ton indépendance est en toi.
Le Lac et PIsolement', ces deux chefs-d’ceuvre, reproduils avec
quelques variantes et des strophes inédites, sont devenus, suus cette
forme nouvelle, de précieux documents pour la critique. Lamartine
corrigeait fort peu ses premiers jets; sa composition élait souvent
une sorte d’improvisation, tant elle était rapide. Jl écrivait d’un trait
sir, comme les poétes grecs, comme tous ceux qui sont les inven-
leurs, les originaux, les trouveurs par excellence; mais la clair-
voyance et le jugement sévére du critique ne lui manquaient point,
quoique son esprit sympathique l’appliqudt rarement aux produc-
tions d’autrui. Un scrupule de discrétion et de spiritualisme délicat,
tel que n’en connaissent pas les poétes de |’école rivale, avait fait ef-
facer par l’auteur du Lac deux strophes entiéres, toutes deux fort
belles, mais d’un accent plus vif et plus passionné que les autres.
La piéce, telle qu’elle est connue, ne différe de la version primitive
que par cette suppression et par le changement de trois hémisti-
ches. Ces derniéres corrections montrent une sureté de sens critique
gue le maitre exercait trop rarement.
I serait difficile de donner aux lecteurs et aux auteurs d’aujour- -
dhui une idée exacte de ce que fut Lamartine pour la société dans
‘ L'lsolement est reproduit avec les variantes dans la Correspondance de Lamar-
tine, t. Il, p. 228. Pour le Lac, voyez la piéce dans ce volume des Poéstes inédites.
270 UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE,
laquelle il apparut, il y a un demi-siécle et pendant les vingt années.
de splendeur intellectuelle qui ont marqué les derniers régnes des
Bourbons. Ceux-la seuls pourront nous comprendre qui ont vu,
comme nous, la fin de cette brillante période et qui se sont ouyerts
4 la vie de esprit sous l'influence encore dominante des poétes et
des orateurs de ce temps.
On admire a présent par-dessus tout l’adresse mécanique des pro-
sateurs et des rimeurs, la force de leur tempérament, l’habileté avec
laquelle ils reproduisent pour le toucher et pour la vue les détails de:
la nature matérielle, la surexcitation contagieuse de leurs nerfs et
l'ivresse d’alcool que leurs tableaux communiquent 4 nos sens. Au
lieu de la peinture du monde idéal,on ne retrouve plus dans les ceu--
vres d'imagination que la photographie coloriée des réalités les plus
basses. Un des témoignages les plus innocents de celte importance
exclusive donnée 4 la forme aux -dépens de la pensée, a Ja nature-
aux dépens de l’esprit, c’est ce nom d’artistes que les écrivains de
nos jours, prosateurs et poétes, acceptent si volontiers et qui les
achemine fatalement vers celui d’artisans. Lamartine, graces &
Dieu, est le moins artiste de tous les poétes; il est par excellence le
chanteur et l’enchanteur, il est le magicien et le charmeur des Ames,
entre tous ceux qui se sont servis de la parole humaine. Si la plus
haute fonction de la poésie est d’interpréter la nature dans le sens de
l'idéal, d’en extraire pour ainsi dire tout ce qu’elle renferme d’in-
telligence et d’amour, de la mettre en sympathie avec le coeur hu-
main, et d'en faire vis-a-vis de nous linfaillible truchement de la
pensée divine, l’auleur des Harmonies et de Jocelyn est 4 coup sir le
premier représentant de la grande poésie dans notre littérature et —
peut-étre dans toutes Ics littératures de l'Europe. |
Les vrais poétes s’adressent tous & d’autres facultés qu’é l’imagi-
nation’ sensible ; ils provoquent en nous autre chose qu’une simple-
volupté de l’esprit. Leur ceuvre n'est pas seulement douce, elle est
belle de la beauté morale. Ils nous communiquent un surcroit de
vie intérieure; ils nous raniment, ils nous persuadent, ils nous in-
struisent; c’est-a-dire qu’ils nous dressent 4 tous les nobles combats
de esprit et a l’exercice des vertus difficiles.
‘Lamartine fait pour nous quelque chose de plus, et c’est 14 ce que
jappelle sa magie. Il nous prend sur ses ailes; il nous enléve & des
hauteurs ou plus rien de grossier, de vulgaire, de médiocre n’appa-
rait 4 nos regards. Durant ce voyage, il transforme dans le divin
{toutes les choses 4 l’usage de notre ame et cette 4me elle-méme.
L’amour, quand il s’exprime dans l’incomparable mélodie de ses
vers, n’est plus seulement un bonheur, il devient une vertu. Un
simple regard jeté par le poéte sur la nature s’accompagne d'un es-
UN LIVRE POSTHUNE DE LAMARTINE. 274
sor de ’Ame tout entiére vers le Créateur. Ses moindres études de
paysage sont des esquisses du monde invisible.
Chacune des promenades que nous faisons avec lui dans les foréts
ou sur les gréves est une contemplation et une priére. Il n‘a pas
besoin de dogmatiser comme certains rimeurs qui prétendent avoir
charge d’dmes; il nous saisit d’une main irrésistible , nous arrache
4 nous-mémes et 4 la terre, nous enléve 4 travers les sphéres en un
ravissement continu, et nous précipite dans le sein de Dieu.
Ainsi, quand laigle du tonnerre
Enlevait Ganyméde aux cieux,
L’enfant s’attachant a la terre
Luttait contre I'oiseau des dieux ;
Mais entre ses serres rapides
L’aigle, pressant ses flancs timides,
L’arrachant aux champs paternels,
Et, sourd 4 Ja voix qui l’implore,
Il le jetait, tremblunt encore,
Jusques aux pieds des immortels !.
Les Ames d’aujourd’hui seraient plus diffieiles & déraciner de la
terre que celles des premiers lecteurs de Lamartine. Je doute que sa
voit divine, s'il chantait encore, fit battre les cocurs de la jeunesse
comme les nétres ont battu aux strophes des Méditations et-des Har-
monies. Est-ce limmortelle poésie qui a vieilli? est-ce que dans la
sociéié présente lés hommes naissent trop vieux pour gouter ce lait
etce miel de l’age d'or? — :
Je ne sais; mais avoir compris, avoir aimé, avoir adoré cet. mcom-
parable chantre du divin dans la nature et de l’idéal dans l'amour,
c'est pour ceux de notre génération plus qu'un souvenir de volupté,
Cest un sujet d’orgueil. Plaignons la société polie et les classes cul-
tivées si elles arrivent 4 préférer 4 Lamartine n’importe lequel de
ses contemporains. Je verrais dans cette préférence un notable
abaissement du niveau moral tout autant que du gout littéraire.
Mais la faveur publique revient au grand poéte spiritualiste.
[intelligence frangaise a trop d’exactitude et de noblesse pour se
préter longtemps aux débauches de |’imagination et des sentiments
grossiers. D’ailleurs ces aberrations du gout n’atteignent jamais le
groupe des Ames délicates qui forment dans tous les temps le vrat
public de la poésie. Les adorateurs de Lamarline composent une
sorte d’église indestructible et qui doit survivre aux écoles les plus
bruyantes et les plus populaires.
Pour nous, I’un de ses disciples, aprés tant d’autres, et l'un des
' Méditations, 'Enthousiasme.
273 UN LIVRE POSTHUME DE LAMARTINE.
amis de son auguste et douloureuse vieillesse, nous lui rendons un
vérilable culte, depuis le jour ot nous nous sommes éveillés 4 la vie
de l’esprit. "1 est le créateur des régions enchantées ou vécut notre
jeunesse : nos plus pures, nos plus hautes jouissances, c’est a Ini
que nous les devons; l’age lui-méme n’émousse pas la vivacité de ce
sentiment et n’en altére pas la sereine profondeur.
Le sens critique devient avec les années plus susceptible et plus
chagrin. Quand on vieillit, le plaisir de lire naivement s'évanouit
quelquefois dans I’habitude et le besoin de juger. La poésie de La-
martine est la seule que nous relisions encore avec notre dme de la
vingtiéme année. Il semble qu'elle nous communique son éternelle
jeunesse. L’incomparable musique de ce vers endort Ja critique
comme la lyre d’Orphée endormait les gardiens et les juges infer-
naux. Mais cette ivresse est aussi bienfaisante que d’autres sont dé-
létéres. L’Ame s’en réveille fortifiée et rajeunie, purifiée dans ses
amours, agrandie dans ses conceptions , plus ardente et plus vive
dans son essor vers l’infini.
Les illusions mémes que le poéte a fait naitre ont été des bien-
faits. Malheureux qui ne les a pas un moment partagées ! Lamartine
a traversé la politique, comme une aurore pleine de promesses. Les
espérances de paix, de liberté, de fraternité qui ont fasciné la France
et l'Europe pendant quelques jours de ce siécle se rattachent a son
nom. Est-ce par sa faute qu’elles se sont si vile évonouies ?
Il a porté dans toutes ses aspirations sociales la hauleur et la dou-
ceur de ses vers. Il fut par-dessus tout l'homme et le poéte du grand
amour. Par quelle veine que s’épanche son inspiration, Ja poésie
ou l'éloquence, je défie que dans toute cette Ame on trouve une seule
goutte de fiel. Au niveau de Ia beauté de ses poémes, l’avenir met-
tra leur pureté et leur bienfaisance.
Victor pe LapRaDeE.
LES PENSIONS DE RETRAITE
DES FONCTIONNAIRES PUBLICS
Tandis que, frappé, comme tout le monde, des inconvénients de
la loi qui régit les pensions de retraite, je m’efforgais, par diverses
publications, d’appeler l’attention sur un systéme nouveau, déja
éprouvé dans l'industrie privée, qui substitue 4 la pension |'épar-
gne capitalisée, la question faisait sans bruit un pas ‘décisif. Le
ministére de la marine s'occupait de l’ organisation et du recrutement
dan corps de fonclionnaires spéciaux pour la conduite des affaires
idigénes en Cochinchine. Cette magnifique colonie, dont je me
plais 4 rappeler que la France est redevable 4 l'amiral de la Gran-
diére, a un immense avenir. Il y a malheureusement une ombre au
tableau : l’insalubrité de son elimat débililant. Qu’offrir aux jeunes
gens d'élite qui en affronteront le péril, non pas en aventuriers du
commerce, & la poursuite des gains rapides, non pas en déclassés
ni en dissipateurs, ayant un passé & faire oublier, non pas méme en
esprits ardents, acceptant un exil de quelques années en vue du
plus prompt avancement de leur carriére, mais en collaborateurs
serieux, dévoués, persévérants d’une haute mission? Il serait triste-
ment dérisoire de n’avoir & leur présenter qu'une pension. viagére &
lage de soixante ans, aprés trente ans de services et de retenues
sur leurs traitements.
La Caisse de Prévoyance, constituée en capital d’épargne avec
livret individuel, répondait merveilleusement 4 ce besoin. M. le
baron Benoist d’Azy, directeur des colonies, l’a compris aussitdt.
M. l'amiral Pothuau, ministre de la marine, sur l’avis conforme et
unanime du Conseil d’Amirauté, s'est associé avec empressement &
sa pensée. Le décret du 10 février, inséré au Journal officiel du 24,
a été rendu. L’institution est entrée dans l’ordre des réalités ac-
complies.
274 LES PENSIONS DE RETRAITE
Le systéme est trés-élastique, et se préte & toutes les circonstances,
sans que son mécanisme soit changé. Ainsi la durée requise de ser-
vices, pour que le droit personnel du fonctionnaire 4 son livret d’é-
pargne soit acquis, a pu ici étre réduite 4 douze ans. S’il meurt & une
époque quelconque dans lJ intervalle de ces douze années, le mon-
tant du livret est dévolu & sa famille, ce qui est un encouragement
puissant au mariage. On a pourvu avec bienveillance aussi au cas de
maladie. Aucune retenue n’est exercée sur les traitements. Une sub-
vention annuelle est versée a la Caisse de Prévoyance. Mise en regard
des traitements de chaque grade, elle représente une proportion qui
varie de 30 4 40 pour 100 environ. Ce n'est pas trop pour la rési-
dence de la Cochinchine, ce serait beaucoup trop en France. Le taux
des intéréts composés est judicieusement déterminé d’aprés une
échelle qui dépend, chaque année, du cours de la rente francaise
au 31 décembre, et la Caisse de la Cochinchine fonctionne exacte-
ment comme celle dont j’avais proposé l'établissement en France.
Dans l’excellent Rapport de l’amiral Pothuau, qui précéde le dé-
cret d’institution, on lit les considérations suivantes :
« ... Il est donc juste de garantir 4 ceux quis’y dévouent..., aprés
un nombre restreint d’années de séjour, une retraite ou des res-
sources qui leur assurent une existence honorable.
« C’est pour le pays un devoir d'honneur, vis-a-vis des agents qui
exposent leur vie et compromettent leur santé 4 son service, de re-
connaitre et de récompenser ces sacrifices...
« Les versements successifs, yariant suivant le rang de l’inté-
ressé, donnent lieu 4 louverture d’un compte individuel pour tout:
inspecteur ef administrateur. ls permettent d’assurer & chacun
deux, au moment ov 11 quittera la carriére pour des causes autres
que la révocation, uN capirat en proportion avec la durée et l’im-
portance de ses services effectifs dans la colonie. Ces sommes sont
bonifiées des intéréts capitalisés chaque année... 7
« La ne se bornent peas les avantages de cette caisse. Les sommes
versées... peuvent étre remises 4 la veuve, aux enfants, petits-en-
fants et ascendants du fonctionnaire alteint par la mort 4 quelque
période que ce soit de sa carriére.
- « Cette garantie rendra également plys faciles et plus avantagéux
les mariages ; et si l’on considére que la vie de famille upporte géné-
ralement des habitudes plus réguliéres et plus douces, donne aux
caractéres plus. d’assiette, prévient des écarls gros de scandales, on
sera amené 4 reconneitre l'importance de l’institution et le bénéfice
qu’en recueillera l’administration, tant au point de vue du service
que de l'influence a exeércer sur les populations indigénes. »
On ne saurait mieux dire, ni mieux marquer les buts que doit
DES FONCTIQNNAIRES PUBLICS. 275
alteindre l'institution nouvelle. Mais je le demande, ces considéra-
tions n’ont-elles pas un caractéye frappant de justesse, sous toutes
les latitudes? sont-alles dans la dépendance.du climat, et faudra-t-il
leur appliquer, en l’amendant, ‘le mot de Pascal : « Vérité en ae
du tropique, erreur ay dela? »
Est-il plus juste, en France, d’imposer au fonctipnnaire des reter
nues qui sont absorbées au budget annuel, confisquées et perdues
pour sa famille, s'il a le tort de mourir en activité de services,
peut-€tre aprés quarante années de dévouement?
Est-il plus satisfaisant, en France, que le fonctionnaire n’ait
jamais une épargoe, un capital, un patrimoine a transmettre, et
qu ‘il n’envisage pas d’autre perspective, s’il parvient a la vieillesse,
qu'une rente viagére qui s’éleint avec lui?
Est-il d’une moindre utilité morale et sociale, en France, de faci-
liter les mariages?
Enfin, importe-t-il moins, en France, d’attirer, de retenir dans
les emplois publics Jes sujets d’élite, et d’asgurer le bon recrute-
ment des cadres de l’administration?
Non, tout cela n’est pas affaire de climat. Le climat doit influer
sur les chiffres, sur la mesure des sacrifices de l’Etat, sur le nombre |
dannées de services exigées du fonctionnaire qui se déyoue, il
n'altére pas les principes. Aussi, malgré la spécialité de son objet,
le mémorable décret du 10 février m’apparait comme un véritable
éyénement, d’ou datera nécessairement, un peu plus tét ou un peu
plus tard, la réforme du vicieux systéme de la pension mere des
fonctionnaires publics. |
foublie trop peut-étre que la plupart de mes lecteurs ne sont pas
des fonctionnaires familiers avec la joi de 1853. Il convient que
Jexpose avee quelque délail en quoi consiste cetie mauvaise loi. Ce
Nest pas moi qui la qualifie aussi sévérement. L’ Assemblée. natio-
hale a instifué use commission des services administratifs, qui s'est
livrée & une laborieuse enquéte. Par l’organe de son rapporteur,
Phonorable. M. de la Monneraye; la Commission conclut dans les
lermes suivants : « La loi de 1853 est venue consolider un robarvais
régime, et n'a satisfait personne. .».
Je rencontre d’abord les retenues sur Jes traitements. On eroit
communément qu elles se montent 45 pour 100..C’est une erreur,
elles dépassent 6 pour 100 en.réalité. L'Etat a imaginé, en effet,
de s’approprier en entier Je premier mois de tout traitement et de
toute augmentation de.traitement; le tolal des retenues, comparé &
la masse des traitements,:donne par: suite ume proportion de 6 4/4
pour 400 environ. Je suis, je l’avoue, adversaire déclaré, en prin-
916 LES PENSIONS DE RETRAITE
cipe, du svstéme des retenues. J’aime que le travail regoive sa
rémunération intégrale. Je me souviens de l’'adage du vieux droit
francais, que j’appliquerais volontiers ici : « Donner et retenir ne
vaut. » Néanmoins, si la retenue était versée au crédit du fonction-
naire, entreposée dans un comple d'épargnes, productive d'intéréts
et amassant un patrimoine, mes objections perdraient beaucoup de
leur force. L’Etat exigerait la prévoyance des agents qu'il appelle-
rait 4 son service, se chargeant de gérer et de faire fructifier leurs
économies pour les leur remettre 4 l’dge de la retraite, pour les
remettre en cas de décés a leurs familles. Aucune idée de justice ne
serait blessée, et celte sorte de tutelle pourrait étre acceptée comme
un bienfait.
Malhecureusement, il n’en est pas ainsi. Les retenues ne sont en-
treposées & aucun compte et ne produisent aucun intérét. Elles
disparaissent aussitdt qu’elles sont exercées, absorbées-en bloc
dans le budget des recettes. Il n’en reste plus de trace, et.il n’y a
jamais ouverture 4 une restitution quelconque. L'arlicle 5 de la lor
du 10 juin 1853 s’en est expliqué nettement : « Les fonctionnaires
supportent les retenues, sans pouvoir les répéter dans aucun cas. »
L’aliénation est donc compléte. Le fonctionnaire que sa santé
altérée oblige a se retirer en le réduisant a la détresse perd ses rete-
nues. Le pére de famille qui meurt en activité de services ne transmet
4 ses enfants aucune part des retenues qu'il a subies pendant trente
ou quarante ans. Ce résullat est douloureux et méme odieux. Cela
ressemble singuli¢rement 4 une confiscation.
Pour éviler d’infliger ce nom aux conséquences de la loi de 1855,
et peut-éire dans un autre but plus pratique, on a inventé récem-
ment, depuis qu'on parle tant de ] impot sur le revenu, un assez Ccu-
rieux euphémisme. Les retenues seraient simplement un impét sur
les revenus professionnels des fonctionnaires publics. Le mot a eu
du succés, les fonclionnaires l’ont commenté avec une certaine com-
plaisance, se flattant d'échapper par 14 aux menaces de l’impdt gé-
néral sur le revenu, en opposant la maxime: Non bis in idem. Cette
ingénieuse interprétation n’aqu’un défaut, celui d’étre absolument
erronée. L’impét se discute et se vole tous les ans, sa quotité est
variable, tandis que la loi de 1853 a slatué pour toute la durée de
la carriére administrative et méme de la vie du fonctionnaire. Le
caractére propre de la loi, l’excuse de ses rigueurs est qu'elle est un
contrat, un véritable contrat de rente viagére. L’article 5 porte :
« Les fonctionnaires... ont droit pension. » L’artice 5 : « Le droit &
« la pension de retraite est acquis par ancienneté... » L’article 17 :
« Les pensions... sont inscrites au grand-livre de la Dette publique. »
Partqut l'aftirmation d’un droit et la reconnaissance d'une dette de
DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 277
Etat, dans certaines conditions de services rendus. Les fonction-
naires achétent cet engagement conditionnel de 1’Etat par les rete-
nues qu ils subissent, autrement dit ils payent une prime annuelle
d’assurance qui est d’une quotité déterminée de leurs traitements.
Telle est l'exacte vérité, rien ne ressemble moins 4 un impét, et
J’engage les fonclionnaires 4 ne pas compter sur leur interprétation
pour se sousfraire au sort commun des contribuables.
Si ce caractére de contrat, ratifié par le fait de l’acceptation d'un
emploi public, interdit au fonclionnaire de récriminer au nom du
droit, de prononcer les mots de spoliation et de confiscation, il
n’mterdit pas au moraliste, & l’économiste, au législateur de dis-
cuter les clauses du contrat lui-méme au nom de l’équité sociale,
de l’utilité générale et de la science financiére. Sous tous les rap-
ports Ja discussion est accusatrice, et je maintiens d’abord que
appropriation, par l’Etat, des retenues du fonctionnaire qui meurt
& son service a quelque chose d’odieux.
Au moins, le chiffre de la rente viagére promise est-il en corréla-
tion avec celui des retenues subies ou des primes payées par le titu-
laire, comme Je voudraient toute arithmétique et toute justice
distributive? Pas le moins du monde. La rente viagére dépendra
d’éléments complétement différents, empiriques, arbitrairement
fixés par la loi. Elle sera calculée sur la moyenne des six derniéres
années de traitement. Elle est limitée, par d’autres dispositions
arbitraires, 4 la moitié, aux deux tiers, aux trois quarts du traite-
ment moyen, enfin 4 un maximum infranchissable, tandis que rien
ne limite l'accumulation des retenues. C’est encore profondément
inique.
Qu’on vyeuille bien supposer une pareille opération traitée quarante
ams d’avance avec une compagnie d’assurances, laquelle, en échange
des cotisations payées, s’obligeraif & servir au contractant, 4 partir
de |’Age de 60 ans, une rente viagére dont Je chiffre, absolument
indépendant des cotisations, limité d’ailleurs 4 un maximum, dépen-
drait du hasard des émoluments moyens des emplois qu’aurait
occupés le titulaire entre 54 et 60 ans. La combinaison serait 4 bon
droit trouvée absurde. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est le contrat
rédigé par le législateur de 1853. ;
Est-ce tout? le chiffre de la rente viagére aura-t-il quelque corré-
lation avec l’4ge du rentier? Pas davantage. Ayez50 ans, si un cer-
tificat de complaisance vous a permis de prendre votre retraite dés
cet Age, ayez 60 ou 70 ans & Pépoque de I’entrée en jouissance, |’Etat
n’y fera aucune différence. Pourtant, une rente viagére de 6,000 fr.
vaut environ 74,000 fr. & lage de 50 ans, 58,500 fr. a l'dge de
60 ans, elle ne vaut plus que 39,500 fr. & Y’age de 70 ans. L’ktat
378 LES PENSIONS DE RETRAITE
n’y regarde pas de si prés, il ignore que la valeur une rente via-
gére dépend mathématiquement de I'dge du rentier:; il ne se préoc-
cupe pas de ce détail. En sorte que le fonctionnaire retraité a |’4ge
de 70 ans aura pu compter vingt ans de plus de services, avoir subi
vingt ans de plus de retenues, et recevoir en échange une récom-
pense qui sera 1a moitié & peine de celle concédée a son collégue,
retraité 4 l’Age de 50 ans.
Est-ce tout? ai-je épuisé les anomaties? Non. Le fonctionnaire de
70 ans, s'il n’est cétibataire, ne laissera du moins trés-vraisembla-
blement aprés lui ni veuve jeune ni enfants mineurs. Sa rente via-
gére de 6,000 fr. est bien fa limite des engagements de I’Etat. Le
fonctionnaire de 50 ans, au contraire, peut laisser, en mourant, des
enfants mineurs ou une veuve qui aura trente ans 4 peine. Admirez
ici les inconséquences du législateur de £853. Il a été impitoyable
pour la famille du fonctionnaire qui meurt en activité de services,
succombant peut-étre 4 l’excés du dévouement et du travail. Il la
laisse dans la détresse, et confisque les retenues. Voici qu’il s’émeut
de compassion pour la veuve de celui qui se reposait aprés avoir fait
régler sa retraite. Voici qu’il lui promet la réversibilité de moitié
de la pension. Naturellement, il ne s’nquiéte pas plus de l'age de
Ja veuve qu'il ne s’était inquiété de l’4ge du mari. Si la veuve a
trente ans, la pension de 3,000 fr., qui aune valeur d'environ
48,000 fr. sera une dot qui lui facilitera le recherche d’un consola-
teur. Et un nouvel engagement, évalué 48,000 fr., tombe & la
charge de l’Etat, du chef du fonctionnaire retraité 4 Age de 50 ans.
Afin d’abréger, je passe rapidement sur les secours temporaires aux
orphelins mineurs, lesquels ont d’ailleurs peu d'importance.
Financiérement, les pensions de veuves sont un supplément trés-
onéreux 4 I’Etat. Si l’on se place au point de vue des services rendus
par le fonctionnaire et des retenues qu'il a subies, ce supplément
ne se justifie pas. Moralement et socialement, la combinaison est
mauvaise, bien que l’intention soit bonne. Certes, ce n’est pas
moi qui me plaindrai que le législateur ait pris souci de Vinfor-
tune de la veuve. Mais les jeunes enfants, survivant au fonc-
tionnaire qui meurt en activité de services et dans la force de l’Age,
sont certainement, sauf exception, plus intéressants que la veuve du
vieillard qui a déji joui de sa pension: A ceux-ld cependant, on l’a
vu, la loi n’accorde rien, elle n’a pour eux que des rigueurs, elle
réserve ses faveurs 4 la veuve du vieillard. Il en résulte que l’éven-
tualité de la pension de veuve a d’autant plus de valeur qu’il y a une
plus grande différence d’4ge entre le mari et la femme, et que le
fonctionnaire, en se mariant, approchait davantage du réglement de
sa retraite. Par la, ’Etat détourne ses agents de $e marier jeunes ; il
DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 278
semble leur conseiller d'attendre qu’ils aient dépassé la cinquantaine,
alors que la pension de veuve apparaitra comme un douaire assuré.
Aussi, épouser un fonctionnaire vieilli et au besoin valétudinaire,
cela devient pour des jeunes filles une bonne spéculation, qui pourra
dtre renouvelée, et.l’on voit, curieux détail, des femmes émarger a
la fois au budget jusqu’a trois pensions de veuve, tandis que les
familles des fonctionnaires morts en activilé de service sont laissées
sans aucune ressource, réduites 4 importuner de leur misére |’ad-
minisiration et 4 faire jouer tous les ressorts de la recommandation
pour implorer des secours et des bureaux de tabae.
J'ai critiqué en elles-mémes et dans leur conception les disposi-
tions de la loi de 1853. Suivons-la dans ses conséquences adminis-
tratives et financiéres,
Voici comment s’exprime l’honorable M. de la Monneraye, rap-
porteur de la Commission des services administratifs : « Les condi-
« ions actuelles des retraites rendent 4 peu prés impossible |’élimina-
« tion des non-valeurs... Quand il faudrait prononcer la révocation
«contre des employés, on se borne 4 les changer de bureau et il
«n’en résulte rien de plus qu’un déplacement de non-valeurs. Voila
<certes un bien grand inconvénient qui semble inhérent au régime
« desretraites, et qui a également pour effet d’abaisser, par les mau-
«vais exemples, le niveau général des volontés. Il serait done a
«désirer, & tous égards, que |’Etat put étre exonéré de ce lourd
« fardeau. :
Jen’ajoute rien & ces paroles, elles sont d'une vérité frappante,
elles suffisent 4 prononcer la condamnation sans appel de |’institu-
tion. Oui, administration est encombrée d’employés usés, négli-
gents, inexacts, qu'on nose pas congédier. Que font-ils 1a? Ils atten-
dent paresseusement |’dge de la retraite. Ils découragent le mérite
en nuisant & l'avancement des sujets, d’élite. Ils imposent 4 nos
finances le lourd fardeau de leurs traitements d’activité pour des
fonctions qu’ils remplissent mal, avaut de leur imposer celui de
leur pensions, et M. de la Monneraye a eu bien raison de le dire, ce
mal est inhérent au régime des retraites.
Les conséquences financiéres se résument dans J’inscription au
grand-livre de la dette publique d'une charge toujours croissante
de pensions viagéres. La charge atteignait au dernier budget prés de
quarante millions pour les seules pensions civiles. La compensation
des retenues, au budget des recettes, étant d’environ quinze millions,
le sacrifice de l'Etat se rapproche déja de vingt-cing millions. La
progression ne s’arrétera pas lA, et le mode vicieux de calculer les
pensions sans tenir compte. de Page des tilulaires ne permet pas
den assigner le terme. Toutes'nos commissions du budget depuis
280 LES PENSIONS DE RETRAITE
plusieurs années s’effraient de cette progression, toutes appellent
une réforme, et l'honorable M. de la Monneraye termine aussi son
rapport par la déclaration suivante : « En résumé, votre sous-com-
« mission, sans formuler nettement une proposition... appelle
a cependant de ses veux une révision de la lot de 1855. »
Pourquoi toutes les critiques, toutes les doléances n’ont-elles jus-
qu’a présent abouti 4 aucun effort sérieux de réforme? Car je ne
trouve pas sérieux le projet mis en avant par quelques personnes de
supprimer a la fois les retenues et les pensions, d’abroger la loi de
4853 sans la templacer par une autre institution, de briser tout
lien durable et de déchirer tout contrat entre ]'Etat et les fonction-
naires. Ce projet par trop radical n’est pas autre chose qu’un aveu
d’impuissance. I] détruirait la carriére administrative, il détruirait
l’administration elle-méme, il condamnerait ]’Etat a n’avoir plus que
des agents de hasard, recrutés au mois ou 4 la journée, comme on
embauche des terrassiers et des magons sur la place de |'Hotel-de-
Ville.
Je suis profondément convaincu que la cause de la stérilité des
imaginations qui se sont exercées sur cette question est qu’on est
resté imbu d’un préjugé invétéré, du préjugé méme de la pension
de retraite. C’est 4.cette idée que je m’atlaque résoliment. Pension
de retraite, pension alimentaire, rente viagére, quelque nom qu’on
lui donne, je soutiens que c’est une idée fausse, tout au moins deve-
nue fausse dans notre état de civilisation et dans nos mceurs actuel-
les; qu'il faut l’abandonner pour lui substituer l’idée vraie de
l'épargne et du patrimoine. Si je parviens & établir cette démon-
stration, on verra bientét se dégager la solution du probléme.
Le préjugé est trés-ancien. ll s’explique par !’ignorance ow |’on
était de la science financiére, du calcul des rentes viagéres d’aprés
les Ages, et de la fonction des intéréts composés dans |’accumulation
de l’épargne. Il remonte 4 l’&poque ot les uns se faisaient presque
un scrupule religieux d’épargner pour l'avenir, comme si c’était
douter de la Providence ; ou d'autres entassaient, cachaient, enfouis-
saient des piéces d'or et des écus improductifs, croyant sincérement
que la thésaurisation était la meilleure forme de l'économie ; et les
gouvernements et les particuliers constituaient des rentes viagéres
en accordant uniformément le taux de 10 0/g 4 tous les Ages. Il reste
encore dans notre législation de l’enregistrement une trace frappante
du préjugé. Pour la perception des droits, un usufruit et une pen-
sion viagére sont toujours évalués & dix fois le revenu.
Je demande la permision de citer un exemple de nos meeurs
domestiques, qui me semble se rattacher étroitement au sujet que je
DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 284
traite. Quand, dans une maison aisée, un serviteur s'est recommandé
par une longue fidélité, il arrive d’ordinaire que les maitres lui
font un legs par leur testament. De la part d’une femme qui a recu
les soins d'une servante dévouée, c’est d’un usage constant, c’est
considéré comme Vacquit d'une dette. Or en quoi consisle le legs?
Presque foujours en une pension viagére. Le capital est une trés-
rare exception. La pension léguée est d’une somme fixe et ne dépen-
dra aucunement de |’a4ge qu’aura le bénéficiaire, Age indéterminé
dailleurs au moment de la confection du testament. Elle a ce double
caraclére d'élre, dans la pensée inspiratrice de la disposition, la
récompense des longs services, et, dans le mode de réalisation, un
moyen exclusivement personnel d’existence, une pension alimen-
taire. Si je ne me trompe, le lecteur apercoit clairement déja |’assi-
milation.
Cette pratique est-elle bonne, et doit-on continuer de la con-
seiller ? Oui, si le titulaire de la pension est célibataire et avancé en
age, comme en fait c’est le plus souvent le cas de la servante dé-
vouée. Elle a vécu de sa place tant qu’elle l’a occupée; elle vivra en-
suile de sa pension, sans autres besoins, en se reposant. Mais si le
lifulaire est un homme d’un age encore peu avanceé, s'il est pére de
famille, j'affirme que la pratique est mauvaise, et que le legs d’un
capital vaudra mieux, sous tous les rapports. Il vaudra mieux pour
les hériliers, qui s’affranchiront immédiatement de la dette, qui
nauront pas 4 s’embarrasser du service importun d'une pension,
divisée, plusieurs fois subdivisée pendant un quart de siécle ou da-
vantage entre des rameaux dispersés de la famille. Chacun a connu
l'importunité de ces pensions et s'est surpris peut-éire 4 trouver que
le pensionnaire vivait bien longtemps! — Il yvaudra mieux aussi
pour le Jégataire, qui pourra acheter un champ et le cultiver avec
ses enfants, ou fonder un commerce qui fera du capital recu la
base d’une aisance progressive, qui transmettra lui-méme le bien-
fait quand il mourra, qui aura, en un mot, un patrimoine. S’il lui
convient d’ailleurs d’aliéner le capital et de le convertir en une rente
viagére, n’en est-il pas libre? Pourquoi lui imposer cette aliéna-
tion? Je n’hésite donc pas 4 conseiller aux maitres bienveillants qui
désirent récompenser la fidélité d’un serviteur de lui léguer, non une
pension, mais un capital.
Maintenant, je rentre dans ma thése, ou plutdt jene l’ai pas quittée
un seul instant. La législation des pensions est sous l'influence des
mémes préjugés et des mémes ignorances. La retraite a aussi le dou-
ble caractére d’étre la récompense des longs services, et un moyen
d’existence oisive exclusivement personnel, une pension alimentaire.
Le serviteur de |’Etat mis a la retraite vivra de sa pension en se re-
25 Avan 1873, i9
282 LES PENSIONS DE RETRAITE
posant, aprés avoir vécu de sa place, exactement comme la vieille
servante célibataire; l'institution n‘a pas plus de profondeur sociale
que cela. L’Etat ne s’inquicte pas plus des ages, il ne craint pas plus
d’embarrasser et de charger l'avenir de pensions viagéres dont il n’a
pas songé davantage 4 peser le fardeau. Sauf le correctif de la ré-
versibilité éventuelle aux veuves et aux orphelins mineurs, qui est
un commencement de repentir, une vue jetée vers une solution
meilleure, I’Etat ne prend pas plus de souci de la famille de ses ser-
viteurs. Quant 4 la puissance de |’épargne, quant 4 l’importance so-
ciale du patrimoine, quant 4 Pintérét social aussi, et tout a la fois
moral et administratif de favoriser les mariages des fonctionnaires,
quant au spectacle douloureux de la famille en détresse du fonetion-
naire qui meurt en activité de service, quant aux séductions 4 offrir
pour attirer et retenir dans les carriéres publiques les sujets d’élite,
— le législateur n’a rien apercu de tout cela. L’Etat semble un de
ces maitres comme il y en a trop, qui aiment 4 ne s’entourer que de
serviteurs célibataires.
Si ces considérations sont comprises, si l’on est pénétré, comme
je le suis, de la conviction qu’il y a la une question administrative,
sociale et morale de premier ordre, une initiative féconde a pren-
dre, un grand exemple, une grande lecon & donner 4 )’industrie
privée, dans un intérét social qui prime tous les autres, la solution
est facile, et l’on acceptera, au besoin, les sacrifices nécessaires.
Entre l’administration d une fortune privée et celle de la fortune
publique, il y a, en effet, cette différence que, pour la premiére, les
dépenses doivent étre incontestablement subordonnées aux ressour-
ces constalées, tandis que, pour la seconde, les ressources dotvent
étre, non moins incontestablement, subordonnées aux besoins. C'est
excuse et la justification de tous les impéts, de tous les emprunts.
Je me suis interdit de traiter ici des questions politiques, je ne les
effleure qu'incidemment et pour éclairer mon argumentation. Les
désastres de la guerre nous ont imposé une dette gigantesque de
cing milliards 4 payer au vainqueur : on a su trouver, devant cette
échéance, dans de grands efforts patriotiques, les ressources néces-
saires pour l’ucquitter. On considére la réorganisation de V’armée
comme une nécessilé : on trouve d’autres ressources pour y sub-
venir. La ville de Paris, malgré la pénurie de ses finances, veut
rebatir son Hoétel de-Ville. Elle ouvre un concours et saura y pour-
voir. — Je ne discute pas, je constate.
Donc, si l'on estime, a priori, que la bonne organisation de l'ad-
ministration frangaise est aussi une question capitale, une nécessité
sociale urgente; si l'on reconnait que le régime de Ja loi de 1895
est détestable; si l’on considére son abrogation immédiate, méme 4
DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 285
l'égard des fonctionnaires actuels, comme une mesure de salut; si
lon est amené 4 conclure que, pour indemnité des droits acquis, il
faut consacrer 4 ja réforme um emprunt spécial de quelques cen-
laines de millons, en supprimant quelques régiments et.en ajour-
nant quelques travaux publics, répulés d’une moindre urgence, ce
n'est pas moi qui réclamerai. Je serais prét 4 voter la réforme
intégrale et unmédiate, avec indempilé des droits acquis, pour
cause d’utilité publique.
Pourtant, raes prétentions sont beaucoup plus modestes. Je ne
demande pas de résilier d’antorité le contrat qui lie l’Etat envers les
fonctionnaires actuels. Je ne propose que d’arréter les effets dc la
la de 1855, d’en prononcer la liquidation, et de fonder, pour les
fonctionnaires qui entreront désormais au service de |’Etat, une
institution nouvelle, un contrat nouveau, en harmonie avec les vé-
rités de la science financiére, avec les intéréts sociaux, avec les con-
sidérations d’ordre moral que je me suis efforcé de meltre en lu-
miére.
ll est temps que je trace te plan de cette insfitation. Bien que je
Paie appelée nouvelle, elle n’est pas une utopie, elle a recu d’une
expérience de vingt-trois ans, dans une vaste administratiort privée,
la consécration du plus éclatant succés, et le lecteur se souvient
qa'un décret vient de l’appliquer: aux fonctionnaires spéciaux de la
Cochinchine.
Elle peut se formuler de la maniére suivante :
1° Abolition de la pension de retraite.
Cest ce qu'il y a de plus radical dans le projet, qui s'attaque ici
a un préjugé trés~enraciné.
Je suis frappé de ]’étrange puissance des mots. Le pére de famille
qui place 4 fonds perdu, en dépouillaat d’avance ses enfants, est
justement flétri par |’opinion. C'est une ignominie trésrare. On aime
mieux s’imposer toutes les privations que d’aliéner le patrimoine.
le jeune homme qui, avant de savoir s’il fondera une famille, con-
sacrerait ses économies a s’assurer des rentes viagéres paruilrait un
insensé, Changez le mot, ne parlez que de s’assurer une pension de
retraite. Ce sera exactement la méme chose qu'une rente viagére.
Pourtant, aprés avoir flétri le rentier, on loue, on honore le pen-
sionnaire. — Je ne me lasserai pas de combattre ce préjugé, qui
donne une renle viagéxe pour prix et couronnement de toute une vie
de labeur. Je suis Pirréconciliable eanemi de la rente viagére, parce
284 LES PENSIONS DE RETRAITE
qu’elle est précisément le contraire de |’épargne, la destruction du
capital, le renversement de l’esprit de famille. |
La rente viagére est et doit demeurer licite. Elle peut se justifier
par les besoins et la situation personnelle du rentier. Que le céliba-
taire avancé en Age, alteint par des revers de fortune, voyant son
foyer désert et n’espérant plus rien du travail, se résolve a la né-
cessité d’aliéner son capital pour assurer Ja subsistance de ses vieux
jours, ilnesera certainement pas blamable. Le fonctionnaire retraité
qui se trouvera dans cettre situation sera libre d’accroitre ainsi son
aisance, comme tout autre petit capitaliste. Celui qui aura une
compagne, une sceur, une Vieille mére sera libre de se conslituer
une rente viagére réversible. Les tarifs des compagnies d’assurances,
peut-étre ceux d’une Caisse publique annexée & la Caisse de pre-
voyance des fonctionnaires, lui donneront & cet égard, selon ses
convenances, des facilités bien supérieures 4 la seule réversibilité
partielle & la veuve, accordée par la loi de 1853, et le chilfre de la
rente, calculé d’apres l’4ge ou les dges, ne sera limité par aucun
maximum arbitraire. Du moins, s'il choisit une rente viagére, c est
qu'il l'aura voulu. L’Etat ne la lui aura pas imposée dés les jours de
sa jeunesse, en le traitant comme un interdit, pourvu d'une pension
alimenfaire.
Un vice éclatant, Bien que rarement observé, de la pension de re-
{raite, ainsi promise a l’avance et qui n’est pas acceplée par le choix
libre et actuel du pensionnaire, c’est aussi qu’il pourra, quand il en
sera mis en jouissance, étre atteint déja d'une maladie qui lui pré-
sage une mort prochaine. La pension viagére est alors sans valeur.
Quoi de plus choquant que de voir un fonctionnaire qui a subi pen-
dant quarante ans des retenues, mis & la retraite, au moment ou la
vie Yabandonne, recevoir pour récompense de quarante ans de
loyaux services une rente viagére dont il ne touchera qu’a peine ou
deux trimestres! Sil a des enfants dénués de ressources, quelle ne
sera pas son amertume! — Quand le choix sera facultatif, le fonc-
tionnaire infirme se gardera bien de demander une rente viagére.
Ainsi, dés ce premier point, le systéme que je recommande est,
sous tous les rapports, préférable 4 celui de la pension de retraile,
et ne peut laisser aux fonctionnaires, quelles que soient leurs con-
venances, aucun regret.
2° Ouverture d'un compte individuel, en capital et intéréts com-
posés.
Je ne saurais trop insister sur les avantages et les séductions du
livret individuel reflétant le compte et mis entre les mains de cha-
DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 285
que employé. L’adolescent lui-méme sent aussitét la puissance de
l’épargne.
On conviendra que la lointaine perspective d’une pension de
retraite dont il jouira dans une quarantaine d’années, s’il persé-
vére un tel laps de temps au service de I’Etat, est peu attrayante;
il est beaucoup plus touché des retenues qu'il subit. Montrez-lui
son livret qui commence, qui progresse tous les ans, qu'il dépend
de lui de grossir encore ou d’abandonner, vous faites de lui, &
"instant méme, un capitaliste et un conservateur. A chaque aug-
mentation de traitement qu'il obtient, il voit avec joie croftre la pro-
gression de l’épargne. Quand il pense & se marier, il montre son
livret comme une dot et un patrimoine.
Pai pratiqué le livret pendant une expérience de vingt-trois
ans. J’ai pu comparer l'amour de l’employé pour son livret 4 celui
du paysan pour les premiers sillons qu’il posséde. Avec quelle
allégresse le paysan recevrait l’assurance de reculer, chaque année,
sans bourse délier, les limites de son champ, et verrait jalonner
d’avance les sillons nouveaux qui s’y ajouteraient |
Quant aux fonctionnaires dun rang élevé, le livret prendra une
importance toujours proportionnée 4 celle de leurs fonctions. Rien
n’en arrétera le progrés. On n’entendra plus,ce que me disait un
directeur général: « J’ai, depuis longtemps, atteint le maximum
de la retraite éventuelle que me réserve la loi de 4853, c’est une
pension viagére de 6,000 francs. Quelques services que je rende
désormais a I’Etat, il ne m’en sera tenu aucun compte. » — A quoi
je répondais : « Si l’institution que je recommande avait élé adop-
tte au début de votre carriére, ce n’est pas une rente viagére de
6,000 francs, c’est un capital de 200,000 francs, peut-ttre, qu’en
vous retirant, vous recueilleriez, pour prix de vos éminents ser-
VICES. »
3° Subventions annuelles dla Caisse de prévoyance.
Le lecteur m'attend sans doute ici, comme au défilé périlleux et
difficile 4 franchir. J’avoue n’en étre pas trop intimidé,
Vai recommandé a l'industrie privée, comme source d’alimenta-
tion des caisses de prévoyance, la participation aux bénéfices. L’Elat
n’a pas de bénéfices 4 répartir entre ses employés. Il faut done cher-
cher d’autres sources.
lly en a une, assez abondante déja, qui est toule trouvée : les
retenues sur les traitements.
Au lieu de les absorber au budget des recettes, quoi de plus fa-
286 LES PENSIONS BE RETRAITE
cile que de les verser effeetivement & une caisse de prévoyance,
chargée de les répartir en comptes individuels et de les faire fructi-
fier 4 intéréts composés? |
Le rétablissement des retenues 4 un compte productif d'intértts
suffirait-il pour assurer un sort convenable aux fonctionnaires, sans
aucun sacrifice de l’Etat? Non, certes, et il est d’aillears univer-
sellement reconnu que l’Etat doit s’*imposer, dans ce but, des sa-
crifices. Il leur donnera la forme de subventions annuelles, tov-
jours précises et proportionneties aux traitements, votées avec le
badget et ne faisant peser sur l’avenir de nos finances le fardeau
d’aucun inconnu.
Mais je m‘interromps ici, me bornant & ‘ces seules indications.
La discussion du projet, dans ses conséquences financiéres, exi-
gerait des développements que je dois réserver pour une Elude
ultérieure.
fk oe
4°: Attribution du livret & la véuve, aux enfants ou aux ascendanis
du titulaire qui meurt en activité de services.
Je n’ai pas 4 m’étendre longtemps sur cette disposition. Eile
n’a besoin que d’étre énoncée pour qu'on en apercoive |'immense
bienfait. Elle saffirait, 4 elle seule, pour recommander |'institulion,
et pour élablir son éclatante supériorité sur le régime de 1a pension
de retraite. .
Jai déja dit qu'elle fait du livret une dot, et facitite singulire-
ment les mariages.
C’est 4 dessein que je ne propose pas l'attribution aux héritiers
en général. Si le livret entrait dans l'hoirie du fonctionnaire dé-
cédé, il pourrait étre Pobjet de dispositions testamentaires, i
pourrait élre saisi par des créanciers, il subirait toutes les forma-
lités et les droits des successions, trés-souvent avec des exigenccs
de conseils de famille et de minorité; on verrait des successions
répudices, d’autres acceptées sous bénéfice d’inventaire; la caisse
de prévoyance serait embarrassée d'une foule de \tquidations con-
tenlieuses, pour de petites sommes qui se dévoreraient en frais. La
disposition que je présente prévient tous ces inconvénients. File
est, d’ailleurs, conforme au principe de linstitution, qui ne re
connatt pas de dreit personnel de propriété au titulaire avant I'ac-
complissement de certaines conditions de services que fa mort la
empéché d’accomplir. La bienveillance de Etat promet seulement
de faire jouir du livret la veuve, les descendants ou les sscen-
dants : cette bienveillance n’a pas & se porter sur les collatéraux.
DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 287
Dés lors, tout est facile et expéditif. Un formalisme spécial trés-
prompt, trés-peu dispendicux, un simple acte de notoridlé, suffira.
Le bienfait parviendra rapidement & son adresse, quitie et net de
tous droits et frais.
La loi déterminera dans quelles proportions le montant du livret
sera remis a la veuve, aux descendants ou aux ascendants. C’est un
point de détail a régler. |
O° Altribution du montant du livret au titulaire, comme droit acquis
aprés un cerlain nombre d’années de services.
Sous le régime de la loi de 1855, le concours de deux condi-
tions est nécessaire pour que le fonctionnaire ait un droit acquis &
la pension de retraite. Ti faut qu’il ait 4 la fois trente ans de ser-
vices et soixante ans d’age. D’ot il résulte que le fonctionnaire,
entré dans la carriére 4 Age de dix-huit ans, n‘aura aucun droit
acquis avant d’avoir accompli quarante-deux années de services.
est, je pense, permis de trouver la condition rigourcuse.
Sous le régime proposé, if sera possible de l’adoucir double-
ment, de réduire 4 vingt-cing ans le temps de services requis, et
leminimum d’dge 4 cinquante-cing ans. Je crois méme qu'on pour-
rail, sans inconvénient, se contenter de l'une ou de lautre condi-
lion, au lieu d’en exiger le concours. Ce qui importe a !Etat, c’est
que le lien soit une garantie sérieuse de fidélité, et c'est surtout
de s'attacher les sujets d’élite. Par ailleurs, i! n’a aucun intérét
financier & retarder la liquidation des livrets, et comme les fonc-
lionnaires qui se retirent ne sont pas toujours immédiatement rem- -
placés ou peuvent avoir des remplacants qui ont des traitements
moindres, les retraites seront plutét une économie. Or, sauf le cas
exceptionnel d’impérieuses convenances personnelles, quelle appa-
rence qu'un homme de valeur et d’avenir voudra, jeune et valide
encore, abandonner les avantages de sa carriére, en arrétant la
progression de son livret? Ce sont les mécontents et les paresseux
qui seront portés 4 se retirer dés qu’ils pourront liquider leur livret:
ls seront rarement a regretter.
6° Attribution du montant du livret au titulaire, avant age de la
retraite, dans certains cas déterminés.
C'est encore un bienfait considérable de l’institution que d’attri-
buer le mentant da livret au titulaire qui se retire pour des raisons
de santé et & celui qui est congédié par suppression d’emploi ou ré-
288 LES PENSIONS DE RETRAITE
duction de personnel. J’ai ajouté : ou par tout autre motif, et ict je
me préoccupe peut-étre des intéréts de |’administration plus que de
ceux des individus , de ceux du moins qui n’auront pas un meérite
reconnu et qui donneront des sujets de plainte. Qu’on veuille bien
se souvenir de ce que je disais plus haut, aprés l’honorable M. de la
Monneraye. L’administration est encombrée d’agents usés ou néghi-
gents, de non-valeurs, qu'on n’ose pas frapper des rigueurs de la ré-
vocation, qu’on supporte par humanilé jusqu’a lage de la retraite.
Ils nuisent 4 l’'avancement des autres, ils embarrassent et déconsi-
dérent l'administration. Désormais il sera facile de Vaffranchir de
ces parasites. Ce sera une menace salutaire qui stimulera le travail,
l’assiduité, la décence des mceurs et des habitudes. Les chefs immé-
diats pourront souvent négocier amiablement des retraites anticipées
qu’il sera aisé de motiver sur des raisons de santé ou de réduction
de personnel, en ménageant l’amour-propre des fonctionnaires ré-
formés. Au besoin, le congédiement sera prononcé d'office. On
pourrait craindre les abus de l’arbitraire. Je remarque que dans les
administrations privées les employés sont toujours susceptibles
d’étre congédiés. Les emplois en sont-ils moins recherchés, et
voit-on jamais les chefs de l’industrie se priver capricieusement des
services des collaborateurs d’un mérite reconnu? J’admets pour-
tant, comme garantie contre l’arbitraire, que le congédiement d’of-
fice ne puisse pas étre prononcé sans l’avis d’une commission admi-
nistrative, instituée prés de chaque ministére, peut-étre prés de
chaque direction générale, C’est encore un point de détail 4 régler ;
mais i] n’échappe a personne que |’administralion gagnera beaucoup
en acquérant la facullé d'épurer le personnel et d'éliminer les non-
valeurs. :
7° Déchéances.
Les déchéances seront restreintes 4 trois cas seulement :
Celui de démission volontaire ;
Celui de révocalion encourue;
Celui de mort, sans que le fonctionnaire décédé laisse une veuve,
des descendants ni des ascendants.
On peut poser la question de savoir si, dans ces cas, le montant
du livret sera supprimé au profit de l’Etat, ou s’il se répartira entre
les autres comptes individuels. Je me prononce pour la seconde so-
Jution, qui a été adoptée déja par la Compagnie d’assurances géné-
rales. La Compagnie n’a pas voulu hériler de ses employés célibatai-
res, ni confisquer & son profit le pécule de ceux qu’elle est amenée &
DES FONCTIONNAIRES PUBLICS. 289
révoquer. Elle s’en trouverait génée dans l’exercice de son autorité.
Elle ne reprend donc jamais rien de ce qu’elle a une fois versé a la
caisse de prévoyance, elle répartit 4 la fin de chaque année les dé-
chéances entre tous les comptes restés ouverts. J’estime que l’Etat
doit pareillement éviter tout ce qui ressemblerait & une confis-
cation.
Pestime de plus que la répartition doit se faire, non d’une ma-
niére générale entre tous les fonctionnaires, mais entre ceux de cha-
que département ministériel et plutét méme, comme je le disais
tout a heure, de chaque direction générale. L’enregistrement, par
exemple, les douanes, la magistrature ont un personnel assez vaste
pourqu’on y concentre la répartition des déchéances. Si dans quel-
ques carriéres les démissions sont plus fréquentes et les célibataires
plus nombreux, on pourra en conclure avec certitude qu’elles sont
plus ingrates que les aufres ; il sera équitable que les fonctionnaires
qui y persévéreront profitent de ces compensations. Le seul jeu des
déchéances deviendra ainsi un élément instructif de statistique ad-
ministrative.
Daprés Pexpérience de la caisse de prévoyance de la Compagnie
dassurances générales, je ne pense pas, au surplus, que la réparti-
tion des déchéances représente, en moyenne, au dela d’un supplé-
ment annuel d’environ demi pour cent du montant de tous les
livrets,
8° Administration distincte et gestion financiére sé¢parée de la caisse
de prévoyance.
Ladministration et la gestion financiére sont deux choses trés-
différentes.
J’entends par administration l’ensemble des dispositions qui au-
ront pour objet de constafer les droits et la situation de chacun, de
prendre acte des démissions, des révocations et des décés, d'écou-
ler les réclamations, et finalement d’ordonnancer tous les régle-
ments. Je pense qu'elle devra étre confiée 4 diverses commissions
spéciales, sous l'autorité d’une commission supérieure qui assistera
un directeur général. I] ne peut pas étre de mon dessein de tracer
le plan détaillé de cette organisation ; c’est 4 un réglement d’admi-
histration publique 4 y pourvoir.
Quant 4 la gestion financiére, il est clair qu'elle sera confiée au
ministére des finances. La caisse de prévoyance des fonctionnaires
publics aura une existence propre et un directeur général, comme
la Caisse des dépdts et consignations. Je crois que ce serait une faute
que de les confondre. La Caisse des consignations a des habitudes de
299 LES PENSIONS DE RETRAITE BES FONCTIONNAIRES PUBLICS.
formalisme minutieux et contentieux qui seraient rebutantes pour les
fonctionnaires et pour leurs familles. La caisse de prévoyance n‘aara
d’ailleurs & faire, extérieurement, qu'un service de trésorerie.
Je dois réserver pour l'étude ultérieure que j'ai annoncée ce que
j'ai a dire de la gestion financiére de la caisse de prévoyance.
J’achevais le présent travail lorsque j'ai appris que quatre honora-
bles membres de ]’ Assemblée nationale, MM. l'amiral de Montaignac,
le marquis de Plasuc, Léon Riant et Audren de Kerdrel, venaient de
présenter 4 l’Assemblée, dans la séance du 24 mars dernier, une
proposition de loi portant eréalion d'une caisse nationale de prévoyance
des fonctionnaires civils, laquelle est précisément, en substance, }'in-
stitution sur laquelle je m’efforgais, de mon cété, d’attirer Palten-
tion du public. L’exposé des motifs est aussi un résumé, habilement
fait, des considérations que je m’atlachais a développer.
J’applaudis vivement 4 cette initiative. Je suis heureux de voir
l’Assemblée saisie directement de l’examen d’une question aussi ca-
pitale pour l'administration fraucaise, et j’espére qu'elle saura la
résoudre.
Aurrep p& Couacr.
THERMIDOR
MARIE-THERESE ET DAME ROSE
QUATRIEME PARTIE
LA GRANDE BATAILLE !
V
QUAND LE SOIR FDOT VENU.
-La nuit était arrivée, brdlante, et pourtant sereine, Quelques
lanternes jetaient une lueur fumeuse au coin des rues; d'autres lan-
lernes et des torches de résine portées a la main traversaient la foule,
qui grandissait d’heure en heure. Une série de petites lumiéres poin-
tillaient la facade de la Maisoa Commune. Mais la lumiére qui tom-
bait du ciel pur et des étoiles scintillantes suffisait @ distinguer les
groupes et les individus.
La place se couvre d’hommes, de baionnettes, de piques. La
foule des sectionnaires armés augmente d’heure en heure. A ce mo-
ment la Commune |’emporte sans conteste ; elle continue de parattre
seule en scéne. L'immense majorilé du peuple réuni sur la Gréve,
et toutes les sections qui n’avoisinent pas les Tuileries, ignorent
méme que la Convention est en séance. Pour ceux qui le sayent et
qui reviennent soit de la place du Carrousel, soit des tribunes de
Assemblée, les députés nesont autre chose qu'une réunion de ba-
* Yoir le Correspondant des 25 septembre, 10 et 25 octobre, 10 et 25 novem-
bre, 10 décembre 1872, 10 et 25 mars et 10 avril 1875.
292 THERMIDOR.
vards désespérés. Les quelques rares partisans des Comilés sont
pourchassés, Jes porleurs d’ordres officiels sont arrétés; il y cna
déja quatorze emprisonnés 4 la maison d’arrét de la Mairie. L’Agent
national Payan vient de demander que les presses des journalistes
soient bris¢es. La Commune vient d’ordonner aussi qu'on fit de fré-
quentes patrouilles. :
Du reste, en attendant que le mouvement qu'elle essayait de com-
muniquer aux sections se déclarat irrésistiblement, la Commune se
livrait 4 une rhétorique désordonnée pour tenir en haleine et elle-
méme, et le peuple des tribunes, et le peuple de la place; elle uti-
lisait toutes les vieilles parades démocratiques, toutes les fleurs de
la rhétorique révolutionnaire. Elle était habile, on le devine, dans
l’art d’enfiévrer, de colérer, d’exalter les bons sans-culvttes, et elle
savait mieux que M. de Petit-Val qu'il ne faut pas les laisser s arré-
ter, se refroidir et réfléchir. Enfin, nous le répétons, elle voulait par-
dessus tout ’empécher de savoir ce qui se passait & la Convention;
elle envoyait plus fréquemment de ses membres sur la place, pour
haranguer tantdt les canonniers, tantdt les gendarmes.
— Silence! silence! cria tout & coup la foule. Regardez! regar-
dez |
Un groupe considérable paraissait aux fenétres de 1l’Hdlel de Ville,
quis’éclairérent vivement. Le peuple reconnut son maire, son agent
national , son favori Moenne, substitut de l’agent national, et une
foule d'autres officiers municipaux qui, avec un ensemble par-
fait, poussérent un cri fort, retentissant, en étendant la main vers
une affiche. C’était le Conseil qui venait préter serment, sur les Droits
de I'Homme, d’anéantir la faction des conspirateurs nouveaux qui
voulaient assassiner le peuple et la liberté.
L’enthousiasme se réveilla de plus belle, et dés lors, jusque vers
onze heures, tout contribua 4 l’entretenir. Tous les événements se
succédaient favorables. La Convention paraissait de plus en plus
muctte ; les proclamations de la Commune devenaient de plus en plus
sonores ; et surtout, surtout les sections commengaient a répondre
& l’appel du tocsin de I’Hétel de Ville.
Les cris de joie qu’avait causés |’apparition du Conseil général se
changérent bient6t en applaudissements : Hanriot, et sept autres pa-
triotes délivrés avec lui, traversaient la place, escorlés par Coffinhal
et par Damours, agitant triomphalement les cordes dont le général
avait été Jié, et suivis par Pourvoyeur, qui brandissait son sabre en
poussant des cris rauques. Mais bient6t toutes les maisons tremble-
rent sous les clameurs frénéliques d’enthousiasme : une députation
nombreuse de la Société des Jacobins, la sainte, la pure, l’infaillible,
la mére et la maitresse dela Révolution, se rend au Conseil.
THERMIDOR. 295
— Bon! bon! cria Justin Pourvoyeur, qui revenait des Tuileries,
voila notre coup réussi; les jacobins arrivent & la Commune!
Et saulant de joie, et saisissant quelques voisins, qui prirent a
leur tour quelques citoyennes du voisinage, il organisa une ronde
gigantesque qui bondit en entonnant la Carmagnole.
— Mais, dit un petit homme 4 la voix percante, ce n’est pas tout
de danser et de crier, il s’agit de savoir de qui la Commune tient ses
pouvoirs.
Notre nouveau brave, le vaillant Piqueprune — car c’était lui qui
venait voir la physionomie des choses — tombait fort mal.
— Scélérat! hurla Justin Pourvoyeur, ne sais-tu pas que la Com-
mune tient ses pouvoirs d’elle-méme! Mais tu as dévoilé {on infame
aristocratie ; tu es un émissaire des conspirateurs de la Convention!
Je Uarréte! Allons! embarqué pour l’audience de police!
— Embarqué! cria la voix joyeuse d’un citoyen donnant le bras a
deux autres qui s’en venaient chantant et oscillant légérement, n’y
aurait-il pas ici quelque fils d’Amphitrite? Tiens! c’est mon voisin !
Respect aux fils de Mars!
Et poussant vivement Justin, il débarrassa le petit poéte, qui s’en-
fuit en criant :
— Brigand de Justin! Je reviendrai bientét & la téte des sections
des Arcis, des Lombards et des Gravilliers !
L'lroquois, Agricola et le sergent Barthélemy — c’élaient ceux
qui revenaient de la barricre de |’Observatoire — se reprirent par le
bras, et saisissant, en chantant plus fort que jamais, l’espion-ora-
teur, ils le menérent, malgré ses cris, jusqu’au Port-au-Foin, a
autre bout de la place, La, ils le poussérent dans un trou.
— Ce n’est pas pour te faire mal, citoyen, dit Jacques, en riant de
lout son coeur, c’est pour t’apprendre a ne pas étre brutal ; car on
lrouve toujours plus fort ou plus nombreux que soi. Nous, nous
sommes comme la Commune, nous tirons nos pouvoirs de nous-mé-
mes.
De grands cris, qui sortaient d’une troupe lancée & toute vitesse
dans la direction du fleuve, les troublérent un instant dans leur ceu-
we de justice. Une foule de sans-culottes et de tricoteuses, a la téte
desquels on pouvait reconnaitre Testard, poursuivaient.un pauvre
diabie. en hurlant :
— A mort l’espion de Pitt! criait Testard.
L’'homme ainsi poursuivi n’était autre que le neveu de dame Rose,
revétu des habils de Samuel Vaughan. Le pauvre diable, orné de ce
costume, beaucoup trop grand pour lui, avait regagné Paris en
maudissant la méchanceté des Parisiens, et ’idée ambitieuse qui
Pavait engagé & quitter son village. Pour son malheur, & la brune,
924 THERMIDOR.
il avait été rencontré par Testard qui, voyant ce costume, avait pris
Jougleux pour Samuel, qu’il soupconnait fort d’étre un espion an-
glais. Il ameuta conire lui la foule. Le jeune garcon essaya de se dé-
fendre, et son patois, que la populace de la Gréve prit volontiers
pour du baragouin britannique, empira sa situation. Son habillement
étrange, celle redingote noire qui l'’engoncait, ce gilet qui dansait
sur son eslomac, lui donnaient une physionomie des plus comiques
sans doute, mais suspecte aux yeux de ces brutes, pour qui toule
chose bizarre était matiére & soupgon et & dénonciation. On voulut
le saisir; il se sauva. Testard se mit a la téte de la meute. Jougleux,
hors d’haleine, hors de sens, sans voix et furieux, arriva au bord
de l'eau.
— A mort! a V’eau! hurla la foule. A l'eau Vespion! a l'eau!
Qu’on le tue! ,
— Eh ben! je le veux. En surplus, je meurs de faim et de tout, et
je suis malheureux comme un chien enragé. Je vous maudis tous,
et Paris, et la République que les Parisiens ont faite. Avant ¢a, Je
vous montrerai que je ne suis pas un Anglais, mais un franc Picard
et qui se rebiffe quand on le pousse 4 bout, et puisqu’il faut mourir,
je mourrai en compagnie!
Aprés avoir débité cette oraison les larmes aux yeux, en gringant
des dents, en montrant les poings et en excitant les rires de toute
l’assistance, il sauta sur Testard, le serra dans ses bras vigoureux,
et se précipita dans le fleuve avec lui.
De nouvelles et plus violentes clameurs qui s’élevérent sur la
place détournérent l’attention du groupe que l'enlévement de Testard
hl un peu ahuri. Chacun s’empressa de regagner le milieu de la
ve. :
La Commune, sur la proposition de Louvet, venait de prendre une
décision importante : elle venait de nommer un comité d’exécution.
Elle avait déclaré la guerre et maintenant elle engageait le combat.
Une nuée de proclamateurs quiltla la place, se répandant dans
tous les quartiers pour annoncer cette décision, publier les noms et
tenir la population en fiévre.
Puis un grand mouvement avait lieu 4 la grand’porte de la Maison
Commune. On venait d’apprendre que le maire avait fait nommer
des commissaires pour aller chercher Robespierre l'ainé et lui obser-
ver qu'il ne s'appartient pas, mais qu'il doit étre tout entier a la pa-
trie. On avait chargé Tranquille-Fidéle Bailli de lui porter ce mot:
« Le comité d'exécution nommé par le Conseil a besoin de tes con-
seils. Viens-y sur-le-champ. »
Le bon peuple se pressait pour voir leg traits de son idole persé-
cutée. Robespierre jeune parut bientét, et entra dans |’Hotel aux
THERMIDOR, 295
applaudissements de la foule; mais l'ainé se faisait attendre. Le
bruit courut bientét sourdement qu'il ne voulait pas venir.
Cela était vrai. Maximilien voulait étre laissé 4 la Mairie, aux
mains des administrateurs de police. I] était 14 parnmi des hommes
dévoués, en sdreté, et pourtant apparemment prisonnier, c est-d-dire
dans une situation légale. Il était absolument aceablé, presque hé-
bété. Il ne sentait autour de soi aucun des appuis dont il avait be-
soin pour entretenir son audace, pour se donner le courage qui lui
manquait naturellement, pour exalter cette vanité, cette ambition,
cetie fureur qui remplacaient en lui |’énergie; ses complices parle-
mentaires étaient prisonniers, ses gardes du corps semblaient l'avoir
abandonné, et ceux qui, comme le capitaine Front, comme Pour-
voyeur, étaient ses gens de main et d’exécution, les fournisseurs ha-
bituels, si je puis dire, de son sang-froid, avaient disparu. Il se sen-
lait brisé, détendu, vide, alourdi, imbécile, comme au lendemain
d'une orgie.
Pourtant il eut, 4 ce moment encore, une lueur de son ancienne
habileté, une seule et la derniére. Il voulait profiter de |’émeute sans
avoir l’air d’y participer. Il voulait bien torturer, violenter, violer la
loi, mais hypocritement, sournoisement, en s’agenouillant, et pourvu
quelle gardat les vétements de la loi. En restant prisonnier on pou-
vail !'assassiner, mais plus probablement on serait obligé de le juger,
et alors le peuple le sauverait. En rompant ses chaines, il s’exposait
a étre mis hors la loi, c’est-i-dire & étre exécuté sans jugement et
sur une simple constatation d'identité ; car tel était l’effet légal de
la déclaration de mise hors la loi. Enfin, et c’est ce qui parait
avoir échappé a tous les historiens de Thermidor, il redoutait sur-
tout d’étre l’esclave de la Commune. Il croyait et il crut jusqu’a la fin
au succés ; il prévoyait le triomphe de cette nouvelle évolution de la
Révolution, et il se disait que les membres du Conseil genéral étaient
gens bien plus difficiles 4 manier que les Comités; il ne youlait pas
avoir écrasé ceux-ci au profit des autres, mais 4 son bénéfice a lui.
ll se souvenait du mal qu’il avait eu 4 détruire la précédente Com-
mune des Chaumette et des Hébert, et il voyait clairement qu’en se
rendant au milieu des officiers municipaux pendant la hataille, il
Sexposait a devenir leur serviteur, tandis qu’en attendant les évé-
nements, il sortirait de prison, leur maitre, le dictateur, le pacitica-
teur.
ll eut donc un moment de clairvoyance. Mais Tranquille-lidéle
Bailli, aidé par les autres commissaires, lui fit vivement compren-
dre qu'on n’est jamais le maitre, mais toujours |’esclave de la Révo-
lution, quand on a commencé par étre son ami, et que nul ne peut,
quand il lui platt, retirer son bras de cet effroyable engrenage.
296 THERMIDOR.
Maximilien céda. On partit pour la Maison Commune. Quand il ar-
riva & la porte et que la portiére de sa voiture fut ouverte, il élait
dans une telle angoisse, dans un tel trouble, qu’il se rejeta en ar-
riére, instinctivement, pour ne pas sortir. Fidéle Bailli le poussa;
il descendit pdle, égaré; les bras de dix municipaux s’ouvrirent
pour le recevoir, et il avait l'air si étrange que Keraudren lui dit de
sa voix railleuse : |
— Rassure-toi donc, Robespierre, te voila au milieu de tes plus
fidéles amis.
Un hourrah d’enthousiasme qui s’éleva alors le rappela & lui-
méme. Il se retourna. Il vit beaucoup de piques et de baionnettes.
Il reprit courage, et se tournant vers les gendarmes qui I’avaient
escorté, il leur dit :
— J'ai toujours aiméles gendarmes ; continuez d’aigrir le peuple
contre les conspirateurs.
Il entra d’un pas assez ferme, toujours suivi par Keraudren,
escorté par Pourvoyeur, qui élait descendu au-devant de lui et qui
l'acclamait de ses épouvantables cris inarticulés. Il demanda ou était
le capitaine Front. On lui répondit qu’il venait de partir pour La
Force.
L’influence défiante du nouveau venu ne tarda pas a se faire sen-
tir : le Conseil décida que tout le monde continuerait 4 pouvoir en-
trer dans |'Hdtel, mais que nul n’en sortirait plus sans ordre du co-
mité d’exécution. Toutefois, la curiosité du peuple, qui murmurait
déja, ne fut pas mise & une trop rude épreuve. On commenga bien-
tot a entendre la voix retentissante de Brochet, qui, installé sur le
couronnement du premier étage de la Maison Commune, publiait les
décrets, que mille voix portaient aux deux bouts de la Gréve.
Pendant ce temps, Victorien avait rejoint Petit-Val et Vulmer, qui
se promenaient, préoccupés, 4 cdté de Samuel Vaughan, absolument
silencieux. L’'Union Gosse se ruinait en chopines, en demi-setiers et
en poissons pour entretenir quelque zéle parmi ses voisins décou-
ragés, et dont un grand nombre commengait a ne plus savoir ce
qu’il fallait croire et crier. A la lueur d’une torche, on voyait ¢a et la
paraitre le long corps de Sagamore, dont Je visage paraissait plus
sombre que jamais. Heurtevent revenait des environs de La Force,
momentanément rassuré. Il demandait toujours 4 Victorien si l'on
ne commencerait pas bientét quelque chose. Celdi-ci haussait les
épaules.
Une voix bien connue vint faire tressaillir nos amis, en chantant
’hymne du Salpétre :
On verra le feu du Francais
Fondre la glace germanique ;
TMERMIDOR. : 297
Tout doit répondre a ses succés :
Vive 4 jamais la République!
Précurseurs de la liberté,
Des lois et de l’égalité,
Tels partout on doit nous connaitre,
Vainqueurs des bons par la bonté
Et des méchants par le salpétre.
Vulmer s'avanca, suivi de ses amis, vers Je chanteur:
— Eb hien, quoi? dit-il. Parle vile, mon ami.
Mais le fou musicien ne répondit pas; il baissa les yeux et cher-
cha au fond de sa mémoire les mots qui lui avaient été confiés. Entin
il parla :
— L'enfant adit : Capitaine Vingt-et-un-Janvier, entre 4 La Force
pour enlever la ciloyenne.
Vulmer recula comme s’il venait de recevoir un coup en pleine-
poitrine; puis il fit un geste comme pour sélancer. M. de Petit-Val
et Victorien le retinrent.
— Yous ne pouvez nous quitter, Vulmer, dit le vieux gentil-
homme a mi-voix. Voici vos compagnons, voila ]’ennemi; le combat
ne peut farder 4 s’engager. Je jure sur Je nom de votre pére que Jje
vous déclarerai un déserteur, 4 la face de toute la noblesse fran-
caise. |
— Nous quitter! dit L'Union-Gosse en grommelant. J'ai déja assez
de mal & retenir les compagnons; si quelqu'un s’en va, tout se
sauve, et moi avec. Aussi bien, aprés tout, ce n’est pas encore a nous
qu’on coupe le cou; d’ici 14 nous verrons; et si ceux pour qui nous
Youlons bien nous risquer sen vont, qu’est-ce que nous ferions
bien ici?
~— Vous Je voyez, mon pauvre camarade, dit Victorien d’une voix
compatissante, il faut reprendre votre grand courage et vous rvidir.
Hélas! si vous pouviez voir le fond de mon ceeur! Celle que j'aime
par-dessus tout est la — il montrait le coin de la rue Jean-de-
[épine — elle se meurt! elle est 4 cent pas de moi, et je n’ai pas
voulu aller la voir pour ne pas m/’affaiblir, pour ne pas présenter un
visage découragé A nos compagnons d’armes, en celte détresse de la
patrie et de la liberté.
Vulmer redressa le front; un triste sourire erra sur sa face, qui
semblait, 4 la clarté dela nuit, livide et défaite. Ii serra silencieuse-
ment la main a Victorien et 4 L’Union-Gosse ; puis il passa son bras
sous celui du vieil ami de son pére. [I croyait qu'il allait tomber.
Le fou musicien s’éloignait en répétant de sa voix lugubre :
— Citoyens, n’oubliez pas que le premier décadi de thermidor est
consacré au malheur !
23 Avan 4875. 20
298 THERMIDOR.
Vulmer tremblait de nouveau, comme si cette phrase lui annon-
cait, en effet, quelque atroce infortune. Il sentit ses forces trahir
sa volonté, et il fat tombé, si Samuel ne lui evt dit a V’oreille, en
anglais :
— Tenez votre ame! Jirai, moi! Je vous rapporterai des nov-
velles sures, pour la bénédiction de mon propre amour!
— Que Dieu vous bénisse, mon ami!
L’Anglais se langa a la suite du musicien; mais Vulmer n’eut pas
longtemps & le suivre des yeux: Sagamore et Batz les cherchaient;
ils s’approchérent vivement.
— Que tous nos amis se replient vers la rue Jean-de-Lépine, et
qu'ils garnissent et défendent contre toute attaque l’entrée de cet en-
tonnoir au fond duquel se trouve la maison de Coulongeon. Si !a
Convention tire ’épée en ce moment, elle est vaincue. Mais elle a le
droit.pour elle. Voyons si nous ne pouvons lui faire remporter la
victoire sans guerre civile et sans répandre le sang... Si nous ne
réussissons pas, ajouta Sagamore, nous nous ouvrirons un chemin
jusqu’a la salle ot se tiennent ces ofliciers municipaux, ef tous ne
verront pas le triomphe de Ja Commune. Peut-étre cela fera-t-il r-
fléchir les démagogues qui leur succéderont.
VI
UN DUEL A COUPS DE DECRETS.
Brochet, du haut de sa fenétre de I’Hétel de Ville, distribuait au
peuple la parole communale au milieu des applaudissements. Tout
d'un coup, un murmure confus et un frémissement mystérieux cou-
rurent parmi la multitude: qui lentourait. Il put constater qu'elle se
désagrégeait et que les groupes les plus éloignés de lui quiltaient
le gros de la masse et se précipitaient vers la partie de Ja place ot
débouchaient les rues Jean-de-Lépine et de la Vannerie. Ils trouvée-
rent cette partie occupée dé par une bande considérable et silen-
cieuse, et du premier étage de ]’une des maisons voisines, une voix
qui grondait comme un grand vent, et 4 laquelle vingt: autres voix
servirent d’écho, criait :
« Le nonidi thermidor de l’an II* de la République Francaise, une el
« indivisible, les oa ae eat Public el de Sdreté générale
« réunis,
« Arrétent :
« Tous les membres composant les Comités de Surveillance des
THERMIDOR. 239
« quarante-huit sections de Paris, demeureront & leur posie, confor-
« mément a la loi, et rendront compte ce soir et demain, d'heure en
« heure, des événements qui peuvent survenir dans leurs sections.
« Le présent arrété sera envoyé sur-le-champ aux Comités de Sur-
« veillance des sections de Paris.
« Billaud-Varennes, Barére, Vadier, Dubarran, Prieur, Carnot,
« Lindet, Collot-d’'Herbois, Amar, Louis (du Bas-Rhin),
« Voulland, Elie Lacoste, Moyse Bayle, David, Lavicomte-
« rie, Jagot, Rhull. »
lly eut un moment de stupeur. La Convention existait donc encore!
elle était en séance! elle -acceptait la guerre! elle avait le courage
de lutier contre la Commune! elle juttail énergiquement, habile-
ment méme, car elle escamotait 4 son profit la permanence des
sections.
Quelques protestations s'élevérent, mais c’étaient les curieux sur-
lout qui étaient venus, les fanaliques élaient restés auprés de Bro-
chet, la curiosité ]’emporta, et l’on se tut. C’était d’ailleurs une pluie
de décrets tous plus nets, plus affirmatifs, plus énergiques et plus
pratiques Pun que |’autre.
Défense de sonner le tocsin. Le Comité révolutionnaire de la Mai-
son communale fera arréter ceux qui sonnent le tocsin dans cette
section.
La Convention nationale défend de fermer les barriéres.
le commandant de la force armée de chaque section rendra
compte de demi-heure en demi-heure.
les tambours qui battent le rappel seront mis en élat d’arresta-
tion,
Les Comités de Salut Public el de Sureté générale réunis, arré-
tent que le président de chaque section de Paris fera, sur-le-champ,
publier la proclamation de la Convention nationale au peuple fran-
(als,
— La proclamation ! la proclamation ! qu’on nous lise la procla-
mation! cria la foule. La proclamation! eh! l'homme a la voix de
lonnerre, la proclamation!
Mais ce n’était pas l’intention de l'homme 4 la voix de tonnerre.
Batz qui, on l'a deviné, conduisait ceife affaire, voulait d’abord
relourner une partie de l’opinion et réserver la proclamation pour
plus tard.
On entendit encore la voix retentissante qui reprenait :
«Les Comités de Salut Public et de Sdrelé générale réunis arré-
lent que le citoyen Lescot-Fleuriot, maire de Paris, sera sur-le-champ
300 THERNIDOR.
mis en état d’arreStation au Luxembourg, et le scellé mis sur ses
papiers. »
La voix se tut subitement. Les défenseurs de la Convention vou-
laient en resler sur ce coup vigoureux, qui frappait ferme et droit le
chef des ennemis. Balz, avec sa finesse gasconne, connaissait admi-
rablement la démocralie parisienne. Il attendit.
Quand Je peuple vit que tout Ctait fini, il lanca dans la nuit mille
cris confus. Peu 4 peu quelque lumieére se fit: l’on put deviner que
dans cette place ot tout 4 l’heure nul n’osait méme nommer, sans
une injure atroce, les conventionnels, les’ nouvelles favorables 3 la
Convention se répandaient par cent canaux cachés, et dont il eit
-6té impossible de soupconner l’existence quelques instants aupara-
vant. Le sentiment inné de la justice, le respect acquis de la loi,
(justice et loi que la Convention représentait aux yeux de toute con-
science), la fatigue et 1 horreur de la Terreur, la haine Jatente de
toule la bourgeoisie parisienne contre la démagogie, le respect de
la force, de Ja netteté, de |’énergie, qui s'impose toujours au popu-
laire, firent jaillir tout brusquement un courant favorable.
L’obscurité, qui donnatt courage aux timides, n’y nuisit pas, non
plus que le voisinage de celte troupe vigoureuse qui entourait la
rue Jean-de-Lépine, et tenait évidemment pour les Comilés. Autour
delle il se forma, comme Batz l’avait espéré et deviné, une sorte de
bourrelet d’ennemis plus ou moins déclarés de la Commune, d’ot
partaicnt les cris, les nouvelles, les protestations.
— Saisissons les aristocrates! criérent quelques voix, parmi les-
quelles on pouvait reconnaitre celle de Justin Pourvoyeur.
— Sergent, dit Jacques, il parait que les gens que nous jetonsa
eau nagent bien.’Si nous donnions la chasse a ce brigand. Agricola,
si tu ne sais pas mieux pendre...
Ils se lanc¢rent 4 la poursuite de l’espion. L’Union-Gosse, Heur-
tevent, et quelques-uns de leurs compagnons que ce tumulte de
bataille réveillait se précipitérent & leur suite. Ils revinrent bientdt,
aprés avoir échangé force horions, en constatant qu’ils en avaient
donné plus quis n’en avaient recu, mais que pourtant ils avaient
été repoussés. Au dela de celle sortie de frontiére, qui tendait 4 se
former ct a grandir du célé occidental de la Place, la Commune
élait toute-puissante...
Brochet enflait sa voix et il langait décrets et nouvelles qui parais-
saient répondre, coup pour coup, aux arrétés des.Comités de gou-
vernement. |
«a La Commune révolutionnaire ordonne, au nom du Salut Public,
« 4 tous les citoyens de ne reconnaitre d’autre aulorité qu'elle, d'ar-
« réter tous ceux qui, abusant de la qualilé de représentants du
THERMIDOR. 301
« peuple, font des proclamations perfides ; déclare que tous ceux
«qui nobéiront pas a cet ordre supérieur seront traités comme
« ennemis du peuple. » |
En méme temps, la Commune fait saisir deux commissaires de la
section des Arcis qui, conduils par notre mouton enragé, Endymion
Piqueprune, se son! avancés jusqu'au milieu de Ja place pour pérorer
en faveur du Comité de Salut Public. Cette fois encore, le petit poéte
apu sesquiver, bien qu'il fit serré de prés par Justin Pourvoyeur
et Bacon, qui faisaient rage contre les scélérats séides des conspi-
rateurs conventionnels. Mais il ne voulut pas que son sauveur Agri-
cola l’emmendat parmi les amis de la rue Jean-de-Lépine; « il avait
mieux 4 faire, dans les sections des Arcis et des Lombards, » dit-il.
Malgré tout, la Commune sentit quelque refroidissement dans la
foule. Elle comprenait qu’il fallait tirer quelques nouveaux tours du
sac démagozique. Le tocsin ne suffisait plus, la générale était sourde,
les proclamations étaient combattues par des proclamations con-
traires. Brochel annonga que pour démontrer au peuple le supréme
danger de la nation, on allait... illuminer la Maison Commune.
Au méme instant, une seconde députalion des Jacobins arrivait.
hientét on entendit un grand bruit qui jaillissait de toutes les fené-
tres ouvertes de la Maison Commune. Les tribunes et les Jacobins,
unis au Conseil et aux représentants délivrés, venaient dé jurer de
mourir plutét que de vivre dans le crime. Les applaudissements
remplissaicnt tout I’hétel ef se conlinuérent en échos formidables
jusqu’au bout de ta placc. |
La Convention venait de perdre le terrain qu’elle avait gagné.
Coffinhal proposa de se mettre a Ja téte des gendarmes et des canon-
mers pour débusquer les scélérats qui empoisonnaient le peuple
du coin de l’'infame rue Jean-de-Lépine. |
Aprés beaucoup de recherches, Samyel Vaughan parvenait a
ryjoindre Vulmer.
— Il est vrai, lui dit-il en anglais, & mi-voix, que le scélérat de
capilaine a pu entrer a La Force avec l‘autorisafion de la Commune.
Ona vu entrer un ou deux autres individus avec lui. Je n’ai pu en
savoir davantage. Ah! oui, le gedlier en chef de la Force a été ar-
relé, et les clefs portées sur le bureau de la Maison Commune.
Yulmer ne répondit rien. Il était comme un somnambule ne
vivant plus que d’une vie machinale. I] s’était attendu 4 tous ces
malheurs, et cette nouvelle angoisse qui l’atteignait frappait sur lui
comme le fouet impitoyable qui retombe encore sur les chairs en
lambeaux de l'homme condamné & périr sous le knout. Victorien
lui dit quelques mots pour essayer de le consoler dans cette douleur
302 THERMIDOR.
que son dme aimante devinail. Une jeune femme, qui n’était autre
que la citoyenne Coulongeon, s'‘approcha de Descluziers.
— On vous demande 14 haut, dit-elle. La citoyenne Rose veut
vous voir.
Victorien tressaillit. Il fit un pas, puis s’arréta, en regardant
Vulmer.
— Allez-y, dit celui-ci d'une voix morne. Je n’aurai pas la
cruauté de yous répéter ce que vous m‘avez dit. En aggravant volre
douleur, je ne diminuerais pas la mienne. D’ailleurs — et son ccur
si délicat et si doux triomphail de cette impression d'amertume qui
venait de le surprendre — en allant la vous restez prés de nous et
du champ de bataille.
La citoyenne Coulongeon, ainsi que Ja presque totalité des hon-
nétes femmes de Paris, détestait intérieurement la Révolution, qui
avait rendu la vie difficile et inquiéte, toutes les denrées-hors de
prix, et surtout qui éloignait de plus en plus les hommes du foyer
domestique, en les jetant dans la fiévre politique, en les poussant a
l’ivresse et 4 toute corruption. Elle avait fort. volontiers obéi 4 son
mari quand celui-ci lui avait recommandé de mettre son apparte-
ment 4 la disposition de ses nouveaux alliés.
Mais elle n’avait qu’une chambre un peu propre. C’était celle-la
qui donnait sur la place, et ot l'on avait mené dame Rose. Celle-
ci, dont le délire momentané avait disparu, élait étendue toute
habillée sur un lit. Elle n’avait pas recouvré la parole, et elle était
restée hébétée, immobile. La citoyenne Coulongeon la regardait
comme morte, et, assise & cété de ce lit mortuaire, elle ravaudait
les bas de ses enfants, en songeant presque uniquement, il faut
Vavouer, a Yinnombrable quantité de belles choses qu’on pourrait
acquérir avec mille pistoles en or, quand cette infernale peste de
révolution aurait disparu. .
Pendant ce temps, Batz, le chevalier 4 la voix mugissante, et le
cocher-chanoine, qui allait et venait, jouaient leur grande partie
politique sans s’inquiéter de la jeune femme qui se mourait a cété
d’eux.
Mais i! était arrivé une étrange chose. Le corps inerte de Rose
avait commencé a tressaillir dés Ics premié¢res proclamations du
chevalier. Peu & peu, et 4 chaque nouvelle proclamation, elle s’était
réveillée, puis redressée, pale, les yeux hagards, comme dut étre
Lazare quand Notre-Seigneur le ramena du sein de la mort ; enfin,
elle s’&tuit levée, écoufant, écoutant, écoutant.
On supposa qu'elle subissait une sorte de magnétisme, d’électri-
cité morale. Ces grands mots sonores de Ja république, ces phrases
THERMIDON. 303
puissanies et impérieuses que le chevalier lancait de sa voix
presque surhumaine, et qui avaient éxercé un tel empire sur toute
la vie de Rose, sur ses nerfs comme sur son dme, iui frappérent
sans doute et les nerfs et l’dme avec leur puissance décuplée en-
core par l'état d’excitation fébrile ow elle s’était lrouvée. Lile se re-
dressa tout debout.
— Je suis guérie, dit-elle 4 la citoyenne Coulongeon. Allez, je
vous en prie, me chercher le citoyen Descluziers.
Quand celui-ci entra, elle lui dit d’une voix faible :
— Je vous ai envoyé chercher pour vous rassurer et vous encou-
rager. Oul, vous faites bien de combaltre ces misérables. Ce sont
les pires ennemis de la République. Maintenant, je suis guérie. Mais
laissez-moi écouter encore.
— Ma foi, chevalier, dit Batz, c’est un miracle. J’en accepte
'augure. Car il nous en faut un autre. Ii parait que nous perdons
du terrain. Allons, il faut le gagner tout d’un coup et faire le saut
périlleux. Nous allons jouer en une phrase la partie supréme.
— Laissez-moi boire un verre de vinaigre 4 la santé de la belle
ressuscitée, dit en riant le chevalier.
— Monsieur Descluziers, reprit Batz, Keraudren me mande qu’on
Ya nous attaquer enforce, de | Hétel de Ville. Les imbéciles eussent
da le faire depuis longtemps. Vous comprenez que ce serait échouer
au port. il faut les occuper chez eux. Voici la proclamation de Ja
mise hors la loi. Qu’un des ndires aiile Ja porter au sein méme de
lassemblée du Conseil général. Je vous défends, comme votre capi-
laine reconnu par vous et par tous, d’y aller. Je ne veux. pas qu’on
accuse les royalistes d’avoir sacrifié leur allié républicain. Or ce
message, c’est la mort presque certaine.
— Virai, moi, dit dame'Rose, en essayant de marcher.
— li y a parmi nous assez d hommes qui savent mourir, dit gra-
vement Batz.
Quand Victorien fut revenu dans la Place et qu'il cut expliqué son
message, Vulmer lui arracha le papier.
— C'est moi qui irai, dit-il en relevant le front.
— Mais, dit vivement Viclorien, c’est la mort, et vous étes impor-
tant daps votre parti.
— Justement. Ce sont ces commissions-l& que nous n’envoyons
jamais nos soldats faire en notre place.
ll _partit en courant. Quelques- “uns, et surtout Jacques et Heurte-
vent, voulurent le suivre. Mais la voix formidable du chevalier se
a entendre. Tous s'arrétérent, et un immense silence s’étendit sur
a foule.
a République francaise une et indivisible! La Convention natio-
304 THERMIDOR.
nale met hors la loi tous les fonctionnaires publics qui donneraient
des ordres pour faire avancer la force armée contre la Convention
nationale ou pour l'inexécution des décrets qu'elle a rendus.
a Elle met hors la loi les individus qui, frappés du décret d’ar-
restation ou d’accusation, n’auraient pas déféré 4 la loi ou qui s’y
seraient ensuite soustraits.
« Elle met hors la loi Hanriot et ses satellites, Robespierre et les
représentants ses complices.
« Elle met hors la loi la Commune de Paris, qui a prété son aide
& cette désobéissance 4 la loi. »
Le silence se fit plus intense. Un murmure sourd, quasi crain-
tif, courut la foule comme un vent d’orage qui gronde sourdement
dans la cime des grands arbres. Un silence plus stupide encore que
le précédent remplaga le murmure. Puis une portion du peuple se
mit 4 courir en tous sens, pour s’enfuir, en criant : « Hors la loi!
hors la loi! »
Quelques minutes aprés, un grand tumulte avait lieu a la porte
de l’Hétel. Une masse de citoyens et de citoyennes, forcant le cor-.
don des sentinelles, descendait des tribunes et se sauvait comme une
troupe d’oiseaux effarouchés. Payan, en signe de mépris, avait lu a
haute voix le décret de la Convention, et, croyant exaspérer le peu-
ple, il avait ajouté 4 la liste des séries mises hors la loi les ci-
toyens des tribunes du Conseil général. Alors ces ciloyens, pris
d épouvante, s étaient sauvés en passant par-dessus tout obstacle.
Pourtant, chose bizarre, la victoire de la Convention élait encore
loin d’étre certaine. La Commune pouvait l’emporter. I lui fallait
sculement mettre en mouvement ces masses populaires armées qui
altendaient la inactives depuis tant d'heures.
— Maintenant, dit Batz en descendant sur la place, nous n’avons
plus rien a faire qu’a altendre, en nous mélant 4 la foule, en aidant
ce mouvement de retraite qui est évident, quoique pas encore dé-
cisif. Pourtant, si je connais bien mes Parisiens, la fiévre doit com-
mencer 4 passer aux communialistes. Je n’ai jamais révé de déma-
gogues aussi ineptes que ceux-ci. Savoir si les autres vaudront
mieux, et si Billaud-Varennes se montrera moins endormi que Ro
bespierre. Voyons toujours si notre sabre ne tient pas trop au four-
reau et si la sueur n’a pas gagné les amorces de nos pistolets. Et le
citoyen Aristobule?
— Pas de nouvelles, dit Sagamore. On l’a vu saisir et envoyer au
Comité d’exécution.
Batz se détourna et fit signe de regarder la poignée de son sabre
pour dissimuler une larme qui mouilla ses ‘paupiéres. I] était alors
THERMIDOR. 305
onze heures. Un quart d’heure se passa, puis un autre, puis une
heure, rien ne sé. décidait.
Jusque vers minuit, la situation restait la méme: les gens de la
Commune songeant & faire des proclamations aux armées, & tout
préparer pour le lendemain; leurs partisans, sur la place, essayant
de se remettre du coup qu’avail porté la mise hors la loi.
Pourtant, il semblait que les proclamateurs gagés de la Conven-
tion, gagnant peu 4 peu du terrain, s’‘approchaient de la place de
Gréve. La ville paraissait, en effet, coupée en deux, et tandis que
les crieurs conyentionnels hurlaient avec grand cortége de flam-
beaux, depuis les Tuileries jusqu'au quai de |'Ecole, ceux de la
Commune, avec un peu moins de torches, mugissaient depuis la
Gréve jusqu’aé la barriére du Tréne renversé.
Entre les deux bandes de hurleurs, les sections armées des Arcis,
des Gravilliers, des Lombards, occupaient le quai Pelletier, et leurs
sentiments paraissaient douteux.
— Nécoutez pas tous ces scélérats, dit L’Union-Gosse. Moi, je
dis une chose, c’est que mon parent, le citoyen Favereau, directeur
de!’Arsenal, a refusé de livrer des cartouches 4 la Commune.
L'adjudant général Fontaine traversa la place en toute hate, il
courait offrir 4 boire et 4 manger aux seclionnaires. Le Conseil gé-
néral venait d'apprendre qu'il y avait des signes de lassilue et de
désaffection. Les gendarmes offraient de rendre leurs armes. Plu-
Sieurs commissaires des sections venaient rechercher leurs hommes.
la majori.é de ces sections prenait décidément une position expec-
lante et ordonnait 4 ses milices de regagner le territoire de leurs
circonscriplions respectives en attendant l’issue du combat.
Bientét, la place se trouva dégarnie de troupes. Les canonniers
eux-mémes, qui paraissaient si dévoués 4 Hanriot, s’éloignaient
lentement. La populace de la section de Ja Maison Commune et des
faubourgs tenait bon. La lutte continuait entre les avocats des deux
causes.
— Voila, dil Batz, un de nos amis qui parait mis 4 mal, la-bas au
com de la rue du Mouton. A Ja rescousse |
; = dégagea le personnage, qui n’était autre que l'équivoque
ulac.
— Oui, ce Conseil municipal, hurlait Dulac, est tout entier com-
posé de fédéralistes et d’étrangers. Ce Fleuriot-Lescot, un Autrichien
Belge! Ce Payan qui, en 95, a voulu soulever le département de la
Deéme contre Paris |
— Ha! ha! hal! dit la petite voix de Keraudren qui approchait,
suivi de Vulmer, citoyens, yous avez parfois maudit les chevaliers
306 THERNIDOR.
du poignard, savez-vous ce que c’est que tous ces gens-la, je vais
vous le dire : ce sont des chevaliers de la guillotine.
Keraudren profita de l’enthousiasme causé par ces mots pour dire
4 Batz:
— D’abord, veuillez mc garder ce:citoyen Aristobule. Citoyen
Dulac, je vous salue, je suis le citoyen Nicolas Contesenne, dit le
Nestor. Ha! ha! pas vrai, L’Union Gosse? Ce citoyen Aristobule vient
de jouer un jeu a se faire tuer dix fois, et sans un vieil ami de
Robespierre qui était la.... Enfin, ce que je veux vous dire, c’est
que ces gens-la sont, si vous voulez en croire un vieux paysan qui
a l’expérience des choses, ces gens-la sont tous troublés par le dé-
part des canonniers. Ils.ont encore beaucoup de cordes 4 leur are.
Si vous les laissez reprendre haleine....
— Citoyen, merci, dit agent de Billaud-Varennes, je n roublierai
pas Nicolas Contesenne. Je cours 4 la section des Gravilliers. Léo-
nard Bourdon, qui y est tout-puissant, et Gamboulas, y sont depuis
onze heures. Ils ont da préparer les voies. Puis j’arréterai toutes
les patrouilles des Lombards et des Arcis, et je ferai barrer toutes
les rues voisines de la Place, de facon & ce qu’aucun de ces mis¢ra-
bles municipaux ne s échappe.
— Nous n’avons plus qu’d attendre, Vulmer, dit Batz avec un
accent touchant de compassion. Je vous jure que ces infames ter-
roristes pris, nous nous rendrons 4 La Force et que nous y entre-
rons, dussions-nous en faire le siége et y mettre le feu.
— Je vous le promets que nous y entrerons, dit Keraudren avec
un bizarre sourire. Mais écoutez donc, quelle heure est cela? Ah!
deux heures.
— Eh bien, dit Sagamore, c’est une heure que l’humanilé n’ou-
bliera jamais. Regardez, regardez. — Et son regard morne s’animait,
et son bras se tendait par un geste saisissant. — Voila la victoire.
C’était un spectacle vraiment grandiose.
Une foule immense débouchait du quai Pelletier. On n’apercevait
tout d’abord qu’une masse considérable de lumiéres, torches, lumi-
naires de toute sorte. Une troupe de canomniers, accompapnés de
leurs canons, émergeait ensuite de la lumiére, et par un mouve-
ment vif, bien digne de ces petits canonniers, renommés pour
leur prestesse, tous les canons qui se trouvaient aux abonds de la
place furent saisis et tournés contre la Maison Commune. Un déta-
chement de ]'Ecole des jeunes Francais marchait ensuite. Puis, av
centre d’un appareil de lumiére plus considérable encore, escortés
d’une troupe d'huissiers de la Convention, paraissaient 4 cheval
deux députés avec leur grand costume, leur écharpe, leur chapead
THERMIDOR. 307
a Ja Henri Vv et leur panache; enfin, derriére eux, une forét de
baionnettes et de piques que refiétaient les torches.
Cette troupe, fournie par les Arcis, les Gravilliers, les Lombards,
s‘'arréta. Un silence solennel se fit.
— Ciloyens, dit Léonard Bourdon, en agitant son sabre, c'est
dans la Maison Commune qu’est le repaire des conspirateurs. C'est
la qu'il faut marcher! Que le soleil n’éclaire plus les tyrans!
— Bravo, cria Endymion, qui, comme un brave petil mouton
enragé qu'il était, marchait a la téte des sectionnaires des Arcis, le
bourdon de la Convention va écraser le tocsin de la Commune. Vive
la Convention !
Toute l’armée répéta : « Vive la Convention! » et l’écho en fut ‘si for-
midable, qu’il pénétra jusqu’au milieu de la salle ot Robespierre et
le Conseil municipal étaient assembiés.
Pourtant, Léonard Bourdon ne marchait plus. Jl se tourna vers
Dulac :
— Ces gens-li vont se défendre j 4 outrance; et il est & craindre
que la Maison Commune ne soit minée, pour ensevelir ja Convention
sous ses ruines,
— A outrance! minée, dit Dulac avec un jurement! Eh bien,
ceux qui resteront ici recevront plus d'éclaboussures que moi. Est-
ce qu’il n’y a pas une vingtaine de braves sans-culottes qui veuillent
venir avec moi?
Petit-Val et quelques-uns de nos amis s’étaient élancés.
— Que personne de nous ne bouge, dit Batz avec autorité, ce ne
sera pas une bataille, ce sera une boucherie. Vous savez bien que:
les terroristes sont laches quand ils n'ont pas devant eux des pri-
ee a assassiner. Laissons ces gens-la faire leur besogne en
amille.
— Afin qu’il soit toujours reconnu que le plus grand mérite des
revolutionnaires, dit le petit bailli de sa voix incisive. et railleuse,
cest de s’exterminer les uns les autres.
Quand Léonard Bourdon eut vu que Dulac et ses compagnons
étaient entrés sans obstacle, et que rien ne sautait, il se précipita le
sabre aux dents, un pistolet 4 chaque poing.
Il était deux heures et demie.
Malgré toule certitude de succes, les dmes n’étaient pas sans
angoisse. Personne ne pouvait croire que ce pére de la République,
Robespierre, que ce dieu de la démocratie, Robespierre, que ce
chef i ‘oldtré et tout-puissant du peuple, Robespierre, personne ne
pouvait croire que ce colosse de la Révolution, la Société des Jaco-
bins, personne ne pouvait croire.que ce coryphée de Paris, la Gom-
mune, pussent ¢étre ainsi renversés en une minute, sans combat,
308 TUERMIDOR.
presque sans effort. Le bailli volisirien lui-méme, le seul de tous
nos amis qui ne songeat pas & la Providence, s’imaginail qu'il ré-
vait. Pour quelques-uns, l’angoisse de Icur passion personnelle se
joignait 4 l'inquiétude politique et patriotique. Heurtevent et Sa-
muel se disaient qu’ils allaient bient6t, avant une heure peut-etre,
délivrer leurs bien-aimées. Et ils regardaient avec une satisfaction
égoiste Vulmer, le seul qui n’espérait plus rien. Victorien cherchait
dans l'obscurité le pale visoge de Rose, qu’il croyait apercevoir a la
fenétre de la rue Jean-de-Lépine. Lozembrune essayait de lever
son front las vers les étoiles en se disant que sans doute c’élait
d’un de ces yeux brillants que le regardait en ce moment sa fiancée.
Car il était convaincu qu'elle était morte, il espérait qu’elle létait,
il serait devenu enragé si on lui eut dit qu’elle n’avait pas élé tue
par cet épouvantable capitaine Front.
Le peuple assemblé sur la place était devenu, sinon muet, du
moins grave. C'est 4 peine si plus d’un cri signale l’approche d'une
civiére qui venait de sortir de )’Hotel.
Elle s’avance portée par deux sans-culoltes, escortée par un pi-
quier et un fusilier. Chacun s’écarte avec empressement. Nvest-ce
pas le temps par excellence ot lon n’ose méme pas connaitre une
victime, sous peine d'étre soi-méme martyrisé, le temps lache ou il
suffit d’avoir regardé sans mépris un vaincu pour étre criminel!
Sagamore s'approche gravement de la civicre, il fait un signe
d’autorité aux porteurs qui s’arrétent. Il reléve respectueusement
le voile qui couvre la figure d’un homme étendu sur Ia civére, il le
fixe un instant avec une tristesse austére, puis il rabaisse le voile, et
il dit de sa voix lugubre et profonde :
— Robespierre, oui, il est un Dieu.
Mais Robespierre ne doit plus jamais rien comprendre. Ij vient
de soulfrir en un jour toutes les douleurs que le Seigneur réserve
aux démons de Vorgueil, et son intelligence est morte. II est hé-
bété, stupéfié. Il est devenu un animal sanglant et souffrant. Il
lui reste encore l'instinct; il ne doit plus recouvrer la raison. Mais
s'il lui'en reste encore une lueur, une lueur qui va bientdt s’é-
teindre, il peut savoir, méme avant de comparaitre devant le Juge,
le Juste, le Vrai, le Lumineux, il peut savoir ce qu’est la Révolution.
Il n’y a que deux hommes qui l’insultent. La Tour la Montagne,
le bourgeois révolutionnaire, Vappelle cannibale; et Justin Pour-
voyeur, le prolétaire révolutionnaire, qui, pour se mieux sauver, a
pris un bras de la civiére, donne un coup de pied & un chien en
l'appelant Robespierre. Quant a Dulac, le gentilhomme révolution-
naire, il fut le plus odieux des trois. Il accourail en se vantant, bien
4 tort, d’avoir tué Maximilien.
THERMIDOR. 309
VII
A LA FORCE.
Quand Batz, Vulmer, Sagamore et quelques-uns de leurs amis
arrivérent devant La Force, ils y trouvérent Heurtevent, Jacques et
Agricola qui dansaient des rondes triomphales avec les hommes dela
bande de Coulongeon. Ceux-ci avaient tellement bu pendant toute la
soirée avec les gens du faubourg Marcel, a Ja confusion des ennemis
de la patrie et de la liberté, qu’ils ne savaient plus bien quels étaient
les ennemis. Ils ne l'avaient jamais exactement su, d‘ailleurs, et ils
criaient de temps en temps : « Vive Robespierre ! 4 bas la Commune! »
Mais ils n’ignoraient pas qu’ils élaient victorieux, et ils buvaient
de plus belle & leur victoire.
On n’eut pas grand’peine ‘4 enlever nos trois compagnons 4 leur
tonde : on n’eut qu’a dire 4 Henrtevent que la citoyenne ne serait
pas contente, Sagamore n’eut qu’un signe a faire a Jacques. Agricola
vint se ranger, avec celte docilité qui le faisait lesclave de tous ceux
qui le voulaient bien commander, auprés de ce nouveau camarade
qui remplacait pour lui Ponrvoyeur. Jl croyait bien avoir apergu ce
dernier parmi les soldais de Coulongeon, mais il était un bon homme
et il ne voulait faire arriver aucun mal & ses anciens amis. Quand la
ronde fut finie, la plupart des héroniens se couchérent et ne lardé-
rent pas 4 ronfler aux étoiles.
— Voila, dit Batz 4 Vulmer, une armée qui ne nous servira pas
pour prendre La Force.
Vulmer ne répondit pas. Il s’était assis, comme un homme affaissé,
surun des bancs de pierre qui avoisinaient la porte, et il paraissait
indifférent & tout. :
— Ou est donc Coulongeon, ce brave grivois?
— Grivois, grivois! Qu’est-ce qu’on veut au général Coulongeon?
ria la voix bégayante d’un homme qui essayait de se lever d’auprés
de Ja muraillle. Grivois, c’est un mot indécent pour un général en
chef qui vient de battre ses ennemis et qui dort la veille de la ba-
taille, comme Alexandre le Grand, prévdt, prévdt, le grand prévot.
Et, avee un rire idiot, il retomba. Hl avait, lui aussi, travaillé de
son mieux a faire entrer la persuasion dans la téle des sectionnaires
du Finistére. ‘ :
— ll était temps d’étre vainqueur sans combat, dit Batz, car avec
des alliés comme ceux-la...
310 THERMIDOR.
— Qui, il était temps d’étre victorieux , car avec des gardiens
comme ceux-la, les gens de septembre n’auraient pas eu grand obsta-
cle 4 opérer dans les prisons, dit Keraudren.
Vulmer tressaillit. Il ne savait pourquoi, mais il ne pouvait enten-
dre parler, sans trembler, des crimes commis dans les prisons.
On avait déja frappé en vain a la porte de la prison, rien ne ré-
pondait.
— Voyons, murmura Keraudren! cela doit réussir toujours!
It tira un coup de pistolet contre la porte, et, certain que l’atten-
tion élait décidément éveillée, il cria :
—Au nom de la Convention nationale, victorieuse de tous ses en-
nemis, malheur 4 qui lui résiste !
Un petit guichet s‘ouvrit.
— Citoyen porte-clef, nous savons que le gedlier en chef a été mis
en arrestation par la Commune rebelle, et, comme on ne t’a pas ar-
rété avec lui, tu es suspect d’étre de connivence avec elle, continua
Keraudren — et il avait touché juste, car le guichet s’ouvrit tout
grand. — La Commune rebelle est anéantie, Robespierre I'ainé et
son frére, Saint-Just, Couthon, Lebas, Hanriot, tous les conseillers
vénéraux sont ou morts ou arrélés, leurs complices ont été déclarés
hors fa loi.
— Et qu’est-ce que vous me voulez? dit derriére le guichet une
voix rude dont on sentait le tremblement.
— Prends garde d’augmenter les soupcons de complicité qui pla-
nent sur toi en te refusant d’exécuter un ordre de Ja Convention.
Voici un ordre des Comités de gouvernement qui nous autorise 4
entrer pour mettre en liberté...
— Mais nous avons recu l’ordre de ne laisser sortir...
— Scélérat, c'élait un ordre de la Commune rebelle. Tu oses l’in-
voguer {
— Mais je ne vois aucun porteur d’ordre des comités.
— Ils sont assez occupés 4 enchatner tes amis du Conseil gé-
néral.
‘— Aucun administrateur de police.
— Tu sais bien que les scélérats étaient tes amis et qu’ils ont été
tous arrétés. Tu n’as pas montré tant d'obstination ce soir, quand des
misérables se sont présentés ici au nom de la Commune rebelle; tu
les as laissés entrer.
— C’était au moment ot on arrétait le gedlier, il y a ew un instant
de trouble.
— Et c'est toi qui l’avais dénoncé, vil pierrotin, je le sais, sous le
prétexte qu'il était un ami de Barére. Enfin, je te le dis une derniére
fois, malheur 4 toi et & tes compagnons si vous résistez. Vous vous
THERMIDOR. 314
déclarez complices des conspirateurs et vous vous déclarez vous-
mémes hors !a loi.
Hy eut quelque bruit derriére la porte.
— Voyons l’ordre, dit le sous-gedlier.
— J'ai confiance en toi, ta téte en répond. Je prends ici 4 témoin
plus de cent citoyens que je te remets l’ordre de nous introduire dans
la prison pour délivrer trois citoyennes. Prends garde de détruire
ou de changer l’ordre. Tes tours sont connus.
—Le voila pris, dit Keraadren 4 Batz. L’ordre ne vaut pas grand
chose, pursqu’il est signé Robespierre, Saint-Just et Couthon en méme
temps que Billaud-Varennes. Mais il n’osera en arguer, il craindra
que je ne l’accuse.... —
— Entrez, citoyens, dit la voix.
La porte s’ouvrit. Une dizaine d’hommes entrérent du dehors et se
trouvérent dans une obscurité compléte, au milieu d’une atmosphére
chaude et puante.
— Mais fermez donc la porte, hurla la voix, allez-vous laisser en-
trer tout Paris?
La porle se referma, en effet.
— Maintenant, citoyens, dit le premier porte-clef d'une voix rail-
leuse, Vordre n'est pas en fort bon état, vous allez attendre le jour
pour que nous y voyions plus clair. Et le jour ne vient pas de bonne
heure 4 La Force. Soyez sages dans la souriciére, citoyens. Vous
mayez l’air suspects. |
— Pas mal joué, dit le petit bailli en souriant. Heureusement on
be prend ‘pes sans vert le petit Keraudren. Seulement il nous faut
de la lumiére et un gedlier.
Sagamore s’élait lancé a Ja poursuite du malin sous-gedlier, et on
lesenteadit qui s’éloignaient dans les corridors. Jacques avait mis
la main sur le collet d’un autre qui cherchait 4 s’éloigner conformé-
ment aux ordres de son chef. Il y eut un instant de lulte. Puis on
coe Ja voix toujours bréve et un peu avinée de Jacques qui
isait :
— La, la, mon gargon, tu n’es pas si malin qu'un Indien ser-
pent. Maintenant, écoute bien : foi de fils de Mars, je serre jusqu’é
ce que tu te décides 4 crier grace, et grace ca veut dire, dans notre
partois 4 nous, lanterne. Eh! eh! eh! eh!
Jacques riait encore de son esprit quand le porte-clef saisi au collet,
qui ne se souciait pas d'étre étranglé el qui n’était pas, du reste,
un méchant homme, fit signe qu’il se rendait.
— Vous témoignerez, citoyens, que je céde a la violence. C’est
tout ce que je veux. Maintenant voici de la lumiére.
ot2 THERMIDOR.
Il alluma une grande lanterne. Et quand il eut vu qu'il n’avait
aucun de ses collégues dans son voisinage, il dit & mi-voix :
— Je veux bien faire tout ce qui est possible ; mais notre chef ac-
tuel est un vrai scélérat, et st vous pouvez lui faire son affaire et faire
revenir celui qu’on nous a enlevé ce soir, personne n'y perdra. Seu-
lement je n’ai pas les clefs, on est venu les prendre, ce soir aussi,
au nom de la Commune.
— Hél hé! dit le petit bailli, la-a-a paix, Fi-i-i-déle Tran-an-quille,
Bailli pour-our-our vous-ous Ser-er-vir... On n/a pas inutilement
assisté au Conseil général de la Commune, et on n’a pas perdu la
téte pendant la débandade. Voila les clefs, mon garcon.
Le porte-clef ouvrit de grands yeux hébétés.
— Vous voulez, & ce que disait le novveau gedlier, les trois ci-
toyennes qu’on est venu demander plusieurs fois aujourd’hui...
— Et, demanda Vulmer d’une voix haletante, qu’est-il arrivé la
derniére fois qu’on est venu?
— Je ne sais pas bien. Ce n’est pas mon quartier, el nous avons
été tellement troublés par les nouvelles! Mais je sais ou sont les ci-
toyennes, au bout d’un long corridor. Il y a beaucoup de zigzags et
nous avons trois portes en fer a ouvrir par la, avant d’arriver. Je
passe le premier.
Ilse mit en marche avec sa lanterne, et toute la troupe suivit.
— Aie! cria tout 4 coup Vulmer.
— Quoi donc? demanda Batz.
— Ah! ce n’est rien.
Vulmer avait cru sentir Ja pointe d’un poignard effleurer son cou.
Il secoua la téte en se disant que l’hallucination commengait. Il resta
4 la queue de la troupe, regardant cette petite lumiére qui s‘avan-
gait en sautillant le long de ces lugubres corridors, et cette petite
troupe d’hommes silencieux dont les derniers semblaient ramper
comme des monstres dans I’obscurité et dont les premiers dessi-
naient des profils effroyables et fugitifs sur les murailles sales et
humides.
On arrivait aux trois grilles en fer qui fermaient le corridor, au
bout duquel les trois jeunes femmes se trouvaient enfermées. Brus-
quement la lumiére s’arréta, et celui qui la portait poussa un cri
_ Mhorreur qui fut répété par tous.
— Un cadavre, deux cadavres, trois cadavres, cria-t-il ; et dans
son étonnement il laissa tomber sa lanterne, qui s’éleignit.
Vulmer avait bondi.
— Quoi donc! quels cadavres ? criait-il ; des cadavres de femmes.
Ah! je le savais bien! Mais pourquoi trois! !
THERMIDOR. 313
Personne ne lui répondait. Les uns n/avaient rien vu et criaient
aussi fort que lui, les autres étaient tous occupés 4 chercher la
lanterne et leurs mains rencontraient les cadavres déja froids et ils
augmentaient le tumulte en poussant des cris d’horreur. Enfin la
lumiére reparut. Vulmer s‘avanga. Il battit l'air de ses bras, et il
fomba évanoui en murmurant :
— Ah! pauvre, pauvre et brave enfant!
Il tomba sur le cadavre du capitaine Monbayard, les deux autres
étaient ceux du capitaine Front et de ’Enfant-Aristocrate.
— Maintenant citoyens, dit le porte-clef, vous ne voudriez pas
me perdre. Je vous en prie, n’allez pas plus loin, n’entrez pas dans
le quartier des citoyennes. Restez en deci de la premiére grille. Je
vais aller chercher les citoyennes vos épouses. Ici les lanternes ne
manquent pas. :
ll en alluma une, en effet, qu’il posa 4 cété des cadavres. fl ouvrit
la premiére grille qui présentait de ces larges barreaux droits, entre
chacun desquels on pouvait passer les deux bras. Il laissa la porte
de cette grille entr’ouverfe et posa une lanterne encore prés d’une
embrasure, ou plutdét d’une sorte de grande niche vide taillée dans la
profondeur de l’épaisse muraille. fl disparut avec la lanterne qu'il
portait, derriére la seconde grille, dont il laissa aussi la porte en-
tr‘ouverte.
Pendant ce temps, et tandis que Heurtevent et Samuel s’attachaient
aux barreaux de la premiére grille, et que Batz essayait de faire re-
prendre connaissance & Vulmer, Keraudren avec Jacques et quelques-
uns des héroniens qui étaient entrés, essayaient de se rendre compte
de ce qui était arrivé. Agricola restait derriére ; dans l'ombre, der-
riére lui encore, se cachait un homme qu’Agricola faisait de silen-
cieux et vains efforts pour chasser.
— Voila, évidemment, ce qui est arrivé d’aprés la disposition des
corps, dit Keraudren malheureusement trop occupé de cette enquéte
pour s'inquiéter de la singuliére conduite d'Agricola. Le capitaine
arrivait prés de cette grille lorsqu’il a été rejoint et atlaqué par Mon-
bayard. Il y a eu lutte. Monbayard a regu, aprés plusieurs autres
blessures, un coup de sabre qui lui a fendu le crane, et il est mort.
Li-dessus, évidemment, le brave petit enfant s’est jeté sur le vain-
queur et lui a enfoncé le stylet dans le cour. Le capitaine a eu en-
core assez de force pour asséner sur la téte de l'enfant un coup qui
l’a abattu et tué. Pourtant je ne vois pas de blessure...
Un cride surprise et d’angoisses, échappé 4 Heurtevent, fit lever
toutes les tétes. L’homme qui était derriére Agricola avait bondi en
voyant, au bout du corridor, la lanterne qui revenait précédant trois
femmes dont on distinguait vaguement les silhouettes. Il s’était pré-
25 Avan, 1873. 24
S14 THERMIDOR.
cipité par la porte dela premiére grille qu’il avait refermée sur lui,
avait bondi a travers la seconde porte; on avait entendu un cri fé-
minin d’une angoisse inénarrable. L’homme avait reparu. fl avait
repassé par la seconde porte, l’avait refermée sur lui, et il restait
comme une béte fauve dans cette cage fermée par les deux grilles.
Il s’élait jeté dans l’embrasure, et la, collé dans le coin, il agitait
avec des rires épouvantables et des hurlements rauques un petit en-
fant qui pleurait.
Cet homme, c’était Pourvoyeur, et cet enfant, Heurtevent le recon-
nut bientdt pour le sien. Mais lui et tous les assistants étaient réduits
4 Pimpuissance. Pourvoyeur avait reliré les clefs et il les avait jetées
a ses pieds, 4 cété de la lanterne qui éclairait d’une lueur lugubre
son masque de tigre, ses yeux tout rouges de sang et sun visage sil-
elonné de rides elfroyables. Il faisait tourner devant lui, en guise de
bouclier, le petit étre, et il était protégé, par derriére et de chaque
cdté, par les coins de l’embrasure.
‘Heurlevent agitait les barreaux avec des hurlements de rage; les
trois femmes, de l'autre cété, pleuraient, et l’on entendait sortir de
la bouche d'Isabelle des appels d’un désespoir qui ne se peut ren-
dre. Tous élaient consternés et se sentaient impuissants. Agricola,
les larmes aux yeux, faisait trembler les barreaux de ses bras her-
culéens ou accablait Pourvoyeur d’un torrent de reproches et d'in-
jures.
Jacques s était reculé et avait mis son fusil en joue, puis il ]’avail
reposé avec un cri désespére.
— Ah! misérable ivrogne, ldche coquin, disait-il, tu n’as plus
de bras et de coup d’ceil quand il te faudrait le coup d’ceil d’un ange
et le bras du bon Dieu.
Et il continua de s'injurter' et de maudire l’ivrognerie.
La joie que Pourvoyeur éprouvait du désespoir de ses ennemis lui
rendit quelque peu de voix. On entendit un son lugubre, rauque,
éteint, qui sortait de ce coin et qui disait :
-— Pourquoi les aristocrates auraient-ils des enfanis quand moi,
bon démocrate, je n’en ai pas ?
~— Mais, lache et infame monstre, n’est-ce pas toi qui l’as tué ton
enfant ?
— Non, non, c'est vous qui l'avez tué en l’empéchant de devenir
un bon républicain comme moi. Et je tuerai cet enfant-ci quand je
vous aurai bien fait souffrir.
Et toujours plus furieux, il faisait tourner comme un disque, avec
une vivacilé verligineuse, le petit enfant qui rdlait, n’ayant plus de
Voix, pour crier.
THERMIDOR. 315
Cétait une scéne épouvantable. Une voix grave se fit entendre,
qui sortait de derriére le groupe des hommes.
— Baissez la téte tous et priez.
Et tout brusquement une détonation résonna, suivie d’un cri de
rage. L'enfant faillit tomber. Pourvoyeur avait l’épaule droite brisée,
son bras tombait inerte. Avec l'autre il avait ressaisi l’enfant et l’agi-
tait plus vivement autour de lui, en. rugissant et en essayant de
s’enfoncer de plus en plus dans le coin de l'embrasure.
— Ton fusil, Jacques, dit encore la voix austére et calme de Saga-
more. Au cceur cette fois. |
Pourvoyeur, trompé, porta vivement l'enfant & lendroit menacé,
une nouvelle détonation retentit ; l’enfant glissa en gémissant. Le bras
gauche de Pourvoyeur tomba brisé le long du flanc.
— Jette-toi 4 genoux, pour demander pardon 4 Dieu et 4 Phuma-
nité de tes crimes, et tu auras la vie sauve.
Le monstre répondit par un rire féroce, il leva le pied pour écra-
ser la téte de l'enfant.
— A moi maintenant, pour mon enfant, dit Heurtevent, d’une
voix étranglée en tendant son bras armé d’un pistolet,
Et Pourvoyeur tomba le front fracassé.
XII
EPILOGUE.
Il est sept heures du soir. Le fol musicien gagne la barriére de
l'Observatoire. Il est suivi par une foule du peuple qui vient de voir
lexécution des deux Robespierre, de Saint-Just, de Couthon, de
Lebas, d’Hanriot, de Lavalette, de Payan, de Lescot Fleuriot, de qua-
torze autres démagogues, et qui se promet d’aller assister le
lendemain 4 l’exécution des autres membres du Conseil général de
la Commune. 3
Quand il fut arrivé en face de l’Obseryatoire, le musicien s’arréta
et jeta un coup d’ceil de mépris sur son cortége.
— Citoyens, dit-il, nous avons triomphé des tyrans, c’est pour
étre libre. Vous me tourmentez en me suivant comme vous faites.:
Je ne suis pas un misérable comme vous qui avez applaudi 4 Fexécu+
tion de Robespierre tout autant qu’a celle dé la bonne sainte madame
Elisabeth. Je suis un fou, j’ai mieux aimé étre un fou que de vous
ressembler. Je vais vous chanter encore un couplet que mes amis
Courigueres et Gaveaux ont composé et m’ont fait chanter ce matin.
516 THERMIDOR.
Aprés ¢a, vous me laisserez aller 4 mes affaires ou bien je vous
accuse d’étre des robespierrots; et c’est moi qui l’ai vaincu.
Alors d'une voix ample et grave — car le pauvre fou était un
admirable musicien — il chanta :
Peuple francais, peuple de fréres
Peux-tu voir sans frémir d’horreur
Le crime arborer la banniére
Du carnage et de la terreur ?
Tu souffres qu'une horde atroce,
Et d'assassins, et de brigands,
Souille de son souffle féroce
Le territoire des Vivants.
Aprés quoi il congédia, d'un geste royal, le groupe qui l’entou-
rait et qui le combla d’applaudissemente frénéliques, et il continua
son chemin en fredonnant.
Quand il fut arrivéen face del’auberge du Garde-Frangaise, il frappa
4 laporte. Barthélemy entr’ouvrit l'un des battants et conduisit le fol
dans le jardin. Le musicien salua & droite et & gauche Ja nombreuse.
compagnie qui s’y trouvait et se mit 4chanter avec une gravilé comi-
que, l’air populaire : « Allons-nous-en, gens de la noce. »
Il semblait, en effet, que le Dieu hymen eut transporté ses autels,
comme eit dit le pauvre Crassus, dans ces lieux élyséens. Vulmer et
Marie-Thérése se promenaient au fond du Jardin. Samuel Vaughan
gesliculait 4 cété d’Adéle de Brion, qui souriait en rougissant, et le
petit poéte Endymion Piqueprune racontait 4 mademoiselle de Brion,
la cadetle, les épisodes de son héroisme des jours précédents.
Batz et d’Antraigues discutaient. Sagamore et Jacques se tenaient
graves el silencieux sous un rayon de soleil dont ils méprisaient les.
atleintes. Monseigneur de Dampierre, agenouillé sous l’arbre om-
breux ot: était mort le vieux chevalier, essuyait le front de 1’Enfant-
Aristocrate, que soulevait Agricola et que l’abbesse couvrait de com-
presses froides. Madame de Racontal rejoignait Endymion et lui
jurait que son courage l’avait fait noble. Elle affirmait, 4 la grande
rougeur de mademoiselle de Brion, qu'elle autorisait le petit poéte d
déclarer sa flamme, et qu'elle ne bldmerait pas la mésalliance si
Endymion voulait se marier avec un devant de veste de Circaca, a
fond d’or de Lyon broché, a 6 louis l’aune, et avec un habit doublé de
raz de Saint-Cyr, 4 7 livres 10 sous l’aune, galonné a la Bourgogne.
Célait par de tels galons qu’il. devait expier la fortune qu’il avait
acquise avec les biens nationaux.
Un grand bruit vint interrompre la vicomtesse, et des cris de :
Vive « L'Union Gosse! » annoncérent que les gens de Ja hanlieue rega-
gnaient les villages, ivres comme des triomphateurs. Il y avait trop
THERMIDOR, 317
de charmes dans-ces voix avinées, pour que Agricola put y résister,
il quitta poliment la compagnie assemblée dans le jardin et ne
regretia pas ce bon mouvement. A la barriére, il rencontra Jacques
Bry, qui amenait Genevieve dans Paris, ot elle devait devenir d’abord
la citoyenne Bry, puis plusieurs autres citoyennes, et l’une des plus
brillantes agioteuses du Directoire.
Isabelle et Heurtevent, Victorien et dame Rose, conduits par le
chanoine-cocher ne tardérent pas 4 remplacer Agricola dans le
jardin. Coulongeon les suivait de prés, il n’avait pas recu son compte
de pistoles.
Le dréle n’était pas génant, maisil y avait une si apparente tristesse
dans la physionomie d’Isabelle et-de Rose que le coeur des trois
fancés se ferma. Le prétre se leva, Isabelle se précipita vers son
frére. L’Enfant ouvrit les yeux.
— Je crois que je ne mourrai pas, ma sceur, dit-il d’une voix
faible. Je serais bien faché de mourir parce que j'ai eu bien du mal
arester digne de notre pére. Je suis devenu un homme, et je vou-
drais le montrer. Je n’ai pas eu peur quand je me suis jelé sur cc
vilain qui venait de tuer le capitaine Monbayard. Mais j'aurais voulu,
au lieu de le frapper, l’appeler au combat. Je suis encore trop petit.
Heurtevent regardait cette scéne avec un front plissé et un visage
sombre. Il y avait dans le regard d’Isabelle quelque chose d'inquiet
etd'’effaré qui faisait peine 4 voir. Elle bergait machinalement son
enfant endormi dans ses bras. :
— Ma bonne petite sceur, dit l'Enfant, tu es triste, il ne faut pas.
Jene mourrai pas. C’est ton enfant, et voila ton mari, n’est-ce pas?
Le capitaine Monhayard était brave et bon, quoique fou. Ton mari,
on dit qu'il est brave et bon et il n’est pas fou. Donne-moi ton enfant
que je l’embrasse, et dis 4 ton mari de me donner la main. Les
braves sont fréres bien plus que les démocrates.
Isabelle mit avec une vivacité fébrile son fils dans les bras de
’Enfant-Aristocrate, et elle se releva en fondant en larmes. Puis,
par un mouvement brusque, elle tendit la main 4 son mari.
— Je viens de faire quelque chose de mal, dit-elle. J’étais rue Saint-
Honoré, en face de la rue Saint-Florentin, tout contre la maison ot
Robespierre demeurait, quand la‘charrelte qui conduisait ce monstre
au supplice y a passé. J'ai fait arréter la charrette. Je ne sais quelle
fureur m’a animée, et je lui ai dit : « Va, scélérat, descends aux
enfers avec les malédictions de toutes les femmes, de toutes les
méres de famille. » Il m’a regardée comme regarde un chien
blessé. J'ai senti un remords, comme si je devenais aussi lache que:
lui et ses amis les Jacobins quand ils injuriaient leurs viclimes
allant 4 la guillotine. Je sais bien que lui est le monstre Je plus
318 * THERMIDOR.
effroyable, et qu’elles étaient innocentes. Mais il était vamcu. Mon
Dieu, dit-elle, pardonnez-moi d’avoir été si orgueilleuse. Je com-
prends maintenant combien la passion peut nous entrainer. Mon
mari, mon mari, dit-elle avec un cri déchirant, le pére de mon
enfant !
Heurtevent se précipita vers elle, et s'agenouilla en pleurant avec
des sanglots d'angoisse.
— Reléve-toi, dit-elle, avec une sorte d’égarement. Tu as bien
souffert. Tu vois clair maintenant. J] faut continuer l’expiation com-
mencée. Je te pardonne. Ecoute, la guerre est forte aux frontiéres,
va offrir ton sang & Dien. Va! reviens dans un an, si Dieu a voulu
t’épargner. Va, je te serai une femme fidéle. Va, je t'aime !
Elle embrassa furieusement son enfant, et par un mouvement
brusque elle le posa sous les lévres d’Heurtevent. Celui-ci, souriant
et pleurant, se retourna roide comme un automate et se dirigea
vers la porte. Puis il revint en courant, se jeta aux pieds de 1’Enfant-
Aristocrate qu'il embrassa, et il se sauva avec un sanglot qui se ter
mina par un sourire quand il vit qu’'Isabelle couvrait son fils de
baisers.
Les grosses larmes coulaient de tous les yeux.
— Mon ami, dit Rose 4 Victorien, j’hésitais encore. Mais ces gens-
la me donnent courage.
— Chut, dit Descluziers avec un grave sourire, je sais ce que vous
allez me dire. Vous croyez que vous ne m’aimez pas assez pour étre
ma femme. Ne brisons pas notre avenir. Dans un an, moi aussi, je
reviendrai vous demander votre main.
I] quitta le jardin aprés avoir été serrer la main 4 Batz, & Lozem-
brune et & Sagamore.
Celui-ci qui était resté pensif releva le front.
— Mes amis, dit-il, je vais, moi aussi, vous dire adieu, Jacques et
moi nous retournons en Amérique.
— Foi de fils de Mars et d’Amphithrite réunis, j’y pensais, et je
me disais que, sauvages pour sauvages, j’aime mieux les vrais,
Jaime mieux les Indiens, je dis, que les sans-culottes. Ils n’en ont
pas plus les uns que les autres, c’est vrai. Mais les Indiens n’y
pensent pas, et les Jacobins sont si furieux de ne pas en avoir qu’ils
montrent leur dos a tout le monde et qu’ils tuent ceux qui ne parais-
sent pas contents de ce joli spectacle. Au revoir la compagnie, Jac-
ques I'Iroquois, auprés du lac des Quatre Cantons! Maintenant, si
jamais il y a quelqu’un qui vous demande pourquoi Sagamore por-
tait du linge sur sa téte, vous pouvez dire que c’est parce qu’il a élé
scalpé.
z Marquis, dit Marie-Thérése & Sagamore, veuillez attendre
THERNIDOR. 319
quelques jours. D’abord vous serez le témoin de notre mariage, puis-
que M. l’abbé de Dampierre veut bien nous donner demain la béné-
diction nuptiale. Puis nous vous accompagnerons jusqu’en Angle-
terre, oti nous Irons avec sir Samuel et avec quelques autres, attendre
- que la France devienne un pays civilisé.
Sagamore s’inclina. Marie-Thérése prit Je bras de M. de Petit-Val,
lederrier parent qui lui restait, pour regagner Meudon avec !’atte-
lave du cocher-chanointe. Elle fit une révérence séche et polie 4 dame
Rose, qui fronca le sourcil.
— Eh bien, dit d’Antraigues 4 Batz, vous Je voyez, tout le monde
quitte ce pays maudit. Nous, fous restons sur la bréche. Voulez-
vous que je vous dise ce que je persiste 4 penser, baron? Eh bien,
en abattant Robespierre vous avez commis une grosse faute. Vous
avez fait disparailre la Terreur trop tét, et tellement que dans un
sitcle il repoussera des Jacobins, des Sans-Culottes, des Terroristes.
— Vous étes un réveur, comte d'Antraigues. Ces choses-la sont
des ordures qu’on ne saurait détruire trop tét, avant qu’elles ne
portent graine.
— Que vous importe & vous, messieurs, dit tristement la Rose
de la Liberté, ne savez-vous pas: que les Terroristes sont les meil-
leurs avocats de la monarchie ?
Cu. v’Hén:cautr.
MACHIAVEL DIPLOMATE
N. Machiavelli — Legazioni. — Opere tnedite. — Frammenti istorichi.
| Lettere familiari.
14
VI
Arrivé le 7 octobre 1502, 4 Imola, pour y remplir Ja mission que
lui avait confiée le gouvernement florentin, Machiavel fut accueilli
par César Borgia avec les démonstrations apparentes de la plus
grande bienveillance. Dans leurs premiéres entrevues, il se laissa
presque séduire par le charme attaché 4 la personne et & la parole
de celui qui « connaissait si bien l’art de gagner les hommes et de
_. Jes détruire 4 son gré. » Résistant toutefois & la séduction, il sef-
forca d’opposer feinte 4 feinte, et de marcher toujours couvert, sui
vant son expression, 4 l'exemple d’un adversaire qui cachait son
jeu avec tant d’habileté. Aprés avoir exposé les sentiments d’affec-
tion que la Seigneurie portait au roi Louis XII et au pape Alexan-
dre VI, protecteurs les plus puissants du duc de Romagne, il
démontra Ja nécessité of se trouvait Florence de conserver l’amitié
de ces deux souverains. De cette nécessité et de la situation de la
république florentine par rapport aux puissances dont elle était
Valliée, découlait pour elle l’obligation toute simple de se maintenir
en bonnes relations avec le prince devenu récemment le maitre de
la Romagne. En réponse a cette ouverture, le duc se complut d’abord
4 rappeler longuement la conduile qu’il avait tenue envers Florence.
Il reconnut qu’é la suite d’une expédilion contre Faenza et d'une
§ Voir la livraison du 25 février.
MACHIAVEL DIPLOMATE, 331:
tentative sur Bologne, il avait permis aux Orsini‘ et 4 Vittellozzo?,
alors altachés 4 son service, de passer par Florence pour retourner &
Rome. Il ajouta qu’en accordant ce passage, il n’avait pas voulu
agir en faveur des Médicis, mais plutdt se concilier l’amitié du gou-
vernement actuel de la république. Au surplus, il avait donné récem-
ment une preuve nouvelle de ses bonnes dispositions, puisque c était
jui qui, dans les derniers événements a’ Arezzo, avait urdonné a Vitel-
lozzo Vitelli de se retirer ainsi que ses troupes.
« Jécoutai attentivement tout cela, poursuit Machiavel dans sa
dépéche. Il me dit non-seulement ce que je rapporte, mais il se
servit des expressions que j’ai employées. Je ne vous répélerai pas
ce que je lui ai répondu. Je m’attachai & ne pas sorlir des termes
de ma mission ; je l'assurai que j’écrivais 4 vos seigneuries sur les
parfaites dispositions ow il était, et j’ajoutai que sans doute vous en
éprouveriez un plaisir singulier. Cependant, quoique Son Excellence
montrat un grand désir de faire un prompt accord avec vous, et que
je cherchasse 4 ’amener au point d’avancer quelque proposition
particuliére, toujours il se tint au large, et je ne pus en obtenir que
ce que j’ai écrit. » L’envoyé florentin ayant ensuite risqué une ques-
tion sur le mouvement qui venait de se produire dans le duché
d'Urhin, en faveur de l’ancien duc, naguére dépossédé par César
Borgia, celui-ci, affectant l’indifférence A ce sujet, répondit qu’il
luiimportait peu qu’on lui enlevat sa conquéte. « Je m'y suis montré
trop clément, ajouta-t-il d’un ton plein d’amertume, et cela m’a beau-
coup nui. J'ai pris, comme tu sais, le duché en trois jours, et je n'ai
olé un cheveu 4 personne, hormis 4 messer Dolee, et 4 deux autres
qui avaient comploté contre le Saint-Pére. Mais ce qui est plus fort,
Jai confié des offices & plusieurs des premiers personnages de cet
Etat; j’en ai chargé un, entre autres, de veiller a }a reconstruction
d'une muraille dans la forteresse de Saint-Léo, et voici qu’il y a deux
jours, sous le prétexte d'élever une poutre avec des paysans, il s’est
emparé de la forteresse, qui maintenant est perdue pour moi. »
Aprés cette confidence, au moins singuliére, de César Borgia sur
les prétendus inconvénients de la clémence, confidence dont Machia-
Yel se souvint plus tard en écrivant )’un des chapitres de son traité
' étaient Paolo Orsini et Orsini, duc de Gravina, altachés, avant leur défec-
lion, au parti de César Borgia, et tous deux membres de la famille connue en
France sous le nom des Ursins.
* Vitellozzo Vitelli, l'un des plus célébres condottiert de lépoque, s‘était en-
gagé d’abord au service du roi de France, et avait passé ensuite & la solde des'
Florentins. Aprés s‘étre donné enfin au duc de Romagne, il avait pris part au’
complot dit de la Magione, formé contre ce prince.
522 MACHIAVEL DIPLOMATE.
du Prince‘, une sorte d’entente apparente s’établit entre le duc et
Venvoyé du gonfalonier Soderini. Deux jours ne s‘élaient pas écou-
kés, que le prince fait appeler Machiavel, pour lui montrer et « lui
faire toucher de la main » une lettre écrite de France, par monsei-
gneur d’Arles, légat du pape auprés de Louis XII. Par cette lettre le
prélat annoncait que le roi et le cardinal d’Amboise étaient disposés
4 étre agréables au duc, et qu’a cette intention ils lui enverraient
un corps de troupes. S’appuyant aussitét sur cette promesse for-
melle de secours : « Secrétaire, s’écria-t-il, d’un air triomphant,
voila la réponse que j'ai eve, quand j’ai demandé récemment & atta-
quer Bologne ; tu vois comme elle est forte! Pense donc a l’appui que
J aurai, lorsqu’il me faudra seulement me défendre : mes ennemis
ne pouvaient pas m’attaquer dans un temps plus opportun pour moi.
Actuellement je saurai de qui j’ai 4 me garder, et je connaitrai mes
véritables amis. Je te confie cela; je te confierai tous les jaurs ce
qui arrivera, afin que tu puisses en écrire 4 tes seigneurs, et qu’ils
voient que je ne suis pas homme & m’abandonner, ni a manquer
d'amis. Parmi ces amis, je veux compter tes seigneurs s’ils se font
connaitre pour tels, et bien vite ; s’ils ne le font pas sur-le-champ,
je les mettrai de cdté, et eussé-je de l’eau jusqu’a la gorge, je ne leur
parlerai plus d’amitié, mais cependant en me plaignant toujours
d’avoir un voisin & qui je ne puis pas faire du bien, et de qui je ne
puis pas en recevoir. »
Dans les entretiens qui suivent, le secrétaire florentin cherche
surtout, d’aprés les nouvelles instructions de son gouvernement, 4
connaitre les intentions du duc 4 )’égard de Vitellozzo Vitelli qui,
aprés avoir commandé des troupes & son service dans le soulévement
d’Arezzo, était devenu, ainsi qu’on |’a rappelé, l'un des principaux
chefs de la ligue formée contre la domination tyrannique de César
Borgia. Comme Machiavel ramenait souvent la conversation sur ce
condottiére, dont l’ancienne inimitié contre Florence était égale a
celle qu’il portait alors au duc de Romagne, ce dernier se décida
enfin & lui faire cette réponse : « Je connais mes ennemis, dit-il, et
Vitellozzo en particulier. On lui a donné trop de réputation, et je
‘ C’est le chapitre xvi, intitulé : de la Cruauté et de la Clémence, et s’il vaut
mieux dre aimé que craint. Tout en y établissant d’abord qu’un prince doit dé-
sirer d'étre réputé clément et non cruel, l’auteur fait les réserves qui suivent :
« Il faut pourtant bien prendre garde de ne point user mal 4 propos de la clé-
mence. César Borgia passait pour cruel; mais sa cruaulé rétablit l’ordre et I'union
dans la Romagne; elle y ramena la tranquillité et l'obéissance. Un prince ne doit
oat pas s'effrayer de ce reproche, quand il s'agit de contenir ses sujets dans la
fidélité. »
MACHIAVEL DIPLOMATE, by 5)
fuis assurer que je ne lui 9i jamais vu faire une chose digne d’un
homme de cceur. I] est bon a dévaster les pays qui n’ont pas de
défense, & voler celui qui ne le regarde pas en face, et a faire de
semblables trahisons. Actuellement, il a donné |’explication de ce
qui s'est passé devant Pise, puisqu’il m’a trehi, moi, étant mon
soldat, et recevant alors mon argent. » Par ces derniéres paroles,
renfermant une allusion & la conduite peu honorable de Vitellozzo
lorsqu’il commandait l’armée florentine, Machiavel crut reconnaiftre
que le duc, en confondant ses griefs personnels avec ceux de Flo-
rence, était véritablement animé de bonnes dispositions pour la répu-
blique. II pensa donc que l'occasion était opportune de réclamer du
prince le sauf-conduit qu’il était chargé de demander en faveur des
marchands ses compatriotes, qui auraient a faire des envois, ou a
passer eux-mémes sur les terres du duc de Romagne. Celui-ci s’em-
pressa de répondre qu’il l’accorderait trés-volontiers, en disant que,
comme il ne s‘entendait guére & ces sortes de choses-1a, il convenait
d’en parler 4 son intendant, messer Alexandro Spannocchi, ce que
Machiavel fit immédiatement. « Quoique !’affaire soit bien engagée,
écrit-i] & la Seigneurie, il_serait bon cependant d’avertir nos mar-
chands comment ils s’engouffrent ici, dans un pays qui, au milieu
de tant d’agitations, est aujourd’hui 4 l’un, demain a l'autre. » A
Fappui de ses recommandations et des mesures de prudence qu’il
conseille, il donne, en ambassadeur bien informé, l’énumération des
forces de César Borgia, qui posséde une artillerie bien ordonnée, et
aussi nombreuse que peuvent en avoir toutes les autres puissances
de Vitalie. De plus, il est en aussi bons termes a la cour de France qu’
celle de Rome, et il écrit fréquemment & Ferrare. Sur ces questions
lenvoyé de la république s’entretient journellement en compagnie
d'un secrétaire du duc de Ferrare, et de messer Agapito, secrétaire
de César Borgia. « Nous parlons de cela, dit-il modestement, comme
entre nous autres secrétaires, et chacun dit ce qu’il croit utile &
Pintérét commun. »
Cependant la remise du sauf-conduit n’ayant pas été faite par Span-
nocchi, Machiavel insiste de nouveau auprés du prince qui explique
le retard par cette réponse : « Mais moi, pour que mes sujets soient
protégés dans vos Etats, ne dois-je pas en avoir aussi quelque assu-
rance? » Sur l'affirmation du secrétaire florentin que pareille faveur
ne sera pas refusée au duc, dés qu’il en adressera Ja demande & la
Seigneurie, le sauf-conduit est rédigé'; mais il doit étre expédié
Seulement lorsqu’un acte semblable aura été accordé par la républi-
' Dans cette piéce, dont une copie fut remise 4 Machiavel par le secrétaire
Agapito, le duc s'intitule pompeusement : « César Borgia, de France, par la grace
‘324 MACHIAVEL DIPLOMATE.
que en ‘faveur des sujets du prince. L'affaire du sauf-conduit, qui
servait de prétexte 4 sa mission, ayant élé ainsi menée a bonne fin,
Machiavel put soccuper exclusivement des questions toutes politi-
ques motivant, en réalité, sa présence 4 la cour d'Imola. Appliqué
plus que jamais 4 l’observation attentive des acles et des paroles du
Valentinois, il commence & saisir les premiers signes de la sanglante
intrigue qui se noue mystérieusement autour de lui. Une de ses
dépéches, du 27 octobre, laisse déja pressentir la catastrophe au
moycn de Jaquelle le duc s’apprétait 4 terminer d'un seul coup la
lutte avec les adversaires ligués contre sa puissance. « Celui gui
examine, écrit-il 4 Florence, Jes avantages d’un parti et ceux du
parti opposé, reconnait que ce seigneur (Borgia) est picin de cou-
rage, d espoir et de confiance dans sa bonne forlune. Il est favorisé
par un pape, favorisé par un roi, et il aregu des injures de ses ennemis,
non-seulement dans un Etat qu'il voulait acquérir, mais encore dans
un autre qu'il avait acquis. Ceux-ci sont allachés & leurs possessions,
et, déja intimidés, avant méme de lui avoir fail injure, par la gran-
deur de leur adversaire, ils sont aujourd’hui bien plus intimidés
encore, depuis qu’ils se sont déclarés contre lui. Dans celte situa-
tion, comment l'un pourrait-il renoncer a la vengeance, et les autres
s’abstenir de la crainle? » |
Sur ces entrefaites, et comme pour encourager les sinistres pro-
jets du duc de Valentinois, |'avant-garde des troupes francaises dont
envoi lui avait été annoncé, arrive 4 Faenza, au nombre de cing
compagnies de cent lances. A celte nouvelle, l’envoyé florentin s’em-
pressa d’aller, au nom de la Seigneurie, complimenter le chef de ce
corps, messire Clermont de Montoison'. Celui-ci, se rappelant, ainsi
que plusieurs de ses officiers, avoir yu Machiavel a la cour de France,
l’accueille avec la plus affable courtoisie, et se déclare prét « a
servir la république en tout ce qui pourra lui élre agréable. » Le
récit de cette entrevue nous offre, dans les dépéches du secrétaire
de Florence, un tableau aussi animé qu’intéressant. C'est, d'une
part, Ja joie expansive que manifestent les seigneurs francais si
contents de parler de leur pays natal sur une terre étrangére, et, de
l'autre, la satisfaction non moins vive que ressent l’ex-représentant
de la Seigneurie auprés de Louis XII, de pouvoir s’eniretenir avec
ces aimables et loyaux chevaliers, des principales circonstances de
Son voyage au dela des Monts. Bientot Ja marche d autres troupes
de Dieu, duc de Romagne et de Valentindis, prince d’Adria et de Venafro, sei-
gneur de Piombino, gonfalonnier et capitaine général de la Sainte Eglise Ro-
maine. »
‘ ll était de la famille de Clermont, qui se divisait en trois branches : celles
de Clermont-Tonnerre, de Clermont-Montoison et de Clermont-Mont-Saint-Jean. _
MACHIAVEL DIVLOMATE. 325
fort nombreuses, envoyées par le gouvernement francais, vient de
nouveau éveiller la sollicitude de Machiavel. En présence des graves
événements qui semblent se préparer, il redouble de vigilance,
multiplie les questions, et transmet & la Seigneurie la réponse qu’il
a recue d'un affidé de César Borgia. Suivant les secrétes révélations
faites par ce personnage, qui parait fort au courant des projets de
son maitre, le duc commence 4 trouver que I’hésilation de la Sei-
gneurie & conclure le trailé qu’il lui offre est peu profitable pour lui,
et encore moins pour la république. « Le duc sait trés-bien, dit-il,
que le pape peut mourir d’un jour a l’autre, et qu'il lui est néces-
saire, avant cette mort, de donner & ses Etats, s’il veut les conserver,
un autre soutien que celui du pontife. Le premier appui qu'il recon-
nait est le roi de France; le second, la force de ses propres armes.
Tu vois qu'il s’est déja procuré 500 hommes d’armes, et autant de
chevau-lécers qui, avant peu de jours, seront ici réunis et a sa
disposition. Toutefois, comme il juge qu’avec le temps ces deux
appuis pourraient ne pas lui suffire, i] songe & se donner pour amis
ceux de ses voisins qui sont forcés de le défendre en se défendant
eux-mémes. Ces voisins sont les Florentins, les Bolonais, Mantoue
et Ferrare. »
Poursuivant le cours de ses confidences intéressées, l’agent de
César Borgia fit aussitét comprendre & Machiavel que, grace a d’ha-
biles combinaisons, son maitre avait su rallier 4 sa cause les ducs
de Ferrare et le marquis de Mantoue. I] tenait le premier par le ma-
riage de sa sceur Lucrezia, qui avait recu une dot considérable ; le
second, par la promesse d’un chapeau de cardinal pour son frére,
et son projet d’union entre la. fille de César Borgia et son fils. La
jeune princesse devait avoir en dot quarante mille ducats que paye-
raient le marquis de Mantoue et son frére, en reconnaissance de la
dignité cardinalice accordée 4 ce dernier. En ce qui touchait les Bo-
lonais, il était question d’un accord particulier avec eux, mais dis-
tinct de celui qui avait été conclu avec les autres confédérés. Cet
arrangement, sollicité par le duc de Ferrare, désiré par Son Excel-
lence le duc de Romagne, et avantageux pour les Bentivogli, devait
seterminer heureusement. Aprés avoir fait ressortir ensuite les avan-
tages que de bonnes alliances pouvaient donner & son mattre, et la né-
cessité ot se trouvail la république d’unir ses forces aux siennes, afin.
de conjurer les périls qui la menacaient, Pagent du prince ajouta :
« Florence a deux plaies qui la feront languir, et méme, si elle n’y
remédie, la conduiront & sa perte : l'une est Pise, l'autre est Vitel-
lozo. Ne serait-il pas d'un grand avantage pour elle de rentrer en
possession de cette place, et d’étre délivrée de cet ennemi? Le duc ne
demanderait de son cété que l’honneur. de commander vos troupes,
526 MACHIAVEL DIPLOMATE.
comme il le fil jadis, honneur qu’il estime plus qu’argent ou tout
autre chose. Si vous pouviez le satisfaire sur ce point, le reste s’ar-
rangerait facilement. Ne m’objecte pas, touchant Vitellozzo, que le
duc a traité avec lui et avec les Orsini. La ratification de cet accord
n’est pas encore venue; mais en supposant qu elle arrive, il y a tou-
jours, pour s’en tirer, des moyens qu'il vaut mieux laisser a entendre,
ou exprimer de vive voix, que de les consigner par écrit. Afin que tu
comprennes, sache donc qu'il est dans l’intérét du duc de sauver
une partie des Orsini, parce qu’il a besoin, le pape mourant, d'avoir
quelques amis 4 Rome. Mais de Vitellozzo, il ne peut en entendre
parler, parce que Vitellozzo est un serpent venimeux, une forche in-
cendiaire pour la Toscane et ]’Italie. Quoique tout cela ne vienne que
‘de moi seul, écris-le au gonfalonier et au Conseil des Dix. Rappelle-
leur aussi une chose qui pourrait arriver : c'est que le roi de France
ordonnat a tes seigneurs de prendre le duc pour général a leur solde,
et de mettre leurs troupes & sa disposition, car il vaut mieux, pour
un service qu'on doit rendre, s‘exécuter de bonne grace, que céder
4 la contrainte. »
A ces déclarations non moins inattendues qu’'embarrassantes, Ma-
chiavel, 4 qui son gouvernement avait prescrit de gagner du temps,
se contenta de répliquer, d’une maniére générale, que le duc avait rai-
son de prendre ses mesures, et de chercher & sassurer des amis.
« Quant ala condotta, — je lui dis, comme parlant, moi aussi, en
mon nom personnel, — que le duc ne pouvail élre comparé aux au-
tres seigneurs, qui n’ont, pour ainsi dire, que la cape et l’épée ; mais
qu’on devait le considérer en Italie comme un nouveau. souverain,
auquel il est plus convenable de proposer une alliance, qu'un simple
engagement militaire. Je fis aussi remarquer que, comme les amitiés
entre puissances se maintiennent par les armes, et que les armes
seules font observer les traités, Vos Seigneuries ne voyaient pas quelles
garanties leur s